«

»

Chapitre 2

― Alors voici le musée d’art moderne… très artistique à mon goût même si le style est… moderne. Les principes esthétiques supérieurs et les concepts abstraits sont respectés : la symétrie, les proportions et les nombreuses ouvertures à la lumière sont parfaites. Le plan régulier, l’égalité des travées, l’alignement des baies ainsi que…, commença le vampire avec enthousiasme sans pouvoir s’arrêter… jusqu’à ce qu’Elana l’assomme d’un grand coup sur la tête.

― C’est bon Vince, on sait que tu aimes le style renaissance. Pas besoin de nous faire à chaque fois la description de la structure du bâtiment ! rétorqua-t-elle, agacée.

Devant eux se trouvait en effet le musée d’art moderne de Saint-Etienne. C’était un bâtiment très carré, cubique, recouvert de plaques noires brillantes au soleil avec des fenêtres tout aussi strict. Et là où le groupe se trouvait, sur une cour remplie de gravier blanc et gris, il y avait une œuvre d’art en fer représentant des fils courbés comme une boule. D’ailleurs, Fenl en profita pour aller l’inspecter avec curiosité puis sauter dessus en criant qu’elle allait bouger et rouler jusqu’au magasin de bonbons. Dépitée et paniquée à l’idée que quelqu’un voit la petite fille jouer sur une œuvre, Elana s’empressa de la faire descendre tout en la sermonnant. Ce qui passa totalement au-dessus de la concernée qui ne retenu aucun des avertissements et reproches. Elle préférait observer une autre œuvre en pensant que celle-ci pourrait peut-être l’emmener cette fois là où elle voulait.

Après ce petit « incident », le groupe chercha l’entrée des souterrains et la trouva rapidement derrière le bâtiment. Une lourde porte en métal gris préservait cet endroit des intrus indésirables. Et eux faisaient partie de cette catégorie. Elana essaya d’abord de l’ouvrir mais elle réalisa bien vite que ses efforts étaient vains : elle ne bougeait pas d’un pouce. La jeune fille due donc laisser sa place à Vince qui ouvrit la porte avec une facilité déconcertante. Ce qui exaspéra au plus haut point la demoiselle qui trouvait qu’être un vampire facilitait trop la vie de ce pervers… et qui en plus réussissait là où elle avait échoué. Et justement elle détestait ça. L’échec ne faisait pas partie de son vocabulaire.

Vince fut le premier à s’aventurer dans le long couloir qui lui faisait face avant d’être suivi d’Elana, de Fenl et pour finir de Swaï qui, même s’il ne le laissait pas paraître, était assez mal à l’aise dans cet endroit. Il le trouvait trop étouffant à son goût et son côté claustrophobe fit monter son rythme cardiaque d’un cran. Heureusement pour l’homme-dragon, cela passa inaperçu pour le vampire qui, avec son ouïe assez développée, pouvait entendre les palpitations d’un cœur. Son attention n’était tournée que vers les bruits étranges venant de droit devant lui. Très vite, ils prirent de l’ampleur et tout le groupe put entendre des sortes de grognements et de couinements de douleurs dispersés un peu partout mais provenant des murs. Intrigués, les intrus avancèrent rapidement et discrètement jusqu’à apercevoir des cellules encastrées dans les parois du couloir en béton. Elana s’empressa d’aller voir l’état des prisonniers enfermés ainsi que leur identité.

― C’est eux. Vince, peux-tu les libérer ? demanda-t-elle dans un murmure en regardant le vampire qui acquiesça en silence.

La jeune fille se poussa alors pour lui laisser la place et le vit empoigner deux barreaux centraux qu’il arracha d’un seul coup pour ensuite les laisser tomber par terre. Puis Elana entra dans la cellule afin d’examiner les deux loups-garous présents. L’un était couché sur le lit sommaire en bois et semblait souffrir horriblement de la jambe gauche. La façon dont il la tenait et dont il gémissait, transpirait et grimaçait de douleur ne laissait aucun doute. L’autre se trouvait à ses côtés, assis par terre, la tête appuyée contre le pied du lit. Il semblait dormir profondément. À un point qu’elle dut le secouer pour qu’il se réveille. Un peu paniqué au départ, à l’idée qu’une de ces satanées goules soit venue pour lui faire je ne sais quoi, il prit Elana par les épaules et la plaqua violemment contre le mur. Elle lâcha un hoquet de surprise en le voyant se jeter sur elle et sentit vite une vive douleur sur l’ensemble de son dos qui avait pris un sacré choc. Mais une fraction de seconde plus tard, c’est le loup-garou qui se retrouva projeté contre le mur par Vince qui, après avoir vu sa maîtresse en danger, avait réagi au quart de tour. Il lâcha alors un grognement venant du plus profond de sa cage thoracique en retroussant les lèvres pour laisser voir ses canines s’allonger et s’aiguiser tout en prenant Elana contre lui pour la protéger d’un éventuel assaut du loup-garou. Ce dernier s’était relevé assez difficilement de l’attaque du vampire et, en réponse à l’attitude de celui-ci, il montra les crocs en grognant comme un animal menacé tandis que ses yeux prenaient une couleur jaunâtre, à la limite de l’or.

Il va se transformer ! pensa Elana avec panique. Il ne doit surtout pas faire ça ! Sinon les autres loups-garous en état de le faire vont aussi devenir de véritables animaux sauvages ! Et se seront nous les proies !

Afin d’empêcher le pire d’arriver, la jeune fille se dégagea - non sans mal - de la protection de Vince pour se mettre devant lui. Elle se trouvait en position de faiblesse et elle le savait. En étant ainsi, dos à son ami et face à un loup-garou sur le point de se transformer qui pourrait la déchiqueter en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle mettait sa vie en jeu. Et cela pour montrer au prisonnier qu’elle ne possédait aucune défense et qu’elle ne lui voulait aucun mal. Il ne faut pas que je bouge, ne serait-ce qu’un millimètre. Il doit me faire confiance. Sinon nous sommes tous fichus ! Elana savait qu’à ce stade, la conscience d’un loup-garou oscille entre sa part animal avec ses instincts de prédateur, et sa part humaine raisonnée et faisant preuve de plus de réserve sur l’attaque d’une éventuelle proie. Elle devait donc calmer la part loup pour que l’homme refasse surface et que la transformation s’annule.

La demoiselle resta ainsi debout sans bouger en le fixant dans les yeux, comme pour essayer de lui faire comprendre qu’elle ne lui voulait aucun mal. À ce moment, l’or en fusion faisait face à une émeraude et un saphir. La tension était à son comble, tous se taisaient afin d’éviter le pire. Même si certains de ses amis continuaient à se jeter des coups d’œil tendus. Après quelques minutes de silence, le prisonnier sembla se calmer doucement : ses crocs rétrécirent, ses yeux redevinrent bruns, ses muscles se détendirent imperceptiblement et ses épaules se relâchèrent. Elana en profita pour enfoncer le clou :

― Nous ne vous voulons aucun mal, nous sommes venus mes amis et moi pour vous libérer des goules. (Elle le vit froncer les sourcils et lâcher un grognement) Un de mes amis se trouve ici, je ne sais pas si vous le connaissez. Il s’appelle Stefan. C’est l’ancien Alpha de la région.

Lorsqu’elle prononça ce nom, le loup-garou se figea avant de demander d’une voix chaude mais faible :

― Tu es Elana c’est ça ?

― Euh… oui. Mais comment vous…? s’étonna-t-elle.

― Lorsqu’il est arrivé ici il n’arrêtait pas de hurler qu’il ferait payer à ces goules le centuple de ce qu’elles oseraient nous faires et il a dit que ses amis viendraient le chercher et le libéreraient. Ensuite il s’est fait assommer et juste avant de perdre connaissance devant ma cellule je l’ai entendu murmurer plusieurs fois ton nom. Puis il s’est fait emmener par une des goules.

― Et vous savez où il a été emmené ?

― Je présume qu’il a dû être enfermé au plus profond du couloir, dans les cellules réservées aux plus dangereux d’entre nous. Mais après je ne peux pas être plus précis. Désolé, expliqua-t-il avec un mince sourire d’impuissance.

― Non, ne vous en faites pas, ça nous aide déjà beaucoup.

Elana se tourna alors vers Vince en lui indiquant la sortie de la cellule avec la tête puis se retourna vers le loup-garou.

― La sortie n’est pas loin, est-ce que vous pensez pouvoir vous enfuir ? La route jusqu’ici est sure, il n’y a pas de goule. (Il hocha la tête avant de regarder son ami qui n’avait pas bougé d’un pouce pendant l’échange. La jeune femme comprit son inquiétude) Fenl peut soigner votre ami, si vous le souhaitez. Ainsi, vous pourrez sortir plus rapidement et il ne souffrira plus.

Le loup-garou resta silencieux pendant quelques minutes en pesant le pour et le contre de la proposition puis accepta. Elana appela Fenl qui, pour la première fois depuis qu’ils étaient arrivés, afficha un air sérieux, stricte et impassible. Elle sembla alors avoir pris de nombreuses années et ses yeux reflétèrent son âge véritable qui n’était pas du tout le même que son physique. La fée s’approcha doucement du blessé, s’agenouilla à ses côtés et posa ses mains recouvertes d’un halo blanc sur la jambe atteinte du mal. Elle ferma les yeux en visionnant dans sa tête les éléments constituants cette partie du corps pour passer des vaisseaux sanguins, aux nerfs, aux muscles et aux os jusqu’à la peau en elle-même. Et elle trouva bien vite le problème qui faisait tant souffrir le loup-garou : le péroné avait été cassé puis il s’est réparé grâce à la rapidité de régénération des loups-garous, mais les deux bouts d’os ne se sont pas recollés correctement. C’est pour ça qu’il endurait cette douleur.

Très vite, l’os se reforma normalement et le visage du jeune homme se détendit jusqu’à ce qu’il s’endorme comme une masse. Fenl se releva distraitement en reprenant son air enfantin et quelque peu à l’ouest de d’habitude devant le regard étonné du loup-garou éveillé qui s’apprêtait à parler. Mais devant le sourire nonchalant d’Elana, il se tut. Juste après ça, il prit son ami sur son épaule et s’en alla rapidement vers la sortie après avoir remercié les quatre membres du groupe.

― Bon, maintenant nous devons libérer tous les autres loups-garous et vite si l’on ne veut pas que les goules rappliquent. Même si je trouve ça étrange que personne ne soit venu avec tout le bruit qu’on a déjà fait…, dit Elana en fixant l’autre bout du couloir encore inconnu.

Rapidement, Vince arracha les barreaux de la cellule voisine tandis que la jeune femme aux cheveux rouges en fondait d’autres grâce au feu produit par Swaï. Elle appliquait à chaque barre de fer une flamme intense qu’elle condensait dans ses mains comme un chalumeau. L’homme-dragon, quant à lui, les carbonisait totalement à l’aide de son feu du dragon qu’il crachait de sa bouche. Et très vite, presque tous les loups-garous purent s’enfuir avec quelques fois des petites pauses pour soigner l’un des leurs grâce au pouvoir de guérison de Fenl.

Tout se passait pour le mieux quand soudain le petit groupe tomba sur une cellule étrange. Celle-ci était deux fois plus grande que les autres, mieux éclairée mais moins « confortable ». Aucun meuble n’était présent, même pas un lit, alors que l’on pouvait voir à l’intérieur un prisonnier et également… un cercueil.

― Mais qu’est-ce que…, commença Elana, totalement perdue et surprise.

― Qu’est-ce qu’un cercueil fout là ? termina Vince devant les yeux écarquillés de la jeune femme qui ne s’attendait pas à un tel langage de sa part.

Le vampire réitéra son geste habituel et s’empressa de rentrer dans la cellule sans écouter la mise en garde de sa maîtresse. Mais alors qu’il n’était plus qu’à un mètre de la sépulture, une voix se fit entendre :

― Je ne le toucherais pas si j’étais vous.

Sur ses gardes, Vince se tourna directement vers le prisonnier fondu dans le recoin de la pièce. C’était un homme d’environ trente-cinq ans, aux cheveux mi-longs et aux yeux noisette avec une barbe d’environ cinq ou six jours. Il sourit d’un air amusé, pas du tout impressionné par la présence d’un vampire dans sa cellule. Et le buveur de sang put sentir en lui une grande force, ancienne et très dangereuse. Elana, n’étant pas consciente de ce que pouvait ressentir et penser son ami, s’aventura dans la cellule à son tour pour parler avec le prisonnier qui lui semblait différent des précédents.

― Qui êtes-vous ?

― Je m’appelle Ashuran, jeune demoiselle, fit-il avec courtoisie.

― Et que faites-vous dans cette cellule, Ashuran ? Vous n’avez pas l’air comme les autres prisonniers, je me trompe ? continua-t-elle sans se méfier outre mesure par rapport à son ami vampire.

― Non. En fait je…

Mais l’homme arrêta brusquement sa phrase lorsqu’il vit le jeune homme aux yeux gris qui faisait partie du groupe se retrouver directement à côté du cercueil et le renifler sous différents angles avec intérêt. Il semblait très intrigué par son contenu, ce qui déplut fortement au prisonnier qui lui lança un regard noir qui disparut très vite à l’instant où il vit le vampire le fixer d’un mauvais œil. On pouvait lire en lui qu’il n’avait aucune confiance en cet Ashuran, au contraire d’Elana qui ne se méfiait pas trop de lui comme si elle le connaissait depuis longtemps alors qu’elle venait à peine de le rencontrer. Ce dernier soutenu le regard du buveur de sang avec un sourire charmant tout en filant de discrets coups d’œil à ce que Swaï faisait. Celui-ci, d’ailleurs, s’était arrêté de renifler la sépulture et se contentait de l’observer bizarrement comme s’il essayait de déchiffrer quelque chose.

― Qui a-t-il dans ce cercueil ? lança-t-il sans pour autant regarder Ashuran.

― Rien pourquoi ?

― Je sens quelque chose d’étrange qui émane, il y a une odeur qui s’y échappe mais je n’arrive pas à trouver ce que c’est. Il n’y a pas assez d’effluves pour que mon odorat arrive à en identifier le contenu.

― Lorsque je suis arrivé ici ce cercueil était ouvert et il était vide. C’est moi qui l’ais fermé pour pouvoir m’en servir comme siège ou lit de fortune, expliqua calmement le prisonnier sans se départir de son sourire qui exaspéra Vince autant qu’il le trouvait faux.

― Hmm vraiment… dans ce cas ça ne vous dérange pas si je m’assois dessus ? Je suis fatigué de rester debout, continua Swaï avant de s’y installer sans même connaître la réponse à sa question.

Mais celle-ci vint très vite et étrangement trop vite.

― Pourriez-vous descendre de ce cercueil, s’il vous plaît ? Je trouve ça quelque peu insultant de s’asseoir dessus car après tout, même s’il n’y a personne dedans, cela ne se fait pas. Question de respect.

― Il a raison Swaï, descends s’il te plaît, dit Elana avec fermeté.

L’homme-dragon fixa la jeune femme sans broncher puis porta son attention sur Ashuran en lui faisant remarquer que lui aussi s’asseyait dessus, il l’avait dit lui-même. Et comme pour confirmer les soupçons de Vince, le prisonnier répondit qu’il ne faisait cela qu’en extrême nécessité et qu’en dehors de ça il ne le touchait pas. Réponse totalement fausse et inventée pour le vampire. Cet homme cache quelque chose, c’est certain.

Juste après cette explication plus que douteuse, Swaï se décida pourtant à redescendre du cercueil sous le regard attentif d’Ashuran. Rapidement, Elana prit la décision de poursuivre le chemin en direction des parties encore inexplorées afin de retrouver son ami Stefan, en compagnie d’Ashuran qui n’avait pas souhaité s’enfuir tout de suite mais d’abord les aider dans leur quête. Et malgré les protestations de Vince, il fut vite déclaré qu’il pouvait les accompagner, selon l’avis de la jeune femme qui décidait d’à peu près tout dans le groupe. Eh oui, sa force de persuasion était assez forte pour tenir tête à un vampire vieux de plusieurs siècles.

Le petit groupe reprit alors son chemin en compagnie d’Ashuran, qui, malgré son sourire charmeur, cachait derrière un éclat malveillant. Mais ce que l’ancien prisonnier ne vit pas, c’est que le couvercle de la sépulture s’était entrouvert légèrement lorsque le poids de l’homme-dragon avait glissé dessus en direction du sol. Et qu’un léger courant d’air remplit de quelque chose d’assez fort, brutal et épicé, avec un arrière-goût de sel s’y était échappé…