Cela faisait maintenant trois minutes et quarante-six secondes qu’ils étaient devant cette porte. Ce qui l’exaspéra au plus haut point.
― Bon, papa. Tu te décides là ou quoi ? Je commence à m’enraciner sur place, grinça la jeune fille d’un air ennuyé.
― Elana, tais-toi, rétorqua immédiatement son père en la foudroyant du regard.
Sa fille ne réagit même pas, se contentant de le regarder d’un air de dire « Tu crois que tu me fais peur là ? ». Il leva directement les yeux au ciel, soupirant malgré lui. Je commence vraiment à me demander d’où elle tient ce non-respect de l’autorité. Certainement pas de sa mère, elle était quelqu’un de très énergétique, limite surexcitée, mais écoutant toujours les ordres de ses supérieurs ainsi que les miens. Elle savait quand elle devait obéir. Pas comme Elana qui n’écoute jamais rien de ce que je lui dis. C’est sûr, je vais avoir des cheveux blancs avant l’heure à force de m’inquiéter pour elle.
Suite à cette pensée, il décida que la meilleure solution était la plus évidente. Sa fille put le voir sortir de la poche intérieure de sa longue veste rouge, le pommeau d’une épée. Le pommeau d’une épée ? Euh… il compte faire quoi avec ça ? Et elle eut bien vite une réponse à sa curiosité. Son père appuya sur une sorte de bouton argenté présent sur la garde puis, comme par magie, une lame sortit. Que… Quoi ?! Mais d’où elle sort ?! Elana ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux devant ce prodige. Plusieurs questions fusèrent dans son esprit tandis qu’elle continuait à observer cette étrange arme. Le pommeau était recouvert de sortes d’écailles vertes, luisantes comme une émeraude dans un bel écrin, ne laissant rien voir d’autre en dessous. La garde, quant à elle, était faite d’un beau métal argenté retraçant avec minutie deux serpents entrelacés. Et la lame… elle était tout bonnement splendide ! Brillante sous la lumière du couloir où ils se trouvaient, Elana était même capable d’y apercevoir son reflet. Les caractères retranscrits sur ce bel ouvrage ne lui rappelait aucune langue connue, ce qui l’intrigua encore plus. Elle ne put s’empêcher de l’admirer avec une certaine fascination. Fine et pourtant tranchante, elle donnait cette impression qu’elle était capable de couper tout et n’importe quoi sans en garder une seule séquelle.
Elle resta quelques instants dans un état complet d’ébahissement, ce qui fit sourire son paternel. La tête de sa fille l’amusait grandement, n’ayant pas vraiment d’occasion de la voir afficher un si grand intérêt à quelque chose lui appartenant. Mais alors qu’il allait lui faire une remarque sur ceci, il entendit un bruit venant de l’intérieur de la chambre. Ce qui sortit Elana de sa totale admiration face à son arme. Ils s’entre-regardèrent une seconde puis un autre bruit vint à leurs oreilles : celui d’une fenêtre cassée. Ne souhaitant pas que le propriétaire de la chambre s’enfuit pour de bon, James défonça la porte d’un coup de pied avant d’entrer d’un pas ferme. Un courant d’air frais fit voleter ses cheveux bruns contre son cou, prouvant ainsi qu’une autre sortie venait d’être ouverte.
― Papa ! Il s’enfuit !
Démarrant au quart de tour, le chasseur courut à la fenêtre et put voir une silhouette sombre s’enfuir par la cour en direction d’un bâtiment en briques rouges situé derrière l’hôtel.
― C’est pas vrai ! Elana, restes ici, je vais m’en occuper ! ordonna-t-il avant de passer à son tour par l’escalier de service par lequel s’était échappée sa proie.
Mais, comme à son habitude, sa fille ne comptait pas l’écouter et n’en fit qu’à sa tête. Elle fixa quelques instants la fenêtre puis grimaça. Je ne vais sûrement pas sortir par là, c’est trop haut ! Eh oui, Elana avait le vertige. Soupirant contre ce défaut notable, elle survola du regard la pièce à la recherche d’un quelconque indice ou objet important, mais ne trouva rien à se mettre sous la dent. Déçue, elle s’apprêta à repartir par la vraie sortie de la chambre, lorsqu’elle entre-aperçut un bout de papier émerger d’un des tiroirs de la commode à sa gauche. Une poussée de curiosité la prit et, malheureusement, elle ne put s’empêcher de fourrer son nez là où elle ne le devait pas. Sa main agrippa ladite feuille avant que ses yeux ne plongent sur deux obsidiennes. Une photo ! Ouah… Ce fut la seule chose qu’elle réussit à penser en voyant la personne représentée. C’était un homme d’environ trente ans, possédant un visage fin, gracieux, et même quelque peu efféminé si l’on ne comptait pas ses lèvres charnues, son nez droit, ses pommettes hautes, ainsi que son regard impérieux. Il avait de magnifiques yeux noirs, d’un noir qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de voir dans sa vie. Quant à ses cheveux lui arrivant aux épaules, ils étaient d’un argent pur, laissant apparaître des reflets blancs sur la photo. Mais ce qui l’étonna vraiment, c’était ses vêtements. Il portait une fine chemise noir, sûrement en soie, assez ouverte sur son torse fin, musclé, à la limite du félin, avec en prime une peau aussi blanche que le marbre. Et par-dessus se trouvait une veste couleur carmin dont elle ne voyait même pas le bout – la photo s’arrêtant au niveau du ventre de l’homme.
Quelque peu abasourdie devant cette photo, elle passa au moins plusieurs minutes à la détailler sous toutes les coutures jusqu’à se rappeler le pourquoi de sa présence ici. Bon sang ! C’est pas l’heure de rêvasser, je dois retrouver papa ! Immédiatement, Elana fourra l’image dans la poche de sa veste en cuir avant de repartir en dévalant les escaliers menant à l’accueil de l’hôtel. Elle passa en quatrième vitesse devant le guichet, toujours occupé par le réceptionniste qui ne réagit même pas, continuant de lire tranquillement son magazine. N’y faisant pas attention, elle continua son bout de chemin jusqu’à enfin atteindre la cour puis l’entrée du bâtiment. La porte étant déjà ouverte, elle entra à son tour, tombant directement sur un long couloir assez sombre. Tout en restant sur ses gardes, elle avança petit à petit en examinant l’endroit où elle se trouvait. Qui, d’ailleurs, lui donnait une mauvaise impression. Un frisson lui parcourut le dos alors qu’elle sentait un léger courant d’air venant du fond du couloir. Ses pas résonnèrent sur le carrelage et elle se maudit d’avoir mis des bottes à talon. Mes baskets auraient mieux convenu… Je suis vraiment pas douée des fois ! Autre chose la dérangeait également. Depuis la porte d’entrée, elle n’avait pu voir que quatre chandeliers aux murs et quatre autres se trouvaient devant elle. Pourquoi si peu éclairer ce couloir ? Bonne question ! Je vois à peine le bout de mes pieds et il pourrait bien y avoir quelqu’un que je ne le verrai même pas ! Je tombe toujours dans des endroits bizarres moi, on dirait que je les attire même… J’ai vraiment pas de chance… Un léger soupir sortit de sa bouche lui rappela qu’elle était pourtant seule dans ce couloir, elle le sentait. Je suis peut-être aveugle dans cet endroit mais j’ai toujours mon instinct. Et un bon instinct selon papa. D’ailleurs, celui-ci lui disait de ne pas avancer plus, de s’arrêter immédiatement et de s’enfuir.
Elle se stoppa net lorsqu’elle ressentit une vague de stress monter en elle. Une drôle de sensation la tenaillait et son ventre se contracta brusquement sans vraie raison apparente. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Cette question ne fit que tourner encore et encore dans son esprit tandis qu’elle levait ses mains en face de son visage. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant qu’elles tremblaient. Pourquoi est-ce que mes mains tremblent ? Je n’ai pas peur pourtant, et encore moins froid ! La surprise et la curiosité laissèrent vite place à une autre sensation qu’elle connaissait bien : l’appréhension. Elle avait déjà ressenti ça il y a six ans. Oh… oh non… Sa respiration se fit plus rapide alors que de la peur venait envahir son corps et son esprit. Pas ça… Machinalement, elle se remit à marcher puis à courir. Tout mais pas ça ! Ses yeux s’embuèrent, faisant de ce fait, trembloter sa vue. Mais elle s’en fichait royalement, la jeune fille ne pensait qu’à une seule chose en cet instant : retrouver son père. Elle sentait qu’elle devait le voir. Pour la rassurer, lui montrer que ses sentiments n’étaient pas fondés. Je vous en prie !
Bien vite, elle put apercevoir deux battants ouverts sur une pièce encore plus sombre que ne l’était le couloir où elle se trouvait. Cette vision la fit accélérer. Son cœur battait à cent à l’heure et elle sut que l’objet de ses pensées ne se trouvait pas loin d’elle. Un léger sourire étira ses lèvres lorsqu’elle prononça ce mot : « Papa ». Mais alors qu’une petite bouffée de soulagement montait en elle lorsqu’elle fut à deux pas de l’entrée, elle trébucha. Son corps s’écroula par terre sans grâce ni douceur. Le choc, assez violent, fit disparaître un instant tout ce qu’elle ressentait, ne laissant place qu’à la douleur. Aie, aie, aie ! Putain ! S’il y avait un peu plus de lumière je me serais pas ramasser comme une débile et… AIE ! Une vive douleur se déclara au niveau de sa cheville, ce qui la fit grimacer. Elle releva son visage du sol, se tourna et appuya sur la zone qui la faisait souffrir. J’ai dû me fouler la cheville ou quelque chose du genre. Bon sang, j’ai vraiment pas de chance moi. D’autres endroits lui semblèrent être également touchés : les coudes, les genoux et les paumes de ses mains. Je vais me récolter des égratignures, c’est certain. Mais alors qu’elle jurait encore une fois contre elle-même, elle se rappela qu’elle n’avait pas trébuché toute seule. Intriguée et en même temps assez furieuse contre la chose qui lui avait amené cette blessure, elle planta son regard droit devant elle. Et ce qu’Elana vit la terrifia.
― Ah… ah… n…. non…
Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. Ses pupilles se dilatèrent brusquement et sa voix mourut dans sa gorge dans un souffle tandis que son teint déjà clair virait au blanc. Ce qu’elle craignait par-dessus tout était là. Ce qu’elle croyait ne pas être possible venait de le devenir. L’impossible venait de se réaliser.
J’avais mal à la cheville. Je sentais une forte douleur étreindre mes muscles ainsi qu’une forte chaleur au niveau du bas de ma jambe droite. Mais ce n’était rien par rapport à ce que mes entrailles, mon esprit et ma conscience ressentaient en cet instant. De la peur. Une immense et incommensurable peur me tordait les entrailles avec une violence inouïe. Mon corps tremblait de la tête aux pieds sans que je ne puisse ou ne veuille l’arrêter. Le stress monta au fur et à mesure jusqu’à atteindre l’ensemble de mes membres alors que j’essayai d’assimiler ce que je voyais. Mes yeux, ou plutôt mon esprit, n’arrivait pas à comprendre et surtout à accepter ce que j’avais devant moi. Mon visage devait afficher bon nombre d’émotions, mais décrire mon expression était très facile : l’horreur. J’étais tellement terrifiée que je n’arrivais même plus à bouger alors que je le souhaitais par-dessus tout. Je dois bouger. Il le faut ! Et pourtant je restais là, allongée par terre, fixant la forme derrière moi sans que je ne puisse détacher mon regard.
Un corps était affalé là, tout près de moi, le sang continuant de couler le long de son torse en imbibant au passage une chemise blanche maintenant devenu écarlate. Une flaque de ce liquide si précieux se forma en dessous du macchabée, signant ainsi sa fin dans un silence morbide. Une goutte sortit de sa bouche, dévalant une joue légèrement barbue, jusqu’à se fracasser contre ce bain d’hémoglobine pour enfin s’y dissoudre et encore augmenter sa taille. Et moi, je me contentais de le regarder. Lui. Je voyais sa peau, d’habitude bronzée et pleine de vie, devenir grisâtre, blanchissant au fur et à mesure. La vie le quittait doucement sans que je ne puisse rien faire, ses yeux grands ouverts, fixant le plafond de chêne aux magnifiques armatures, semblaient vitreux. Le gris de ses iris ne contenait plus une seule forme de vie, son regard était confronté à la mort elle-même.
Mon propre regard se confronta au sien et, malgré la distance qui nous séparait, je sus qu’il était définitivement mort. Ma mâchoire trembla brusquement. Mes dents claquèrent l’une contre l’autre. Mes yeux s’embuèrent d’eau jusqu’à former des larmes qui dévalèrent mes joues pour directement tomber sur le carrelage sur lequel j’étais. Une grande souffrance me traversa de part en part, mon cœur se serrant à un point que je crus défaillir. Une boule se créa dans ma gorge. Non… Non. Non ! Je fermais mes yeux à un point que j’en eus mal, je ne voulais plus voir ce spectacle qui me causait tant de souffrance. Il ne pouvait pas être mort ! Mes poings se serrèrent jusqu’à ce que les jointures de mes mains deviennent blanches. Je mourrais littéralement de l’intérieur. J’avais si mal, si mal… Je ne peux pas le croire !
D’un seul coup, j’ouvris mes yeux, revenant à la réalité afin de me libérer de ce poids qui pesait sur mon cœur. Je devais le dire, le prononcer. Et ainsi laisser ma souffrance prendre le dessus sur ma raison. Il était mort. Je devais l’accepter dorénavant. C’est ainsi que je sentis la boule dans ma gorge se désagréger pour laisser ma voix s’exprimer enfin… alors que j’entendais un bruit de pas devant moi… Un bruit qui se rapprochait de plus en plus jusqu’à s’arrêter en face de mon visage. Et tout ce que je pus voir, ce fut une paire de mocassins pour homme en cuir noir ainsi que le bas d’un pantalon foncé coupé droit et celui d’une veste couleur carmin.
― PAPAAAA !!!!
Un hurlement de douleur se répercuta dans la pièce, le couloir, ainsi que le bâtiment lui-même. Ce cri synonyme de tristesse, de perte, d’un profond chagrin et d’un cauchemar qui venait de se réaliser. Immédiatement après, un autre vint le rejoindre puis ils se complétèrent l’un après l’autre. Des pleurs vinrent accentuer ces manifestations de souffrance. On n’entendait plus que des cris, des gémissements et des paroles adressées à la cause de ce mal.
― Papa ! Je t’en prie ! Ne pars pas ! Ne m’abandonne pas, je n’ai plus que toi ! Non, non, non ! C’est pas possible ! PAPAAA !!!
Elle s’écroula par terre, chacun de ses muscles lui faisait mal alors que tout son corps tremblait de rage et de douleur. La souffrance physique n’était rien comparée à celle qu’elle ressentait à présent. Ses pleurs et ses cris résonnèrent dans tout le bâtiment, sa détresse était si grande qu’elle ne réussissait plus à la canaliser. Soudain, elle se frappa violemment la tête contre le sol comme pour se réveiller de ce cauchemar. Elle espérait que la douleur pourrait lui faire oublier. Sa gorge lui faisait si mal à force de crier, tout son esprit était embrouillé, elle était incapable de se situer dans l'espace, totalement perdue. La jeune femme ne bougea même pas, resta plantée là jusqu’à ce qu’elle ne puisse rien faire d’autre que de pleurer silencieusement. Elle arrivait à peine à murmurer quelques mots incompréhensibles pour la personne se trouvant en face d’elle.
Elana ne sut combien de temps elle était restée ainsi, prostrée sur le sol, mais un bruit la sortie de son état de torpeur. Levant difficilement la tête, ses yeux fatigués embrouillés par les larmes et ravagés par le chagrin rencontrèrent une nouvelle fois un corps affalé par terre. Hein ? Mais… Elle resta quelques instants sans bouger, laissant ainsi le temps à son esprit de se remettre en marche, puis essaya d’atteindre la forme devant elle. Ce simple geste lui sembla être infaisable, son énergie avait comme disparu de son corps, de même que sa motivation. Un léger grognement sortit de sa gorge tandis qu’elle se bougeait du mieux qu’elle le pouvait. Elle réussit malgré tout à agripper la veste de l’homme couché par terre et le secoua.
― Hé, toi !
Mais rien n’y faisait, il ne bougeait pas d’un pouce. Un magnifique juron accompagna son geste : elle le fit rouler sur le côté. Bon sang, qu’est-ce qu’il est lourd ce gars ! Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle vit le visage de l’inconnu… qui ne lui était pas si inconnu que ça ! Oh ! Mais c’est le type de la photo ! La surprise prit place sur son visage auparavant ravagé par le chagrin et la douleur alors qu’elle ressortait ladite photo afin de vérifier si c’était bien lui. Elana scruta quelques instants l’homme puis l’image, et due se rendre à l’évidence : c’était bien lui. Mille questions envahirent son esprit d’un seul coup. Qu’est-ce qu’il fait là ? Qui est-ce ? Pourquoi est-ce que l’homme que recherchait mon père possédait une photo de lui ? Mais peut-être… que c’est lui qui a tué mon père ! Cette dernière question la laissa sans voix. Et son regard se porta directement sur le corps de son père. Surtout sur son épée en fait. Il n’y avait aucune trace de sang dessus… alors que le bel inconnu à ses côtés avait une belle plaie dans le torse. La même que celle qui a causé la mort de son paternel en prime. Alors… peut-être que ce gars a aussi combattu l’assassin de papa ! Cette conclusion lui apparut comme une évidence. Une évidence qui s’accompagna d’une vague de stress. Son attention se reporta alors sur la blessure qui était toujours en train de saigner abondamment.
Elana ne put s’empêcher de s’inquiéter pour cet inconnu qui subissait le même sort que son défunt père. Je ne peux pas laisser faire ça ! Je ne veux pas voir quelqu’un d’autre mourir aujourd’hui ! Une nouvelle vague d’adrénaline monta en elle, ce qui lui permit de réagir au quart de tour. Elle venait de trouver un nouvel objectif, un nouveau but à atteindre : sauver cet homme. La jeune femme s’approcha, tapota la joue lisse de l’évanoui jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux et ne les plongent dans ceux d’Elana.
― Monsieur, vous…
Mais elle n’eut pas le temps de finir sa phrase car ce dernier avança brusquement son visage vers elle. Il ne restait que quelques centimètres entre eux, ce qui lui donna encore moins envie de bouger. Euh… Pourquoi est-ce qu’il me fixe comme ça ? C’est assez… intimidant. En effet, deux obsidiennes la détaillaient avec minutie pendant un instant sans bruit. Restant aussi immobile qu’elle le pouvait, seul son souffle venait déranger le silence pesant qui s’était installé. Une sueur froide passa dans son dos aussi rapidement qu’elle était arrivée, lui laissant une désagréable sensation sur la peau. Pourtant, alors qu’elle pensait que la situation ne pouvait que s’arranger, le pire arriva. Elle s’arrêta littéralement de respirer quand elle vit ses canines s’allonger brusquement pendant qu’il retroussait ses babines. Un vampire ! Oh non, pas maintenant ! Comme si j’avais besoin de ça vue mon état ! Elle ne put s’empêcher de déglutir avant d’ouvrir la bouche… et de la refermer lorsqu’elle sentit la tête du buveur de sang reposer sur son épaule. Ne sachant que faire, elle ne bougea pas tout de suite. Mais elle le regarda malgré tout.
Il semblait souffrir horriblement, sa respiration était assez forte alors que d’habitude les vampires n’avaient pas besoin de respirer. C’était un signe évident que son état était préoccupant. Même pour une blessure comme ça, un vampire devrait être capable de se soigner tout seul mais là… On dirait qu’il n’y arrive pas. Ses traits se crispèrent d’un seul coup et il s’arrêta de respirer avant de poser une main sur son torse. Quelques instants plus tard, cette dernière se posa lentement sur son genou. Il n’a même pas assez de force pour lever son bras… Elana constata qu’il était dans un état critique, elle devait réagir même si un très gros risque pesait sur ses épaules.
― Monsieur, euh… Je peux vous aider… si vous voulez.
Malgré son intervention, elle ne put savoir sa réponse car il ne réagit même pas. Elle continua donc afin d’obtenir une quelconque réaction de sa part.
― Prenez mon sang. Je…
― Inutile…
Elle sursauta légèrement en entendant sa voix. Elle était rauque, comme si parler lui demandait un effort trop important. Mais derrière ça, on pouvait deviner une voix naturellement assez froide, grave et pourtant sensuelle.
― Pourquoi ?
― Il… Il est trop tard pour moi…
― Mais le sang a toujours permis aux vampires de guérir, répliqua-t-elle, sûre de cette information.
Il reprit son souffle avant de parler, fermant les yeux par la même occasion.
― Cette blessure est imprégnée de verveine et il n’y a aucun remède à ça.
― De la verveine ? Mais qui a bien pu vous faire ça ?
― Je… je n’en sais rien…, avoua-t-il dans un souffle. Je n’ai rien vu venir malgré mes capacités.
Cette révélation surprit Elana au plus haut point. Un vampire incapable de voir une attaque arriver ? Ni par la vue ni par l’odeur ? C’est extrêmement rare ! Elle se décida alors à lui poser cette question qui la titillait depuis le début.
― Est-ce que l’homme qui a… (Elle déglutit, le mot ayant du mal à sortir) tué mon père vous a aussi attaqué ?
Et encore une fois, il reprit son souffle avant de lui répondre avec difficulté.
― Oui, j’en suis presque certain. Je n’étais pas là mais… il s’est enfui en direction de ton père donc j’en déduis qu’il est tombé sur lui après moi…
Soudain, alors qu’elle s’était quelque peu calmée en discutant avec ce vampire, celui-ci fut pris d’une violente toux qui lui fit cracher, par la même occasion, du sang. Elana eut juste le temps de le rattraper quand il tomba sur le côté. Puis elle s’avança, ramena ses jambes l’une contre l’autre et posa sa tête sur ses genoux tandis qu’il la fixait sans contre dire son geste. Et enfin, elle le regarda à son tour, l’air soucieux.
― Pourquoi ce regard ? demanda-t-il finalement en remarquant justement son regard.
― Parce que… je ne veux pas voir quelqu’un d’autre mourir aujourd’hui…, avoua-t-elle, la tristesse remplissant encore une fois ses yeux vairons.
― Désolé, mais cela ne va pas être possible…
― N’y a-t-il vraiment aucun moyen ?
Elle n’avait vraiment pas le cœur à voir une autre personne mourir, même si cette dernière était un vampire. Il la fixa quelques instants, comme s’il était en train de réfléchir, puis déclara doucement, résolu :
― Non, je n’en vois aucun. La verveine est déjà…
Brusquement, il s’arrêta. Puis il ferma ses yeux et ricana d’un air aigri. Ce qui intrigua fortement Elana qui ne s’attendait pas à une telle réaction alors qu’il était au bord de la mort.
― Qu’est-ce qu’il y a ?
Il ne répondit pas, préférant ouvrir les yeux sur elle et la fixer encore une fois, comme s’il était en pleine réflexion, avant de soupirer tristement.
― Vous allez me dire ce qu’il y a ? réitéra Elana, agacée de ne pas savoir ce qu’il pensait.
Un léger sourire vint orner ses lèvres, lui révélant ses canines aiguisées. Cette humaine l’amusait malgré son état. Il décida alors de lui dire la vérité, permettant ainsi de voir sa réaction.
― Il y a un moyen. Je viens de m’en rappeler mais…
― Mais ?
― Cela demande un sacrifice, ajouta-t-il lourdement, le regard sombre.
Elana fronça des sourcils, et serra les dents. Pourquoi à chaque fois qu’il fallait sauver quelqu’un, un sacrifice était demandé ? C’est fait exprès ou quoi ? Et c’est aussi, bien souvent, celui d’une vie.
― Lequel ?
― Tu souhaites vraiment savoir ?
― Je ne crois pas que vous êtes vraiment en posture de pouvoir choisir, grinça-t-elle d’une voix plus froide qu’elle ne le pensait.
Ce ton ne plus pas vraiment au vampire qui grinça à son tour des dents, la regardant comme s’il était prêt à lui arracher la tête. Mais il se souvint brusquement de son état et soupira de frustration de ne pouvoir faire ce qu’il voulait.
― Moi, ainsi que la personne qui acceptera ce « marché », perdrons chacun notre liberté.
― La liberté ? C’est-à-dire ?
― Je serais enchaîné pour l’éternité à cette personne et elle devra me supporter. C’est ça en résumé.
― C’est… tout ?
― Tout ? s’étonna le vampire en la regardant comme si elle avait deux têtes.
― Ben… d’habitude on demande la vie de quelqu’un alors perdre sa liberté n’est pas si grave. Surtout pour la personne qui accepte ce « marché ». Elle aura à son service un vampire quand même.
Alors là, je n’ai jamais vu ça… Ledit vampire affichait désormais une véritable tête de poisson rouge. Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, un air choqué collé sur la figure. Durant tous ces siècles, je n’ai pas entendu une telle chose. On dirait que ça ne lui fait ni chaud ni froid de perdre sa liberté, elle ne voit que le « bon » côté ! Tous les autres aspects, elle ne s’en préoccupe même pas ! Je crois que je ne croiserai plus une telle fille pendant le reste de ma vie de vampire. C’est certain même !
― Donc, passons ce « marché » ! déclara Elana, sûre d’elle.
― Euh… Mais… Tu es sure ? interrogea-t-il, pas certain qu’elle sache à quoi s’en tenir.
― Tout à fait. Si c’est pour te sauver et ne plus voir de personne mourir, je suis prête à tout. Même à être enchaînée à un vampire durant le reste de ma vie, assura-t-elle, ses yeux brillants d’une lueur nouvelle qu’il n’avait encore pas eu l’occasion de voir.
Cette fille… Elle… Et c’est à cet instant qu’il vit quelque chose. Quelque chose émanant de la jeune femme qui lui parlait. Une sorte de… lumière quelque peu fantomatique se dégageait de l’ensemble de son corps. Elle semblait littéralement irradier de l’intérieur, luire comme une luciole dans la nuit noire. C’était une enveloppe lumineuse à la limite de l’or et de l’argent, scintillante, irréelle et pourtant bien là. Et malgré ça, Elana ne s’en rendait même pas compte, ce qui le surprit encore plus. Il n’avait jamais vu un tel phénomène durant toute sa longue vie. Mais qui est cette fille ? Alors qu’il continuait de l’observer, il sentit cette fois autre chose. Une vague de chaleur traversa son corps sans raison apparente, laissant au passage ses membres engourdis se réchauffer. Chose qu’il n’avait plus ressentie lors de sa vie de vampire. Une sensation de quiétude l’envahi également. Il ne sentit même plus sa blessure, ni ce froid qui caractérisait sa vie devenue insignifiante à ses yeux. Il était comme apaisé de l’intérieur, pas trop heureux, mais juste à la limite du bonheur qui lui aurait suffi afin d’avoir cette sensation. Cela aurait dû être impossible… et pourtant. Puis un second phénomène se manifesta. Il n’arrivait plus à bouger. Il essaya, ne serait-ce que lever un doigt, mais c’était peine perdue. De plus, toute son attention, ainsi que ses yeux, n’étaient focalisés que sur la jeune femme. Même s’il aurait voulu arrêter d’y penser, tout convergerait vers elle. Absolument tout. Il était comme hypnotisé. Et il fit une chose qui, il y a encore un instant, n’aurait peut-être pas fait : il accepta.
― Penche-toi.
Elle lui obéit, inconsciente de ce qu’elle dégageait et de ce que venait de ressentir le vampire. En un instant, il ouvrit la bouche et planta ses crocs dans sa gorge. Il atteint directement une de ses artères, buvant le sang nécessaire pour réaliser le pacte. Abasourdie, Elana écarquilla les yeux. Une forte douleur la transperça puis une sensation de fraîcheur sembla se propager dans tout son corps jusqu’à se concentrer sur l’endroit où le vampire buvait son sang. C’était vraiment quelque chose d’étonnant, cette sensation qu’on vous prenez ce liquide synonyme de vie parmi les humains. Et synonyme de nourriture pour les vampires. Elle n’avait jamais été mordue, n’ayant donc pas eu l’occasion de connaître ce moment où tout dans votre esprit disparaissait d’un seul coup. C’est exactement ça. Tout ce qu’elle venait de vivre, tous ses sentiments et ses pensées s’étaient volatilisés lorsqu’il avait planté ses crocs en elle.
Elle ne sut combien de temps il but son sang mais elle sentit que sa sensation de plénitude se terminait. Il se retira, puis lécha la blessure qu’il venait de lui infliger avant de se dégager pour de bon. Et il put la voir le regarder avec une gêne évidente, ses joues rougissantes tandis qu’elle plaquait sa main contre sa gorge. Il afficha un sourire satisfait et contempla la jeune femme d’un regard pétillant.
― Pourquoi vous m’avez léché ? demanda-t-elle, offusquée.
― Un vampire se doit de lécher son travail s’il ne veut pas que sa « proie » meure, vidée de son sang. Notre salive a un effet guérisseur si l’on mord quelqu’un.
Elana ne répondit même pas, surprise et aussi un peu choquée d’apprendre une chose pareille. C’est la première fois que j’entends parler de quelque chose comme ça. C’est incroyable ! Et en effet, il n’y avait aucune trace de sang sur sa main lorsqu’elle la retira de sa gorge.
― Et après ? C’est tout ?
― Non.
Directement après sa réponse, elle le vit mordre son poignet et boire son propre sang. Ses yeux s’écarquillèrent devant ce spectacle. C’était aussi la première qu’elle voyait un vampire boire son propre sang. Elle apprenait vraiment beaucoup de choses aujourd’hui. Mais alors qu’elle le fixait avec un air étonné, Elana sentit une main se poser sur sa nuque puis des lèvres se plaquer contre les siennes. Immédiatement, elle se raidit, sous le choc de ce geste inattendu. Qu… Quoi ? Non mais je rêve ! Il… est… Il est en train de m’embrasser ce… ce…. Bon nombre de jurons passèrent dans son esprit tandis qu’elle essayait vainement de se détacher de lui. Soudain, une autre sensation intervint. Deux doigts venaient de se poser sur son menton et tentèrent de le pousser vers le bas. Mais qu’est-ce qu’il fiche ?! Les lèvres du vampire appuyèrent plus fortement sur les siennes et elle comprit ce qu’il voulait. L’accès à sa bouche. N’ayant pas très confiance en l’honnêteté de son geste, elle accepta malgré tout sa requête. Immédiatement, un liquide glacial vint envahir sa bouche sans qu’elle ne puisse rien faire. La panique l’envahit. Qu’est-ce que c’est que ça ?! Il veut me faire boire quoi là ?! Puis le souvenir du vampire en train de boire son sang lui revint. Elle se calma directement, suivant ce que son instinct lui disait de faire. Avaler jusqu’à la dernière goutte.
Trois minutes qui lui parurent un siècle se passèrent jusqu’à ce qu’il se détache enfin d’elle avec un grand sourire victorieux sur les lèvres tandis qu’elle se contentait de rougir. Ce vampire venait de l’embrasser, même si c’était pour une bonne cause. Ce n’était sûrement pas son premier baiser, mais faire ça sans se connaître et sans demander… c’était vraiment rageant. Elle le fusilla du regard puis déclara d’une voix un peu rauque :
― C’est bon cette fois ? C’est fini ?
― Tout à fait.
― Et tu avais besoin de m’embrasser pour ça ? J’aurais pu tout simplement boire ton sang à ton poignet, fit-elle bon de préciser, pas très heureuse d’avoir vécu ça sans qu’on lui demande son avis avant.
― Désolé mais c’était en effet obligatoire. Tu aurais pu boire à mon poignet mais après j’aurais quand même était obligé de t’embrasser après, expliqua-t-il d’un ton plus léger, amusé de sa réaction.
Elle ne répondit même pas, se contenta de le fixer avec méfiance, puis de fermer les yeux et de pousser un profond soupir.
― Alors me voilà donc enchaînée à un vampire.
― Eh oui. Mais en fait, je crois que tu ne sais même pas qui je suis.
― Ah non, c’est vrai, lâcha-t-elle bêtement.
Il tendit sa main vers elle, un air malicieux plaqué sur son visage.
― Vince Magaldhaes.
Elle planta à son tour ses yeux dans les siens, pressa sa main et répondit doucement :
― Elana Denaïlïhâ.
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