Les lueurs des torches ont disparu avec les marins et un unique canot attend au bord du rivage. Les pieds dans l'eau, j'effleure doucement la surface de l'embarcation, comme si elle pouvait disparaître à tout moment en emportant mon rêve. Pourtant le bois lisse et épais sous mes doigts est bien réel. Des pas dans le sable s'arrêtèrent derrière moi, me tirant de mes pensées.
– Tu es vraiment revenu ...
Le Second était là, et même si je ne voyais pas son visage, je devinais un conflit dans sa voix. Je pris soin de choisir mes mots et de garder une voix grave.
– Avez-vous changé d'avis ?
Il resta stoïque avant de se diriger vers le canot.
– Moi ? Non, mais toi tu ne peux plus faire demi-tour.
Il m'intima de monter à bord. Le bois de l'embarcation grinça sous mon poids, et pour la première fois, j'ai eu l'impression d'être maître de mon destin, de faire un choix qui changera ma vie... À jamais.
Je fus à peine assise sur l'un des deux bancs qu'une longue corde liée à l'avant de la chaloupe se tendit comme par magie, nous ramenant rapidement vers le navire qui attendait loin du rivage. Le Second guidait l'embarcation avec un petit gouvernail et évitait habilement les récifs tranchants au travers du brouillard. Je voyais le rivage s'éloigner si vite, disparaissant derrière un voile blanchâtre. Avais-je fais le bon choix ? Le Second rompt finalement le silence.
– Si tu es accepté par le Capitaine, tu accompagneras notre expédition en tant que membre de l'équipage.
–... Et sinon ?
– Certains critères tenus secrets sont exigés d'un nouveau matelot.
Il détourna habilement la question, me faisant comprendre que mon sort ne serait que négatif. Il reprit, soudain très intéressé.
– Que connais-tu du monde extérieur ?
– Honnêtement ? Rien. Je détournais le regard, décidant de passer sous silence les écrits du carnet que j'avais emmené avec moi. Cette fois, le rivage avait complètement disparu. Je me mis à penser à Grace, comment réagira-t-elle ?
– Nous essayerons de rejoindre les Terres Gelées, ne t'attends pas à un voyage de tout repos.
Essayerons ? Je ne répondis pas, gardant mes doutes. Soudain, une ombre gigantesque nous surplomba, se découpant nettement dans la brume. La corde sortit rapidement de l'eau et notre canot heurta brutalement la coque brune du navire. Les marins s'activaient sur le pont plusieurs mètres au-dessus de nous et lancèrent une corde avec une partie métallique. Le Second se lève et l'attache rapidement à l'extrémité de la chaloupe puis me cède sa place.
– Tire sur la corde lâche à côté de la poulie.
Je fis ce qu'il me demandait, et sans effort, la corde qui nous avait tirés jusqu'ici se tendit contre la coque du navire.
– Maintenant on tire ensemble pour hisser le canot. Ensemble d'accord ?
J'acquiesce et il prit la corde de son côté. Après quelques tentatives peu concluantes où le canot s'élevait en biais contre le navire, nous avons réussi à trouver notre rythme. Très synchronisés, je me mis à sourire, fière de la vitesse à laquelle je m'étais adaptée. Mes bras n'étaient pas vraiment de mon avis et me faisaient mal tandis que mes mains commençaient à picoter à cause de la corde rêche.
À hauteur des canons, l'embarcation s'immobilisa et une grande percée dans la coque nous accueillit. Des marins nous attendaient et le Second entra dans le navire. Je le suivis sous leurs regards. Tous étaient grands et plutôt forts, rendant l'équipage très intimidant. Des boulets en fer étaient empilés en pyramides contre le mur, le Second me guida vers un escalier en bois qui donnait sur le pont principal. Quand il ouvrit les portes l'aube se levait et le vent salé de la mer me rappela celui qui m'avait conduit à l'armée lors du rite.
Une douce mélodie s'élevait dans l'air, un homme mince à la peau brune jouait de la flûte sur un beau coussin brodé au pied du plus grand mât. Soudain, ses yeux me fixèrent, ils étaient d'une couleur si particulière que j'étais certaine qu'ils pouvaient briller dans le noir. En passant à sa hauteur, la pierre du talisman brilla si fort qu'elle me brûla. Je m'arrête soudainement en inspirant pour ne pas crier et la sort vivement de mon col, me brûlant sévèrement les doigts. Le Second se retourne au changement de rythme de mes pas et fixe la pierre bleue, puis moi. Comprenant quelque chose qui m'échappe, il se précipite vers le joueur de flûte, et il cesse de jouer. La pierre perdit soudain son éclat et devint plus claire. Le Second revint vers moi d'un pas vif.
– Ne montre jamais cette pierre ! Range-la immédiatement !
– Que s'est-il passé ?
– Range-la avant que le Capitaine en ait connaissance.
Il repartit aussitôt me laissant seule sur le pont, pour entrer dans des appartements privés à l'arrière du navire.
Je pris le temps de découvrir les sculptures du bois. Ce bateau était magnifique mais ses couleurs étaient parties au fil des tempêtes et le bois était brisé par endroits. Je me penche au dessus de la rambarde. L'eau ondulait calmement en contrebas, et au loin, les grandes falaises de mon village étaient baignées d'une lumière nouvelle. La brume avait complètement disparue.
Les marins remontèrent des cales, ils étaient nombreux, tous armés d'un sabre ou d'un pistolet, certains couverts de cicatrices et d'autres de bandages sales. Ils me regardèrent avec une curiosité malsaine et formèrent rapidement un cercle autour de moi. La peur m'envahit. Ils me raillaient, me pointant de leurs doigts noircis. -Mais pourquoi suis-je montée à bord ?- . Je reconnus celui qui m'avait conduit vers les chaloupes, Hakan. Il s'adressa à tous peu après.
– Ça suffit, assez de plaisanteries, on a pas besoin d'un gamin à bord !
Approuvé par des cris et des sabres levés, il s'avança vers moi brisant le cercle et deux autres l'imitèrent.
Les paroles du Second prenaient tout leur sens, pas de retour en arrière. Je dois me battre pour rester en vie. Avec cette mentalité la peur laissa place à un courage insensé. Je pris un air de défi et fixais tous ceux qui s'avançaient sans faire un seul pas en arrière.
– Trouve l'énergie
– C'est vraiment pas le moment pour avoir une discussion ! je répliquais tout bas.
– Elle sommeille en toi depuis toujours, tu dois t'en servir
Les marins s'approchaient encore.
– Tu dois te concentrer, c'est ta seule chance
– Comment suis-je supposée faire ça ?
La Voix ne dis rien de plus, j'étais à portée de leurs lames émoussés, et Hakan fut le premier à porter un coup. J'eus si peur que le temps sembla ralentir, je l'esquive sans difficulté, et passe dans son dos. Il se retourna très lentement et je me saisis du couteau qui pendait à sa ceinture.
– C'est bien, continue, tu l'as trouvée
Lui, toujours déséquilibré commençait à tomber au ralenti. Je le désarme et le temps repris son cours normal. Il tomba lourdement et je le menace immédiatement avec son propre couteau pour qu'il reste au sol. Mes muscles me faisaient mal, ma tête tournais et j'avais la respiration courte. Le silence s'était fait parmi les matelots.
Je tremblais -Que s'est-il passé ? Comment est-ce possible ?-. La peur me reprit, plus forte que jamais et dans la panique, je jette le couteau au sol et m'éloigne d'Hakan. Ce dernier se releva, déconcerté. Il fixa quelque chose derrière moi et en me retournant, je vis un homme fendre les rangs jusqu'à nous. Il était grand et imposait le respect. C'était le Capitaine du vaisseau à n'en pas douter.
Il s'arrêta devant moi et me fixa un moment.
– Savoir se battre sera très utile si tu restes parmi nous. Mais tu devras aussi apprendre où est ta place et à qui tu dois le respect... il commença à marcher autour de moi, laissant planer le silence. Je me sentais petite, insignifiante. Il a cette aura qui pourrait terrifier n'importe qui. Il reprit bientôt d'une voix dure. Un tempérament aussi téméraire et irréfléchi causerait notre perte en mer. Tu devras apprendre à réfléchir aux conséquences... il s'arrêta en face de moi et me fixa longuement, étudiant tous mes traits. L'espace d'un instant je cru qu'il savait que je n'étais pas un garçon, mais le doute s'effaça de ses yeux. Il réfléchit encore un long moment en silence. J'aperçus le Second assit sur une caisse, regardant la scène d'en haut. Mon attention se reporta sur le Capitaine qui me détaillait encore. Ses yeux se portèrent sur mes doigts. Je cache rapidement leur brûlure en serrant le point et en affrontant son regard. Il sourit et me tendit la main.
– Bienvenue à bord de l'Intrépide ! s'exclama-t-il.
Je lui serre la main en retour acceptant de faire partie de l'équipage.
Les marins poussèrent des cris de joie et tous affichaient de vrais sourires. L'ambiance générale me rendit heureuse et je souris doucement à mon tour. Le Capitaine retourna alors brusquement ma main et vit les petites cloques sur mes doigts. Il afficha un sourire mauvais et resserra son emprise sur ma main.
– Maintenant que tu es membre de l'équipage, dis-nous, quel est ton nom ?
Je n'avait jamais réfléchi à cette question, j'étais prise au dépourvu et mon regard se posa sur le Second. Il me regardait sans me lâcher des yeux, lui aussi attendait ma réponse. Je repris alors, réfléchissant aussi vite que possible.
– Rhys ! Je m'appelle Rhys !
Il me lâcha avant de crier.
– Hissez le pavillon ! En route pour les Terres Gelées ! Ce soir tout le monde se présentera à Rhys !
Son commandement fut acclamé et tous allèrent à leur poste. En quelques secondes les voiles furent déployées et le vent s'y engouffra. Le vaisseau prit rapidement de la vitesse et entama son voyage vers ces terres inconnues. Une joie extrême m'envahit puis mon regard se porta vers mon village déjà hors de vue.
– Alors, c'est ce que tu voulais ?
Le Second m'avait rejoint.
– Je ne sais pas, j'ai l'impression que je vais devoir encore lutter pour me faire une place... ou même rester en vie... Ma famille va me manquer, qui sait si je les reverrai ?
Il resta silencieux à côté de moi, regardant l'horizon.
– Chaque expédition comporte des risques, mais tu as montré que tu ne te laisserai pas abattre, c'est pourquoi le Capitaine t'as accepté. Si tu avais fui, ils t'auraient tué ici même avant de renvoyer ton cadavre chez-toi.
– Pourquoi faire une telle chose ?!
– Tu n'aurais pas été digne d'un vrai pirate.
Mon esprit vacilla à ces mots.
– Un quoi ?!
Il me désigna le pavillon. Il était d'un noir profond et un crâne immaculé avec deux sabres se découpaient très clairement.
– Mais ! Attends ! N'étiez-vous pas des marins perdus en arrivant chez-nous ?!
Il rit de ma crédulité.
– Loin de vos côtes, des tempêtes éternelles empêchent quoi que ce soit de parvenir jusqu'ici, crois-moi, des marins ordinaires n'auraient jamais pu les traverser en restant en vie ! il changea rapidement de sujet et me tendit mon paquet avec mes affaires. Viens je vais te montrer le dortoir, ce soir tu seras présenté officiellement à tout l'équipage et nous déciderons de ton rôle.
Il m'entraîna à sa suite vers l'arrière du navire.
Pendant ce temps, le Capitaine était dans ses appartements et nous épiait à travers la vitre de son bureau. Il griffonna quelques notes avec un air étrange sur le visage. Hakan était à ses côtés, murmurant.
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