Les radios avaient annoncé la fin de l'hiver nucléaire il y a deux ans. Le jour était enfin arrivé pour les équipes de la première salve d'ouvrir le sas du bunker et de retrouver la surface. James Campbell avait été désigné capitaine de l'équipe d'éclaireurs alpha. Leur mission s'annonçait des plus simples : tâter le terrain en vue d'un retour à l'air libre. Malgré les rationnements et les stratégies de cultures hydroponiques et aéroponiques, leurs réserves atteindraient bientôt un seuil critique et il était plus que temps de sortir de ces trous à rats dans lesquels ils croupissaient.
Pour mener à bien leur reconnaissance des lieux, des équipes de trois avaient été jugées suffisantes. James n'était pas tout à fait de cet avis, mais peu importait. Il n'était pas décisionnaire. Le schéma habituel s'était reproduit : ceux qui avaient le pouvoir s'y étaient accrochés comme la moisissure pourrit le fruit. James ne faisait pas partie de l'élite. À dix-huit ans à peine, il avait simplement eu la chance de rejoindre l'un des bunkers grâce à l'influence de son père. Influence qui s'était avérée nulle depuis son décès, quelques mois auparavant.
Ces équipes n'étaient que la première ligne, ceux qui en paieraient le prix s'il y avait encore du danger à l'extérieur. Néanmoins, James n'en avait cure. Tout ce qui lui importait, c'était de revoir la véritable lumière du Soleil. Le cœur battant la chamade, il entreprit de déverrouiller puis de pousser la lourde porte vers l'extérieur. Ses collègues et lui restèrent un moment interdits, étourdis par les espoirs qu'ils nourrissaient. Cependant, cet engouement fut de courte durée. Seul un épais brouillard les accueillait, laissant à peine transparaître quelques rayons blafards et n'offrant aucune visibilité au-delà de quelques mètres.
– Eh ben... Ça promet.
– C'est bon, Carl, commence pas à râler, le coupa James en activant sa radio. Test. Capitaine Campbell à base alpha. Vous me recevez ?
– Cinq sur cinq, capitaine. Sas refermé ?
– Affirmatif. Pour l'instant, nous faisons face à une purée de pois qui nous empêche de voir plus loin que le bout de notre nez. On poursuit ?
– Affirmatif. Bonne chance, capitaine.
James serra la mâchoire. Ces encouragements sonnaient creux, toute cette hypocrisie le rendait malade. Il détestait perdre le contrôle de la situation et ce départ à l'aveugle l'inquiétait. Masquant son amertume, il conclut :
– Prochain rapport prévu dans une heure. Terminé.
– Bon, ça caille, mais ça passe, constata Joey dans une tentative d'alléger l'ambiance.
– Sortez vos armes, on sait jamais. Et on reste groupés.
Joey fit la moue. Toutefois, les deux hommes obéirent à leur supérieur sans rechigner. Chacun savait rester à sa place et comptait survivre à cette escapade. Survie qui dépendait de leurs actions communes, même si entre eux il n'y avait aucune amitié. D'ailleurs, ce terme avait-il encore un sens ?
Après presque une heure de marche, l'épais brouillard ne s'était pas dissipé. L'atmosphère s'appesantissait, le silence angoissant troublé seulement par leurs pas pourtant discrets et quelques bruits étranges émanant des volutes alentour. Aucun des coéquipiers n'avait osé émettre d'hypothèse quant à la provenance de ces sons.
– Hey, James, je vois plus Carl, s'inquiéta Joey tout à coup.
– Comment ça, tu le vois plus ? Il était juste derrière toi !
Au moment où James se retourna, il ne rencontra que la brume qui le narguait. Il appela ses compagnons, sans succès. En tendant l'oreille, il détecta la présence d'un cours d'eau, à l'est. Il s'empressa d'en prendre note pour sa cartographie.
– Équipe un à base. Capitaine Campbell au rapport. Vous me recevez ?
– En attente de rapport.
– Demande autorisation de retour. Les environs ne semblent pas sûrs...
– Autorisation refusée. Poursuivez la mission. Terminé.
L'enflure. Des pions sacrifiables, voilà comment ils étaient considérés, et il ne pouvait pas décemment avouer qu'il avait perdu les membres de son équipe. Les poings serrés par la colère, il se dirigea vers les flots. À mesure qu'il avançait prudemment, les doigts crispés sur son pistolet, une silhouette se dessinait. Une femme se trouvait là, agenouillée au bord de la rivière, ses longs cheveux noirs tombant en cascade sur ses épaules secouées de sanglots. Déconcerté, James baissa son arme et s'approcha.
– Je peux vous aider ?
Il s'apprêtait à tendre la main quand un tentacule le saisit à la gorge. Le monstre fit volte-face. Son visage revêtait une expression inhumaine avec ses yeux révulsés, son épiderme purulent et ses lèvres inexistantes. En un clin d'œil, James fut désarmé par l'un des nombreux appendices virevoltant furieusement. Une terrible douleur lui arracha un cri. L'aberration venait de le poignarder. Son timbre glaçant retentit, comme relayé par de multiples échos :
– Pathétique. Vous vous croyiez au-dessus des autres ? Détruire la vie sur Terre pour mieux vous l'approprier par vos guerres stupides... Vous ne méritez pas de subsister. Subissez notre jugement !
Paralysé par l'effroi et la souffrance, James ne pouvait qu'observer cette immonde créature se métamorphoser en une copie conforme de lui tandis qu'elle débitait ses propos venimeux. Un faible râle retentit lorsque la lame organique se retira de son abdomen avant de se résorber en une main ordinaire. Il réalisa qu'il s'agissait de son propre gémissement et s'écroula au sol dans un bruit sourd. Survivre à une telle blessure sans une assistance médicale immédiate relevait de l'impossible, il en était conscient. Son sang s'épanchant déjà dans la terre meuble et le goût métallique qui emplissait sa bouche achevaient de l'en persuader.
Mutation génétique ou bien invasion extraterrestre ? James ne le saurait jamais. La voix grésillante de sa radio retentit soudain, non loin de lui. Il n'aurait qu'à tendre le bras pour l'attraper mais il n'en avait plus la force.
– Base à équipe alpha. Capitaine Campbell, vous me recevez ?
Horrifié, James observa à travers sa vision voilée son double répondre à sa place dans une parfaite imitation :
– Cinq sur cinq, à vous.
Des larmes de rage et d'impuissance achevèrent de brouiller sa vue alors que seuls des borborygmes inaudibles s'échappaient de sa gorge.
– Retour autorisé. Je répète, retour autorisé. Nous attendons votre rapport.
– Bien reçu. Retour imminent.
Avec un rictus cruel, le clone jeta un dernier regard à son portrait original à l'agonie, puis s'éloigna dans la brume d'un pas triomphant.
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