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Espoirs Gelés

Les ultimes rayons du soleil s'évanouissaient avec langueur. Nous pouvions enfin commencer nos installations sans risques. Il allait falloir nous presser, si nous voulions profiter de cette luminosité en déclin.

– Tout est en place en bas, plus qu'à activer le mécanisme d'ouverture pour finaliser !

Ma compagne et moi avions travaillé des années sur ce projet et, pour finir, nous allions pouvoir quitter cette planète désormais hostile. Nous n'avions plus croisé âme qui vive depuis des lustres, nos réserves étaient presque épuisées. Par chance, nous avions pu trouver tout ce dont nous avions besoin avant que la surface ne devînt inhabitable. Dans ce souterrain, notre survie était devenue notre seul objectif.

– Regarde ! s'enthousiasma-t-elle avec un geste vers le paysage désert.

Fendant le sol aride, deux trappes glissaient lentement. Notre vaisseau, fruit de notre dur labeur, se dévoila, luisant dans la pénombre naissante. J'en oubliai les ruines drapant l'horizon d'obscurité. Ma compagne serra ma main et je perçus la même émotion qui l'animait : la fierté de notre accomplissement.

– On y va ?

À peine le mécanisme s'était-il immobilisé qu'elle m'entraîna à sa suite, m'arrachant un sourire. Si elle savait que sans elle, jamais je n'aurais pu tenir le coup ! J'étais persuadé cependant que c'était réciproque. Ensemble, nous avions construit cet engin, symbole de notre salut. De nombreuses fois nous avions failli tout abandonner, mais que nous serait-il resté, ensuite ? Mercure avait déjà été engloutie par le Soleil, Vénus ne tarderait pas à suivre, puis ce serait au tour de notre chère Planète Bleue dont le surnom ne serait bientôt plus qu'un triste souvenir. Nous avions eu la chance d'avoir trouvé une source à proximité, denrée rare depuis la catastrophe que l'Homme avait provoquée.

– Vite ! Il ne nous reste pas beaucoup de temps.

En effet, les nuits s'étaient drastiquement raccourcies. Toutefois, je ne m'inquiétai pas. Nous avions avancé avec nos préparatifs non négligeables et le décollage se ferait sans encombres, j'en étais certain. Je m'empressai donc de rassurer mon aimée.

– Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer ! On a tout calculé au millimètre près.

Que serait-il advenu de nous, si nous n'étions pas deux scientifiques de renom ? Aurions-nous péri lors de la Guerre Magnétique ? Ou alors durant la Guerre de l'Eau ? La première avait été déclenchée par une tempête solaire massive. Toutes les technologies avaient subi l'effet d'une impulsion électromagnétique à l'échelle mondiale. Évidemment, tout le système s'était effondré. Pour éviter une nouvelle catastrophe, nous étions allés trop loin. Nos collègues chercheurs avaient mis au point une invention qui aurait dû empêcher une nouvelle éruption solaire. Au lieu de quoi, nous avions non seulement multiplié ces phénomènes, mais bien pire : nous avions accéléré exponentiellement le déclin de notre étoile. Cette fois-ci, ce fut ma femme qui m'enlaça avec tendresse.

– Oui, tu as raison... On va s'en sortir !

Nous avions survécu jusqu'ici aux bêtises de l'humanité, ce n'était pas le moment de broyer du noir. Une fois aux commandes, nous vérifiâmes que tout était prêt. Une pointe d'appréhension m'étreignit quand je mis les réacteurs en route. Tout s'enchaîna très vite. Sans que je m'en aperçusse, nous étions déjà en train de quitter l'atmosphère terrestre. Soudain, l'agitation laissa place à une apaisante quiétude à peine troublée par le ronronnement de nos propulseurs.

– Nous y sommes...

À mesure que nous nous éloignions, je me désolai de ce que nous avions fait de ce monde dont la vie avait désertée la surface. Les océans s'étaient réduits à peau de chagrin, tout comme les forêts, notre astre apparaissant ainsi gris et terne. Progressivement, nous avancions vers l'inconnu.

– Je lance la vitesse supersonique, le temps de lancement est estimé à une dizaine de minutes.

Pour l'instant, tout se déroulait selon notre plan. Les minutes défilaient sur un timbre froid et impersonnel. Nous avions décidé de nous diriger vers Andromède. Même s'il s'agissait de la galaxie la plus proche de la nôtre, nous n'avions aucune garantie d'y trouver une forme de vie, ni même d'y parvenir sans incident. Pourtant, nous nous accrochions à cette idée. Le Soleil avait déjà perdu de sa luminosité en entrant beaucoup trop tôt et si rapidement dans sa phase de géante rouge.

Songeur, j'observai la boule lumineuse en prenant conscience que nous serions peut-être les derniers représentants de l'espèce humaine. Je plisse les yeux, distinguant nettement une protubérance exacerbée à sa surface.

Une alerte me sortit de ma torpeur en même temps que le compte à rebours, résonnant toujours, et notre vaisseau s'ébranla. Mon épouse s'activa dans un élan désespéré.

– Une éruption ! s'écria-t-elle. Nous n'étions pas encore assez éloignés !

Elle s'affaira à nous stabiliser pendant que je vérifiai notre matériel. Le calme revint enfin, seule la voix mécanique égrenant les dernières secondes du décompte retentissait inlassablement. Devant son regard angoissé, j'offris un sourire rassurant et lui tendis la main.

– Il est temps qu'on s'installe pour la suite du voyage.

Son visage s'illumina et elle acquiesça avec entrain. Je n'avais pas eu le courage de lui annoncer que presque tous nos appareils de détection et de navigation avaient été mis hors service.

Pour nous guider dans ce froid intersidéral ne resterait plus que la chaleur de l'espoir rayonnant au fond de nos cœurs.

À présent étendus dans le caisson de cryogénisation, nous nous lançâmes un dernier regard empli de tendresse et je serrai les doigts de ma moitié avec ferveur.

Puissent les vents stellaires souffler en notre faveur...