Lieu inconnu, date inconnue
Ses yeux émeraude balayaient sa magnifique cité édifiée dans une immense vallée. Elle se composait en cercle de sept niveaux – dont le dernier représentait la grandeur de sa demeure et le bâtiment du pouvoir –, et des terrasses verdoyantes l’ornaient de fleurs, d’arbres et de cultures diverses. Des cascades à intervalles réguliers irriguaient chaque partie de la ville. Aucun rempart ne protégeait les lieux, ces murs étaient bien inutiles en raison de la Magie des Runes. Des symboles invisibles étaient gravés tout autour de l’agglomération et seul l’Alpha, le chef de clan, possédait le pouvoir d’activer la barrière de protection.
Malgré la puissance de sa tribu et de son peuple, le meneur avait conscience qu’ils arrivaient au bout de leur course et que leur histoire devait s’éteindre pour en laisser une nouvelle démarrer. Après toutes ces épreuves traversées depuis un temps bien lointain, il se tenait là, prêt à mettre en place l’ultime sacrifice nécessaire pour ce renouveau.
Un sacrifice ? Un mot dur et injuste pour certains, mais pas pour lui. L’Alpha voyait en cela un sacrifice qu’il ne souhaitait pas réaliser, pas à titre personnel ; de manière générale, le bien de son peuple prévalait. Toutefois, il n’avait pas imaginé qu’il risquait de perdre autant dans cette quête, lui qui avait déjà tant perdu.
Ses longs cheveux auburn virevoltèrent sous la brise. Ils étaient coiffés d’une simple demi-queue de cheval. Il soupira et se tourna quand il entendit toquer à la porte de ses appartements. Il attrapa son pantalon marron et une chemise beige, et quitta la chambre en silence afin de ne pas réveiller sa compagne.
Dans le couloir, un Gamma – dominant et guerrier – patientait.
— Elle est prête.
Elle était prête. Après des siècles de travaux, d’échecs et de doutes, elle était enfin prête pour renouveler ce monde, leur monde. L’Alpha ferma les yeux un instant. Il prit soudain conscience de leur folie d’une telle entreprise. Il respira profondément et se dirigea vers le laboratoire.
Là, au centre de la pièce se trouvait une pierre aux couleurs multiples : du violet, du vert, du jaune, du rouge, de l’orange, du bleu. Un filet de lumière blanche l’enveloppait. Il circulait dans des fissures et suivait des runes gravées sur l’artefact qui changerait la face du monde.
— La Magie n’est pas un jouet, nous ne la contrôlerons jamais. Elle nous a juste donné une autorisation temporaire. Tu sais tout comme moi, qu’un jour, elle se retournera contre nous. Nous en paierons tous le prix, s’était inquiétée une vieille amie.
— Nous sommes les dominants de ce monde. Nous le contrôlons et nous le contrôlerons toujours, murmura-t-il en s’emparant de la pierre.
La douleur le paralysa. La paume de sa main s’ouvrit et le sang s’allia aux filaments magiques. L’immortel s’agenouilla. La souffrance crispait son visage. Aucun son ne sortait de sa bouche. Pour la première fois depuis bien longtemps, la Magie refusait de s’allier à lui. Elle luttait avec acharnement pour s’extraire de son emprise croissante ; or le dominant ne s’avouerait pas vaincu.
Les murs tremblèrent et s’ébréchèrent avant de se fissurer. Les pierres tombèrent avec fracas et poussière.
Une brume noire s’abattit sur les terres de l’Alpha, tel un avertissement : la Mort.
Ville de Vauldorne, territoire Aecinia
Début de l’hiver austral de 2 233
Ses yeux s’ouvrirent avec terreur. Il était prompt à réagir au danger… inexistant.
— Quand ce maudit rêve me laissera-t-il en paix ? souffla-t-il de désespoir.
Il se redressa sur sa chaise et essaya de reprendre ses esprits. Ses mains passèrent sur son visage pour le frictionner un instant, comme si cela chasserait le cauchemar. Puis, son regard émeraude, dont l’œil droit avait une tache gris perle, se posa sur la table et se fixa sur toutes ces notes entassées ; le Gamma s’était assoupi dessus.
Ses doigts glissèrent sur les parchemins vieillis par le temps et seulement protégés par une ancienne magie, si ancienne que tous l’avaient oubliée. Elle n’était désormais qu’une légende dans l’histoire des Skryta’lian , les Loups Éternels dans leur langue morte. Elle avait existé, elle avait péri et elle ne perdurait que grâce à des contes si loin de la vérité : des contes horrifiques pour la plupart. Ils avaient vendu leur âme malgré les avertissements. Ils avaient brisé l’équilibre, ils avaient bravé les lois naturelles.
Oh que oui ! Ils avaient fait preuve d’un immense mépris. Et pourtant, cette dette n’avait jamais été réclamée… jusqu’à présent. Étaient-ils arrivés au bout du chemin ? Étaient-ils arrivés à ce jour, ce jour où ils paieraient pour leurs actes passés ? Pourquoi si longtemps après ?
— Bon sang ! fulmina-t-il en tapant du poing la table.
L’immortel s’appuya contre le dossier de la chaise dans un soupir bruyant. La perte de leurs pouvoirs d’autrefois l’enrageait. Son peuple était imbu de lui-même. Il avait oublié sa grandeur, sa sagesse et sa force. Il s’était perdu au fil du temps et le monde était, aujourd’hui, divisé en deux. Cette réalité l’horripilait.
Il referma avec brutalité le grimoire. Des feuilles volèrent et certaines virevoltèrent au sol. Ce livre était l’unique témoin d’un temps ancien, un trésor à choyer et à préserver à l’écart des curieux. Il ne tolérerait pas que ces écrits tombassent entre de mauvaises mains. Entre les mains de son propre peuple et entre les mains des Hommes.
— Je suppose qu’il s’agit du même cauchemar, fit soudain une voix.
Celle-ci provenait de la terrasse à l’autre bout de la vaste pièce.
— Tu es toujours de mauvaise humeur au réveil, continua l’individu.
Le Gamma respira profondément dans le but de s’apaiser. Il avait oublié qu’il n’était pas seul. En silence, il tria avec soins les documents. Il rassembla des feuilles numérotées et distinguées par code couleur, et rangea les piles dans un tiroir scellé en pin de Radiata. Ce conifère, mesurant jusqu’à 50 mètres, poussait abondamment à Aecinia. Robuste, il servait à diverses constructions, dont les charpentes de la majorité des habitations.
Le bruit des vagues contre la falaise assourdissait Loria et il n’entendit pas les paroles de son ami, sans doute le taquinait-il encore. L’immortel décida alors de quitter son emplacement pour le rejoindre. Il contourna son secrétaire et descendit les trois marches menant dans un salon. Ensuite, il se dirigea sur la gauche pour pénétrer dans la bibliothèque privée ; là, une large baie vitrée ouvrait sur la vaste terrasse.
Sans un mot, il s’avança dans cet espace à l’air libre aux pierres blanche et crème, et décoré de diverses plantes de la région. Loria s’approcha de la rambarde et contempla les splendides terres d’Aecinia.
L’océan était agité depuis la veille. Le vent froid, mais encore doux pour la saison, de l’océan Pacifique sud fouettait avec violence la falaise. L’hiver débutait dans cette partie du globe, sur ces îles autrefois appelées Nouvelle-Zélande. Les Hommes les avaient abandonnées plus de 200 ans auparavant ; elles constituaient aujourd’hui le territoire des Skryta’lian.
Vauldorne, la cité aux pierres blanches et grises, s’élevait dans la péninsule de Banks ; les collines recouvertes d’une épaisse couverture blanche, la baie et l’océan la ceinturaient. La ville se dressait avec fierté, symbole de l’union et de la paix ; un territoire neutre, vierge de conflits et de violence. Un lieu de pouvoir, un lieu de réunions et de décisions communes, et les drapeaux de chaque tribu flottaient du haut de leurs mâts.
Loria s’accouda sur le rebord. Il laissa le vent se faufiler entre les mèches de ses cheveux. À ses côtés, il humait l’aura croissante du jeune Gamma qu’il formait. Les Gammas dominaient et combattaient au sein des clans. Ils veillaient à la sécurité de la tribu et de l’Alpha. Ils étaient l’armée.
— Tu ne peux pas enrôler ces descendants, déclara avec inquiétude le jeune immortel.
Il rejeta des parchemins sur la table et ses yeux se tournèrent vers Loria. Sanaë portait des vêtements bien sobres : une chemise crème avec un pantalon marron. De nombreuses tresses sauvages retenaient ses cheveux mi-longs et bruns, indisciplinés.
— Ils sont trop ingérables pour faire partie des nôtres.
— Je le sais. Akiro est du même avis. Le problème est notre sous-nombre.
Son disciple se racla la gorge. Il semblait chercher ses mots et il faisait tourner sa plume d’écriture entre ses doigts. Après une hésitation, il tenta :
— Tu traques des lignées bien précises, trop précises. Sans doute est-il temps de…
— Non, coupa Loria. J’ai rompu ma promesse envers mes amis et mes alliés d’autrefois. Je refuse de les déshonorer davantage en intégrant des lignées ennemies ou lambda à notre cause.
Là, Sanaë se leva vivement. Sa petite aura de Gamma ne se soumettait pas face au Capitaine des Armées. Le soldat n’avait pas peur de lui. Il le respectait, mais ne le craindrait jamais, surtout pas pour un enjeu aussi important que l’avenir de leur peuple. Il s’approcha de Loria. Il effleura sa domination sans provoquer son instinct. Sanaë lui indiquait juste son mécontentement. Il pensait pouvoir exprimer ouvertement son désaccord ; or Loria se braqua face à lui.
— J’ai offert ce pouvoir sans limite par le passé et sans me soucier des conséquences. Sais-tu ce qui s’est produit ? Une guerre dans les cendres et les flammes, dans le sang des nôtres. Des clans entiers détruits et nous avons frôlé l’extinction. Je ne ferai pas deux fois la même erreur, imposa-t-il sans lâcher Sanaë de ses yeux émeraude.
La tache gris perle dans son œil droit étincela. Une lueur violette apparut de manière furtive et le Gamma le remarqua. Il déglutit avec difficulté. Son aura s’effaça contre celle de Loria. Toutefois, Sanaë ne se détourna pas de son mentor. Il se contenta d’acquiescer.
— Je ne voulais pas te manquer de respect et je respecte ton choix. Nous devons cependant trouver une solution. Pourquoi ne pas chercher ces héritiers chez les Hommes ? Tu as dit en ressentir là-bas ?
— C’est risqué et…
Loria se tut brutalement. Les sens en alerte, il reçut un message télépathique.
— Tous les Alphas, les Capitaines des Armées et les Deltas du conseil sont convoqués de toute urgence dans la salle du conseil.
Loria fronça les sourcils. Cette voix féminine appartenait à Marie-Madeleine, Delta du clan de Guilhem de Molya.
Les Deltas détenaient une place particulière dans la hiérarchie. Contrairement au reste de leurs semblables, elles résistaient au lien de domination des Alphas. Elles étaient également immunisées contre celui des Gammas. Elles contraient leur instinct primitif. Grâce à elles, les Skryta’lian étaient parvenus à trouver un juste équilibre. Leur rôle de médiatrices auprès des dirigeants permettait d’éviter des conflits et des réactions impulsives.
Chose étonnante, elles naissaient toutes humaines. L’aura atteignait son plein potentiel à l’âge adulte, permettant aux Alphas et aux plus puissants Gammas de les trouver. Par la suite, elles étaient transformées en Skryta’lian selon leur souhait, un événement assez rare pour tout avouer.
— N’oublie pas de tout ranger à l’abri des regards avant de partir, annonça-t-il à son disciple.
Ce dernier hocha la tête, comprenant que le devoir l’appelait.
Loria soupira en rejoignant l’intérieur de son bureau. Il glissa sa main droite dans sa tignasse flamboyante à quelques mèches blanches. Sans un mot, sans un geste, les bougies s’éteignirent. Pyrokinésiste accompli, le feu n’avait aucun secret pour lui. Il ne contrôlait pas sa magie, il la dominait. Il la dominait depuis bien longtemps.
Le talon de ses bottes marron claquait sur le sol en bois. Loria se dirigeait vers la porte de son bureau, celui qu’il occupait en tant que Capitaine des Armées de l’Alpha Célinia ; le plus haut grade militaire pour un Gamma. Un titre prestigieux et honorifique qu’il avait gagné deux millénaires auparavant.
Non. Je m’en suis emparé.
En chemin, il attrapa sa cape au blason de sa tribu : un lièvre blanc sur un fond bleu marin et sous un croissant de lune argenté. Il prit quelques secondes pour l’attacher sur ses épaules grâce à des broches en argent. Puis, Loria quitta les lieux.
La lourde porte grinça malgré son traitement la semaine précédente. Le Gamma grimaça ; elle devrait être démontée pour un nettoyage en profondeur. Il la referma avec douceur et longea le couloir aux larges fenêtres fermées. Les pâles rayons du soleil passaient à travers les vitraux. Ces derniers représentaient les plus grands événements de l’Histoire connue des Skryta’lian, comme la création d’Aecinia et l’union des clans pour la première fois de leur existence ; un ennemi commun les avait contraints à s’allier. Quelques scènes de batailles offraient un style dynamique. La Magie reliait l’ensemble sous forme de filament blanc ; elle était imaginée par tous comme telle.
Ils sont bien loin de la vérité, pensa Loria.
La Magie avait créé le monde. Elle avait créé les Skryta’lian et leur avait offert des pouvoirs héréditaires. Deux étaient communs à tous : la téléportation et la télékinésie. Deux autres provenaient des parents ou d’ancêtres plus lointains, et ils possédaient une grande puissance. Si la Magie avait été si généreuse avec eux, c’était pour une raison : ils étaient supérieurs. Ils étaient des dominants et des prédateurs. Et même si Loria respirait également cette valeur, ses desseins surpassaient la mission qu’ils s’étaient tous fixée : rendre grandeur et noblesse à son peuple.
Le Capitaine secoua la tête pour se concentrer sur l’instant présent. Il continua et s’arrêta en haut d’un escalier. Un vaste hall s’ouvrait au rez-de-chaussée ; la gauche menait dans les jardins, la droite vers la salle de bal. Toutefois, le Skrytalian reprit sa marche droit devant lui. Il passa devant des colonnes finement sculptées sans même les admirer.
— Que se passe-t-il Célinia ? s’inquiéta-t-il.
— Une attaque orchestrée par l’Ordre des Frères. Je n’ai pas plus d’informations pour l’instant. Guilhem vient juste de nous alerter, il nous attend avec Romaric.
L’Ordre des Frères ? Deux frères avaient fondé cette organisation plus de 2 000 ans auparavant après avoir découvert l’existence des Skryta’lian. Effrayés, ou par jalousie de leurs pouvoirs, ils avaient rallié plusieurs de leurs semblables pour contrer les immortels.
Les mortels présentaient des inégalités magiques, car certains possédaient un ou deux enchantements, d’autres non ; l’héritage de ces pouvoirs résultait souvent du hasard. De plus, la puissance et les dons pâlissaient en comparaison de ceux des Skryta’lian presque sans limite. Les humains se contentaient de la magie élémental et de quelques pouvoirs énergétiques, notamment défensifs. De rares individus détenaient une magie psychique, les cas recensés concernaient la canalisation de pouvoir et l’intrusion mentale.
La guerre entre les deux espèces faisait rage depuis longtemps, même si l’Ordre des Frères se montrait discret depuis quelques années.
— Ce vieux débris de Magnus se réveille-t-il enfin ? s’exclama un Gamma.
Elijah, Capitaine des Armées de Lilias d’Impeterra depuis cinq mille ans, venait de se téléporter près de Loria. D’autres immortels commençaient à les rejoindre.
— Les Hommes sont sans doute les pires créatures de cette planète, je dois avouer qu’ils ont du cran et qu’ils sont bien trop résistants, continua-t-il avec mépris.
— À notre dernière confrontation, il était déjà malade. Il a lui-même ordonné la retraite et beaucoup des siens étaient contre. Il nous a suppliés. Il puait la peur, rétorqua Loria.
— Tu penses à quoi, alors ?
— Il perdait son autorité, nous le savons. Cette attaque n’a donc rien de logique. L’Ordre des Frères doit avoir un nouveau dirigeant. Ou au moins quelqu’un qui tire les ficelles et profite de sa faiblesse, si jamais Magnus est encore en vie, argumenta-t-il sans regarder son confrère.
Le grognement d’Elijah en disait long sur son ressenti. Son Alpha et son clan avaient des opinions très tranchées sur l’Ordre des Frères. Ils savouraient avec un plaisir macabre les affrontements. Ils jubilaient de voir leurs ennemis se noyer dans leur sang. Ils égorgeaient et éventraient chaque membre qui croisait leur chemin. Ils torturaient pour obtenir des informations. Lilias était peint du sang de ses rivaux. Il ne s’imposait aucune limite et il n’en désirait aucune de la part de ses semblables.
Des murmures s’élevèrent dans le corridor menant à la salle du Conseil et tous pénétrèrent dans la pièce ovale : les sept Alphas et leur Capitaine des Armées respectifs, et quatorze Deltas. Au centre se tenait une table en U, dépourvue d’occupants. L’odeur de l’hémoglobine et de la fièvre du combat envahissait l’air. Romaric s’appuyait contre la table. Ses cheveux châtain foncé étaient ébouriffés, ses vêtements présentaient des traces d’usure et de sang frais, et il tenait encore dans sa main son épée ensanglantée.
— L’Ordre des Frères a attaqué notre bastion de surveillance… près de leur frontière sur l’ancien continent américain, expliqua-t-il essoufflé et sous l’ivresse du combat.
Il prit un court moment pour calmer sa respiration.
— Ils étaient très bien organisés. En grand nombre et lourdement armé, je n’avais jamais rien vu de tel. Leur but était clair : nous anéantir. Nous avons dû battre en retraite, lâcha-t-il avec rage. Nous avons subi beaucoup de perte.
L’instinct vengeur des Gammas s’éveilla. Les auras dominatrices s’échappèrent pour exiger la soumission. Une pression écrasante s’abattit sur Vauldorne. Les Capitaines attendaient la bataille, tandis que les dirigeants s’efforçaient de se maîtriser.
Dès cet instant, la magie des Deltas opéra. Ces auras s’emparèrent de cette ivresse primitive. Elles se propagèrent dans les liens de clan pour apaiser les dominants et pour rassurer les Omegas, les civils, effrayés par cette situation. Chacune dispersait son odeur, son identité : un parfum de jasmin, de fleur d’oranger, de menthe poivrée ou encore de sauge.
En revanche, un seul Skrytalian contra le pouvoir de ses propres Deltas. Occupées par les Gammas, aucune d’elles ne perçut cet effluve moisi distillé dans le lien du clan. D’ordinaire, il était boisé et citronné, rappelant l’odeur de certains pins. Ses cheveux gris foncé et mi-long dissimulaient son visage. Néanmoins, ses yeux noisette se braquèrent soudain sur Cassie, sa plus fidèle Delta ; il l’avait transformée près de trois millénaires plus tôt. Elle huma une odeur inhabituelle et inquiétante, elle comprit rapidement que leur chef était préoccupé.
Plus que cela. Pourquoi n’ai-je rien remarqué ? Pourquoi le caches-tu ? s’inquiéta-t-elle.
Sa bouche s’ouvrit à peine que Lilias l’arrêta d’un signe discret de la main. Il reprit le contrôle du lien pour expulser Cassie, conscient de son inattention et du risque d’être démasqué.
— Ce genre d’opération m’étonne de Magnus, déclara Loria.
— Ou alors, il nous a bien bernés, rétorqua l’Alpha Célinia de Ridalem.
L’immortelle à la peau bronzée et aux longs cheveux noirs se tourna vers son Capitaine.
— Il a toujours été passif, mais rappeler les siens et cesser les combats… je n’y ai jamais cru…
— Magnus est mort, annonça brutalement Romaric. L’Ordre des Frères a changé de dirigeant. Lawrence Delport a pris les rênes.
À ce nom, tous comprirent que la trêve était achevée. Lawrence était un fanatique. Né au sein de l’organisation, il avait développé sa haine pour les Skryta’lian et un désir hors norme de protéger l’humanité des immortels, peu importait le prix. Beaucoup de meneurs s’assuraient d’éviter des victimes collatérales, or Lawrence considérait que c’était un moindre mal pour leur mission. Désormais, l’Ordre des Frères fonctionnerait mieux, resterait plus discret et s’avérerait plus violent.
Lilias frappa du poing une colonne décorative par impulsivité et elle se fissura à l’impact.
— Je vous avais avertis. Nous aurions dû éliminer l’Ordre des Frères pendant qu’il en était encore temps. Ils étaient affaiblis, ragea-t-il.
— J’ai un prisonnier, un sbire un peu trop bavard. Je tiens mes informations de lui et il dit avoir un message…
— Tu aurais dû le vider de son sang, coupa Lilias en le pointant du doigt.
— Fais-le venir ! accepta Guilhem sans se soucier des paroles de Lilias.
Dans la seconde suivante, quatre Gammas arrivèrent par téléportation dans la salle du Conseil. Un homme était enchaîné au cou, aux poignets et aux chevilles. Les attaches étaient si serrées que la peau était lacérée et le sang suintait. Sa tenue à l’emblème de son organisation était en lambeaux. Ses cheveux collaient à son crâne, et un filet carmin coulait de sa tête.
Le prisonnier toussa. Puis, il sourit et cracha sa salive rouge sur le sol beige des lieux. Agenouillé de force, il se dressa pour affronter ses ennemis, les ennemis de son peuple.
— L’Ordre des Frères protégera l’humanité de vous, quel qu’en soit le prix. Lawrence Delport a un message pour vous, déclara-t-il en analysant chaque immortel dans son champ de vision.
Le sbire de Lawrence dévoila ses dents cramoisies. En dépit d’une respiration difficile due à des côtes brisées, il ne montrait aucune souffrance. Seule sa haine envers les Skryta’lian se ressentait. Trop affaibli, il ne parvenait pas à appeler sa magie.
— Ce monde appartient aux Hommes. Nous sommes l’espèce dominante depuis le jour de notre naissance…
— Foutaise ! s’écria Loria en s’avançant d’un pas.
— Notre Loi du Silence est caduque. Que se passera-t-il quand nos gouvernements apprendront votre existence ? rit-il. Vos terres – nos terres – seront peintes de rouge.
Célinia s’apprêtait à prendre la parole, mais Lilias la devança. D’un mouvement vif, il saisit le prisonnier par la nuque. Il le contraignit à baisser la tête. Entre ses doigts, il sentait les os de l’homme qui se retenait de crier.
— Nous vous anéantirons jusqu’au dernier. Ordre des Frères ou pas, vous ne nous êtes ni supérieurs ni égaux. À vous de vous incliner devant nous, écuma-t-il en le jetant à terre.
— Qui vous a fourni en armes et en hommes ? questionna Danaë de Malyari, dont la chevelure rousse tressée tranchait avec sa peau blanche.
— Pensiez-vous réellement pouvoir reprendre la Terre après la Troisième Guerre mondiale ? Pensiez-vous réellement que notre civilisation resterait prostrée derrière les murs de la Triade ? Ces explorateurs que vous attaquez, beaucoup cherchent à savoir ce qui se passe, malgré les recommandations des autorités. Et il est notre devoir de les protéger.
Les Skryta’lian s’observèrent un instant, inquiets.
À la suite de ce conflit mondial, les gouvernements étaient tombés les uns après les autres. Seules trois nations s’étaient alliées dans le but de préserver le reste de la civilisation humaine. Le peuple des immortels avait vu là l’occasion de redessiner leurs frontières pour s’étendre.
— Vous n’aviez aucun droit de vous approprier ces territoires qui nous appartenaient, siffla le prisonnier avant de tousser une nouvelle fois.
— Ce monde ne vous a jamais appartenu. Vous déshonorez vos ancêtres, souffla Loria sur un ton las.
L’humain, dans un acte suicidaire, se releva brutalement. Ses deux mains s’emparèrent d’une de ses chaînes pour la tirer. Surpris et happé, le geôlier chuta en avant. Très vite, le prisonnier enroula la chaîne au cou du Gamma. Cependant, sa tentative d’évasion échoua rapidement. La douleur saisissante le paralysa et l’empêcha de hurler. Les yeux révulsés, un flot carmin jaillit de sa bouche et le sbire de l’Ordre des Frères s’effondra.
Lilias tenait entre ses mains le cœur du mortel, arraché de sa cage thoracique par télékinésie. De rage, il écrasa l’organe qui se vida de son sang. Quand l’Alpha le lâcha, il atterrit dans un bruit flasque.
— Si l’Ordre des Frères obtient de tels alliés, nous devrons prendre une mesure radicale. Il a raison, les Hommes ne resteront pas retranchés derrière leurs murs. Ils feront ce qu’ils ont toujours fait : se répandre comme une maladie incurable et se prétendre les maîtres du monde. Je m’y refuse. C’est un cycle sans fin, il est temps d’y mettre un terme.
— Il n’a jamais été question d’éliminer tout un peuple, s’indigna la Delta Marie-Madeleine.
— C’est eux ou nous désormais, trancha Lilias.
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