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14 : Dénégation et Récurrence

Ignus errait sans but. Rester dans son Repère lui était devenu insupportable. Tout lui était devenu insupportable. Il ne voulait plus voir personne, ne devait plus voir personne. Depuis combien de temps déambulait-il ainsi ? Pourquoi sa souffrance ne pouvait-elle pas prendre fin ? Lucien lui avait enjoint plusieurs fois de se confier. La première fois, il avait cédé et était parvenu à faire illusion. Puis, il avait tout simplement décidé de l’éviter. Contrairement à ce que pensait le Protecteur de la Lumière, son temps était compté…

— Ignus ?

Ce timbre empreint de chagrin et d’espoir le figea. Elle lui avait tellement manqué… Il se tourna et elle était là, fabuleuse, tel un mirage. Il n’esquissa aucun mouvement vers elle, immobile, ancré dans cette stupeur qui lui faisait perdre ses moyens.

— Aurora… murmura-t-il.

Les questions fusèrent dans son esprit. Pouvait-elle l’aider ? Avait-elle enfin réussi à atteindre le niveau nécessaire ? Il balaya ces interrogations stupide. Lucien l’aurait immédiatement alerté si tel était le cas. Son calvaire aurait enfin pris fin.

— Enfin, je peux te parler…

Ses paroles emplies d’émotion engluèrent encore plus Ignus dans cette torpeur qui l’avait englouti. Elle avançait vers lui, son regard rivé au sien, et il était toujours incapable d'esquisser le moindre geste. Pourquoi fallait-il que tout soit si compliqué ?

— Je suis désolé… prononça-t-il malgré lui.

— Tu es désolé par son incompétence ? railla la voix dans son esprit.

Ignus tressaillit et serra les poings.

— Tais-toi, asséna-t-il dans une tentative désespérée.

— Regarde comme elle est affligeante…

S’efforçant d’ignorer les abjections proférées par son ennemi, il laissa Aurora avancer vers lui et contempla celle qu’il avait choisi de délaisser, dans l’espoir de mieux la retrouver. Un espoir vain. Elle entreprit une approche, mais il recula.

— Ignus, je t’en prie… Ne me laisse pas cette fois encore. Pourquoi me fuis-tu ?

— Tu n’es pas encore prête… affirma-t-il d’une voix sourde.

La peine envahissait Ignus alors qu’il réalisait à quel point il l’avait blessée. Néanmoins, il connaissait les conséquences que pouvaient avoir le don de Guérison sans aucune maîtrise. En aucun cas il ne devait laisser cela se reproduire.

— Je ne sais pas de quoi tu parles…

— Non, tu ne sais rien, grinça-t-il.

— Je sais que tu me manques. Je sais que…

— Arrête…

Elle lui saisit la main et ne lui laissa aucune échappatoire, approchant son visage à quelques centimètres du sien.

— Je t’aime Ignus.

Une secousse incontrôlable le parcourut. Une barrière avait cédé, cette barrière qu’il était parvenue à maintenir jusqu’ici. Il ricana. Aurora venait de lui ouvrir son cœur et il ricanait sans retenue. Affligé, il avait la sensation de s’observer lui-même. Tout ceci n’était qu’un cauchemar.

— Franchement Aurora… Es-tu dans l’illusion au point de ne pas admettre que ce n’est plus de moi dont tu es amoureuse ? Tu es tellement pathétique…

Après les sentiments d’humiliation et de rejet provoqués par son rire mesquin, Aurora se laissa submerger par la colère. Comment pouvait-il savoir ce qu’elle ressentait ? Elle tenta de le gifler, mais il agrippa fermement son poignet, l’empêchant de se dégager.

Avec effroi, elle perçut la noirceur qui s’était emparée de lui. Les flammes sombres qui le dévoraient avec rage, ses yeux d’obsidienne… Dans ses iris assombris elle décela cette étincelle mêlant crainte et colère : il avait compris qu’elle l’avait démasqué. La terreur l’envahit alors que la main d’Ignus commençait à la brûler, lui arrachant un cri de douleur.

Soudain, le regard de son assaillant dévia vers quelque chose derrière elle. Il la lâcha d’un seul coup avant de s’éclipser, sans un mot de plus, son expression menaçante parlant pour lui.

Par réflexe, Aurora ramena son poignet meurtri contre sa poitrine, l’enserrant de son autre main. Déboussolée, elle sentit un contact hésitant sur son épaule et entendit comme au loin Hélios qui lui demandait si tout allait bien. Sa présence et son timbre chaleureux teinté d’inquiétude la ramenèrent à elle alors qu’elle avait eu l’impression de perdre pied, lui apportant un immense soulagement. Pourtant, elle se dégagea brusquement et répliqua sur un ton cinglant avant de s’éloigner sans même se retourner :

— Toujours au mauvais endroit au mauvais moment, Hélios.

***

Tessa l’avait sentie. Cette présence. Sans doute un nouveau sbire de Donovan. L’intrus devait être plus prudent que ses prédécesseurs et n’osait pas approcher. Il la filait depuis quelque temps, à distance respectable. Pourtant, il venait de se rapprocher.

Elle fit volte face et ses yeux rougeoyèrent alors qu’elle balayait le périmètre, mais reprirent en un éclair leur teinte habituelle. Cet esprit qu’elle avait effleuré…

— Qu’est-ce que… bredouilla-t-elle.

Puis elle se reprit rapidement. C’était donc lui, son nouveau pot de colle. Donovan savait-il ce qui les avait liés ? Non, c’était impossible. Sauf s’ils avaient échafaudé leur plan abject ensemble… La haine et l’amertume la submergèrent, même si au fond, elle ne pouvait s’empêcher d’être soulagée de ne pas l’avoir complètement lobotomisé.

— Eh bien ! Montre-toi donc, exigea-t-elle.

Erwan se maudit de l’avoir un peu trop approchée. Aucun moyen d’éviter la confrontation. Néanmoins, il ne se montrerait devant elle sous aucun prétexte. Son double ferait très bien l’affaire. Il l’envoya donc au devant de la scène.

— Bienvenue dans la Forêt des Regrets, le nargua-t-elle dans un rictus séducteur. Je sais pertinemment pourquoi tu es ici. Reste sage et je te laisserai tranquille. C’est donnant-donnant.

Il n’avait pu s’empêcher d’être pris de panique lorsqu’il avait aperçu la flamme s’allumer dans ses iris rubis. Cependant, il semblerait qu’elle ait renoncé à attenter quoi que ce soit contre lui. Que cherchait-elle ?

— Ma mission est simplement de te surveiller, mais tu dois sans doute déjà le savoir, répliqua-t-il.

— Oui. Tes prédécesseurs ont outrepassé leur mission, et tu ne veux pas savoir ce que j’ai fait d’eux, donc je voulais juste te prévenir… Tente quoi que ce soit et tu subiras un sort que tu ne peux même pas imaginer. Tu n’en as eu qu’un infime avant-goût.

Tessa laissa planer un silence théâtral suite à sa menace. Erwan devait être terrorisé. De quoi se souvenait-il exactement ? Devant sa silhouette élancée et son regard améthyste, elle avait presque flanché. Elle ne pouvait pas se le permettre. Pas devant celui qui l’avait trahie. En avait-il encore le souvenir ? Peu importait, à présent.

— Au fait, je sais que celui qui est devant moi n’est rien d’autre qu’une illusion. Et je sais exactement où tu te caches, Erwan, conclut-elle avant de tourner les talons.