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Illusions et Réminiscences

Les mains jointes devant son visage, Hélios tentait de visualiser sa propre Lumière, comme Ignus le lui avait demandé. Sa concentration vacilla lorsqu’il capta un mouvement du coin de l’œil.

— Il va falloir travailler sur ton attention, Hélios.

— Salut Ignus, lança Aurora avec humeur.

Elle se campa devant lui, manifestement contrariée qu’il n’eût fait aucun cas de sa présence. Cependant, Ignus lui sourit, comme si de rien n’était.

— Tu es venue pour ton entraînement, Aurora ? Nous travaillons sur les Illusions, tu veux te joindre à nous ?

Le regard d’Aurora glissa sur Hélios qui la gratifia d’un signe de tête assorti d’un sourire charmeur. Devoir partager son mentor avec lui ne l’enchantait guère parce qu’elle ne se sentait pas à l’aise en sa présence. Pourtant, il n’avait rien fait pour lui inspirer cela. Simplement, sa Lumière éblouissante l’intimidait et elle ne savait pas comment réagir face à lui.

Hélios avait décidé de faire profil bas, parce qu’Aurora n’avait pas vraiment l’air de l’apprécier. La plupart du temps, elle l’ignorait, et les rares fois où elle s’adressait à lui, son ton se voulait acerbe. Leurs échanges étaient toujours brefs ; elle les écourtait à chaque fois.

— Tu sais bien que je n’ai jamais été douée pour ce genre de choses… répondit-elle, irritée.

— Tu es bien plus douée pour d’autres choses, Aurora.

L’intensité transparaissant dans les yeux d’Ignus lorsqu’il prononça ces paroles avec conviction embarrassèrent Hélios qui se sentit de trop. Il se racla la gorge pour rappeler sa présence, sans succès.

— Avoue que tu es plutôt un piètre mentor, doucha-t-elle Ignus dont le sourire s’évanouit sous la surprise. Ce que j’ai appris, ce n’est pas grâce à toi.

Ignus pinça les lèvres devant l’attitude enjôleuse complètement décalée qu’avait adoptée Aurora en proférant ces paroles incisives, puis reprit rapidement un air décontracté.

— Tu essaies de me discréditer face à mon nouveau disciple ? Serais-tu jalouse ? surenchérit-il.

Elle prit un air outré qui lui allait à ravir et Hélios perçut quelques nuances pourpres passer dans son regard et sa chevelure mordorée. Son humeur se manifestait-elle ainsi ?

— Tu vois, continua Ignus, aucune retenue. Tout le monde peut percevoir ton courroux à des kilomètres à la ronde. Les Illusions ne sont peut-être pas ta tasse de thé mais je t’en ai donné quelques bases, que tu as oubliées, semblerait-il ?

— Bon… et ces Illusions justement ? Si on pouvait avancer… intervint Hélios.

Ignus tourna la tête vers lui comme s’il venait de se souvenir de sa présence. Quant à Aurora, Hélios crut apercevoir un soupçon de gratitude passer dans ses iris ambrés.

— Ce que je voulais dire, c’est que ta maîtrise pour influencer le Troisième Monde par tes aurores est inégalable, Aurora, conclut Ignus avec douceur cette fois. Peu importe si tu n’excelles pas dans d’autres domaines comme notre ami ici présent.

— Après les piques, les fleurs… le railla Hélios.

Ce dernier fut alors surpris d’entendre résonner un rire cristallin. Perplexe, il se sentit subjugué par ce son argentin qu’il entendait pour la première fois.

— D’accord, je veux bien prendre quelques cours de rattrapage, finit-elle par accepter en reprenant son sérieux.

— Bien…

Ignus mit les mains derrière son dos, adoptant la posture sévère d’un militaire, et lança :

— Hélios, montre-lui ce que tu es déjà capable de faire.

— Pas la peine d’en faire des tonnes, ce n’est pas vraiment au point…

— Encore ce manque de confiance flagrant… Arrête de t’apitoyer et fais ce que je t’ai demandé !

Résigné, Hélios fixa un point invisible devant lui pour se concentrer. Imperceptiblement, la luminescence de son aura commença à décroître.

— Oh… s’étonna Aurora, visiblement impressionnée.

La Lumière d’Hélios redevint éblouissante en un clin d’œil alors que ses yeux émeraude se posaient sur elle.

— Il ne le maîtrise pas encore sur la durée mais c’est déjà pas mal pour un début, n’est-ce pas ? s’enquit Ignus.

— Effectivement… admit Aurora. Tu as l’air plutôt doué.

— Serait-ce un compliment venant de la rose aux épines acérées ? s’amusa Hélios en haussant un sourcil.

— Je retiendrai que ta préférence va au sarcasme, rétorqua-t-elle de but en blanc.

Cette fois-ci, ce fut elle qui s’étonna d’entendre le rire aérien d’Hélios retentir agréablement à ses oreilles. Ignus le rejoignit et elle ne put s’empêcher d’en faire de même. Finalement, Ils reprirent leur leçon dans une ambiance plus détendue, bien que studieuse.

— Bon. Je pense que ce sera tout pour cette fois, vous m’avez l’air épuisés, finit par annoncer Ignus. Aurora, j’ai quelque chose à te montrer. Cette fois, c’est la bonne !

— J’ai hâte de voir ça, répliqua-t-elle non sans une certaine ironie. Alors à plus tard, Hélios !

Elle le salua avant de prendre la main d’Ignus.

— Même endroit, même moment, confirma ce dernier en hochant la tête.

Hélios eut à peine le temps de répondre par un mouvement similaire avant qu’ils ne disparussent, le laissant un peu déçu et sur sa faim. Il n’avait plus qu’à aller s’entraîner tout seul dans son Repère, comme il avait pris l’habitude de le faire.

***

Lorsqu’il reprit conscience, il ne se souvenait de rien. Où était-il ? Qui était-il ? Des images s’entrechoquaient dans un maelstrom entêtant, sans qu’il pût y trouver une quelconque logique. Ce défilement disparate lui infligeait une souffrance inexplicable. Un vide exacerbé par l’excès de couleurs, de sons, de sensations et d’émotions.

Un mouvement brusque sur sa droite le sortit de cet état de torpeur. Une porte s’était ouverte à la volée. Il était allongé sur quelque chose de mou. Un lit ?

— Ah… Tu es enfin revenu à toi. Bien.

Cette voix et l’être qui venait de surgir dans l’embrasure lui inspirèrent immédiatement un sentiment étrange de dégoût mêlé d’impuissance. Soudain, une image s’imposa à lui. Le visage d’un enfant. Il avait une mission…

— Je comprends ton désarroi, Erwan. Tu as déjà bien de la chance de ne pas avoir été transformé en légume…

Erwan. Oui, c’était son nom… Plus important, il devait sauver cet enfant. C’était la seule chose qui lui apparaissait clairement au milieu de ce défilement incessant et sans substance. Il s’assit péniblement, avec l’impression que des milliers d’épines s’enfonçaient inlassablement dans son crâne.

— Comprends-tu au moins ce que je te dis ? continua son interlocuteur avec un haussement de sourcil.

Ce dernier avait l’apparence d’un homme grand et sec aux cheveux d’ébène tirés en arrière, non dépourvu d’un certain charme. Au milieu de son aura sombre, ses iris aux couleurs nocturnes luisaient étrangement.

Donovan. Son nom avait surgit telle une alerte dans ses pensées incohérentes. La méfiance se trouva être son premier réflexe. Pourtant, l’individu semblait le considérer comme un allié.

— Je comprends, répondit-il mécaniquement.

Un autre flash le prit au dépourvu et il porta les mains à ses tempes. Des yeux rougeoyants. L’immense rage qui en émanait. Il en avait l’intime conviction ; c’était son dernier souvenir avant cet indicible chaos.

— Tu devrais te reposer encore un peu… Visiblement tu es toujours bien secoué. Tu ne vas peut-être pas recouvrer tous tes souvenirs, mais ne t’en fais pas, tout va rentrer dans l’ordre. Je suis sûr que tes capacités sont restées intactes, ou du moins je l’espère…

Ce ton grinçant… Une nuance de menace. L’éliminerait-il, si ce n’était pas le cas ? La porte se referma, ses yeux en firent autant. Tout ce qu’il savait pour l’instant ne le mènerait nulle part. Toute réflexion lui était impossible.

Dans la pénombre, un nouveau portrait se dressa sous ses paupières. La dernière image qu’il avait aperçue… Juste avant de s’effondrer. Juste avant qu’un bandeau ne vienne cacher ce regard écarlate, source de sa déchéance. L’identité de cette femme restait un mystère pour lui, mais cette vision le hanterait, il en était persuadé. Sa longue chevelure carmin flottant autour d’elle. L’expression de fureur muée en désespoir sur son joli visage. Les innombrables sillons brillants sur ses joues. Et, surtout, l’incommensurable tristesse brûlant au fond de ses iris lorsqu’ils avaient cessé de luire…