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Il ouvrit les yeux, désorienté, mais serein. Malgré l’intense luminosité environnante, il ne se sentait nullement ébloui. Un homme se tenait devant lui, grand et mince, la trentaine, entouré d’une aura étincelante. Son visage apparaissait empreint de bienveillance, avec sa mâchoire carrée ornée d’un large sourire. Ce qui le frappa particulièrement fut la clarté de ses iris, d’un cyan iridescent, presque transparent. Son timbre, grave et profond, ne tarda pas à se faire entendre.

— Comment t’appelles-tu, mon enfant ?

— Hélios.

Il avait répondu sans hésiter, même si la confusion régnait dans tout son être. Ce nom s’était tout simplement imposé à lui. L’homme hocha la tête d’un air entendu, toujours souriant, et posa ses mains sur ses épaules en un geste qui lui parut presque paternel. Ses pensées s’éclaircirent d’un seul coup. Il sut où il se trouvait, comment il était arrivé là et ce qu’on attendait de lui.

— Bienvenue parmi nous, Hélios.

D’innombrables voix scandèrent alors ces mots en écho et, en tournant la tête, Hélios réalisa qu’une assemblée jusqu’ici plongée dans un silence magistral se tenait devant eux. Paradoxalement, ces exclamations l’emplirent d’une joie indescriptible tandis que le nombre de regards posés sur lui le troublait.

— Je déclare la fête de la Cérémonie de Bienvenue ouverte ! conclut l’étrange personnage qui l’avait accueilli.

Une musique entraînante s’éleva dans les airs, comme provenant de nulle part, et Hélios prit conscience de son environnement lorsqu’il changea soudainement. Jusque-là, il n’avait perçu qu’une lumière immaculée. Pourtant, autour de lui s’élevaient désormais les murs d’une immense salle tout aussi claire. Le décor des voûtes aux motifs entrelacés et des somptueuses colonnes scintillantes le saisit par sa richesse et sa beauté. La foule vêtue de blanc s’élançait maintenant dans de joyeux pas de danse en contrebas.

— C’est beau, n’est-ce pas ? Je sais qu’on est toujours un peu perdu quand on atterrit ici, mais ne t’en fais pas, tu vas vite t’y habituer.

Plongé dans sa contemplation, Hélios avait presque oublié la présence de cet individu insolite à ses côtés. Sans rien ajouter, il descendit avec légèreté de cette hauteur qui le mettait mal à l’aise et s’éloigna du tumulte. C’était sans compter sur l’effet de curiosité face à la nouveauté. D’innombrables révérences mêlant déférence et admiration s’enchaînèrent. Il les honorait tant bien que mal avec des hochements de tête et des sourires pincés. Aucun des faciès intimidés qui défilaient devant lui ne le marquait.

— J’ai besoin de m’entretenir avec lui, que la fête continue ! intima la seule silhouette qui lui était familière.

Les derniers curieux ne tardèrent pas à s’éclipser vers la piste de danse, au grand soulagement d’Hélios. Son sauveur affichait un léger sourire espiègle.

— Ne t’inquiète pas, personne n’a pu apercevoir tes grimaces, à part moi.

L’inconnu esquissa un geste et ils se retrouvèrent tous deux dans une sorte de bulle dorée. Que voulait-il insinuer ? Hélios discernait toujours les décors et les sons extérieurs, mais son intuition lui souffla qu’eux-mêmes n’étaient plus perceptibles.

— Enchanté de te connaître, Hélios. Je suis Lucien, le Protecteur de la Lumière. Je serai présent pour te guider si besoin. Avant toute chose, tu dois prendre connaissance de notre Traité des Trois Mondes.

— Ne m’en voulez pas si je ne suis pas aussi… enchanté, répliqua Hélios sur un ton sarcastique.

Alors qu’il s’attendait à des réprimandes ou des réprobations, Lucien prit un air amusé en haussant un sourcil, puis fit apparaître un rouleau qu’il lui tendit tout en reprenant la parole.

— Je ne t’en veux pas, mais tu peux me tutoyer, tu sais.

— J’en prends note… Lucien, répondit Hélios tout en attrapant le parchemin.

Le regard appuyé de ce « Protecteur de la Lumière » instillait en lui une drôle de sensation ; pourrait-il s’immiscer jusqu’aux tréfonds de son âme ? Quoiqu’il en fût, sa prestance et son titre inspiraient naturellement le respect.

— Je vais te laisser prendre tes marques. Tu es libre d’aller à ta guise et de découvrir ce nouvel environnement à ton rythme.

— J’aurais peut-être quelques questions avant cela…

— … et tu en auras sans doute des tas d’autres, contra Lucien tout en s’éloignant déjà.

La sphère protectrice s’était dissoute, laissant Hélios à nouveau visible. Toutefois, Lucien l’avait entraîné un peu à l’écart et personne ne parut le remarquer. Il contempla le papier luminescent dans sa main, puis se décida à l’ouvrir. Les mots le happèrent brusquement, sans qu’il n’eût besoin de lire une ligne. Projeté dans son esprit, tout lui apparut aussi clairement que s’il avait passé des heures à compulser ce texte plutôt rébarbatif, somme toute important. Après avoir rempli son office, la feuille s’effilocha puis disparut entre ses doigts, consumée par une force invisible.

En levant les yeux, Hélios remarqua que les festivités avaient pris fin : quelques retardataires quittaient la piste devenue silencieuse. Ce qui lui avait paru ne durer qu’un instant s’était manifestement éternisé. Combien de temps s’était-il réellement écoulé depuis son arrivée dans ce monde hors du commun ?

Un mouvement sur sa droite attira son attention. Un nouvel individu l’observait, bras croisés et un sourcil arqué dans une attitude hautaine. Son aura étincelait, presque aussi imposante que celle de Lucien. Sa chevelure s’y confondait, semblable à d’innombrables flammèches rougeoyantes.

— Hélios… Vraiment ? interrogea-t-il d’un air moqueur. Quelle humilité...

— Lui-même…

Hélios avait rétorqué sans détour, avec une courbette, peignant le même sourire ironique que son interlocuteur sur son visage. Il était vrai que s’approprier le nom d’un dieu pouvait sembler bien présomptueux, mais après tout, c’était un prénom comme un autre et il ne l’avait pas vraiment choisi.

— …et à qui ai-je l’honneur ? enchaîna-t-il.

Avant que l’importun ne pût répondre, une puissante voix féminine les interrompit, provenant de derrière l’une des colonnes.

— Ignus ! Je te cherche depuis tout à l’heure ! La Fête du Traité aura lieu bientôt, et je te promets que si tu viens dans cette tenue je…

Elle s’interrompit lorsque ses yeux se posèrent sur Hélios. Celui-ci resta figé par la beauté saisissante de cette inconnue dont la douce lumière irradiait. Ses longs cheveux ondulants et ses iris chatoyaient dans des tons ambrés, piqués d’une multitude de couleurs. Ses traits harmonieux s’étaient empreints de surprise lorsque leurs prunelles s’étaient croisées, puis il y perçut ce même mélange de curiosité, de respect et d’admiration qui teintait toutes les expressions croisées un peu plus tôt. Cependant, cette impression se dissipa immédiatement tandis qu’elle tournait précipitamment la tête pour s’adresser de nouveau à Ignus.

— On avait rendez-vous après la cérémonie, tu te souviens ? Alors plutôt que d’assommer le nouveau avec tes badinages, peut-être que tu devrais penser à tenir tes engagements.

— Elle a bien raison, ce n’est pas correct de faire attendre une dame, intervint Hélios sur un ton amusé.

— Je te présente…

— Je suis capable de me présenter moi-même, coupa-t-elle en foudroyant Ignus du regard. Aurora. Bienvenue ici.

— Douce créature, comme tu as pu le constater, rebondit Ignus avec un sourire en coin.

Aurora avait tendu une main vers Hélios en dévoilant son identité, évitant néanmoins de croiser son regard. Serait-elle intimidée ? Pourquoi inspirait-il ce sentiment à tous ceux qui lui faisaient face ? À la réplique d’Ignus, elle pinça les lèvres et prit un air courroucé qui lui allait à ravir.

Hélios saisit doucement ces doigts délicats et effectua un baise-main dans les règles avant de se redresser en lui offrant son plus beau sourire.

— Enchanté, Aurora.

— De même, répondit-elle en retirant prestement sa main. Sur ce, tu viens ou je dois attendre le déluge ?

— Je t’abandonne pour cette fois, Hélios, capitula Ignus. Mais j’ai une proposition à te faire. Si tu es intéressé, je te donne rendez-vous suite à ta prochaine entrevue avec Lucien.

Intéressé par quoi ? Comment cet Ignus pouvait-il savoir quand aurait lieu cette entrevue ? Désemparé, Hélios les observa s’éloigner. Aurora ne l’avait presque pas regardé, mais il lui tardait de la rencontrer à nouveau.