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LE PÈLERIN

Désert du Néant – OUTREMONDE

Je suis abattu, si faible, après m’être senti vivant pendant quelques instants. Je me suis effondré, le regard tourné vers ce grand vide de ciel qui me contemple.

Pèlerin d’Entre-Monde, relève-toi et souviens-toi.

Pourquoi le ferai-je ?

Pour toi, pour ceux que tu veux soigner. Pour elle.

Les digues de mon âme ont cédé d’un seul coup, les larmes coulent en pluie puis en cascades, si violentes qu’elles emporteraient les deux Mondes entiers. C’est le plus impressionnant et le plus salvateur des déluges. Ô Désert, je me souviens maintenant. Je me souviens de cette soirée fatale, le soir de la fête des moissons pendant laquelle j’avais prétexté une maladie pour être seul avec ma mère. Celle-ci avait insisté pour que le père y allât tout de même comme le devrait tout grand propriétaire terrien du domaine. Il y était allé. Tout devait se dérouler pour le mieux.

Ma mère avait ouvert le grimoire, jeté une drôle de poudre irisée sur les pages et prononcé une incantation dont je ne comprenais le sens. Puis les pages se sont mises à onduler. Elles ont peu à peu formé un tourbillon lumineux de plus en plus vaste, de plus en plus profond. C’était à la fois aussi fascinant qu’effrayant. Ce tourbillon dégageait de plus en plus de lumière. Je n’avais pas peur. En regardant cette onde lumineuse tourner sur elle-même, une douce et puissante chaleur envahissait mon corps. Outremonde nous accueillait ! Et ce monde serait merveilleux !

Comprenant mes sentiments, ma mère m’a souri et a serré très fort ma main. Il était temps.

Mais les portes se sont ouvertes avec fracas. Des formes sombres se sont engouffrées en hurlant. Cette main rude et glaciale qui s’est abattue sur moi, ce regard cruel qui a enfermé le mien, cette gueule monstrueuse qui me hurlait de m’éloigner de ma mère… c’était lui !

– Eh bien, sourit narquoisement l’inquisiteur, nous aurions pu régler cette affaire depuis une semaine.

– Je n’allais tout de même pas assister à l’arrestation de ma propre femme devant tout le village, réfléchissez un peu !

Le père ! C’était inimaginable, monstrueux ! Il avait dû se faire discret et entendre nos conversations secrètes. Je n’avais jamais eu beaucoup d’affection pour lui mais jusqu’à présent, il n’avait représenté aucune menace. Ce n’était qu’une présence rude et froide, qui n’était ni chaleureuse ni agressive. Mais derrière ce masque de paysan respecté se dissimulait un monstre horrible. Plus horrible que les créatures abyssales qui infestent les coins reculés d’Outremonde. Et dire que j’avais souhaité obtenir son affection !

D’autres bribes me viennent, petits bris de verre vissés dans ma gorge. « Sorcière ! » « Démon ! », « Traîtresse ! », « Arrêtez la ! ». En une fraction de seconde, la puissance d’amour qui m’enveloppait en présence de ma mère se brisa.

Éclats sous le glas

Poussière d’étoile qui s’étiole.

Je me suis dégagé de l’étreinte de mon père et me suis enfui dans les quatre coins de la maison, poussant les meubles pour couper la route à mon père qui hurlait de rage.

Le passage était toujours grand ouvert mais les Inquisiteurs n’osaient pas s’en approcher. Ils avaient saisi ma mère qui se débattait férocement. Malheureusement, sa résistance n’allait pas durer. Alors, au moment où elle faiblissait, elle a hurlé :

– Va Thomas ! Saute dans le Portail ! Sauve-toi !

La peur ? Oh oui, j’avais peur ! Mais sauter seul dans cet inconnu tourbillonnant comme un typhon ivre de soleil m’effrayait moins que la bête paternelle à mes trousses. J’essayais tant bien que mal d’atteindre ma mère, songeant à mordre les mains des horribles sbires du démon qui la retenaient.

– Ça suffit maintenant ! C’est pour ton bien ! gronda la voix du père.

– Tu y es presque, mon chéri ! Saute dans le Portail !

– Maman… pas sans toi !

– Si tu ne le fais pas, nous aurons fait tout ça pour rien... » Un coup violent l’a interrompue et lui a fait perdre connaissance.

Pendant que mon père s’élançait sur moi, je n’ai plus réfléchi. J’ai sauté dans le tourbillon. Mon père a saisi ma cheville pendant que je m’élançais mais le tourbillon était tellement fort qu’il a dû lâcher sa prise pour ne pas être emporté avec moi. Puis… plus rien. Je me rappelle juste avoir chuté longtemps, longtemps. Puis je suis arrivé. Ici.

Tu es revenu là où tu étais, là où il fallait que tu te retrouves. N’est-ce pas, mon ami ?

Oui, c’est bien cela. Et maintenant. Qu’est-ce que je fais ? Dois-je me remettre en marche ?

Rien ne presse. Je me charge du temps.

Quand je suis arrivé dans l’Outremonde, je n’étais qu’un enfant. Je me disais « C’est cela Outremonde, ce grand désert de poussière, balayé par les soupirs du vent ? » Il me manquait une chaussure. Elle m’avait échappé quand mon père avait essayé de me retenir. Je n’avais rien d’autre que mes vêtements… et le grimoire. Il était réapparu à mes côtés quand je suis arrivé à Outremonde. Il ne m’a plus jamais quitté depuis. J’étais trop jeune et trop inexpérimenté pour comprendre le sens de son contenu mais c’est tout ce qui me reste d’elle. À nouveau des larmes m’échappent. Le chagrin déborde pendant que je sers ce bon vieux grimoire contre mon cœur.

Pendant que je me vide de ces larmes enfouies depuis bien trop longtemps, je ressens une chaleur, ténue puis de plus en plus présente. Cette drôle de chaleur que j’avais oubliée. Des petites braises éparpillées autour d’un foyer éteint. Je me souviens à présent de ces petits éclats d’amour, des petites fleurs de nuage, des chutes éparses de bonheur cachées sous le manteau de cendres. Voilà qu’il me semble sentir la neige sous mes pieds, entendre le cri d’un aigle, sentir l’odeur d’une forêt, le goût du poisson grillé par un bon feu de bois.

Assis sur le sable, les yeux fermés, je ramasse tous ces petits morceaux, un à un, les caressant du bout des doigts, en pensée. Je les assemble dans une sorte de mosaïque contrefaite. Alors, sous mes yeux, l’ensemble se cristallise.

J’ouvre les yeux. Je le vois ! Il est bien là ! Un petit soleil rouge, timide et gracieux étend ses rayons d’or fin au-dessus de ma tête. Je me relève, le soleil s’élève aussi et s’éloigne doucement comme pour m’inviter à le suivre.

Peu importe le froid, la faim et la fatigue, je marche en sa direction. La poussière soulevée par le bruissement de ma cape scintille d’une lumière rougeoyante, comme si j’avançais dans une gerbe d’étincelles.

Je suis Thomas, dit Toren, apothicaire d’Outremonde et je reprends ma route, guidé par l’aube qui se lève doucement derrière des collines lointaines que je n’avais pas vues depuis longtemps.

Après l’Errance… le Sens ?


Texte publié par Les Carnets d’Outremonde, 1er février 2025 à 10h03
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