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ACTE II

THOMAS

Quelque part, dans le Monde

C’était un livre énorme dont les pages étaient plus jaunes et plus anciennes que celles de tous les autres livres de la caisse. La reliure était faite d’un cuir étrange comme s’il était tissé de fines membranes de plantes puis tannées, tannées jusqu’à devenir dures et souples à la fois. Sur la couverture, Thomas lut un titre en lettres dorées : Grimoire Arcanique de Sorcellerie Avancée. Mais… alors, ils avaient raison ? Les voisins ? Thomas ignorait s’il devait l’ouvrir ou non. Et si c’était dangereux ? Mais il devait savoir ! Alors il l’ouvrit.

Il ne comprenait pas tout ce qu’il voyait mais ses yeux ne pouvaient se détacher des illustrations et des caractères sibyllins qui remplissaient les pages. Ses mains caressaient les pages puis les parcouraient à toute allure, survolant tout un monde avec l'exaltation de l'explorateur : des formules alchimiques, des cartes célestes, des incantations, des remèdes, des guides de plantes et de créatures fabuleuses ! Le plus incroyable dans tout cela, c’était que le texte ne semblait pas écrit dans sa langue mais il la comprenait ! Comment était-ce possible ? Il n’avait jamais appris d’autre langue que la sienne ! C'était merveilleux, incroyable, curieux... terrifiant !

Ainsi... sa mère… était... mais… mais c’était interdit ! Et si ça se savait ? Et si c’était mal ? Pris de panique, il referma si brusquement le grimoire qu’une feuille glissa sur le sol. On aurait dit un parchemin déroulé. Thomas tendit fébrilement la main pour le saisir quand il remarqua un drôle de détail. Il y avait une empreinte de serre d’oiseau sur le rebord… une empreinte à six doigts ! Du jamais vu ! Et s'il s'agissait de ce petit oiseau aux ailes flamboyantes qui était apparu à la fenêtre durant l’après-midi ?

Soudain, il entendit un bruit. Il se figea, regardant tout autour de lui, les yeux écarquillés de frayeur. Puis, le silence. Ce n’était que le vent qui soufflait entre les interstices du toit ajouré. Il poussa un long soupir de soulagement.

Il rangea rapidement le volume interdit sous la planche puis fit glisser la caisse par-dessus, tout en prenant soin de dissimuler les ouvrages sous les sacs de plantes.

Très discrètement, il monta dans sa chambre et souffla la bougie. Il ne fallait pas trop l'user. Si son père s'apercevait qu’il avait utilisé une bougie pendant la nuit, il serait très en colère !

Soudain, il se rendit compte qu'il avait gardé le rouleau de parchemin avec lui ! Il se redressa sur son lit, le rouleau dans la main, en proie à un terrible dilemme. Devait-il le regarder ou éviter de découvrir des secrets compromettants ? Et si sa curiosité mettait sa mère en danger ? Et si... ce parchemin était un signe qu'il fallait quitter ce sinistre village ? Qu'il fallait partir loin, très loin des voisins qui pouvaient dénoncer sa mère aux autorités ! Ne tenant plus en place, il s’approcha de sa fenêtre et ouvrit les volets. Il devait savoir ! Par chance, la lune brillait haut et fort dans le ciel. Il eut alors le loisir de découvrir le contenu du parchemin.

Ce qu’il y vit ressemblait à une affiche ancienne. Elle représentait une chaumière baignée d’une lumière dorée entourée de citrouilles, bordant une grande mare d’où s’échappaient de drôles de bulles vertes. Derrière la maison s’élevaient d’autres habitations à tourelles sur un fond de ciel anthracite. Mais ce fut l’inscription calligraphiée qui captiva son attention : « SI LES CHASSEURS DE SORCIÈRES FRAPPENT À VOTRE PORTE, RÉFUGIEZ-VOUS SUR LES TERRES DU CRÉPUSCULE ! ».

***

LE PÈLERIN

Désert du Néant – OUTREMONDE

Depuis longtemps, j’ai erré sans ressentir la faim, la soif ou le sommeil. Le Désert m’a maintenu dans un état second. Si j’ignore encore ce que je suis venu chercher en traversant ce lieu infernal, des bribes de souvenirs réapparaissent. Et en même temps, la faim, la soif et le sommeil. J'extrais des racines comestibles dans le sol aride. Leur goût âcre me réjouit car pour une fois je ressens enfin une sensation. La sensation d’être encore en vie !

Mais il y a cette voix, portée par le vent, qui ne cesse de répéter à l’infini : Pèlerin d’Entre-Mondes, fou arpentant les espaces-temps, sans cartes, sans étoiles, sans boussole, les yeux tournés vers le ciel où couve une nuit éternelle. Vois ce sable qui s’écrase sur ta barbe. Pèlerin d’Entre-Mondes, dis-moi qui tu es.

Pèlerin d’Entre-Mondes, dis-moi qui tu es.

Dis-moi

Qui

Tu

Es !

Je ne sais pas, je ne sais plus ! Maudit désert, cesse de me tourmenter ! Laisse-moi le droit à l’oubli ! Je t’en supplie !

***

THOMAS

Thomas avait attendu toute la journée pour voir sa mère en privé. Il devait lui parler. Il devait comprendre ! Il avait travaillé deux fois plus dur aux champs, cette quête de savoir avait tellement décuplé son courage que son père lui avait, pour la première fois, adressé un regard de fierté ! Il admirait tous ces paysans qui se levaient tôt pour accomplir ces tâches aussi importantes afin de nourrir tout un village. En effet, les employés de son père travaillaient comme des forcenés afin de subvenir aux besoins de leurs familles ! Cependant, Thomas gardait en son cœur ce désir de choisir une nouvelle vie. Mais à présent qu’il avait découvert l’impensable, cette nouvelle existence serait-elle encore possible ?

Le soir, après le coucher du père, il rejoignit sa mère qui faisait bouillir une décoction. Elle se tourna vers lui et aperçut immédiatement son angoisse.

– Tommy, mon chéri, qu’est-ce que tu as ? Tu es étrange, ce soir.

– C’est que... »

Elle s’approcha de lui et s’accroupit face à lui, à sa hauteur.

– Tu sais que tu peux tout me dire.

Il baissa la tête, blême. Puis, d’une main tremblante, il lui montra le parchemin qu'il avait caché derrière son dos.

Elle se releva en étouffant un cri.

– Où as-tu eu cela ? chuchota-t-elle d’un ton angoissé. Est-ce que quelqu’un l’a vu ? » Elle se mit à regarder partout autour d’elle, haletante.

– Non, non, je te jure. Je l’avais caché sous le matelas toute la journée... »

Il lui raconta ce qu’il avait fait la nuit dernière sans omettre le moindre détail. Il eut très peur d’imaginer sa mère en colère, sa mère qui ne lui ferait plus jamais confiance ! Mais au contraire, elle s’assit par terre, la tête dans ses mains.

– Maman, murmura-t-il en s’approchant d’elle.

– Il fallait que tu le saches un jour, fit-elle en levant ses yeux vers lui. Assieds-toi près de moi. Je dois tout te raconter.

***

LE PÈLERIN

Pèlerin d’Entre-Mondes, dis-moi qui tu es. 

Je te l’ai déjà dit, je suis Toren, apothicaire d’Outremonde ! Que me veux-tu à la fin ?

Pèlerin d’Entre-Mondes, dis-moi qui tu es. 

Je viens de te le dire, n’entends-tu pas ? Je ne voulais pas venir ici. Je voulais me rendre dans les clans sylvestres pour soigner une épidémie, je me souviens maintenant !

Pèlerin d’Entre-Mondes, dis-moi qui tu es. 

Diable ! Je te l’ai déjà dit !

Non. Ce n’est pas toi.

Alors qui suis-je selon toi ?

À toi de me le dire.

Tu veux savoir qui j’étais avant de devenir l’apothicaire d’Outremonde, c’est ça ?

Oui.

Mais je ne m’en souviens plus ! C’est toi qui m’as fait tourner en rond à l’infini pour que je ne me souvienne de rien.

Non.

Non quoi ?

Ce n’est pas moi qui t’ai amené en mon sein. Ce n’est pas moi qui t’ai perdu et effacé tes souvenirs. C’est toi.

***

THOMAS

Thomas s’assit par terre, tout contre sa mère qui lui caressait les cheveux.

– Thomas, il y a très longtemps, les êtres magiques et les Humains vivaient ensemble, dans le même monde. Mais des conflits terribles ont éclaté : les Humains voulaient profiter de la magie et les êtres magiques enviaient la technologie avancée des humains. Mais les Humains étant plus nombreux et plus féroces, les êtres magiques se sont affaiblis et ont commencé à disparaître. Alors, les survivants se sont rassemblés et, pendant plusieurs siècles, ont créé de leur main, un monde auquel ils seraient les seuls à accéder. Quand l’Outremonde a été façonné à partir des entrailles du Monde, tous les êtres magiques devaient s’y réfugier afin de mettre fin à une guerre perpétuelle. Mais certains, comme mes ancêtres ont refusé. Ils estimaient qu’ils avaient autant le droit d’habiter le Monde que les Humains aux facultés technologiques et qu’ils n’allaient pas se rendre dans un monde factice. Alors l’Outremonde leur a fermé la porte et a refusé tout contact avec eux.

Il fallut beaucoup de temps à Thomas pour assimiler toutes ces informations. Il se disait trop grand pour croire aux contes mais son cœur bondissait en entendant parler d’un monde magique qui serait réel et accessible. Peut-être plus accessible que les bois et les montagnes de ses rêves !

– Mais le Parchemin…

– Les habitants d’Outremonde n’ont pas complètement rompu le contact avec le Monde. Bien des Mages cherchent à protéger ceux qui sont restés. C’est pourquoi ils ont envoyé leurs oiseaux, des êtres magnifiques que seuls les êtres magiques restés dans le Monde peuvent voir, afin de nous prévenir du danger. Celui des chasseurs de sorcières.

– Tu crois qu’il y en a par ici ? Et pourquoi chassent-ils les sorcières ? Qu’ont-elles fait de mal ?

– Ils peuvent être n’importe où. Dénoncer ses voisins est monnaie courante, surtout par ici. Je t’assure que nos ancêtres n’ont jamais rien fait de mal. Mais les superstitions, les préjugés et la quête de pouvoir sont des ennemis puissants qui annihilent la conscience et les intentions du cœur. Thomas, promets-moi de ne jamais leur céder.

– Je te le promets. »

Soudain, une flamme de joie s’alluma et embrasa son esprit. La liberté était là, à portée de main !

– Maman, Outremonde est notre liberté ! Allons-y ! J'ai vu l'oiseau, ça veut dire qu'Outremonde veut de moi aussi ! murmura-t-il d’un ton enflammé. Tu as tant fait pour les villageois depuis que tu es toute petite ! Maintenant, on pourra vivre et être qui on veut sans personne pour nous faire du mal parce que nous sommes différents !

– Je ne sais pas…

– On ne peut pas y aller, c’est ça ?

– Si. Tous les mages en ont le pouvoir. J’en ai le pouvoir.

– Alors allons-y !

– Chéri, je te promets que je vais y réfléchir. Nous ne devons pas prendre de décisions hâtives, notre vie est quand même ici ! Nous ne savons même pas ce qui nous attend de l’autre côté. Je ne connais rien d’Outremonde et de ses Terres du Crépuscule. Nous devons mûrement réfléchir à tout cela. Va te coucher et surtout essaie de dormir. Nous irons à l’église, les villageois ne doivent pas soupçonner quoi que ce soit.

***

LE PÈLERIN

Tu as créé ton propre abîme, tu t’es perdu toi-même, tu ne saisis plus le sens de tes actes car tu as voulu oublier. Pèlerin d’Entre-Mondes, reviens. Reviens à toi.

Mais pour cela, je dois me souvenir…

Il le faut, oui.

Mais c’est si… épouvantable ! Tout est ma faute ! Si seulement j’avais pu éviter ce qui est arrivé ! Si tu savais comme je hais le Monde !

Pour te souvenir, mon ami, tu dois te pardonner. Peut-être que tu trouveras la force de ne plus plier sous l’empire de la haine. Cette haine qui a brisé le Monde et qui l’a divisé. Comprends-tu, mon ami ?

Je comprends, oui.

***

THOMAS

Au retour de l’église, un homme vêtu d’une soutane noire, différente de celle du prêtre du village les attendait à la porte, accompagné de deux hommes armés. Qu’est-ce que cela signifiait ?

– Qu’est-ce que vous faites-là ? demanda le père d’une voix blanche.

– On nous a rapporté que des objets de sorcellerie se cachaient dans cette maison. Nous devons la fouiller de fond en comble ! »

Le cœur de Thomas sembla s’être arrêté. Mon Dieu ! Les Inquisiteurs allaient fouiller la maison et trouver le Grimoire et le parchemin ! Ils allaient être arrêtés, mourir peut-être !

– Mais voyons, messieurs, c’est une maison et un domaine respectables, gronda le père. Comment osez-vous imaginer que j’aurais accepté de la sorcellerie sous MON toit ?

– N’y voyez rien de personnel, cher monsieur mais nous devons faire notre devoir. »

– Votre devoir ? Quel infâme calomniateur a-t-il pu répandre une telle rumeur ? Allez ! Fouillez cette maison si cela vous chante mais après cela, dites-moi qui a raconté de pareilles sornettes, que je lui fasse passer le goût du mensonge !

Thomas leva les yeux vers sa mère, celle-ci resta impassible. Comment pouvait-elle être aussi calme dans un moment pareil ?

Une heure après, les inquisiteurs ressortirent bredouilles et demandèrent pardon au père pour le dérangement. Celui-ci grimaça et hocha la tête, contemplant les importuns avec un profond mépris.

– Bon, ces imbéciles sont partis, ça va vous deux ? demanda-t-il.

– Oui, ça va, répondirent sa femme et son fils.

– Bon, reposez-vous maintenant. Je veillerai personnellement à ce qu'aucun Inquisiteur ne s'approche du domaine et encore moins de notre maison.

Pour la première fois, Thomas ressentit un peu plus d’estime pour son père. Peut-être qu'un jour, finiraient-ils par se rapprocher. Peut-être que son père lui sourirait, l'emmènerait pêcher, prendrait fièrement sa main sur les chemins et le porterait sur ses épaules. Il n'avait jamais osé formuler ce genre de rêve, même dans sa tête.

Le soir, quand il se retrouva seul avec sa mère, il demanda en murmurant très bas :

– Comment ont-il su ? Et où sont passées les affaires ?

– Je me doutais qu’ils allaient venir. Cela fait un moment qu’ils rôdent dans les alentours, j’ai préféré prendre les devants et mettre « ce que tu sais » en lieu sûr. Il n’est pas question que tu coures un tel danger ! Dans une semaine, il y aura la fête des Moissons, tout le village y sera. Nous en profiterons pour rentrer discrètement à la maison et j’invoquerai un portail vers Outremonde. »

***


Texte publié par Les Carnets d’Outremonde, 25 janvier 2025 à 17h12
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