Quelque part dans les souterrains de Ravenburgh, quelqu'un espérait.
Azraël Phineas Fogg n'était pas un être ordinaire. C'était le fruit d'un savant assemblage de câbles, de circuits électriques et de boulons, le tout recouvert d'une peau diaphane et lisse. Pas un seul poil, pas un seul cheveu.
Depuis qu'il avait surpassé son créateur en le tuant de sang froid un matin de janvier, il vivait terré dans les entrailles de la terre, non loin d'une station de métro désaffectée. Pratique pour récupérer de quoi passer le temps et bricoler un peu.
Azraël était inachevé. Il s'en était rendu compte après l'assassinat de Barthemius, génie de l'informatique et visionnaire à ses heures perdues. Il se vantait d'avoir créé un humanoïde parfait, que personne ne parviendrait à différencier d'un être humain, fût-il doué de magie ou non.
Certes, l'apparence donnait le change, mais il lui manquait l'âme. Il n'avait rien ressenti lorsqu'il avait posé ses doigts sur la gorge de Barthemius. Rien ressenti lorsqu'il avait serré, serré, jusqu'à ce qu'il entende les os se briser. Rien lorsque le visage violacé s'était figé dans la mort. Il n'aurait même pas pu expliquer son geste. Une envie de liberté peut-être ? De cesser d'être un cobaye au nom de la science, destiné à obéir au doigt et à l'œil ?
C'étaient en tout cas les hypothèses formulées par l'assistant de Barthemius au policier venu constater ce qu'il nommait « un meurtre ».
Aucune émotion, aucune sensation, pas d'odorat. Rien. Le vide.
Depuis cette révélation, Azraël n'avait qu'une obsession : devenir un être humain à part entière. Pouvoir entrer en lien. Comprendre. Ressentir.
Pour cela, il avait trouvé une solution. Il avait construit une immense machine, composée de rouages de cuivre, de mécanismes à pistons, de tuyaux enchevêtrés. Le tout enveloppait une grande cage de verre, percée en bas d'une petite trappe destinée à recueillir les rêves.
Une profusion de couleurs, de sons, du mouvement. Tout ce qu'il n'avait jamais connu, à vivre reclus sous terre, dans un monde glacé et terne.
Il attendait la nuit avec impatience, moment privilégié où, au milieu d'un profond silence, il recueillait religieusement le Rêve. Il l'emprisonnait ensuite sous un globe de verre, qu'il étiquetait soigneusement et rangeait selon un système de classification bien précis dans une immense bibliothèque.
Cependant, depuis quelques temps, un seul rêve ne lui suffisait plus. Il lui en fallait de plus en plus. Cette obsession dévorante consumait ses forces, affaiblissait sa capacité de réflexion, sa lucidité. Il ne dormait plus, ne mangeait plus. Les Rêves envahissaient son espace vital, l'étouffant à petit feu.
Et puis, tout changea.
Un corps subtil, une molécule s'avança timidement jusqu'à lui et se dirigea vers son nez. Lorsqu'elle y entra, Azraël ouvrit grand les yeux. Il se leva et se traîna de toutes les forces qu'il lui restaient vers l'ordinateur quantique. Il s'y brancha pour identifier ce fait nouveau. Il y lut : « odeur : sève de pin maritime ». Il en fut satisfait. Enfin, il faisait un pas vers son objectif.
C'est alors que l'air vibra légèrement. Azraël se retourna et vit un rai de lumière se dessiner sur le mur Sud du laboratoire. Un mince trait qui s'agrandissait au fur et à mesure, jusqu'à dessiner une ouverture, puis une porte, qui s'ouvrit en grinçant. L' « odeur » de pin gagnait en intensité à mesure qu'Azraël s'approchait.
Il franchit la porte et se trouva au beau milieu d'une forêt. Il regarda autour de lui et identifia des mélèzes, des pins, des sapins, des bouleaux et des épinettes. C'était l'automne. L'épais tapis de feuilles roussies craquait doucement sous ses pieds nus. Il était vêtu d'une simple chemise de lin, mais ne ressentait pas la morsure du vent. Il était fasciné. C'était véritablement la première fois qu'il « ressentait », si l'on pouvait appeler cela « ressentir », quelque chose. Il fit quelques pas et remarqua que les feuilles commençaient à givrer sous ses pas. Il sentit alors, comme une caresse, un flocon de neige effleurer son crâne chauve. Il leva la tête. Des milliers et des milliers. Tournoyant autour de lui comme des rapaces autour de leur proie. Fuir. Azraël ne souhaitait qu'une chose, fuir. Dans le même temps, une force irrésistible le poussait à avancer sur le chemin. Sans s'en rendre compte, il se mit à courir. Peu à peu, le paysage changeait. Une neige épaisse et dense avait laissé place aux couleurs fauve de l'automne. Frigorifié, à bout de forces, hors d'haleine, Azraël tomba à genoux et se laissa glisser dans ce cocon blanc. Toute cette avalanche de sensations et d'émotions l'avaient terrassé.
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