Il était une fois, au centre d’une forêt profonde, une tribu de gnomes qui habitaient dans des souches et des arbres morts. Vous avez sans doute croisé leurs lointains descendants, sans le savoir, car aux yeux des humains, revêtus de leur magie, ils ressemblent à des champignons disséminés dans les sous-bois. Mais je digresse…

Ces gnomes vénéraient un arbre fabuleux, un grand sapin magique, qui à l’approche de l’hiver, s’illuminait comme par magie… Ou plutôt, il s’agissait bel et bien de magie. Nul ne sait si ce miracle était issu de l’arbre lui-même ou si c’était cette vénération qui l’avait rendu magique. Même si chaque branche, chaque épine semblait palpiter de lumière, et qu’une lueur aussi scintillante qu’une étoile le couronnait, le cœur de ses pouvoirs provenait d’une pierre rouge enchâssée dans son tronc, qui palpitait doucement en toute saison, mais se mettait à flamboyer en hiver.

Quand la nuit du solstice arrivait, tous les enfants de la tribu formaient un cercle autour du sapin, comme de petits champignons sous leurs grands chapeaux, et attendaient en osant à peine respirer la mi-nuit. Alors, devant chacun d’entre eux, apparaissait un présent qui répondait aux espérances de leur cœur : des petites figurines de bois, des noix et des fruits secs, des vêtements de fibres végétales et teints de couleur vive…

Une année, une gnomette nommée Terra s’approcha de l’arbre, en tenant un couteau en main. Après voir vérifié qu’il n’y avait personne aux alentours, elle grippa dans l’arbre et arracha le cœur de l’arbre… Puis elle rentra chez elle, dans une souche isolée. Là, allongé sur une paillasse de fougère, se trouvait son fils, qui se languissait depuis des mois d’un cœur malade. Il ne faisait aucun doute que le pauvre enfant ne verrait plus le soleil se lever dix fois sur la forêt. Elle enfonça le joyau dans sa poitrine ; aussitôt, sa faiblesse s’envola et son corps devint vigoureux. L’enfant survécut, mais il dut promettre de ne pas révéler d’où lui venait cette miraculeuse guérison. Le jeune Nikol, car tel était son nom, s’y engagea avec gravité.

Quand l’hiver suivant arrive, pour la première fois, l’arbre ne s’illumina pas. Il demeura inerte, sombre sur le ciel de nuit. Quand les enfants l’entourèrent quand même, en attendant ses dons, mais ils ne reçurent que le froid de la nuit. Il recommencèrent néanmoins l’année d’avant, et l’année d’après… puis renoncèrent à venir.

Plus le temps passait, plus l’arbre devenait sombre et racorni. Les araignées tissaient des voiles blancs entre ses branches desséchées, les pies grièches venaient y planter les cadavres d’animaux qu’elles y faisaient faisander. Les humains, jugeant le lieu maudit, y accrochaient des talismans d’os gravés de symboles étranges.

La clairière devint un endroit maudit où les enfants des gnomes et les enfants des hommes ne venaient plus que pour se faire peur. À chaque fois que Nicol passait à côté, il sentait la pierre enchâssée dans sa poitrine devenir brûlante. Il posait la main sur sa poitrine et fermait les yeux, en essayant d’oublier la raison de ce désastre… Après tout, les conséquences n’avaient pas été si tragiques ?

Un jour, peut-être cinquante années après que sa mère ait volé la pierre, une terrible maladie se répandit parmi les enfants des gnomes. Les herboristes et les magiciens ne parvinrent pas à en venir à bout. Les anciens, désespérés, secouèrent la tête :

— Jadis, l’arbre illuminé aurait peut-être écouté notre demande et nous aurait offert la guérison en cadeau…

Nikol posa la main sur sa poitrine. Il sentit la pierre palpiter, chaude et presque vivante. Il avait mené une bonne vie. À présent, peut-être pourrait-il transmettre ce don pour que d’autres enfants vivent. Il se dirigea vers l’ancien du village :

— Pourquoi ne pas essayer ? L’arbre pourrait nous répondre, cette fois…

Les yeux du vieillard, qui disparaissaient presque sous ses épais sourcils, exprimèrent un doute certain.

— Cela ne nous coûtera rien ! reprit Nikol, insistant. Si cela ne marche pas, au moins, nous aurons essayé…

Le vieux gnome inclina la tête, suspicieux :

— Saurais-tu quelque chose que nous ignorons ?

Nikol prit son courage à deux mains et opina :

— Oui, en effet. Faites-moi confiance, et vous ne serez pas déçu !

À court de solutions, l’ancien finit par accepter. Aussi, les parents, animés par un vague reste d’espoir, prirent leurs enfants dans leurs bras et le portèrent jusqu’au pied de l’arbre noir et racorni, qui semblait plus menaçant encore dans le paysage enneigé. Quand il vit tous les regards anxieux levés vers la sombre silhouette du sapin, le gnome prit son courage à deux mains et commença à escalader l’arbre. Tout le monde l’observait avec incompréhension, mais il était bien décidé à mener son projet à bien. Arrivé à mi-hauteur, griffé par les branches dures et les épines desséchées, il posa la main sur la cicatrice laissée par le cœur, puis écarta sa chemise, et arrache de sa poitrine le joyau rouge. Il eut à peine le temps de le remettre à sa place avant d’être englouti par la pénombre.

D’après les gnomes présents ce soir-là, les branches se mirent à frémir, puis, lentement, elles retrouvèrent leur souplesse et leur verdeur. La lumière commença à les envelopper, et l’étoile apparut à son sommet. Le cœur rougeoyant palpitait comme un feu de braises.

Nul ne revit plus jamais Nikol, mais les petits malades, qui avaient rouvert les yeux, guéris de leur terrible mal, racontèrent l’avoir aperçu, perché au sommet, entièrement vêtu de rouge. Et chaque année, quand l’arbre revêt sa splendeur hivernale, seuls les enfants de gnomes et les enfants des hommes peuvent l’apercevoir, en train de veiller à jamais sur l’arbre ressuscité.