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— Une bougie spirituelle. Qu’est-ce que cela peut bien être ?

Émilie tourna et retourna entre ses mains le pot de faïence qui contenait la cire parfumée. Derrière son stand où s’étalaient toutes sortes de décorations, de sucreries et autres babioles, la marchande lui adressa un sourire :

— Allumez cette bougie, et vous recevrez la visite d’un esprit de Noël.

Elle reposa brusquement la bougie :

— Je déteste Noël ! L’esprit de Noël, tout ça, ce ne sont que des fadaises !

La jeune femme secoua la tête avec véhémence.

— Et rien ne pourra m’y faire croire. Les superstitions et les opérations mercantiles, j’en ai rien à faire !

La marchande, une petite femme aux longs cheveux sombres et aux grands yeux pensifs, lui adressa un sourire ironique.

— Et vous voulez tout de même acheter une bougie de Noël ?

— Certainement pas ! Je trouvais que ce photophore en faïence était un peu moins laid que tout le reste.

La femme aurait dû se sentir insultée par sa remarque, mais elle se contenta de lui offrir un petit regard entendu :

— Vous ne voulez vraiment pas essayer ?

— Non, et encore moins si vous me dites qu’elle est soit disant magique !

La marchande inclina la tête sur le côté, comme un chat curieux :

— Voyons… Elle ne l’est pas, puisque vous le dites. À moins… que vous n’ayez peur de voir vos convictions remises en doute ?

Émilie écarquilla les yeux, surprise : elle, peur ? C’était n’importe quoi ! Elle ouvrir la bouche pour le dire, mais la marchande poursuivit :

— Écoutez, je vous donne cette bougie. Allumez-la ce soir, et demain, vous viendrez me rendre le photophore. Vous me direz si cela a marché ou pas !

La jeune femme fronça les sourcils, avant de finalement accepter. Après tout, c’était gratuit, et elle trouvait l’odeur de sapin était agréable. Au moins, cela semblait être un parfum naturel, pas un machin chimique.

Une fois rentrée dans le tout petit appartement qu’elle partageait avec son chat Guizmo, elle alluma la bougie et s’installa dans un fauteuil avec un livre. Aussitôt, l’odeur de la sève de pin envahit tout l’appartement, certes très naturelle, mais plus puissante et entêtante qu’elle l’avait prévue. Quelque chose de chaud et de sirupeux sembla couler sur son corps, comme si la sève se répandait sur elle. Le livre tomba au sol ; la sève commença à durcir comme pour l’emprisonner. Guizmo détala avec un miaulement effrayé.

Émilie ne pouvait que tourner la tête pour regarder tout autour d’elle. Son appartement avait disparu, pour laisser place à une forêt de troncs sombres et de grandes branches ornées d’épines noires.

Peu à peu, une forme apparut dans la pièce. Humaine, peut-être féminine, et revêtue d’une grande robe d’un blanc grisâtre. Son visage lui parut effrayant : beau, mais sévère, austère, hostile. Elle s’arrêta juste devant Émilie et se pencha vers elle, pour la foudroyer de ses yeux d’un vert profond. La jeune femme ne pouvait pas détourner le regard. Elle eut l’impression de plonger dans un océan de négativité. Comme si tout ce qu’elle ressentait à l’égard de cette saison lui était renvoyé dans la figure…

Émilie se réveilla en sursaut. Son appartement était redevenu normal, même si l’odeur de la sève de sapin l’imprégnait toujours. La bougie s’était totalement consumée.

Le lendemain, après une nuit agitée, elle retourna au marché de Noël sous la grande halle pour rapporter le photophore après l’avoir nettoyé.

— Alors, demanda la marchande, vous êtes satisfaite de ce que vous avez vu ?

— J’ai juste fait un rêve ! s’exclama-t-elle avec colère, et je ne sais pas ce que vous avez mis dans cette bougie, mais c’était plutôt un cauchemar !

La femme haussa un sourcil :

— Quel cauchemar ?

La jeune femme lui parla de l’apparition :

— Je ne sais pas ce que c’était, mais certainement pas un esprit de Noël !

La femme croisa les mains sous son menton :

— Oh, si… Voyez-vous, il s’agit de votre esprit de Noël. Les fêtes sont à l’image de ce que vous y apportez. Comment votre esprit de Noël pourrait-il être jovial et souriant, quand vous affichez cette expression revêche ?

Émilie lui lança un regard assassin :

— Et je dois faire quoi ? Me forcer à sourire ? Pourquoi est-ce que je devrais aimer cette fête artificielle ?

— Parce qu’elle ne l’est pas. Tout le monde doit subir la saison froide, l’obscurité, la fatigue… Depuis la nuit des temps, les gens ont guetté le moment où les jours commençaient à s’allonger. Fêter le retour de la lumière permet de lever cette chape de pénombre et à donner la force de poursuivre jusqu’aux beaux jours. Et si les anges de lumière aident le monde à traverser cette épreuve, les anges de grisaille leur rendent les choses plus pénibles.

Émilie se mordilla la lèvre. Elle avait envie de l’envoyer balader, mais quelque chose en elle lui soufflait que la femme n’avait pas tort. Après tout, elle n’était pas si malheureuse. Elle avait un travail, des amis, un chat, des livres…

— Vous pouvez garder le photophore, reprit la marchande. Je suis sûre qu’il fera une jolie décoration de Noël.

La jeune femme acquiesça malgré elle :

— Merci…

Après un temps d’hésitation, elle plongea le regard vers l’étal et choisit une petite étoile rouge pailletée :

— Je peux vous prendre ça ?

Tandis que la femme glissait l’étoile dans un sachet de papier, elle eut la sensation que son esprit de Noël était devenu un peu moins terne.


Texte publié par Beatrix, 24 décembre 2024 à 14h09
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