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Le jeune Irving s’arrêta à l’orée de la forêt pour regarder par-dessus son épaule le petit groupe de villageois réunis aux abords du village. Sur la gauche, ses parents se tenaient l’un contre l’autre, leurs mains serrées ensemble et lui envoyant des sourires aimants et soucieux. À droite, les anciens Récolteurs qui avaient été à sa place et qui étaient revenus, leur air sérieux et grave. Au milieu de tous, un peu en avant, le vieux druide le fixait avec intensité, son regard l’arguant de réussir tout en le jugeant incapable de le faire.

Frissonnant, Irving regarda à nouveau droit devant lui et pénétra dans la forêt. C’était la première fois qu’il y mettait les pieds, cette zone étant d’ordinaire interdite à cause des Êtres qui résidaient parmi les pins millénaires. Seule une personne, une fois par an, le 24 décembre, pouvait entrer dans ces bois pour y récupérer l’élément qui garantissait la protection du village.

Et cette année, il s’agissait d’Irving.

Marchant le long d’une sorte de sentier, il ignorait résolument la sève coulant le long des troncs. Il ne devait prendre celle-ci, il n’en avait pas le droit. À la place, Irving jetait des coups d’œils en arrière à intervalles réguliers pour être sûr qu’il avançait tout droit en direction des montagnes. S’il se perdait, c’était la fin, jamais, il ne reviendrait chez lui. Et son village serait encore pour une autre année supplémentaire sans protection.

Cela faisait maintenant dix ans que le dernier Récolteur avait ramené la Sève au village pour alimenter le Puits le permettant de survivre au milieu de ces terres inhospitalières remplies de neige, de froid et de roche. Tous ceux choisis depuis avaient échoué à rapporter la Sève. Quand ils revenaient.

Irving leva les yeux vers la canopée, espérant pouvoir apercevoir les pointes des montagnes à travers les branches, mais en vain. Les branches des pins étaient épaisses, remplie d’épines aussi grosses que ses doigts, cachant la moindre trace de bleu du ciel et assombrissant la lumière du soleil. Ses mains commençaient à lui faire mal, alors il les pota à sa bouche, soufflant une expiration chaude dessus. Ce n’était pas très efficace, à part pour lui donner l’impression qu’il faisait quelque chose d’utile pour ne pas mourir de froid.

Il ne sait pas combien de temps il marcha dans la forêt, faisant attention à ce que son chemin soit toujours droit devant lui. Irving était parti peu après l’aube, mais une fois entré dans les bois, il lui était impossible de dire l’heure de la journée tellement il faisait sombre. Il commençait à avoir faim, donc il était à peu près sûr qu’il était environ midi. peut-être.

Un craquement retenti, le figeant sur place. À part le bruit de ses pas dans la neige, tout avait été silencieux jusqu’à présent. Un autre craquement retenti, plus proche, comme si on avait marché une vielle branche. Il tourna la tête de tous les côtés, le cœur battant. Rien, aucun mouvement autour de lui. Il était toujours seul.

Déglutissant difficilement, Irving reprit sa route. Il ne pouvait pas laisser sa peur être responsable de son échec, le village comptait sur lui. La maladie et la famine avaient commencé à se répandre, la mort la suivant, et beaucoup craignaient que la moitié du village ne succombe avant la fin de cet hiver. Il ne pouvait pas abandonner maintenant.

Il continua de marcher jusqu’à ce que des murmures se fassent entendre. Cette fois, il ne s’arrêta pas. Les coulures de sève contre les troncs des pins étaient devenues plus présentes et épaisses, leur odeur embaumant l’air. Irving continua de les ignorer. Au bout de quelques pas dans la neige qui lui arrivait désormais jusqu’aux genoux, il distingua d’étranges silhouettes. Elles étaient vêtues de longs habits blancs aux reflets rouges, leur allure androgyne et leur crâne chauve l’empêchaient de savoir s’il s’agissait d’hommes ou de femmes.

Les Êtres.

Dès qu’il s’approcha d’eux, Irving baissa immédiatement les yeux. Il ne devait surtout pas les regarder, jamais. C’était l’une des conditions pour être autorisé à prendre la Sève et revenir au village. Les récolteurs qui ne respectaient pas les règles étaient punis. Certains pouvaient rentrer au village, mais sans la Sève et surtout maudits. Ils finissaient aveugles, muets ou sourds, quand ils ne devenaient pas carrément fous. Mais Irving ne pouvait pas non plus les ignorer comme s’ils n’étaient pas là. Ceux qui l’avaient fait, bien qu’ils aient pu rapporter la Sève, se sont vus aussi maudire, mais par des comportements étranges ou dérangeants, impossibles à soigner.

Irving s’inclina donc à chaque qu’il croisait un Être. Si l’un d’entre eux lui parlait, il répondait en secouant ou hochant la tête et des fois par des singes de mains, refusant toujours les offres de nourritures avec autant de politesse qu’il le pouvait en restant muet. Il ne fallait jamais accepter la nourriture offerte par les Êtres, jamais.

Tout du long, il garda ses yeux baissés sur ses pieds gelés. Finalement, il atteignit sa destination, une lumière rouge et chaleureuse lui léchant le visage. Les êtres se trouvaient derrière lui, silencieux. Un peu rassuré de ne regarder aucun d’entre eux par accidents, Irving leva prudemment les yeux pour découvrir une porte immense encastrée dans un pin gigantesque. De chaque côté, un petit pot était accroché au chambranle, vides.

Frigorifié, Irving passa la porte presque avec hâte, soupirant de bien-être dans la chaleur qui se dégageait à l’intérieur. En inspectant ce nouveau lieu, il remarqua qu’il se trouvait dans une grande cavité creusée dans l’arbre et que la lumière provenait d’un liquide rouge transparent s’écoulait d’en haut jusqu’à un bassin qui semblait sans fond.

La Sève.

Irving sortit la cruche en bois clair que le druide lui avait remis et dirigea vers le bassin. Il hésita un instant avant de se rappeler, qu’il avait le droit de toucher cette sève pour la récupérer. Il plongea le récipient dans la Sève, sa main gelée tenant l’anse avec autant fermeté qu’il le pouvait. Une fois la cruche remplie à ras bord, Irving s’aida de son autre main pour la soulever, la Sève chaude lui collant à la peau. Elle était lourde et il devait faire attention à ne pas faire tomber de la Sève, ce serait du gaspillage. Les yeux fixés sur le contenu de la cruche, il se retourna vers la porte, et avança doucement et prudemment. Le froid lui indiqua qu’il avait franchi le seuil et les murmures des Êtres se firent de nouveaux entendre. Il s’arrêta. Le ton des murmures lui semblait différent sans savoir pourquoi. Ils semblaient… impatients, comme s’ils… espéraient quelque chose.

Il cligna des yeux à une étrange idée se formant dans sa tête. Les Êtres voulaient-ils aussi de la Sève ? Ils ne l’avaient pas suivi dans l’arbre, ne pouvaient-ils pas entrer ? Les murmures changèrent légèrement, presque plaintifs. Cela embêtait beaucoup Irving, le village avait besoin de toute la Sève possible pour survivre, mais… peut-être que les Êtres aussi. Il jeta un coup d’œil aux pots accrochés, les remplir tous les deux viderait complétement la cruche. Il se mordit les lèvres, pris de doute. S’il pouvait la remplir une nouvelle fois ensuite, il était prêt à leur donner toute la Sève qu’ils voulaient.

Les murmures augmentèrent, espérants, suppliants. Irving se rendit compte qu’ils devaient comprendre ses pensées. Il fut heureux d’avoir toujours été respectueux, même dans son esprit. Après un soupir compréhensif, il hocha la tête, et versa le contenu de la cruche dans les pots en hauteur. Quand toute la Sève fut transférée, les murmures se transformèrent en chants, les bois s’illuminant de couleurs.

Irving resta sans bouger, hésitant. Une grande main dans son dos le tendit, mais elle ne fit que le pousser vers la porte. Il avait donc le droit de reprendre de la Sève. Il s’inclina, les yeux toujours baissés, en remerciement.

Il récupéra une nouvelle fois la Sève dans la chaleur de l’arbre, le regard fixé sur la cruche pour qu’elle ne déborde pas et entreprit le voyage de retour. Le froid le submergea de nouveau, le vent caressant soudainement son visage, le faisant cligner des yeux de surprise. Il n’y avait pas de vent dans la forêt.

Des voix hurlant son nom atteignirent ses oreilles. Des voix familières. Osant regarder droit devant lui, Irving découvrit qu’il se trouvait aux abords de son village, la forêt derrière lui et la silhouette de la porte s’estompant dans la pénombre du début de soirée.

Un immense sourire s’étira sur ses lèvres. Il était rentré chez lui, victorieux.


Texte publié par Yuedra, 23 décembre 2024 à 16h20
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