Le grand druide vérifia une dernière fois les préparatifs pour la cérémonie du solstice qu'il devait célébrer le lendemain. Le pommier sacré au centre du domaine était décoré de boules rouges figurant les pommes qu'il avait données et qu'il donnerait encore. Une énorme bûche était prête à être embrasée à partir des morceaux carbonisés de la précédente. Les murs de l'enceinte arboraient du houx couvert de baies et une boule de gui pendait à la plus basse branche du pommier.
Le vieil homme jeta un œil aux ingrédients dont il aurait besoin pour mener à bien le rituel : des pétales séchés, des poudres de végétaux, champignons ou minéraux. Les vasques et aiguières ne demandaient plus qu'à être remplies de vin, de miel et d'eau fraîche. Satisfait, il hocha la tête et gagna sa couche.
Il s'endormit du sommeil du juste, fort de son expérience, certain de sa compétence. Mais au milieu de la nuit, un bruit le fit sursauter. Il sortit et découvrit une bande d'enfants qui saccageaient le pommier et implantaient à sa place un arbre de montagne, de ceux qui restent verts en hiver. L'une d'eux s'approcha du druide et l'éventra d'un coup de dague. Elle attrapa ses intestins et se mit à les enrouler autour du sapin. Puis elle se saisit de son cœur, qu'elle accrocha au sommet, comme un trophée. Le vieil homme ne parvenait pas à bouger, ni à crier. Une grande partie de la magie des druides réside en leur parole, mais sa voix était coupée.
L'homme vénérable se concentra pour faire refluer la douleur. Il se recentra sur sa gorge, épargnée par l'horrible enfant, afin d'y faire affluer son énergie mystique. Peu à peu il se galvanisa. Une boule de puissance grossissait dans sa bouche, qu'il expulsa de toutes ses forces pour faire cesser le sacrilège et maudire les profanateurs. Le monde disparut à ses yeux.
Il se réveilla en sueur sur sa couche. Il se leva et tâtonna vers une autre alcôve.
— Luernios ? Dors-tu ?
— Qu'y a-t-il, ô grand Celunno ?
— Tu n'as jamais présidé la cérémonie du solstice d'hiver, mais tu la connais par cœur, n'est-ce pas ?
— Oui, maître. Tu penses que tu auras besoin de mon soutien ?
— Non, je pense qu'il est temps de passer la main.
Ce fut Luernios, à son tour, qui sentit une sueur froide couler sur sa nuque.
— Le jour se lève dans deux heures ! Je ne suis pas prêt !
— Tu viens de me confirmer que tu maîtrisais le rite.
— Certes mais...
Alors, à voix basse pour ne pas réveiller les autres résidents du lieu, mais avec toute la puissance de son phrasé druidique, Celunno envoûta son disciple afin de lui insuffler la confiance en lui et la perfection nécessaire pour officier.
Le soleil brilla, ce jour-là. Toute la journée, Luernios accomplit la tradition et le soir venu, il embrasa la bûche, dont les cendres serviraient au printemps à fertiliser les sols.
Alors que le banquet battait son plein, un individu se présenta à la porte du domaine. Il portait un grand havresac dont il sortit des présents pour tous les membres de l'assemblée. À Luernios il tendit une pomme de pain.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Le fruit d'un arbre qui ne perd pas ses feuilles. Tu peux le planter dès maintenant.
— Je le ferai demain, répondit le nouveau grand druide. Avec un peu de chance, nous aurons un arbre plus majestueux que notre vieux pommier effeuillé pour l'année prochaine !
Dans ses yeux brillait une joie impatiente qui effraya Celunno. Il repassa ses actions dans son esprit mais n'y trouva pas de remords : quelque voie qu'il ait choisie, le résultat aurait été le même. Son temps était passé.
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