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tome 1, Chapitre 2 « Truffes au pin » tome 1, Chapitre 2

Conte de noël n° 2 : Truffes au pin

La clochette de l’entrée tinta (un si bémol, à en croire le vieil oncle). Le jeune Angel entra dans l’auberge de son père, bonnet vissé sur la tête, écharpe au cou, moufles aux mains et grosses bottes de neiges chaussées. Serrée contre sa poitrine recouverte d’un gros manteau, il tenait une petite boite. Un grand sourire illuminait son visage au nez rougi par le froid.

— Maman, je suis rentré ! dit-il.

Il retira son équipement hivernal. Il était encore très tôt, l’aube se levait. Les deux seuls clients présents ronflaient sur leur table : ils avaient passé là la nuit. Les parents du jeune garçon ne chassaient jamais ce genre de client, qui boivent comme des trous et s’endorment sur place : les mettre dehors par les froids de l’hiver serait les condamner à mort. D’autant que dans le village, si tout le monde avait la bouteille à la lèvre, tout le monde était aimable et gentil.

L’exclamation du jeune garçon réveilla les deux dormeurs, qui grognèrent d’une probable migraine.

— Bonjour monsieur Claus, bonjour vieil oncle ! dit le garçon avec son sourire.

— Salut gamin… répondit le plus jeune des deux en baillant. C’est déjà le matin ?

— Oui monsieur Claus, vous avez dormi ici, c’est l’aube.

— L’aube seulement ?

Il ricana.

— Je crois que je vais me recoucher.

Il fit mine de se lever.

— Restez pour le petit déjeuner, au moins. Ma mère a préparé du chocolat.

Monsieur Claus se rassit.

— Je serai pas contre. D’autant que mes jambes semblent refuser de me porter.

— Eh, Angel !

— Oui, l’oncle ?

— T’aurais pas vu mon violon ?

Le garçon désigna la petite scène de la taverne.

— Mon père l’a rangé dans son étui.

— Ah, merci beaucoup. Si je le perdais…

— Nos soirées seraient bien moins animées ! Oh, voulez-vous une truffe ?

Le garçon prit la boite qu’il tenait en entrant et l’ouvrit. Une douzaine de truffes au chocolat y était alignée.

— C’est la mère Elisa qui me les a données quand je suis passé ce matin.

Les deux hommes regardèrent la boite avec gourmandise.

— Il y en a six à l’orange, et six à la sève de pin, dit Angel.

On entendit alors une voix appeler :

— Angel ? Viens voir un instant !

— J’arrive maman ! Servez-vous.

Il s’en fut en laissant la boite de truffes sur la table des deux hommes.

Quelques instants plus tard, il refit son apparition avec deux tasses de chocolats chaud.

— Voici les… euh…

La table était déserte.

— Monsieur Claus ? appela Angel en posant les boissons. Le vieux ?

Il regarda vers la scène. L’étui à violon était toujours là. Puis il leva le nez vers la petite clochette de l’entrée, où était pendu un petit bonhomme de métal.

— Tu ne les aurais pas vus, Sib ?

Evidemment, pas de réponse. Mais les deux voisins étaient toujours absents. Angel vit la boite de truffes sur la table. Il en manquait deux à la sève de pin. Vraisemblablement, ils s’étaient servis puis s’en étaient allés. Il soupira.

— Bon, ça fera plus de chocolat chaud pour moi.

Il sourit et tendit la main vers les truffes. Il en prit une à la sève de pin, tout en regardant Sib.

« Bientôt, on jouera ensemble. »

Il mordit dans la friandise.

Un grand cri retentit dans l’immense forêt de conifères. Angel, affolé, regarda autour de lui avec horreur. Que s’était-il passé ? Où était l’auberge ?

— Maman ?! Papa ?! appela-t-il, effrayé.

Il se figea soudainement. Le froid glacé de l’hiver pénétrait ses vêtements trop légers. Il s’accroupit et croisa les bras sur son torse, claquant des dents.

Un autre cri retentit à quelques pas de lui. Un cri plus léger, tintant. En si bémol.

— Sib !

Le petit bonhomme gesticulait dans les feuilles mortes, se débattant. Angel bondit sur ses pieds et s’approcha de lui.

— Ça va, Sib ? Tu sais ce qui s’est passé ?

Alors qu’il se penchait pour le prendre dans ses mains, Sib explosa en un tintement furieux, lui jetant un regard enflammé. Il fit des gestes de colère, pointant le garçon du doigt.

— Eh ! Mais ce n’est pas ma faute si on est là !

Sib bondit en tapant furieusement des pieds. Il fit des gestes vers sa bouche, puis se désigna lui-même, et enfin, d’un large geste circulaire, il montra la forêt.

— Quoi ?

Sib fit à nouveau le geste de manger.

— Tu veux dire… la truffe ? La truffe à la sèvre de pin ?

Il hocha vigoureusement la tête.

— C’est parce que je l’ai mangé que… ? Mais et toi ?

La figurine fronça les sourcils.

— C’est à cause de moi, encore ?

Hochement de tête.

— C’est parce que j’ai souhaité être avec toi ?

Les doigts de métal du bonhomme se tordirent en deux poings serrés et il tourna le dos au garçon.

— Je n’ai jamais voulu qu’on se retrouve perdus dans la forêt ! s’agaça celui-ci. Et puisque tu sais comment on est arrivé là, tu pourrais peut-être nous faire sortir ? Il fait rudement froid, ici…

Le bonhomme tinta de plus belle, rageusement.

— Ok, c’est bon, j’ai compris ! Je m’excuse, d’accord ? Maintenant, s’il te plaît, sib, aide-moi à rentrer.

La figurine bouda.

— Tu ne veux pas retrouver ta clochette ?

Sib soupira (en si bémol) et hocha la tête.

— Merci, Sib.

Le bonhomme tourna les talons, immobile quelques instants, puis se mit à marcher.

— Tu es sûr que c’est par là ? demanda Angel en le suivant.

Il lui jeta un regard furieux et tinta.

— Oui, désolé, je te fais confiance.

« Quel mauvais caractère il a… »

— Angel !

Le garçon se retourna vivement.

— Vieil oncle !

L’homme se précipita sur le garçon et le prit dans ses bras.

— Tu n’as rien, mon garçon ?

— Non, non… Qu’est-ce que vous faites là ?

Avant même qu’il réponde, il sut la réponse. « Les truffes. »

— Je ne sais pas… J’ai mangé une truffe de la mère Elisa puis pouf ! Mais tu es frigorifié, mon pauvre ! Tiens, met mon manteau.

— Mais vous allez avoir froid !

— Non, non, c’est bon. Met-le je te dis.

Le garçon s’exécuta, la chaleur apportée par le vieux manteau le réconfortant.

— Monsieur Claus doit être là, aussi, dit le garçon.

— Je suis là, Angel ! L’oncle !

Monsieur Claus arriva en courant entre deux arbres.

— Par saint Nicolas ! s’exclama-t-il. Est-ce que l’un d’entre vous sait ce qui s’est passé ?

— C’est les truffes, répondit Angel. Elles devaient être magiques…

— Je savais que la mère Elisa était une sorcière, mais pas à ce point-là… maugréa le vieil oncle. Eh, vous entendez ? Un si bémol !

— Sib ! s’exclama Angel.

Le petit bonhomme s’était rapproché et frappait sur la botte du garçon. Les deux hommes firent un pas en arrière.

— Mais c’est la figurine de votre clochette ! s’exclama Claus.

— Oui, c’est Sib. C’est lui qui m’a expliqué pour les truffes.

— Mais… Mais il…

Le bonhomme tinta violemment.

— Dam ! s’exclama l’oncle. Même en colère, il joue parfaitement !

— Il sait comment rentrer au village, dit Angel. On doit le suivre.

Le bonhomme hocha vigoureusement la tête.

— Dépêchons-nous, dit le garçon.

Les adultes revinrent de leur surprise, se promettant d’interroger le garçon plus en détail plus tard, et suivirent le petit être alors qu’il se mettait à courir dans les feuilles mortes, qui lui arrivaient à la taille. A peine quelques mètres plus loin, ces pieds de métal s’emmêlèrent et il tomba par terre.

— Sib !

Le corps avait disparu sous la couche de feuille. Angel les écarta. Sib râlait, collant de sève de pin. Angel le prit dans ses mains. Il se débattit.

— Arrête, Sib. Tu vois bien que tu es trop petit pour courir là-dedans. J’irai plus vite que toi.

Le bonhomme croisa les bras mais cessa de se débattre. Angel le déposa sur son épaule, et se mit à marcher avec de longues enjambées, d’une vitesse qui sembla émerveiller la figurine. L’oncle et Claus suivaient toujours, silencieux, observant ce miracle.

— Par où ? demanda Angel.

Sib lui indiqua le chemin. Le garçon se retenait à tout instant de se mettre à courir, de peur que le vieil oncle ne puisse suivre ou que Sib tombe de son épaule. Il était si pressé de rentrer chez lui ! Il se lécha la lèvre en songeant au chocolat chaud de sa mère, eut peur en se rappelant des truffes ensorcelées.

Puis, au bout de longues minutes, Sib lui tira soudainement les cheveux.

— Aïe ! Que…

L’être tendit un doigt sur la droite. Angel regarda. Ne bougea plus.

— Par la barbe de la mère Michelle ! s’exclama le vieil oncle.

Claus s’était figé sur place. Sib sauta de l’épaule d’Angel et courut vers l’objet de leur sidération.

Entre deux immenses pins, rouge et or, se dressait une grande porte à double battant, si haute qu’on n’en voyait pas la fin.

De l’autre côté, on entendait le tintement d’un grelot.


Texte publié par RougeGorge, 23 décembre 2024 à 12h14
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