En l’an 2128, l’humanité sous sa forme la plus élémentaire avait depuis longtemps quitté une planète appelée La Terre. Ce qu’ils restaient de cette civilisation parcourait les galaxies à bord de vaisseaux spatiaux. D’après les hauts dirigeants, le but était de trouver une nouvelle planète viable pour y vivre paisiblement et reconstruire la race humaine. La population était parfaitement consciente que cet objectif avait été abandonné depuis de nombreuses années. L’existence d’une autre planète similaire avait sûrement dû déjà être repérée par les radars positionnés sur chacun des vaisseaux qui composaient la flotte Genesis, mais aucun abordage n’avait été entrepris, et cela ne pouvait signifier qu’une chose : la peur. Les rumeurs étaient nombreuses, certains supposaient un problème sur les vaisseaux spatiaux, d’autres que les planètes étaient déjà habités par des espèces encore inconnues. Mais les murmures qui semblaient omniprésents et portés par des voix parfois tremblantes, parfois fascinées portaient sur la légende de l’Arbre des Échos. Il était dit qu’une entité alien, un arbre, apparaissait mystérieusement dans les zones abandonnées des vaisseaux spatiaux chaque année à la période de Noël. Cette célébration très ancienne avait perduré comme beaucoup d’autres malgré les siècles qui s’étaient écoulés. D’après la légende, l’Arbre des Échos serait en mesure d’exaucer le voeu le plus cher de ceux qui le trouvaient, mais à un certain prix.

Dès lors que la période en question approchait, les enfants parcouraient les endroits les plus sombres de leur vaisseau à la recherche de ce fameux Arbre. Certains adultes prétendaient se souvenir d’une époque où des enfants ne revinrent jamais des zones interdites. D’autres, plus pragmatiques, parlaient d’altérations subtiles mais inquiétantes : des regards vides, des absences prolongées ou des comportements étrangement distants. Pourtant, personne n’osait confirmer ces récits, comme si évoquer l’Arbre à voix haute risquait de le faire apparaître. Ce mystère amplifiait l’attrait des plus jeunes, qui, dans leur insouciance, le voyaient comme une aventure, et non comme un danger. Certains scientifiques affirmaient que l’Arbre des Échos n’était pas une légende, mais une relique biologique laissée par des entités bien plus anciennes que l’humanité. Une rumeur prétendait que l’Arbre utilisait les systèmes abandonnés des vaisseaux comme des racines, s’infiltrant dans les circuits et récoltant des données. D’autres osaient suggérer qu’il était en partie responsable des constantes dérives de la flotte, manipulant leurs trajectoires pour servir son propre dessein mystérieux. Une chose était sûre : l’Arbre semblait toujours savoir où se cacher pour être trouvé.

Pour Éthral, un jeune garçon vivant dans un des vaisseaux Genesis, la période de Noël remplissait son coeur de joie et d’espoir : il rêvait de reconstruire un vieux drone que lui avait laissé son père avant de disparaître lors d’une mission d’exploration spatiale. Ce drone était une relique du temps de La Terre et il lui avait expliqué qu’à l’époque l’objet avait été une révolution technologique. Éthral avait eu beaucoup de mal à le croire tellement la technologie utilisée était futile en comparaison à celle de la flotte, mais son père y tenait beaucoup, alors il voulait réussir à le réparer pour lui rendre hommage. Malheureusement, le système utilisé était si ancien que personne sur son vaisseau n’était en capacité de lui venir en aide. Éthral était donc résolu à trouver l’Arbre des Échos.

Il se laissa guider par le plan du vaisseau qu’il avait téléchargé dans le connecteur de sa main et qui projetait la carte holographique avec un point rouge clignotant. Il parcourut un long couloir inoccupé et dénué de lumière, heureusement pour Éthral les capteurs implantés dans ses yeux basculèrent en vision nocturne lui permettant de se mouvoir avec facilité. Les coordonnées le menèrent plus profondément dans la zone interdite et rapidement il sentit la gravité faiblir, puis ses pieds se décoller du sol. De sa main droite, il pianota sur sa paume et aussitôt ses pieds s’ancrèrent sur le sol annulant les effets de la faible gravité. Éthral continua son exploration en empruntant un long couloir où il lui semblait apercevoir une lueur rouge pulsant au loin. Il désactiva sa vision nocturne et suivit la lumière qui se faisait plus intense à mesure qu’il avançait. Le couloir fit un angle droit et déboucha sur une pièce circulaire où trônait un immense Arbre teinté de rouge qui émettait des vibrations hypnotiques.

Éthral s’approcha et ressentit une immense joie, la même qu’il ressentait juste avant d’ouvrir ses cadeaux le matin de Noël. Il admira ce qu’il savait être l’Arbre des Échos dans une structure biologique mi-végétale, mi-technologique. D’autres enfants se trouvaient autour de l’Arbre et admiraient ses boules rougeoyantes qui battaient à l’unisson tel un coeur.

- L’Arbre des Échos exaucera votre voeu le plus cher en échange d’un fragment de votre essence, résonna une voix dans l’esprit d’Éthral.

Cette entité extraterrestre était capable de communiquer par télépathie. Un pouvoir qui émerveilla les enfants. Il vit une petite fille s’agenouiller devant l’Arbre, les mains jointes dans une prière silencieuse. Elle formula son voeu à voix haute, puis une lueur écarlate quitta son corps et tourbillonna un instant avant de se fondre dans les branches palpitantes de l’Arbre. Lorsqu’elle se releva, ses yeux pétillants semblaient ternis, comme si une étincelle en elle avait disparu. Elle balaya la pièce du regard, confuse, puis demanda doucement : « Où est ma soeur ? » Le silence qui suivit fit frissonner Éthral. L’Arbre avait pris un souvenir précieux en échange d’un simple jouet.

- J’exaucerai ton voeu Éthral, je réparerai le drone de ton père, résonna la voix de l’entité dans son esprit.

Éthral serra les poings en reculant. L’attraction de l’Arbre était presque écrasante, une promesse douce-amère d’obtenir ce qu’il désirait le plus. Mais il savait, au plus profond de lui, que céder à cette tentation n’était pas la solution. Ses jambes tremblaient alors qu’il s’éloignait, mais son cœur, lui, était ferme. « Je n’ai pas besoin de toi, » murmura-t-il en tournant les talons, sa voix pleine de conviction. Son père n’aurait jamais accepté un compromis aussi dangereux, et il ne laisserait pas l’Arbre souiller la mémoire de cet homme qu’il admirait tant. S’il acceptait et perdait le souvenir de son père, cela n’aurait alors plus aucune importance que le drone soit réparé. Éthral trouverait un autre moyen, il irait sur chacun des vaisseaux de la flotte pour trouver quelqu’un capable de réparer une technologie provenant de La Terre, il en existait forcément, il en était persuadé. Puis, si finalement le drone ne pouvait être réparé, et bien Éthral le conserverait dans son état actuel et en prendrait grand soin. Après tout, bien que disparu son père était toujours dans son cœur, il n’avait besoin d’aucun objet pour le lui rappeler.