II. INTERLUDE
C’est la belle nuit de Noël,
La neige étend son manteau blanc,
Et les yeux levés vers le ciel…
Je me hâte. Je passe ces enfants aux sourires de chérubins. Ils ont le nez relevé et fixent le majestueux sapin. La cime semble transpercer le toit des Galeries. Leurs regards, illuminés par le bonheur simple d’être là, si différents du mien. Ils sont sûrs que ce soir le Père Noël viendra remplir leurs chaussettes de bonbons et laisser des cadeaux par milliers.
Je m’empresse de fuir. Ce lieu, dont les senteurs des parfums de marque, me prend à la gorge et menace de m’étouffer tout autant que ces femmes aux visages barbouillés de couleurs vives qui me sourient et me lancent des œillades appréciatrices. Désolé, Mesdames, je ne serai point le cadeau sous votre sapin, pas plus que le dindon de la farce. Je leur rends des sourires de circonstance qui me valent quelques joues rosies et des battements de cils aguicheurs.
C’est le réveillon, tout le monde est heureux, tout le monde espère une nouvelle année meilleure. Pas moi. Cela fait longtemps que je ne crois plus en la magie de Noël.
Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver !
Qui s’en va sifflant, soufflant
Dans les grands sapins verts !
Si je dois subir encore un seul chant de Noël, écouter ces mièvreries dégoulinantes de bons sentiments, d’amour de son prochain, de partage : je ne réponds plus de moi.
— Bonsoir, commencé-je, mon masque toujours en place, un sourire séducteur aux lèvres.
La jeune femme au stand Chanel me sourit à son tour, « bonsoir, Monsieur, » me répond-t-elle dans un ravissant accent de l’Est volontairement marqué, une Russe ou Polonaise, j’en déduis à sa jolie chevelure blonde nouée avec goût en un élégant chignon. Ses yeux bleus, un regard appréciateur qui me détaille presque discrètement de la tête aux pieds, me fixent alors que des lèvres vermeilles s’humidifient à la caresse d’une langue rose. Je plais. Je le sais.
— Un Chanel N°5, lui demandé-je. 900ml.
— Bien sûr, Monsieur, me répond-elle, charmante, sans jamais détourner les yeux trop longtemps. C’est pour offrir ?
— Oui, merci, lui souris-je de nouveau avant d’ajouter, quel est l’ustensile dernier cri pour accompagner ce parfum et enchanter madame ?
Elle me montre avec professionnalisme et voracité presque voilée – commissions obligent – un châle en soie et un portefeuille en cuir.
Je lui souris simplement sans vraiment porter attention aux articles. Étonnant que les gens ne remarquent pas que mon sourire n’atteint jamais mes yeux. Ils se sont éteints depuis longtemps.
— Bien, acquiescé-je, mon simulacre vissé aux lèvres.
L’expression en est presque devenue naturelle. Ses yeux s’écarquillent brièvement avant de comprendre et de se faire plus gourmands. Je suis le travail minutieux de ses longs doigts blancs alors qu’elle réalise les papiers cadeaux. Ils sont habiles et bien entretenus. Cela me plaît. Une bague de fiançailles orne sa main gauche, une catholique. Polonaise, a priori.
Les cadeaux de Noël emballés, disposés élégamment dans un sac de fêtes, rehaussé de rubans de soie blanc, je lui tends une carte noire. Pas la mienne. Elle la prend et nos doigts se frôlent. Je la sens frémir. Si facile. Trop facile. À peine plaisant. Je prends le sac et retire les deux articles qu’elle m’a conseillés et les fais glisser lentement vers elle.
— À quelle heure terminez-vous ? lui demandé-je, toujours aussi amène.
Mon charme ne m’a jamais trahi, le Prince Charmant ne pourrait que faire pâle figure en comparaison. Je la vois se mordiller les lèvres. Tromper son fiancé le soir du réveillon, c’est moche. Mon sourire est toujours en place, mais mon index, qui tapote distraitement la boîte du cadeau, montre mon impatience. J’aime avoir les choses en main. Je n’attends pas. Et J’obtiens toujours ce que je veux.
— 23 heures, finit-elle par me répondre dans un souffle.
Je l’ai déstabilisée. Bien. Mon sourire s’agrandit. Les proies humaines ont perdu tout instinct de préservation, elles ne discernent plus leurs prédateurs. Il n’y a aucune chaleur dans mes expressions, juste un beau visage. Un requin a certainement plus de cœur et de remords que moi.
— Alors, à tout à l’heure, finis-je en laissant les paquets sur le comptoir sans lui accorder un autre regard.
Je l’ai déjà oubliée. Je suis satisfait de l’avoir achetée, de l’avoir contrainte à ma volonté. J’aime contrôler les choses, les gens. Je ne viendrai pas même la chercher. La consolation de la chair n’est qu’éphémère.
Je suis enfin dehors : bravée la horde de passants et d’enfants agglutinés aux vitres pour regarder les marionnettes s’animer ! Pas besoin de rester le nez collé aux vitrines de ce grand magasin en période de fêtes pour avoir droit à un tel spectacle, il suffit d’observer le manège quotidien de l’humanité pour cela.
J’hèle un taxi. Je suis fatigué. Je vais enlever mon masque avant qu’il ne se fissure. J’en aurais grand besoin pour le réveillon dans quelques heures. Sourire aux invités, aller à la messe, prétendre aimer mon prochain, me soucier des autres, ouvrir mon cœur – quelle ironie ! – et partager mes fautes en cette nuit de pardon. Heureusement, je serai saoul d’ici la fin du repas.
Faire semblant, je sais faire, cela est comme une deuxième nature pour moi. Pardonner, très certainement pas. La seule chose qui m’anime encore en cette nuit, la seule petite étincelle de joie qui me réchauffe et se fait la plus douce des promesses : la vengeance.
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