— Nous t’attendions, lui dit calmement Isorel. Entre !
Elle lui désigna le salon d’un geste de la main, sans même détourner son regard.
Jill pinça les lèvres et se crispa ; elle essayait de réfléchir à toute vitesse, de trouver une parade pour fuir et échapper aux griffes de cette peste en jupe à plis mais quoi qu’elle tenterait ne lui attirerait que plus d’ennuis. Elle soupira, rendit son sourire à Isorel et s’exécuta finalement, prête à agir en cas d’urgence.
Un gigantesque sapin trônait au centre de la pièce. Sa pointe caressait le plafond aux poutres apparentes. A ses pieds, des boites en cuirs attendaient d’être ouvertes ; sans doute les décorations pour Enahel, songea Jill, intriguée.
Tout ceci ne collait pas. Qu’avait en tête Isorel ? Elle qui passait son temps à la détester et la brimer ne pouvait pas la convier à décorer le sapin.
— Veux-tu bien décorer notre si beau sapin avec moi ?
Loupé…
Jill croisa les bras et se tourna vers la sorcière, front plissé.
— C’est louche, répondit-elle.
— Louche ?
— Je croyais que tu me détestais !
Isorel leva son index et l’agita négativement.
— Il est temps de dépasser tout ça. Je veux apprendre à te connaître et quoi de mieux qu’une décoration de sapin pour expier nos culpabilités et apprendre à se connaître ?
— Ai-je le choix ? soupira Jill.
— Tu vas voir, ça va être splendide, clama Isorel tout en joie, comme une enfant prête à ouvrir des cadeaux. J’ai hâte ! Approche, approche !
Isorel s’agenouilla et entreprit d’ouvrir les malles.
Jill se racla la gorge, agacée.
— Avant toute chose, nous devons déposer les boules d’expiations sur le sapin. C’est très symbolique, tu sais ? C’est… Comment dire… Comme demander pardon à Enahel pour nos erreurs ?
Jill haussa les épaules. Elle détestait ces traditions, ces festivités et autres pratiques ésotériques tout comme elle détestait la magie dans son ensemble.
— Mes boules ressortent toujours blanche. C’est vrai, il est rare que je commette des erreurs. Quant aux tiennes, je suis curieuse de les voir se colorer. Rouge ? Noir peut-être ?
Isorel planta son regard dans celui de Jill. Le petit sourire narquois anima à nouveau ses lèvres. Chassez le naturel et…
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Ce que j’en sais ? Et bien… En effet, en effet, tu as raison, qui suis-je pour juger ? Je te prie de me pardonner…
Jill eut ce geste stupide.
Ce petit geste qui déclencha la suite de ses paroles venimeuses. Par pur esprit de contradiction, elle s’empara de la boule en verre qu’avait sortit Isorel. A l’instant où ses doigts se collèrent à la surface lisse et transparente de la sphère, une brume d’obsidienne, aux reflets sanguins, naquit en son centre.
Sa respiration s’accéléra, tout comme son cœur ; les yeux rivés sur la boule, Jill manqua de la faire tomber. Elle s’apprêta à rétorquer mais Isorel la prit de court.
— Mais j’en sais que tu es une erreur de la nature, Jill et la boule d’Enahel le prouve. Tu es une Grimmore ratée. Toi ? Une guerrière ? Tu t’es vue combattre les démons ? Depuis des siècles, ma famille sélectionne avec soin les aspirants Grimmore. Depuis des siècles, ces combattants honorent notre nom, combattent les démons avec la fierté Everwood.... Toi, on ne t’a jamais choisie. Tu nous as été imposée par je ne sais quel mauvais sortilège ! Je ne comprends même pas pourquoi Mère ne te brise pas ton joli petit cou de blondasse écervelée.
La bouche sèche, Jill n’arrivait plus à bouger, penser, réagir. Isorel agissait avec une telle finesse qu’elle la paralysait sur place.
— Je…
— Je n’ai pas fini, trancha Isorel d’un coup vif. Quelle ironie du sort quand même, non ?
Isorel se releva. Elle imposait… s’imposait. Son pouvoir exsudait, agitait ses cheveux marrons, d’habitude raides et disciplinés.
— Une gamine qui invoque un démon avec une planche Ouija. Qui est responsable de la mort de son frère, la gorge arrachée dans son lit. La mort de sa mère qui essayait de faire vivre sa famille tant bien que mal. Et toi, tu as survécu ? N’est-ce pas là … étrange ? Tu es responsable, Jill, avoue-le ! Tu as voulu la mort de ces pauvres gens !
— N…
— Tu es tellement manipulatrice. Bouboubou, je suis une Grimmore qui déteste la magie. Bouboubou, ma famille est morte à cause de la magie. Bouboubou, j’en veux au monde entier. Mais qui nous dit que tu n’as pas orchestré tout ça ? Qui nous dit que tu n’es pas le véritable démon de l’histoire ?
Ses paupières refusaient de se fermer ; ses ongles pénétraient la chair de sa paume à mesure que son poing se contractait. Et, soudain, ses phalanges rencontrèrent la mâchoire d’Isorel. Si violemment que la sorcière vacilla et s’écroula sur le parquet.
Pourtant, la bouche pleine de sang, elle continuait de sourire. Un sourire de plus en plus arrogant, infâme, qui s’étendait à n’en plus finir.
— Tape, disait-elle, tape ! Tu es le démon ! Et les démons, nous les exécutons !
Jill tapait, oui.
A cheval sur la sorcière, elle enchaînait les coups de poings, lui fracassait le nez, lui dégommait la mâchoire, lui brisait l’os de son crâne. Mais ce sourire ne disparaissait pas. Isorel continuait de rire, insensible à la douleur.
— Tape-moi ! insista-t-elle. Tape-moi ! Cela prouve que tu es responsable ! Cela prouve que tu es le démon !
Le démon ?
Elle se savait responsable de la mort de sa mère, de son frère. C’était ainsi ; elle ne pourrait pas revenir en arrière, ne pourrait pas changer le court du destin. C’était ainsi, oui. Elle vivait avec depuis des années. Sa culpabilité suffisait à la faire avancer, jour après jour.
Elle détestait la magie. C’était vrai. Elle détestait ce monde. En effet.
Mais s’il y avait bien une chose qu’elle était persuadée de ne pas être…
Un démon.
Jill stoppa son mouvement à quelques millimètres du menton cabossé d’Isorel ; il n’y avait aucune émotion dans les iris de la sorcière. Ni colère, ni joie, ni peur. Et pourtant, Isorel était bien connue pour être la reine des pestes ; celle qui agissait par pure vanité, qui ne manquait pas d’exprimer ses déceptions, ses peines, ses joies et de s’en vanter.
L’Isorel qui se faisait tabasser n’était pas Isorel. Le démon était peut-être bien cette fausse Isorel ?
Jill releva le bras, sous l’œil vide et moqueur de la fausse Isorel. Le poing retomba alors. Mais au lieu de taper le crâne, il s’enfonça dans le parquet. Les échardes lacérèrent sa peau et la douleur électrisa ses muscles. Jill recommença. Encore, et encore… Le parquet s’effrita pour de bon.
Et se transforma en tapis de neige, de boue et de sang.
Elle donna un dernier coup. Dans quelque chose de dure et de mou à la fois. De poisseux, visqueux même. La tête du démon au cuir laiteux. Il n’était plus qu’un amas de chair nauséabond. Inerte.
Quatre mains la poussèrent en arrière ; Jill retomba mollement sur ses fesses, sonnée par la situation. La neige l’engourdissait et pourtant, elle avait cette impression d’être plus vivante que jamais. Gyom et Isorel apparurent dans son champ de vision. Lui souriait, comme à son habitude. Elle… paraissait inquiète ?
Cette petite lueur dans le creux de ses pupilles disparut rapidement.
— Comment elle va ? demanda Isorel d’un ton glacial. Elle aurait pu se tuer ! Elle aurait dû utiliser la télékinésie, ce n’est pas faute de lui avoir déjà…
— Le venin du démon, la coupa Gyom. Jill, regarde-moi. Tu sais où on est ? Tu étais comme une furie.
— Envie. De. Mourir, murmura Jill.
— C’est bien elle, persifla Isorel en s’écartant. Elle ne m’écoute jamais ! Je t’ai pourtant dit d’utiliser le pieu. Mais non, madame a préféré montrer qu’elle savait faire des cabrioles et rompre le cou du démon. Bon, c’était efficace, je dois bien lui admettre. Mais j’aimerai être écoutée la prochaine fois.
— On doit la ramener au manoir. Avec le venin dans son organisme, elle va continuer de délirer, je le crains, s’alarma Gyom.
Isorel soupira.
Pourtant, derrière ce masque de petite peste, Jill crut déceler une once de fierté dans son regard.
— Elle s’est bien battue, admit Isorel. Trêve d’Enahel. Mais ça ne veut pas dire que je serai moins exigeante à l’avenir ! Manquerait plus qu’elle me prenne pour sa copine…
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