— Bordel ! Deux mois et toujours rien ! Tu es sûre de ce que tu as entendu, Jessy ?
— Certaine. Il a parlé de contact, ça a forcément un lien avec les Résistants.
La jeune femme glisse les mains dans ses cheveux avant de secouer la tête.
— David ne t’a rien dit ?
— Ce vieux reste muet comme une tombe, répond Kyler. Il en a délibéré avec les gérants de Pundico qui auraient répliqué d’apporter des preuves solides, sinon cette histoire demeurerait une légende urbaine.
— Merde ! Comment ne peuvent-ils pas y croire ?! J’ai quand même perdu deux cibles depuis cette mission !
— Je sais. De plus dans la zone Nortaine, Pacco a des problèmes.
Jessy bondit et lance :
— Et même avec ça, ils doutent ?
Kyler se lève à son tour et dépose une main chaleureuse sur son épaule. Dans son regard, une lueur proche à de la compassion s’illumine :
— Moi, je te crois, la mioche.
— Alors, fais le nécessaire auprès des dirigeants ! Si une nouvelle crise nous explose au visage, je ne veux pas qu’on puisse nous accuser !
L’homme soupire longuement en l’observant quitter le dortoir. Jessy avait toujours eu ce tempérament de feu, mais, depuis peu, elle le maîtrisait de moins en moins et cela le préoccupait de plus en plus :
— Elle a l’air fatiguée.
Il sursaute à peine à la remarque de sa femme se tenant dans l’encadrement de porte de la cuisine, tourne sa tête vers elle et dans ses yeux lit l’inquiétude, certainement identique à celle qu’il ressent. Illona aime profondément Jessy, il n’en a jamais douté. Dès qu’ils ont rencontré la jeune fille, ils l’ont considéré comme un membre de leur famille. À l’époque, Jessy n’avait que cinq ans et, déjà, elle n’hésitait pas à faire entendre sa voix.
— Ça lui passera. Il lui faut un peu de temps.
Illona n’est pas dupe, elle ressent dans les paroles de son époux qu’il tente à tout prix de s’en convaincre, pourtant, elle n’ajoute rien, sentant que le moment n’est pas opportun.
— Veille sur elle.
— Toujours.
Il dépose un chaste baiser sur ses lèvres avant de partir à la recherche de la petite sauvageonne qui anime sa vie depuis près de vingt-quatre ans.
La musique électro pulse dans ses oreilles comme pour extirper les battements enragés de son cœur. Malgré la discussion eu avec Kyler, Jessy ne parvient pas à relativiser. Comment les dirigeants de Pundico peuvent-ils laisser des cibles leur échapper ? Surtout avec l’entraînement reçu, où le mot d’ordre était totale suppression des Résistants. Peut-être possèdent-ils une information dont elle ne dispose pas, mais, tout de même, c’est elle l’agent de terrain, et la meilleure de cette région qui plus est.
L’air frais de cette nuit de mars ne l’aide en rien à dissiper la tempête de questionnements qui tourbillonne dans son esprit. Même les lumières bleues émanant des divers appartements dans les gratte-ciel en métal qui habituellement éclairent ses pensées n’y parviennent pas aujourd’hui. L’idée qu’un événement se trame dans l’ombre ne la quitte pas.
Les silhouettes des habitants de l’Estzur, région qui s’étend de l’ancien Grand Est jusqu’à la Provence-Alpes-Côte d’Azur, marchent à vive allure pour rentrer chez eux avant que le couvre-feu ne soit annoncé. Jessy, quant à elle, n’accélère pas la cadence et observe ses âmes qui errent pour la plupart sans but à ses yeux.
Elle ne savait presque rien de l’Histoire du monde avant 2030. Pour elle, il n’existe que ce monde d’après crise, l’Union est son pays de naissance et elle travaille dans l’Estzur. Personne n’en transmet plus et elle ne cherche pas à savoir. Comme dirait Pundico : ce qui n’est pas vital n’est pas utile. Jessy applique docilement cette devise avec laquelle elle a grandi.
Et aujourd’hui, son besoin de connaître ce qui se prépare dans l’obscurité est utile. Elle doit obtenir une nouvelle mission au plus vite pour tenter d’avoir ses réponses. D’un pas décidé en rythme avec une autre chanson, elle rebrousse chemin, entrant de nombreuses fois en collision avec des Estziens qui veulent retrouver leurs conforts, et pénètre dans la plus haute tour de la ville, celle de Pundico pour rejoindre le quinzième étage : celui des enquêteurs. Elle coupe la musique et se tourne vers le seul occupant des lieux.
— Où est David ?
Ewan lève un sourcil et répond :
— Il n’est pas là et tu n’as rien à faire ici.
— Tu sais où il est ?
— Non. Je ne suis pas son chien de garde.
— Quand tu le vois, dis-lui que je le cherche.
— Tu te prends pour qui au juste ? demande-t-il en se levant. Tu as peut-être un peu de pouvoir dans ton unité, mais elle ne s’applique pas ici.
— Je t’emmerde, Ewan. Sans moi, tes missions resteraient en échec et tu le sais.
— En ce moment, c’est ce qu’elles sont.
Les poings de la jeune femme se serrent, enfonçant ses ongles dans sa paume tout comme ses dents s’accrochent à ses lèvres.
— T’es le pire des enfoirés, Ewan.
Elle n’attend pas sa réponse et regagne son étage d’un pas rageur. Ewan vient lui aussi de l’orphelinat, ils avaient passé quelques mois ensemble, avant que Pundico ne vienne le chercher pour suivre sa formation et qu’il rejoigne la section des enquêteurs. À la différence de Jessy, lui possède ce qui est appelé chez Pundico, un regard de lynx qui aperçoit brièvement des cibles potentielles. Il revient par la suite aux agents comme elle de déterminer si la limite a été franchie et d’agir en conséquence.
Sans lui, Jessy est bien consciente qu’elle n’aurait pas de mission. Cependant, elle n’en peut plus de son air hautain et se devait de le remettre à sa place. Même si elle sait que cela ne sert à rien. Il ne comprendrait jamais ce qu’implique son travail.
Dans la cuisine, elle décide de manger un morceau et s’approche du préparateur lyophilisé pour effectuer son choix. L’écran fait défiler les plats et, par dépit, Jessy finit par en sélectionner un. Une minute trente après, un bip retentit et elle récupère la ration dans le mini four ouvert.
La fourchette crisse dans l’assiette qu’elle remue depuis plusieurs minutes sans réellement y avoir touché, les yeux dans le vague. Elle adresse un signe à un Serv500 pour qu’il lui verse un verre d’eau tout en choisissant une nouvelle musique sur son Pundinex.
— Ce sera tout ?
Elle acquiesce et l’automate retourne à sa place sans se plaindre du manque de considération dont elle fait preuve envers lui. Tout est technologie ici. Les employés de Pundico découvrent en avant-première les futurs robots ou gadgets qui seront introduits gratuitement à la disposition de la population dans les mois suivants. Ainsi, cela permet de voir s’ils ne sont pas défectueux avant la mise sur le marché et de corriger les dernières erreurs informatiques possibles.
Le regard sombre de la jeune femme observe longuement la machine métallique sans trouver de réelles différences avec celui de la génération précédente. Tous deux affichent ces yeux robotiques bleus, cette parole mécanique sans émotion et une démarche hachée. Malgré les évolutions qu’a subites le monde, ces petits détails prouvent que rien n’est encore parfait et que le progrès n’a pas atteint son maximum.
Alors qu’elle songe aux mutations mécaniques dont certains êtres humains sont dotés, David entre dans la pièce. Une coïncidence ? Très peu pour elle. Ses yeux se posent machinalement sur son œil droit robotisé, créant un étrange contraste avec celui de gauche noisette.
— Tu me cherchais ?
— J’ai besoin d’une mission.
— Nos enquêteurs ont de plus en plus de mal à dénicher des cibles…
— Vraiment ? Alors comment vous expliquez que Laurianne soit déjà repartie ?
L’homme souffle et s’installe face à elle. Le serv500 s’active et lui sert un verre d’eau.
— Efficace, je n’ai fait qu’y penser.
Il boit une gorgée puis reporte son attention sur la jeune femme qui reste étrangement muette :
— Dès que mes gars ont une piste, je te l’envoie.
— J’y crois pas ! Ils m’ont foutu sur la touche !
Elle se lève et passe une main sur son visage, agacée :
— Tout ça à cause de deux missions foirées ! Bordel !
— Jessy, calme-toi, ils vont revenir vers toi…
— T’en es sur ?! Ils vont me coller au trou, oui.
— J’ai rendez-vous avec l’un des PDG tout à l’heure, je lui en parlerai. Tu es notre meilleur élément dans la ville, tes résultats le prouvent et, en plus, ils le savent.
Jessy observe David sans grande conviction. Si même les mails d’alerte de celui qu’elle considère comme son père adoptif, Kyler, n’ont pas changé sa situation, elle doute que lui y parvienne. Toutefois, n’ayant pas d’autre moyen d’approcher les directeurs de Pundico, elle tente d’y croire.
— Bien, j’attendrai ton retour alors.
David est conscient que ce ne sont pas de simples paroles. Jessy a toujours eu cette détermination et, lorsqu’elle a une idée en tête, il est difficile de la convaincre de renoncer. Même Kyler n’en ait parfois pas capable, alors qu’il sait qu’elle lui voue un profond respect mélangé à de la reconnaissance.
Quand son regard la sonde, un historique de son passé défile dans son œil bionique, bien qu’une grande partie soit scellée, même pour un homme aussi gradé que lui, ce qui l’a toujours intrigué.
Qu’a-t-elle donc de si précieux aux yeux de Pundico ?
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