Tina et Rachel discutaient dans la cour du lycée, assises à leur coutumière table de pique-nique qui jonchaient la cour au bon vouloir des installateurs qui, pour d’obscures raisons connues d’eux-seuls, ne pouvaient jamais les mettre à l’ombre mais aux zones les plus arides. Une question de poulets noirs égorgés à minuit sous la pleine lune certainement… Le Soleil brûlait agréablement leur peau et pour la énième fois Tina jalousait Rachel de sa belle peau cuivrée.
— Je te jure, j’en ai marre ! Je suis là dans le box des toilettes avec la porte bloquée. Il a fallut que j’appelle quelqu’un. Mais personne ne t’entend depuis le couloir. Ca n’arrive qu’à moi ce genre de truc.
L’éclat de rire qui sortit de Tina, s’il était sincère, avait une pointe de compassion pour son amie.
— J’ai peut-être une information qui va te redonner le sourire… Paul m’a demandé de sortir avec lui !
— Génial ! Railla Rachel. Combien de temps avant que tu ne le largues ?
— L’essentiel n’est pas de savoir si je reste avec lui ou non, l’essentiel est de constater que je plais.
— J’angoisse un peu pour cette nuit, reprit la brune avec un tressaillement dans la voix.
Le sourire mutin de la blonde laissa la place à un visage inquiet.
— Tu penses que tu vas encore faire une sortie ? C’est tous les soirs ?
La brune acquiesça d’un léger mouvement de tête sans quitter des yeux son amie. Les yeux se mirent à briller discrètement et elle s’essuya d’un revers de main en soufflant un peu trop bruyamment pour Tina.
— Hé ! Si tu venais ce soir ? Ca fait longtemps. Tu verras ma nouvelle chambre. J’ai tout redécoré. Appelle ta mère et viens dormir. Et… Ca t’aidera sans doute à passer une bonne nuit.
— Tu as redécoré ta chambre ? Avec quoi ? Des têtes de mort et des corbeaux empalés Tina lui fit une grimace qui fit éclater de rire les deux filles. Pourquoi pas, ajouta-t-elle sur un ton mélancolique. Cela fait combien de temps que nous n’avons pas dormi ensemble ? Chez toi je veux dire.
— Un peu plus de deux ans… Tina semblait chercher au loin un animal mythique qui serait apparu juste au même instant et répondit de manière un peu évasive, plus comme si elle avait pensé à voix haute pour elle-même que réellement pour répondre à son amie.
— Oui c’est ça… Environ deux ans. Tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu ne voulais plus que l’on dorme chez toi, reprit Rachel sur un ton badin, c’est vraiment le bazar à ce point-là ta chambre ?
Tina esquissa un sourire en coin, les yeux toujours à la recherche de cet invisible phoenix. Une ombre fugace sembla passer sur son visage. Rachel frissonna sans pouvoir rien y faire. Elle n’aimait pas ce qu’elle venait de voir et sentit soudain comme une cassure.
La sonnerie des cours mit un terme à ce malaise.
A la sortie du lycée, la mère de Rachel fut prise d’assaut par les deux copines et dut céder à la pression. L’argument le plus convainquant vint de Rachel qui promit de faire la vaisselle pendant un mois. Ce qui consistait à remplir et vider le lave-vaisselle de la maison. Elle rentra donc toute seule pour passer une nuit sans sa fille, non sans lui avoir fait une trentaine de recommandations et lui avoir répété une bonne centaine de fois qu’elle l’aimait et combien elle était fière d’elle. Elle proposa de venir porter les vêtements pour la nuit. Elle menaça une dernière fois Tina de la poursuivre jusques après sa mort pour se venger s’il arrivait quoi que ce fut à sa fille puis repartit chez elle.
— Tatiana, Elianora, Judith Bretner ! Qu'est-ce que je viens d'apprendre ? Soeur Marielle vient d'appeler !
La voix aux accents chantants russes avait tonné suffisamment fort pour qu'on l'entendit très certainement jusques à l'arrêt de bus d'où les filles étaient descendues trois cents mètres plus loin.
La femme qui avait insisté lourdement sur les prénoms de Tina et se tenait bras croisés devant la porte avec le visage aussi souriant qu'une photo de Staline, n'était autre que sa mère. Natacha Bretner, bien que vivant à l'américaine depuis une vingtaine d'années n'avait rien oublié de ses origines sibériennes et par instant elle n'hésitait pas à rappeler à sa fille son héritage bolchoï.
Rachel crut voir une goutte de sueur perler sur le front de Tina et glisser lentement mais sûrement sur sa joue et sa nuque. Sœur Marielle avait téléphoné et sa mère l'avait appelée par son prénom, ça ne présageait rien de bon. Les filles avancèrent malgré tout jusques à elle, d'un pas néanmoins beaucoup moins assuré.
— Alors comme ça tu te maquilles et tu mets des vêtements provocants pour aller en cours ? Reprit-elle quand les filles furent devant elle. Puis se tournant vers Rachel, elle la serra fort dans ses bras.
— Rachel ! Moy dorogoi ! Comment vas tu ? Ça me fait tellement plaisir de te voir !! Sarah m'a dit que vous dormiriez toutes les deux ce soir. J'étais enchantée.
— Bonjour madame Bretner, dit Rachel en souriant. Je suis contente de vous voir aussi.
— Quant à toi, reprit-elle à l'attention de Tina, peinturlure-toi de nouveau et tu ne seras plus jamais ma fille. File dans la cuisine et apporte-nous le plateau, je vous ai préparé un goûter.
— Vous avez fait un koulitch ? Demanda Rachel avec des yeux qui salivaient d'avance.
— Non j'ai fait des prianiks. Le koulitch c'est trop long.
— Vous m'apprendrez un jour ?
— Quand tu voudras ma krochka.
Natacha partit devant et Tina, en se tournant vers son amie, articula silencieusement avec les lèvres " fayotte ! ". Rachel pouffa avant de se reprendre rapidement.
Ce fut pile au moment où les filles eurent terminé le goûter que Sarah sonna à la porte pour déposer les affaires promises. Elle accepta en vitesse un café de la part de Natacha, parce qu'elle avait vraiment beaucoup de travail et pas beaucoup de temps. Elle prit donc un café pour parler cinq minutes, et repartit au bout de deux heures et six cafés.
Pendant ce temps les filles étaient allées dans la chambre de Tina.
— Alors ? Qu’en penses-tu? demanda Tina fière d’elle.
Devant les yeux de Rachel, une chambre spatiale venait d’apparaître. Les murs étaient bleu nuit et des planètes énormes étaient représentées. Le lit avait une couette avec une fusée et des étoiles. Un planétarium avait remplacé la traditionnelle lampe de chevet. « Ca projette des constellations, mais ça éclaire assez pour que je puisse lire. » Mais le plus surprenant était le sol. Le stratifié avait aussi été choisi dans des teintes bleutées ce qui donnait l’impression d’être dans l’espace partout où vous regardiez. « Attends ce n’est pas tout ! » Tina tira les volets et éteignit les lampes. La chambre était désormais dans le noir. Enfin, pas vraiment, car Rachel vit scintiller des dizaines et des dizaines de points phosphorescents sur les murs, au plafond et au sol. « Là il y a Cassiopée, là Orion, là le Dauphin… » Tina énumérait toutes les constellations qui apparaissaient sous leur yeux. « C’est moi qui ai tout installé. C’est un faux plafond et un faux plancher. J’ai percé des centaines de petits trous et disposé dessous des leds. Elles sont solaires, ce qui fait que dans la journée elles chargent et le soir elles restituent la lumière. »
Lorsque Sarah repartit, il était l’heure du repas.
Après avoir mangé en famille et papoter de tout et de rien, les filles allèrent se préparer pour la nuit dans la salle de bain.
Tandis que Rachel se brossait les dents et faisait déborder sa bouche de mousse elle nota que Tina prenait quelque chose discrètement dans le placard de la salle de bain. C’était moins le fait qu’elle avala ce quelque chose qui l’interpella, que le fait qu’elle sembla chercher à le dissimuler à Rachel.
— Depuis quand tu te caches pour prendre ta pilule ?
Elle lui lança la remarque avec un rire. Mais Tina ne se retourna pas et ne sembla même pas réagir à la boutade.
— Tu as un traitement ? Demanda Rachel avec une inquiétude mal dissimulée.
Tina se fendit d’un petit rire sec.
— Oui, un traitement. C’est exactement ça.
— C’est pour quoi ?
Rachel ne releva pas le ton, trop absorbée qu’elle était par l’annonce.
— Disons que si jamais je ne prends pas ce cachet, tous les soirs à la même heure… Il y a un truc là-dedans qui pourrait cesser de pomper…
Tina avait répondu avec un ton amer. Comme si ce qu’elle venait de répondre avait déjà été dit des milliers de fois et que personne ne l’avait écoutée.
— Tu veux dire… Cardiaque ? Mais… Comment ?
— On n’en sait rien, répondit son amie plus apaisée toujours sans la regarder, c’est arrivé comme ça. Un jour j’ai fait un malaise, on m’a fait passer un doppler et on en est arrivé à la conclusion que mon cœur faisait un peu ce qui lui chantait… Y compris… S’arrêter quand il le désirerait… De nouveau un rictus acide déforma son doux visage.
— Bon sang, Tina, pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Depuis quand tu le sais ?
Rachel s’emporta soudain. Elle était en colère. En colère contre celle qu’elle croyait être sa meilleure amie, contre celle à qui elle disait tout sans aucune retenue. Et voici que cette amie ne lui disait pas la chose la plus importante du monde ? Elle risquait de mourir d’un claquement de doigt et Rachel n’en aurait rien su ? C’était inacceptable !
Tina se retourna vivement, le visage furieux.
— Depuis quand ? Un peu plus de deux ans. Et pourquoi ? Je ne sais pas « mademoiselle la télépathe »… Peut-être parce que TES problèmes sont omniprésents au quotidien et que tout tourne autour de ça. Peut-être parce que je n’ai pas réussi à en placer une à ce propos depuis deux ans. Ou peut-être parce que tu ne m’as jamais réellement demandé de mes nouvelles !
Rachel resta interdite. Sa colère retomba d’un coup. Tout bien réfléchi, Tina n’avait pas totalement tort. Avaient-elles eu une discussion réellement tournée vers Tina ces derniers temps ? Hormis un simple « comment vas-tu » balancé à la va-vite entre deux phrases, seules les préoccupations de Rachel avaient été le centre de leur sujet.
— Mais… Tu aurais pu m’en parler… Je t’aurais écoutée.
— Et tu te serais apitoyée sur mon sort. Non merci. Comme tu le vois, ces deux années se sont passées merveilleusement, j’ai vécu avec quelqu’un qui n’a jamais changé d’attitude et qui ne m’a pas bichonnée comme une poupée de porcelaine. Non, je te remercie mais je préfère cela.
— Je ne t’ai jamais entendue, elle marqua une pause sur le mot pour sous-entendre l’allusion, à ce propos. Comment as-tu fait ?
— Rien de spécial. Nous parlions d’autres choses. Ca me convenait très bien. Et je n’y pensais plus. Donc, non, tu n’as rien entendu.
La colère était passée. Tina baissait les yeux maintenant, plus perdue dans ses pensées que honteuse du ton de la discussion. L’abcès avait été crevé. Comme un vieux cancer qui l’aurait rongée et qui aurait disparu d’un seul coup. Elle retrouvait son amie, elles se retrouvaient. Son aveu fait, elle savait qu’elles pourraient de nouveau vivre comme avant.
Sans un mot, les filles finirent de se préparer et retournèrent dans la chambre.
La mère de Tina vint porter un matelas gonflable, donna les dernières recommandations de bêtises interdites et les laissa tranquilles.
— Rachel, je… Je suis désolée de n’avoir rien dit. Tu as raison, j’aurais pu, j’aurais dû, t’en parler.
— Non, c’est toi qui as raison. J’ai tout ramené à moi ces derniers temps. Il y a eu tant de changements dans mon être que je ne voyais plus que ça. Et toi… Tu étais… Tu es, si solide. Pas une seconde j’ai cru que tu pouvais toi-même avoir des problèmes. Sans toi, je ne sais pas ce que je ferais.
Lorsque les filles eurent fini de discuter et qu’elles décidèrent de s’endormir, il était deux heures du matin. La dernière chose que Rachel vit fut des centaines de petits points lumineux, quelques étoiles filantes et Jupiter.
Où est-elle à présent ? En tout les cas, une chose est certaine ce rêve n’a rien à voir avec l’expérience bizarre de la veille. Il a même quelque chose de rassurant. Jamais de sa vie elle n’aurait rêvé de station spatiale mais avec la chambre de Tina c’était logique qu’elle y pense.
Et manifestement elle est dans une station spatiale… Non dans un centre spatial plutôt. Oui un centre. Côté tour de lancement. Pourtant si ce rêve peut s’expliquer quant au contexte de la chambre quelque chose la gêne de nouveau.
Elle ne s’est jamais intéressée à l’espace et encore moins aux locaux de la NASA. La seule version qu’elle en a est Apollo 13 et elle n’est pas sûre ni que ce soit la réalité, ni que la représentation du film soit la plus récente. Or, le rêve qu’elle fait, semble particulièrement bien documenté sur l’organisation américaine.
Elle est dans un grand hangar, maintenant, où reposent des morceaux de fusées, ou des camions élévateurs. Des techniciens s’affairent à faire des réparations dans un coin. Et soudain elle aperçoit…
— Tina ! Ca va? Tu portes une combinaison d’astronaute ?
— Ah ! Rachel ça va ? Oui je pars dans moins de trois heures. Salut Jim ! On a fait les derniers contrôles, tout est bon.
Tina venait de s’adresser de loin et de vive voix à un technicien. Le dénommé Jim les salua de la main.
Tina aide Rachel à enfiler une combinaison et peu de temps après, les rêves sont comme ça, on met en vitesse rapide les passages laborieux, elles sont assises dans la fusée.
Le lancement s’est bien passé. Puis une avarie survient. Tina donne les ordres à Rachel, mais cette dernière ne comprend rien et appuie sur n’importe quoi. Tant et si bien qu’un incendie finit par se déclarer dans la fusée et que celle-ci prend feu de toute part. Et alors que la fusée explose, Rachel se réveille en sursaut le cœur battant !
Dans la seconde qui suivit la lumière du planétarium s’alluma. Un instant ébloui par la Voie Lactée qui venait d’apparaître au plafond, elle entendit très nettement Tina respirer de manière saccadée.
— Ca va, Tina ?
— Oui j’ai fait un cauchemar ! Je rêvais que l’on était cosmonaute toutes les deux et que l’on montait dans une fusée et en plein milieu de l’espace…
— Elle a explosé après un incendie ? Finit presque à voix basse Rachel au pied du lit.
— Tu… Etais… Avec moi ?… Dans mon rêve ? Articula Tina dans un souffle.
Les filles échangèrent un regard mal à l’aise.
Le lendemain fut aussi horrible pour Rachel que l’avant-veille. Non pire, car en plus de ses interrogations à elle, elle devait subir celles de Tina. Et son libre arbitre ? Et depuis quand elle se promenait dans la tête des gens ? Et si elle avait rêvé de choses plus… Intimes… ? Les rêves étaient personnels… Quelque part elle lui manquait de respect… Non mais se rendait-elle compte de ce qu’elle avait fait ? … Et pourquoi elle ne l’avait pas prévenue que ces choses-là arrivaient ? Et…
Rachel la laissait déverser son flot d’irritation. Elle regardait Tina dans les yeux, son amie n’avait pas peur d’elle. Elle était juste choquée. Sous le coup de l’émotion. Rachel pouvait percevoir chaque particule d’irritation, d’agacement, de colère. Elle sentait aussi que tous ces sentiments ne la prenaient pas réellement pour cible. Il s’agissait d’une sorte de réaction épidermique, mais cela n’affectait en rien leur relation. Leur lien dépassait cela, il s’agissait juste d’une incompréhension. Tina n’avait pas peur d’elle. Jamais. Cela apaisa le coeur de Rachel. Cela la rassura. Tina resterait Tina. Elle voulait juste quelques explications. Mais Rachel n’avait aucune explication à lui fournir parce qu’elle-même ne comprenait ce qui s’était passé.
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