Satanas était à son bureau. Il savait que ses employés l’appelaient Satanas. Il ne disait rien. Tout le monde dans sa carrière avait eu un patron affublé d’un sobriquet. Ca permettait de tenir dans les situations de conflit et c’était… Corporatiste d’une certaine manière… Et puis ce nom renvoyait à Satanas et Diabolo, des Fous du Volant, le tyran qui oblige son sous-fifre à obéir. Quelque part, ça renforçait son autorité. Il avait un nom bien sûr. Et une famille. Mais dans son métier, ne pas connaître le vrai nom de quelqu’un était le premier moyen de protéger sa famille. Même s’il n’était pas stupide et savait que plus haut dans les sphères, on avait un dossier sur lui long comme le bras détaillé jusqu’à l’heure où il était parti pisser à sa dernière visite de McDo.
Les coudes sur le bureau et les mains croisées devant son visage, derrière ses lunettes miroir qu’il ne retirait jamais, il ne quittait pas des yeux son téléphone. Le standard gris posé dans l’angle de son bureau avait sonné vingt minutes plus tôt. Une conversation longue et ennuyeuse, mais surtout bourrée de sous-entendus.
Il y avait été question longuement, trop longuement, de Summers. Et de ses… Libertés ? Vous comprenez mon cher ? Satanas détestait qu’on l’appelle « mon cher », c’était complaisant et morbide. Lorsque les hauteurs vous appelaient « Mon cher », vous pouviez être sûr que ça allait chauffer pour vos miches.
Débrouillez-vous comme vous voulez mais le projet Cheval de Troyes suit son cours ? Nous sommes bien clair ? Quant à ce Summers, tâchez de lui tenir la bride. Après tout… Vous savez comment ça se passe un chamboule-tout ? … Pour réussir il faut viser la base… Si vous ne vous occupez pas de lui, nous nous en chargerons et ensuite… Le reste de la pile s’écroulera… Nous sommes assez clairs ?
Oui. Ils avaient été très clairs. S’en prendre à Summers, c’était s’en prendre à lui. Ils avaient été très clairs. « Ils », Lui. Tout seul au téléphone mais parlant au nom de dix personnes. Ils avaient tous chopé le melon là-haut. Chacun parlant pour les autres. Dix multipliés par dix, cent personnes dans une pièce de vingt mètre-carrés, est-ce que ça ne faisait pas un peu beaucoup ? Est-ce qu’ils n’allaient pas se tirer dans les pattes, chacun voulant une part de couverture plus grande que son voisin ?
Satanas eut un frisson. Ce genre de simples pensées pouvait s’avérer dangereux. Peut-être étaient-ils en train de lire son esprit ? Ce n’était pas stupide après tout. Il savait des choses sur l’organisation, mais il ne savait pas tout. Il avait vu des expériences qui faisaient froid dans le dos. Les Chèvres du Pentagone avaient existé. Et lui en avait vu l’équivalent. Il se souvenait entre autre d’une expérience qui consistait à créer une personne qui pourrait contrôler l’électricité. Pour cela ils avaient connecté deux bornes de deux-cent-vingt et balançaient par à-coups des décharges dans des femmes, des hommes et des enfants. « C’est des serpentins parallèles ! Vous êtes sûrs que vous ne voyez pas au travers ? » Autant dans Ghostbusters cela faisait rire, autant dans la réalité cela faisait peur. Des expériences de lectures mentales, de précognition… Alors il n’y avait rien de surprenant à ce que la petite Bernstein fut la cible de leur projet, non ?
Il se recula dans son fauteuil. La tête reposant sur une main accoudée à un bras du fauteuil, les jambes croisées nonchalamment, il s’interrogeait. Summers. Qu’allait-il pouvoir faire de lui ? Satanas aimait bien Summers. Bon agent, fidèle, loyal avec son équipe. Ne rejetant la faute sur personne d’autre, assumant ses responsabilités. Et surtout, d’une efficacité et d’une discrétion qu’il avait rarement vues chez d’autres agents. C’était une épée. Et qui plus est, une épée affûtée, tranchante.
Seulement voilà, on lui demandait de se débarrasser de lui. Or se débarrasser de lui n’était pas envisageable. Outre le fait qu’il l’apprécie et qu’il l’avait choisi exprès pour son éthique et son efficacité, si Summers était remplacé, il serait… Remplacé… C’est-à-dire que Summers finirait certainement ses jours lesté au fond d’un fleuve et qu’une espèce de brute au cerveau d’huître prendrait sa place. Heureusement qu’il était venu de lui-même lui proposer une solution.
Le projet suit son cours… Ne vous inquiétez pas Monsieur. Je me suis occupé de Summers. Je lui ai donné mon aval pour qu’il se concentre sur son autre opération. Il ne nous importunera plus…. Oui je comprends… Bien sûr monsieur… En l’état actuel, il est occupé sur autre chose. Je me suis dit que les deux projets pouvaient même être complémentaires dans une certaine mesure. L’un accréditant l’autre dirions-nous… Non monsieur je ne prends pas d’initiative inconsidérée, simplement je pensais… Oui monsieur… Non monsieur… Bien monsieur, à l’avenir je vous en informerai. Mais avec cette opération parallèle, il nous sera plus facile de mener à bien Cheval de Troyes…
L’opération Cheval de Troyes lui donna un nouveau frisson. L’arbre qui cache la forêt. C’était disproportionné. Summers avait raison. Mais Satanas savait qu’il n’avait pas beaucoup de choix. Le projet Eurydice de Summers était en réalité une alternative tout à fait envisageable, en fait c’était même pour ce genre d’initiative qu’il lui confiait les missions les plus complexes. Malheureusement pour Summers, Satanas pouvait soit obéir aux ordres, soit… Non, juste soit obéir aux ordres. Si ce n’était pas lui qui menait Cheval de Troyes, le projet serait confié à un autre et cet autre aurait sans doute moins de scrupules… Au moins avec lui, Cheval de Troyes allait être maîtrisé dans la mesure du raisonnable. Et en gardant la main sur Cheval de Troyes il pourrait continuer de protéger Summers. Et Summers continuerait de protéger les nouvelles recrues.
Ecoutez-moi bien. Vous avez reçu des ordres, nous ne vous payons pas pour penser mais pour agir. Ce sont nous les cerveaux. Vous n’êtes qu’une marionnette entre nos mains. Faites un pas de côté et nous vous briserons. Vous ne savez pas comment tourne le monde, nous si. Cheval de Troyes doit être mené à bien. Pour la dernière fois est-ce clair ? … Très clair monsieur… Au fait mon cher, comment va Karen ?… Satanas sentit ses doigts se crisper sur le téléphone. Très bien je vous remercie...
Lorsqu’il sortit de ses pensées, il s’empara de nouveau du téléphone et composa un numéro à l’extérieur.
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