Le marchant de noix.

Sur le chemin, une petite fille marche, blonde, filant au gré de l'air léger.

C'est là quelle croise, chargé de son sac de toile grise, un vieux bonhomme, marchand de noix.

- Tu es bien fragile, ma belle, pour courir sur ce chemin ainsi, comment te nomme-t-on, petite fleur?

- Jolie, petit monsieur courbé ! Et toi, as-tu un nom ?

- Oui, on me nomme L'envers !

- Tu as cueilli beaucoup de noix, monsieur L'envers ?

- Cueilli non, seulement ramassé, la forme de mon dos, hélas, ne me permet plus cet art là ! Mais je me suis tout de même penché autant de fois que la grosseur du sac.

- Veux tu monsieur L'envers, que je t'aide à porter ton gros sac, jusqu'à l'endroit où tu vas ?

- Tu es bien aimable, petite fleur, mais ce fardeau, depuis que nous marchons côtes à côtes, me semble plus léger. Tu sais, à chaque noix ramassée, j'essaie de penser à une jolie chose, ça allège mon sac, et ça décore mon cœur ! Et tu vois, je rencontre même une petite fille qui veut m'aider, à qui l'on donne un nom de belle !

- Que tu es drôle, monsieur L'envers ! Tes nombreux souvenirs de noix, t'ont fait devenir tout petit, et tu ne marches pas trop vite, toi… pour mes jambes à moi, c'est bien !

En plus, avec ton nom, tu dois être bien menteur !

- Et non ! Ce sont les gens qui le croient, qui m'ont appelé ainsi. Tout simplement parce qu'ils voudraient que je leur dise l'opposé de ce qui me vient à leur dire…

- Ils ne t'aiment pas beaucoup, alors ?

- En tout cas, ils m'évitent. Pour eux, je gâte les mariages, j'effraie la volaille, et les jours où ils ont trop bu, ils prétendent qu'ils ont la tête qui me ressemble…

Ils disent même que c'est ma faute si un jour, ils ont connu "l'an vert", l'année où les pommes, les noix et les cerises, ont refusé de mûrir… Ce qui est bien méchant, car moi non plus je n'ai pas eu de noix !

Mais laissons là ces jaloux, petite… Asseyons-nous plutôt un peu, toi et moi, sur le doux talus que voilà.

Et pour toi, voici quatre noix que je t'offre, jolie mignonne.

- Oh! Comme elles sont belles, monsieur L'envers, elles sont pour moi ?

- Oui petite ! Prends-en une… et goûtes la pour égayer ta gourmandise ! Mais pour les autres… garde toi de les croquer trop vite, car elles te permettent si tu le désires, de faire trois vœux…

- Tu dis vrai, monsieur L'envers, bien vrai ?

- Croques donc, je t'ai dis que je ne mens jamais. Tu verras comme elles sont tendres mes noix !

-Ça c’est vrai, mon bon monsieur L'envers, cette noix est si douce, et son goût si proche de la pomme et la cerise… Comment fais-tu ?

- Je me penche, et je pense à de jolies choses… Tout simplement.

- Je peux donc aussi faire trois vœux… Tout simplement ?

- Qu'attends-tu, si tu en as le désir !

- Oh, alors si c'est possible, je voudrais un petit chien… et pouvoir me promener avec lui sur un grand chemin dans la campagne !

- Qu'aimerais-tu d'autre, petite ?

- Qu'il fasse toujours beau et gai !

- Et quoi d'autre ?

- Que… Que sur ce grand chemin, je rencontre un marchand de noix, avec son sac rempli de rêves, et la bouche pleine de gentils mensonges…

Un autre jour, sur le chemin.

La petite fille est triste, elle se sent seule malgré son petit chien. Le monsieur au sac, qu'elle appelait drôle, n'est plus. Il ne reste que son bâton, tombé là sur le bord de la route.

Il l'a laissée, n'en pouvant plus de tirer derrière lui cette frêle et prometteuse jeunesse. Elle avait ri des choses et non de lui, l'aidant ainsi à trouver la force dernière, qui permet quelque fois, sans bruit de disparaître...

A présent il ne reste de lui, qu'un bâton, son bâton. Cet ami de longtemps, devenu bien souvent de sa main une jambe, pour soutenir celle qui désormais l'abandonnait. Il savait tout de lui et de sa route, et avait entendu ses plus humbles émois. Il était pour lui, un montreur de chemin pour quelques égarés, un roueur de pluie de coups pour les malins de rencontre ou un futé trouveur de champignons précieux, et selon l'heure ou la saison, ensemble, ils avaient même appris quelques chouettes chansons.