Vol au vent.
Il ne sortira rien de moi ce soir. Tous les mots qui me viennent sont boiteux, blessés et saignent. Ils s’alignent sans suite et me montrent le précipice des manques qui m’habitent…
Je ne peindrai peut-être plus, et n’écrirai sans doute que des suites de mots orphelins, me montrant le sens interdit que prend ma vie…
Il faut alors, comme pour un enfant, que je me raconte une histoire qui me mène en bateau sur les canaux des hasards.
Il est donc une fois, une feuille flamboyante du pourpre de l’automne. Elle descend du ciel des cimes, assise sur le dos du vent, jusqu’au sol aux odeurs d’humus. Là, elle se sent seule couchée sur le tapis que lui font ses sœurs, et se trouvant encore belle, demande au vent de la porter plus loin. Elle flotte ainsi un bon moment jusqu’au détour d’un chemin, où elle entend le chant d’un oiseau peu commun en ce lieu… Le vent la dépose devant l’oiseau, et lui souffle à l’oreille de faire quelque chose pour consoler ce bien piètre chanteur.
Il s’agit d’un faisan a qui il manque une plume. Il clame sa tristesse de n’être plus celui qu’il était avant d’avoir perdu une de ses plus belles plumes qui lui allait si bien !
Pourquoi es tu si triste l’oiseau, lui demande la feuille ? Tu es encore très beau dans ta cape, bleue moirée de vert, qui met bien en valeur ta jaquette dorée !
Tu ne peux pas comprendre, car tu n’es qu’une feuille dont la silhouette est à mille autres comparable et tu ne voles, toi, qu’au gré du vent s’il t’en accorde l’avantage !
Cela est vrai, et c’est justement lui qui m’a menée vers toi ! Je n’ai pas, je le sais ton sens de l’élégance, mais ma vie passée au plus haut, perchée sur les branches, m’a dotée d’un intérêt immense pour les êtres d’en bas, qui comme toi s’habillent en dimanche !
Bla-bla-bla ! Cela suffit la feuille ! Moi sans ma plume, je me sens en guenilles, et toi tu prétends que c’est sans importance ? Te voilà bien pour moi d’un énorme secours dont tu attends peut-être de la reconnaissance ?
Mais l’oiseau, si je pouvais t’aider à retrouver ta prestance, je le ferais crois moi sans aucune réticence ! Dis moi ce je que dois faire pour apaiser ton courroux, tu sais sur moi il ne pousse aucun poil, alors les histoires de plumes, je n’y entends rien qui vaille la peine de se mettre en cet état ! Une de plus ou de moins quelle en est l’importance, tu resteras faisan et moi je n’y vois nulle offense !
Ah tiens ! Et je devrais aller ainsi, misérablement vêtu aux yeux de l’assistance qui se rira de moi en bonne intelligence… Le monde d’ici bas n’est pas ce que tu crois, la singularité de l’apparence est pour nous une chance héritée de nos pères et me voilà à présent déchu du titre de plus beau des ailés, parcourant les sentiers, dont on se porte garant et qui fait référence !
La voilà bien ta chance d’entrevoir un instant d’une faille dans tes atours, la perte de ton aisance en ce monde ou prime avant tout l’origine et la naissance… Serais-tu moins intéressant que ton costume pour essayer ainsi de fuir la circonstance ?
Tu es sotte la feuille ! Ne vois-tu pas que je suis nu à présent sans cette plume qui me manque ! Elle était sur ma queue la plus belle de toutes, et je pouvais grâce à elle sur tout sujet faire preuve d’éloquence, croiser le fer des mots sans aucune indulgence, et surtout me permettre toutes les arrogances ! Sans elle, je le crois, je ne vais plus à ma cour que bredouiller quelques glouglous, et ma gorge se noue déjà à l’idée de cela !
Laisse donc là ta cour et son bastringue, et viens un peu ici que je t’arrange… en voletant tout autour, je vais bien pouvoir cacher le terrible désordre de cette queue dévastée…
Et une ici, et une là… celle-ci par dessus et celle-là proprement placée dessous…
Eh ! la feuille cesse donc, cette cause est perdue…
Aïe ! Aïe ! tu me fais mal, arrache-les toutes pendant que tu y es, que je ressemble à une poule… et puis tu me chiffonnes… de quoi j’ai l’air et à quoi je ressemble, t’es folle !
Patience, Majesté…Tu vas voir, un petit coup des dents de mon bord, ici… un peu là… et la voilà peignée ta satanée queue! Ne te semble-t-elle pas avoir retrouvée tout son panache… et toi toute ta dignité ?
Il est vrai, que son tombant a repris de la noblesse… et qu’à première vue… en me tenant bien raide, et cela je le sais faire… je ne vois pas dans mon allure princière, ce qui pourrait déplaire ! Sauf que, si jamais ton ami le vent venait à me surprendre par mes arrières, que pourrais-je bien faire sans ton aide et de quoi j’aurais l’air ?
Alors, pour moi, veux tu bien à partir de ce jour accepter le digne poste de première costumière, pour t’occuper de mes atours ?
Avec joie, mon bel oiseau ! Je veux dire Majesté… Je m’accrocherai à ta robe magnifique, comme une broche à la couleur d’automne, et chaque jour je veillerai à ce que tu sois le plus beau, pour que nous parcourions ensemble les sentiers de ton royaume !
C’est acquis, la feuille ! Tu seras donc à partir d’aujourd’hui mon petit écuyer, et je t’appellerai «Vol au vent », en souvenir de ton ami qui te porta vers moi, pour calmer mon tourment!