Emmitouflée dans son manteau, ses mains gantées enfoncées dans ses poches, Joséphine se hâtait. Une bise mordante picotait la peau de son visage ; habituellement, elle appréciait la sensation, mais ce jour-là, le vent était bien trop féroce.
Un ciel bas et lourd, d’un gris de cendres, envahi de nuages gonflés de neige, pesait sur la ville. Quand donc les flocons allaient-ils tomber ?
Fermant son esprit à toute rencontre fortuite – humaine ou non -, elle marcha rapidement jusqu’à sa rue. Au moment où elle pénétrait dans l’allée de son immeuble, elle faillit se faire heurter par une personne qui en sortait.
— Eh ! cria Joséphine, en effectuant un pas de côté.
Puis elle cligna des yeux en reconnaissant la femme.
— Eva ?
Celle-ci s’excusa à voix basse et repartit sans daigner lui parler davantage. Engoncée dans sa veste noire, les poings serrés, elle était la personnification de la fureur.
Joséphine secoua la tête, outrée. Elle reprit son chemin, pressée de se mettre au chaud, lorsqu’elle entendit un léger tintinnabulement. Elle s’arrêta en soupirant. Hésitante, elle laissa couler son regard vers les poubelles alignées sur sa gauche. Le son persista, à peine audible. De toute manière elle était la seule à le percevoir.
Finalement, elle céda. En grimaçant, elle souleva le couvercle et découvrit, posé sur des sacs et des gobelets en papier, un ravissant porte-clé. Elle le prit, l’essuya un peu, et l’admira : c’était un dé à vingt faces, qui brillait d’un éclat argenté.
— À qui appartiens-tu ?
La réponse, évidente, surgit immédiatement. Elle lâcha le couvercle et repartit en courant dans la direction qu’Eva avait prise. Dès qu’elle aperçut ses cheveux bleus, elle serra son sac à main contre elle et accéléra, évitant les quelques passants. J’ai bien fait de mettre une paire de baskets.
— Eva ! cria-t-elle, au moment où elle la rattrapait.
Celle-ci se retourna et s’arrêta, surprise. Elle n’avait pas l’air ravie de la voir. Essayant de reprendre son souffle, Joséphine tenta d’expliquer :
— Je suis dé… désolée, mais… je crois que tu as perdu ça.
Elle lui montra l’objet. Eva, qui la scrutait, reporta son attention sur lui. Son expression se ferma et ses lèvres se pincèrent.
— Je l’ai jeté. Je n’en veux plus.
Puis, elle fit demi-tour et s’éloigna. Joséphine la suivit du regard un long moment. Que lui arrive-t-il donc ? S’est-elle disputée avec Marc ? Ignorant le tressaillement joyeux de son cœur à cette pensée, elle fixa le porte-clé.
— Je suis désolé. Je crois que tu as été abandonné.
Il siffla tristement.
— Allez, je t’emmène chez moi. Tu verras, tu vas avoir plein de copains.
Elle le glissa dans une poche, puis repartit. Le faible soupir du petit objet l’accompagna tout le long du chemin, jusqu’au premier étage. Joséphine contempla la porte de son voisin Marc en se demandant si elle devait aller voir si tout allait bien. Mauvaise idée, répliqua sa part raisonnable.
Une fois chez elle, elle lâcha ses clés sur un meuble, son manteau et son sac sur son canapé. Puis elle récupéra son invité et se rendit dans la cuisine.
— Un nettoyage et je t’installerai chez toi.
Elle ouvrit l’eau chaude, prit un torchon et frotta délicatement le porte-clé, qui ronronna. Joséphine sourit. Depuis qu’elle avait éveillé et apprivoisé son étrange don, elle avait un regard sur le monde bien différent. Elle avait appris que parfois certains objets prenaient vie – une forme de vie en tout cas – au contact de leurs possesseurs. Et que, quand ils s’égaraient, ils finissaient chez elle. Ce qui faisait d’elle une trouveuse.
— Alors, pourquoi t’a-t-elle jeté ?
Le porte-clé ne répondit rien. Il brillait de mille feux quand elle revint dans son salon. Une vitrine trônait non loin de la fenêtre. Derrière les portes dormaient une multitude de délaissés : des bijoux, des peluches, des carnets, des stylos et des livres, d’autres porte-clés, tous ceux dont les propriétaires ne voulaient plus. Alors, elle leur donnait un foyer. Un léger murmure joyeux l’accueillit au moment où elle entra dans la pièce.
— Je vous ai apporté un nouvel ami. Soyez gentils avec lui ; il vient d’être abandonné.
Les chuchotements prirent un accent de tristesse et de compassion. Elle observa un instant les étagères, à la recherche d’une place de choix pour son nouveau pensionnaire. Après quelques secondes de réflexion, elle le posa près d’un petit carnet noir esseulé et referma la vitrine.
On frappa à la porte d’entrée. Avec une moue, elle surveilla la porte, hésitant à répondre. Elle avait passé une journée éreintante au bureau des objets trouvés de la mairie, à répondre aux appels des gens et à renseigner ceux qui se présentaient. De surcroit, durant sa pause, elle avait traversé la ville pour rapporter un parapluie ancien à son propriétaire. Il avait été si ravi qu’il l’avait invité à manger. Elle avait failli arriver en retard pour reprendre son travail. Elle rêvait de s’avachir dans son sofa et de regarder une série.
Les coups reprirent de plus belle. Ils semblaient désespérés. Elle soupira et ouvrit la porte. Elle découvrit Marc accompagné de sa fille Pervenche. L’adolescente paraissait furieuse. Ses yeux rougis montraient qu’elle avait pleuré. Son père gardait une main sur son épaule et fixait Joséphine avec un air contrit.
— Bonsoir, commença-t-il.
— Bonsoir. Que se passe-t-il ? fit-elle, interloquée.
— J’ai besoin de ton aide, formula Pervenche d’une voix sourde.
Joséphine se demanda soudain si son état n’avait pas un rapport avec Eva.
— Venez…
Elle s’effaça. Ses voisins entrèrent et se tinrent debout dans le salon.
— Alors ?
— Cette p….
— Pervenche, la prévint Marc d’un ton sec.
Sa fille lui jeta un regard avec une moue. Puis elle reporta son attention sur Joséphine.
— J’ai perdu un objet important pour moi. Un porte-bonheur, offert par ma mère juste avant de mourir. Je me demandais si… s’il n’était pas apparu chez toi.
— Je suis désolée, fit Joséphine, le cœur serré.
Pervenche fixa son père avec une profonde tristesse. Celui-ci la prit dans ses bras. En réponse au regard interrogateur de Joséphine, il raconta :
— J’ai rompu avec Eva aujourd’hui.
Voilà qui explique sa rage. Sa poitrine se réchauffa à mesure que l’espoir l’envahissait. S’il n’était plus avec Eva, peut-être que… Elle se rabroua et se concentra sur ses invités.
— Ma fille l’aimait beaucoup. Elle lui avait prêté son porte-bonheur. Eva ne lui a pas rendu et Pervenche a peur qu’elle soit partie avec…
La révélation tomba sur Joséphine comme une tonne de briques.
— Attendez-moi là ! lâcha-t-elle.
Marc et Pervenche, interloqués, la suivirent du regard. Elle s’approcha de la vitrine, l’ouvrit et prit le porte-clé qui frétillait de joie.
— C’est ton jour de chance, murmura-t-elle.
Elle revint et le présenta dans sa paume ouverte. Le visage de l’adolescente s’illumina. Elle s’en empara et le serra contre elle.
— Merci, souffla-t-elle. J’avais tellement peur de ne jamais le retrouver.
— Je t’en prie, répondit Joséphine. C’est ma mission.
Le sourire de Marc lui réchauffa le cœur qui tambourina joyeusement.
— Je t’en serai éternellement reconnaissant, continua-t-il. C’était un cadeau que j’avais fait à ma femme, lors de notre premier rendez-vous, raconta Marc, avec nostalgie. À une convention de jeu de rôle.
Joséphine, émue, hocha la tête. L’adolescente s’approcha, hésitante. La jeune femme acquiesça et laissa Pervenche la serrer dans ses bras, tout en lui rendant son étreinte. Attendri, Marc les contemplait. Joséphine le fixa par-dessus la tête de Pervenche. Lorsque leurs regards se croisèrent, il fronça les sourcils d’un air surpris, comme s’il la voyait pour la première fois.
— Pour te remercier, que penses-tu de venir diner avec nous ? reprit-il, après un moment. J’ai préparé des pizzas.
Au diable sa soirée série et canapé !
— Avec plaisir, répondit-elle en souriant.
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