« Être différent n’est ni une bonne
ni une mauvaise chose.
Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment
courageux pour être vous-même. »
Albert Camus
Lorsque Christian arriva au bar, il était encore tôt. Ulrik était derrière le comptoir et partirait sans doute prochainement pour pouvoir amener ses deux filles faire la tournée des maisons.
Christian le salua rapidement et lui demanda si Bartholomé était dans le coin.
« Il se prépare pour la soirée dans son bureau » répondit Ulrik avant de se tourner vers le jeune homme qui le remplacerait pour le reste de la soirée.
De son côté, Christian ne se dirigea pas immédiatement vers les pièces du fond. À la place, il regarda son portable.
Elle ne devrait plus tarder maintenant, songea-t-il en avisant l’heure sur son écran.
Et effectivement, même pas une minute après, une jeune femme entra et s’approcha de lui en souriant. Mais malgré son apparente bonne humeur, il pouvait sentir son malaise.
« Tout va bien se passer. Tu fais comme on a dit et tu verras que le plus dur sera derrière vous » la rassura-t-il en posant ses mains sur ses épaules en guise de réconfort.
Après les confidences de Bartholomé au sujet de Clara, Christian n’avait pu rester les bras croisés à regarder son ami détruire une belle histoire juste parce qu’il avait peur, non pas des on-dit, mais que sa propre image entache celle de la jeune femme.
Il avait alors fait une chose qu’il ne se serait jamais permise en temps normal.
Pendant que Bartholomé était parti faire un tour aux toilettes, il en avait profité pour fouiller dans son téléphone et récupérer le numéro de Clara. Par la suite, ils avaient échangé à plusieurs reprises, Christian lui confiant qu’il avait vécu la même chose qu’elle.
Il regarda la jeune femme et une fois certain qu’elle tiendrait le coup face aux prochains événements, il la conduisit vers le bureau de Bartholomé.
Il entra le premier pour être sûr que son ami était présentable et le trouva debout devant un miroir. Il tentait de remonter la fermeture éclair de sa robe. Sous le choc, Christian resta figé sur le palier et lorsque Bartholomé se tourna vers lui avec un grand sourire, son coeur rata un battement.
Il ne savait pas pour quelles raisons il s’habillait de la sorte, mais cela faisait une éternité que Christian ne l’avait pas admiré en femme. La joie qu’il ressentit, en le voyant si libre et pétillant, s’afficha sur son visage par un immense sourire.
« Ne reste pas planté là mon chou, viens m’aider ! s’exclama Bartholomé en prenant une voix un peu plus fluette qu’à l’accoutumée. Mes amies ne vont pas tarder à arriver et mon invité spécial également. »
Il y a donc bien une raison à cette tenue, songea tristement Christian. Lui qui pensait qu’il s’était habillé ainsi juste pour le plaisir.
Il fit un pas dans la pièce, mais uniquement dans le but de laisser passer son invitée.
Lorsque Bartholomé vit Clara entrer dans le bureau, son visage devint d’une pâleur maladive avant que ses yeux ne se posent sur Christian, affichant clairement son mécontentement.
Ce dernier eut le bon goût d’être un minimum gêné par la situation. Lui qui n’aimait pas qu’on se mêle de ses affaires, venait justement de faire tout le contraire de ce qu’il demandait à ses amis. Malgré tout, il ne regrettait pas son geste.
Il espéra toutefois qu’ils puissent arriver à trouver un terrain d’entente. Après un accord silencieux de la part de la jeune femme, il quitta le bureau pour retourner dans le bar où il fut immédiatement apostrophé par les « amies » de Bartholomé.
« Christian, mon petit, ça fait tellement plaisir de te voir.
— Tu vas bien venir boire un verre avec nous depuis le temps. »
Et avant qu’il n’ait pu refuser ou accepter, il se retrouva assis de force sur une chaise. L’ambiance était vraiment agréable et il sentait que la soirée le serait tout autant, pourtant, son esprit ne profitait pas pleinement de la fête.
Soit, il était tourné vers Clara et Bartholomé, soit, il songeait à Dylan.
Après la conversation qu’ils avaient eue chez lui, il avait cru qu’ils pourraient peut-être devenir plus que de simples collègues. En tout cas, c’est ce qu’il avait pensé en voyant le comportement de Dylan à son encontre durant les semaines qui s’étaient écoulées.
Cependant, les paroles que l’autre avait tenues jeudi au sujet des homosexuels avaient profondément peiné Christian. Comment pourrait-il être ami avec quelqu’un qui avait si peu de considération pour les personnes comme lui ?
Il n’avait pas honte d’être gay. Ou en tout cas, il n’avait plus honte de l’être. Et il comprenait très bien les inquiétudes de certains pour les enfants qui avaient des parents homosexuels. Mais avec son propre vécu, Christian savait par avance qu’avoir des parents hétérosexuels n’était pas un gage de bonheur.
Est-ce que deux personnes du même sexe pourraient faire d’un enfant le bouc émissaire des autres ? Évidemment ! Mais est-ce vraiment eux qui sont à blâmer dans ces cas-là ? Ou alors les parents qui ne savent pas tenir leur langue et expliquer correctement que, dans la vie, un couple ne signifie pas uniquement un homme et une femme ?
Malgré tout, Christian aurait dû s’attendre à ce genre de propos de la part de Dylan. Ce dernier ne s’était pas caché qu’il avait rejoint l’armée pour paraître plus viril et effacer cette image de sous-homme que leur relation avait fait naître en lui.
Sa poitrine se serra violemment à l’idée qu’il était peut-être le seul à garder de bons souvenirs de ces cinq mois qu’ils avaient vécus ensemble.
Énervé contre ses sentiments tumultueux qui agitaient sa tête et son coeur, Christian se força à se concentrer sur ce qu’il se passait autour de lui pour empêcher son esprit de cogiter.
Tant pis pour cette amitié qu’il aurait voulu voir vivre. Si Dylan n’était pas capable de l’accepter tel qu’il était, alors il ne valait pas la peine qu’il s’y attarde.
Soudain, une main se posa sur son épaule et des cris admiratifs se firent entendre autour de la table.
« Bartholomé, ma chérie, tu es sublime !
— Cette robe te va à merveille !
— Qui est donc cette ravissante demoiselle qui t’accompagne ? »
Christian leva la tête vers son ami et au vu de son regard pétillant de joie, ainsi que du visage lumineux de Clara, il était évident que leur discussion avait abouti à une réconciliation.
« Bas les pattes, les amies, cette femme est à moi » répliqua Bartholomé en passant un bras autour de la taille de sa nouvelle compagne.
Puis il reporta son attention sur lui et dit d’un ton sérieux qui n’admettait aucune réplique :
« Toi et moi, faut qu’on parle. »
Ouille !
Il avait pensé qu’avec leur mise en couple il ne se ferait pas hacher menu, mais il faut croire qu’il avait eu tort !
Christian le suivit donc vers le fond du bar après que Bartholomé eut demandé à ses amis de prendre soin de Clara en son absence. La jeune femme avait d’ailleurs levé les yeux au ciel devant autant de chevalerie avant d’offrir un sourire rassurant à un Christian penaud.
Lorsque Bartholomé poussa la porte de son bureau, il s’écarta pour laisser entrer Christian et referma ensuite derrière eux.
Quand il avait vu Clara, il avait eu des envies de meurtre envers son ami. Et lorsque ce dernier avait quitté la pièce, le laissant seul avec la jeune femme, il avait paniqué.
Clara le regarda de la tête aux pieds, incapable de savoir quels sentiments étaient les plus forts. Le choc ? L’admiration ? Ou alors un amour grandissant un peu plus à chaque rencontre avec cet homme ?
Elle était plus jeune que lui, elle le savait. Pourtant, malgré son âge, elle en avait côtoyé des hommes, toujours en quête de celui qui serait parfait pour elle.
La première fois qu’elle avait croisé Bartholomé, il était derrière le comptoir de son bar. Il n’y avait pas beaucoup de monde, alors elle s’était installée sur un tabouret et avait commandé un verre de vin.
« Et voici » avait-il déclaré en posant sa commande devant elle. Puis il avait ajouté, attirant son attention :
« Qu’est-ce qui peut bien attrister une jolie jeune femme comme vous au point qu’elle vienne boire seule dans mon bar ?
— Un connard » avait-elle répliqué en descendant son verre d’une traite.
Elle en avait enchaîné plusieurs et lorsqu’il lui avait proposé de le suivre jusqu’à chez lui, elle avait dit oui. La nuit avait été incroyable, mais ils s’étaient quittés au matin sans demander quoi que ce soit à l’autre.
Et pourtant, ils s’étaient revus quelques semaines plus tard.
Bartholomé avait dû prendre rendez-vous en urgence à cause d’un abcès à la bouche. Autant dire que cette deuxième rencontre avait été très gênante pour lui. Car même s’il n’avait pas demandé le numéro de la jeune femme, quelque chose chez elle l’avait attiré. Et lorsqu’il avait vu qu’elle était la dentiste qui s’occuperait de lui, Bartholomé avait pris ça comme un signe du destin.
Ils s’étaient revus plusieurs fois. S’étaient aimés. Avec passion ou tendresse. Mais toujours avec sincérité.
Puis il avait fait l’idiot et il avait cru que sa relation avec Clara était finie.
Et voilà qu’elle était là, dans son bureau. Grâce à Christian.
Lorsqu’il vit son ami quitter la pièce, il n’eut qu’une seule envie, faire la même chose. Mais ses membres refusaient de bouger et il dut se contenter de la regarder s’approcher et lui demander de se tourner.
Quand il fut dos à elle et qu’elle remonta la fermeture éclair de sa robe avant de se mettre sur la pointe des pieds et d’embrasser sa nuque, il ferma les yeux sous la douleur que son geste faisait naître en lui.
Il n’avait jamais eu honte de sa façon de vivre. Christian lui avait dit une fois qu’il était comme un électron libre, il ne cherchait pas à se rapprocher du noyau, préférant plutôt graviter autour.
Seul, mais sans entrave.
Aujourd’hui, il comprenait que son mode de vie ne lui avait pas posé problème, car il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui l’attirait assez pour qu’il ne songe plus uniquement à lui et ses désirs.
Mais en faisant la connaissance de Clara, la donne avait été inversée.
La jeune femme avait une certaine insouciance qui pouvait facilement s’entendre dans ses propos lorsqu’ils discutaient. Et plus Bartholomé passait son temps avec elle, plus il avait l’impression de la salir.
Métaphoriquement, elle était comme une toile blanche qu’il tachait de marques noires par sa présence à ses côtés.
« Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il sans se retourner, essayant de rester aussi froid que possible.
— Tu pensais me faire peur en agissant comme tu l’as fait la dernière fois ?
— Oh, je ne crois pas me tromper en disant que c’est exactement ce qu’il s’est passé. La seule raison pour laquelle tu es là aujourd’hui, c’est parce que j’ai un ami qui ne sait pas rester à sa place » répliqua-t-il.
Un petit rire se fit entendre dans son dos et il ferma les yeux pour mieux profiter de la chaleur agréable que ce son diffusait dans sa poitrine.
Soudain, il se sentit tiré en arrière et Clara le poussa à s’asseoir sur la chaise de son bureau. Il ne comprit ses intentions qu’en la voyant prendre la trousse de maquillage.
« Clara… soupira-t-il.
— Tais-toi, le coupa-t-elle. Tu m’as déjà exposé tes craintes et tu as agi comme un idiot la dernière fois en voulant me forcer à te regarder coucher avec cette femme.
— Tu ne… tenta de dire Bartholomé.
— Je sais très bien que tu as des désirs qui ne pourront pas être satisfaits par moi, l’interrompit-elle une fois de plus. Et comme je te l’ai déjà dit, je l’accepte, Bartholomé. Si tu ressens le besoin à un moment donné de voir une autre personne, alors soit, je te laisserai faire.
— Tu joues les femmes ouvertes, mais nous savons tous les deux que tu ne le supporteras pas longtemps.
— Justement, c’est là que tu te trompes ! Comment pouvons-nous prétendre connaître le futur ? Je ne possède pas le don de clairvoyance et toi non plus. La vie est un entremêlement de “si” et de “peut-être”. Alors, c’est vrai, il y a une possibilité que je n’accepte pas ta personnalité aussi bien que je le voudrais et qu’on finisse par se séparer. Mais il existe aussi un avenir où nous sommes heureux ensemble et c’est sur celui-là que je veux miser et espérer, parce que je t’aime Bartholomé. Tu es un homme intelligent et ouvert d’esprit. »
Un rire sans joie s’échappa de ses lèvres et il répliqua avec sarcasme :
« Ça pour être ouvert, je suis ouvert !
— Bartholomé… »
Cette fois, ce fut à son tour de la couper dans son élan.
« Stop ! »
Il prit ses mains dans les siennes et plongea son regard dans ses yeux noisette.
« Je te l’ai déjà dit, je ne suis pas un homme pour toi. Tu es jeune, tu as encore de belles années qui t’attendent. Alors que moi, j’arrive déjà à la moitié de ma vie. Je n’ai rien à t’offrir. »
Clara ferma les yeux et une expression douloureuse se peignit sur son visage. Le silence entre eux se prolongea encore un instant avant qu’elle ne prenne la parole.
« Je vais juste te poser une question. Si après celle-ci tu me tiens toujours le même discours, alors je disparaîtrai définitivement de ta vie.
— Je t’écoute.
— Si les rôles étaient inversés. Si c’était toi qui avais mon âge et moi le tien. Si je te disais de partir, car je n’étais pas faite pour toi… Est-ce que tu m’écouterais ? »
Bartholomé ne répondit pas, parce qu’en fin de compte, il savait au fond de lui que la réponse était « non ». Jamais il n’aurait renoncé.
Mais tout le monde connaît l’adage « fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais ».
Cependant, parce qu’il n’était pas un menteur et, sûrement, car il ne voulait pas la perdre, il secoua la tête pour répondre à sa question.
« Bien, donc maintenant que les choses sont mises au clair, tais-toi et ferme les yeux que je te rende sublime, répondit Clara en souriant.
— Tu ne renonceras pas, n’est-ce pas ? dit-il dans un souffle, la tête basse. Même si tu sais que je vais te faire souffrir. Que je ne te serais pas toujours fidèle !
— Tu peux coucher avec tous les hommes que tu veux Bartholomé, je ne t’en voudrai jamais. Car il est évident qu’ils ont quelque chose que je ne peux pas t’offrir. Par contre, je t’interdis d’aller voir une autre femme pour m’épargner. Si tu as besoin que je t’encule, alors je le ferai. »
Il sursauta en entendant les paroles crues sortir de la bouche de la jeune femme. Elle qui n’employait que très rarement des vulgarités !
« Pas la peine d’avoir un vocabulaire aussi fleuri, s’exclama-t-il.
— Au moins comme ça je suis sûr que tu comprendras ce que je te dis. Maintenant, tais-toi, tu m’empêches de te maquiller. »
Un sourire étira les lèvres de Bartholomé et son visage se détendit en une expression vaincue, mais paisible.
« Est-ce que j’ai au moins le droit à un baiser ? »
Elle le regarda sans réagir avant de rigoler et de se pencher pour l’embrasser.
Et après, ça avait quelque peu dégénéré se remémora Bartholomé en jetant un coup d’oeil à son bureau.
« Je ne veux même pas savoir ce qu’il se passe dans ta tête, grogna Christian en ramenant son ami dans l’instant présent. De quoi tu voulais me parler ?
— Pourquoi tu as fait ça ? attaqua-t-il immédiatement sans chercher à y aller par quatre chemins. Tu n’avais pas à te mêler de cette histoire.
— Exactement comme toi avec Dylan.
— Ça n’a rien à voir, répliqua Bartholomé, de mauvaise foi.
— T’as raison, c’est même pire que moi. Contrairement à toi, je me suis juste contenté de lui parler et de lui raconter une histoire similaire à celle qu’elle a vécue. J’ai agi pour ton bien et non pas pour mon propre plaisir, sermonna Christian.
— Je n’ai pas… »
Il s’arrêta en plein élan, conscient qu’il ne serait pas honnête dans ses propos.
Ils se regardèrent un instant et chacun vit les lèvres de l’autre frémir avant qu’ils rigolent en choeur de leur mauvaise foi. Bartholomé prit alors Christian dans ses bras et lui dit :
« Merci d’avoir été la chercher pour moi. Je te promets que d’une façon ou d’une autre je te le rendrai.
— Ne raconte pas de bêtises, Bary. Tu as déjà tant fait pour moi. Je pense que de nous deux, celui qui doit être le plus redevable, c’est moi. »
La reconnaissance qu’il entendit dans ces paroles attrista Bartholomé autant que ça lui fit plaisir.
Il n’avait jamais reproché à Christian la distance inconsciente qu’il mettait entre eux, mais il mentirait s’il disait ne pas avoir été peiné par celle-ci. Or, depuis quelque temps il avait le sentiment que son ami s’ouvrait plus à lui et il ne voulait pas que ça change.
« Le principal, Christian, ce n’est pas ce que l’on fait pour l’autre. C’est surtout qu’on le fasse avec amour et désintérêt. Je ne veux pas que tu agisses parce que tu te sens redevable.
— Quoi ? s’exclama son ami. Non ! Je n’ai pas fait ça par culpabilité, Bartholomé !
— Ok, ok, je te crois, ne t’énerve pas. »
Christian le regarda, le doute toujours visible dans ses yeux, mais il changea de sujet et demanda :
« Donc tout va bien entre vous ? »
Il le regarda un instant sans trop comprendre, avant de dire :
« Oui. Tout va bien entre nous et c’est grâce à toi. Merci, mon ami. »
Et cette fois-ci, Christian ne protesta pas.
Ils finirent par retourner dans le bar et il fut surpris de voir le monde qui s’y trouvait. Ils n’étaient pourtant partis que quelques minutes.
Il jugea alors bon de faire un tour aux toilettes avant que celles-ci soient complètement ruinées. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il revint et que Bartholomé lui attrapa le bras pour lui indiquer le comptoir d’un geste du menton.
Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il vit que Dylan s’y trouvait avec un autre homme. Il semblait chercher activement quelqu’un et la personne à ses côtés lui offrit une bière.
« Il est venu pour toi, déclara son ami à son oreille.
— Qui ça ? » demanda-t-il bêtement.
Et au vu du regard de Bartholomé, il était évident qu’il pensait la même chose.
« Va le voir » dit-il en le poussant gentiment d’une main dans le dos.
Et ce geste suffit à lui donner l’impulsion nécessaire pour avancer vers Dylan.
Dès que ce dernier le vit, un immense sourire fendit son visage et il s’empressa de présenter Christian à l’homme qui lui avait tendu le verre un peu plus tôt.
Si le comportement de Dylan en le voyant lui avait fait extrêmement plaisir, il fut encore plus ravi d’apprendre qu’il avait parlé de lui à une personne qu’il semblait connaître depuis longtemps.
« Oh… Dylan vous a parlé de moi ? »
Dylan observait Zackary de la même façon qu’on regarderait quelqu’un qui aurait deux têtes. Comment ça, le fameux Christian ? Il ne lui avait jamais parlé de ce dernier. Zackary tourna les yeux dans sa direction et lui offrit un clin d’oeil complice qui ne présageait rien de bon.
« Oh… Dylan vous a parlé de moi ? »
Il n’en fut pas vraiment sûr, mais il était presque certain d’avoir entendu une pointe de joie dans la voix de Christian. Est-ce que cela pouvait signifier qu’il ne l’avait pas totalement rayé de sa vie ?
« Pas directement, mais oui on peut dire ça. »
Ok ! La réponse de Zackary était encore plus étrange que sa première phrase. Dylan allait reprendre le contrôle de la conversation quand il observa son frère et Rebecca marcher vers eux. Il leur avait proposé de venir, ainsi qu’à Alexie et Carmen. Mais en voyant le regard que Christian posait sur lui, il n’était pas certain que la présence d’Alexie soit la meilleure idée qu’il ait eue.
Sauf qu’il était trop tard pour annuler.
Il ne lui restait donc plus qu’une seule chose à faire. Se réconcilier avec Christian avant que la jeune femme ne débarque. Si jamais ces deux-là discutaient ensemble, il était cuit.
« Christian ! s’exclama-t-il en se tournant brusquement vers l’homme. Est-ce qu’on pourrait discuter un instant toi et moi ?
— Dylan ! »
Et merde ! Alexie arriva justement à ce moment-là. Tout n’était pas encore perdu, ils pouvaient toujours s’éclipser et régler leur problème à part. Loin des oreilles d’Alexie. Il salua rapidement la jeune femme et reporta aussitôt son attention sur Christian. Ce dernier le regardait avec une certaine colère dans les yeux et on pouvait facilement voir la tension qu’il y avait entre eux.
« Houlà, c’est quoi cette atmosphère tendue ? Vous vous êtes disputés ou quoi ? » demanda-t-elle en les observant à tour de rôle.
Il jeta un regard désespéré à Christian. Le genre qui voulait dire S’il te plaît, épargne-moi ! et ce dernier dut aisément le comprendre, car il lui offrit un sourire chargé d’ironie avant de se tourner vers Alexie.
Salaud !
« Disons qu’une fois de plus, ce cher Dylan n’a pas su tenir sa langue.
— Qu’est-ce qu’il a encore dit ? » demanda Sacha en soupirant, s’attirant un regard noir de la part de son frère.
Dans sa focalisation sur Alexie, il avait oublié un détail essentiel. Ils seraient tous contre lui si Christian parlait. Et cet enfoiré l’avait parfaitement compris puisqu’il continuait à lui sourire. De ce sourire qui disait Je sais ce que tu voulais éviter et je vais t’y précipiter en plein dedans.
Leurs regards s’accrochèrent pendant de longues minutes, puis il parla.
« Il m’a gentiment fait remarquer que mes penchants sexuels m’avaient conduit du mauvais côté de la force. »
Des exclamations indignées fusèrent de toutes parts, mais Dylan n’en avait cure. Il observa un moment l’homme devant lui, sa poitrine se serrant avec force sous la reconnaissance qu’il ressentait à son égard. Christian n’avait pas parlé de sa bévue sur les familles homosexuelles.
Certes, il avait quand même balancé l’autre partie, mais la gravité de celle-ci était minime en comparaison.
Une violente tape contre son épaule le ramena à l’instant présent et il se recroquevilla légèrement pour éviter les petits coups vengeurs qu’Alexie lui infligeait. Alors qu’elle le frappait encore et encore, faisant rire les autres, il repensa à ce qu’il avait balancé à Christian et sentit le poids de la culpabilité l’envahir. Il attrapa alors la jeune femme et la serra avec force contre lui.
« Je suis désolé » souffla Dylan dans son oreille d’une voix légèrement tremblante.
Alexie dut percevoir toute la sincérité qui l’habitait, car elle arrêta immédiatement de se débattre et le serra à son tour contre elle.
Il ferma les yeux un instant afin de se reprendre. Si Christian avait dévoilé toute la vérité, il n’était pas sûr que la jeune femme lui aurait pardonné. Pas alors qu’elle voulait avoir un enfant avec Carmen.
Il connaissait toute l’importance de la famille aux yeux de son amie. Elle avait perdu ses parents dans un accident de voiture. Ils partaient la chercher après un coup de fil de sa part. C’était pendant une escale dans leurs vacances.
Alexie avait rencontré quelques jeunes de la ville qui lui avaient proposé de venir s’amuser avec eux. Et comme ses parents étaient contre, elle avait décidé de faire le mur. Mais une fois à la fête, elle s’était vite rendu compte qu’elle n’était pas à sa place parmi ces personnes qui ne pensaient qu’à boire, fumer ou coucher.
C’est malheureusement à la suite de cet accident qu’ils s’étaient rencontrés. Deux âmes brisées trop jeunes par la vie.
Alors qu’ils s’écartaient l’un de l’autre, il remercia mentalement, et pour la centième fois, Christian d’avoir gardé le secret. Il chercha justement ce dernier des yeux, mais il se rendit compte qu’il n’était plus à ses côtés.
« Il est parti dehors, mon frère, l’orienta Zackary. Sacha et Carmen nous ont trouvé une table à l’intérieur, ajouta-t-il en pointant du doigt un endroit dans le bar. J’attendais juste de pouvoir vous prévenir avant de les rejoindre. Je prends ta bière avec moi ? »
Dylan regarda dans le bar et lorsqu’il constata que Zack était assis à une table avec Bartholomé et d’autres hommes travestis, il comprit qu’il n’avait pas à s’inquiéter pour lui.
« Oui, vas-y. Vous pourrez surveiller Zack pour moi ? demanda-t-il toutefois à son ami, avant de l’interpeller alors qu'il partait avec Alexie rejoindre les autres : Hé Zackary ! Va falloir qu’on parle. Je crois que tu as des choses à me dire. »
Il comprit immédiatement de quel sujet Dylan voulait discuter et un sourire mesquin s’étira à travers sa barbe.
« Pas de problème, Bro. Mais on fera plutôt ça en fin de soirée. Quand tu auras assez bu pour ne pas te sentir trop gêné. »
Puis il partit rapidement rejoindre la tablée, laissant un Dylan stupéfait et quelque peu inquiet. Allons bon ! Qu’est-ce qu’il va me raconter dont je ne me souviens pas ? Il décida de remettre ses questions à plus tard et se dirigea vers la sortie. Dehors, il y avait également beaucoup de monde et cela rétrécissait son champ de vision.
Il paniqua légèrement à l’idée que Christian soit parti ailleurs.
Dylan le trouva finalement en pleine conversation avec d’autres hommes qu’il ne connaissait pas. Il semblait heureux et détendu et un sentiment inconnu vint le piquer au creux de son estomac. Il resta quelques instants en retrait, l’observant rire et parler chaleureusement avec les autres et il se demanda s’il devait gâcher ce moment.
Il allait retourner à l’intérieur quand l’un d’entre eux sembla l’avoir remarqué et fit un signe de tête dans sa direction tout en disant quelque chose qu’il ne pouvait entendre de là où il se trouvait.
Lorsque Christian avait vu Dylan prendre Alexie dans ses bras, il avait compris qu’il avait bien fait de ne pas tout énumérer. Que ce dernier ne pensait pas vraiment les propos homophobes qu’il avait dits. Il avait néanmoins estimé qu’il devrait souffrir un peu de les avoir proférés. Après tout, c’était trop facile de parler et de revenir sur ses paroles ensuite.
Il décida de rejoindre ses amis qui s’étaient installés en terrasse. Maintenant qu’Alexie était au courant et que Dylan s’était plus ou moins fait pardonner, ce dernier n’avait plus de raison de vouloir discuter avec lui. Il n’était pas stupide, il se doutait qu’il avait voulu lui parler pour s’assurer qu’il garde le silence.
Alors, quand Nick lui signala qu’un bel homme le regardait, il ne pensa pas une seule seconde qu’il pouvait s’agir de Dylan. Et pourtant si, c’était bien lui qui se trouvait à quelques pas de sa chaise, légèrement penaud.
Il l’observa se gratter le crâne, incertain de la démarche à suivre, avant de le fixer de son regard vert et de faire un petit mouvement de tête pour qu’il vienne le voir. Christian hésita un instant sur l’idée de l’obliger à s’approcher et de lui demander de vive voix ce qu’il voulait, mais il choisit de ne pas le faire et se flagella mentalement pour son laxisme au sujet de cet homme.
Néanmoins, il ne pouvait rien contre ça, c’était plus fort que lui. Dylan comptait beaucoup à ses yeux et malgré toutes ses tentatives pour le nier, il ne pouvait pas se voiler la face. Il redoutait d’ailleurs un peu trop la réponse évidente qui se trouvait au bout de tout cet enchevêtrement de sentiments. Pour le moment, il la tenait à distance, l’étouffant sous des couches et des couches de dénégation.
Il se leva et se dirigea vers Dylan. Ce dernier sembla se détendre à mesure qu’il se rapprochait et lorsqu’il fut à son niveau, il lui dit.
« On peut marcher un peu ? »
Christian hocha la tête, conscient que cette conversation ne devait pas tomber dans l’oreille de n’importe qui. Alors qu’ils s’éloignaient, il sentit un picotement dans le bas de sa nuque. Il se retourna pour tomber immédiatement dans le regard irrité de son frère et il le défia silencieusement de dire quoi que ce soit, aussi bien maintenant que plus tard.
Finalement, Gaël baissa le regard.
Christian rejoignit Dylan qui l’attendait un peu plus loin, content de sa victoire. Il était temps que son frère cesse de le materner. Il aurait bientôt quarante ans et Gaël continuait à le traiter comme s’il en avait dix.
Et même s’il pouvait comprendre ses craintes, il n’en restait pas moins que désormais il voulait être le seul capitaine à bord.
Ils marchèrent quelques minutes avant de s’arrêter dans un square. Malgré l’heure tardive, le petit parc était loin d’être vide bien au contraire. Mais les passants ne prêtaient pas attention à eux, se contentant de traverser l’endroit ou de s’asseoir dans l’herbe et sur les bancs, entre amis ou avec la famille.
Ils s’installèrent à leur tour sur la pelouse et regardèrent la foule vagabonder. Ils ne parlèrent pas. Christian laissant Dylan entamer la conversation et ce dernier cherchant comment lancer le sujet.
« Tu ne vas pas me faciliter la tâche, n’est-ce pas ? » grogna Dylan après quelques minutes de silence.
« Non. »
Christian connaissait ses difficultés à exprimer ses pensées, émotions ou sentiments. Il suffisait de voir comment il s’y était pris pour demander pardon à sa sortie de l’hôpital. Cependant, il avait besoin qu’il galère et qu’il trouve tout seul les bons mots. La dernière fois, il s’était caché derrière une métaphore plutôt bancale et Christian avait accepté parce qu’il se savait également fautif.
Cette fois, par contre, c’était différent. Les propos de Dylan n’avaient pas uniquement porté atteinte à son orientation sexuelle. Dans son incapacité à admettre qu’il avait tort, il s’était attaqué à des personnes qui subissaient déjà bien assez d’insultes au quotidien, sans qu’ils soient obligés d’être le bouclier d’un homme qui voulait masquer ses faiblesses et ses défauts.
« Je suis désolé, ok ? » déclara brusquement Dylan.
En réalité, le ton de sa voix donnait surtout l’impression qu’il allait mordre Christian si ce dernier n’acceptait pas ses excuses.
« Pourquoi ?
— Hein ?
— Pourquoi tu es désolé ? »
Surpris, les yeux de Dylan s’agrandirent à tel point, qu’il finit par ressembler à une chouette prise dans les phares d’une voiture.
« Tu fais chier ! grogna-t-il. Tu ne peux pas tout simplement me dire que c’est ok pour toi, qu’on en finisse ?
— Certainement pas ! s’exclama Christian en se tournant vers lui pour le fusiller du regard. Je te connais Dylan Johnson ! Même après vingt ans sans te voir, je constate qu’il y a des traits de ta personnalité qui n’ont absolument pas changé. Si j’accepte trop facilement de te pardonner tu recommenceras à tenir des propos blessants à mon encontre et celle des autres. T’as plus dix-huit ans !
— Oh ça va, hein ! Je t’ai pas attaqué personnellement. Ce n’est pas comme si je t’avais dit que tu étais un brouteur de velu ! »
Il se mordit aussitôt la lèvre en se traitant de tous les noms alors que le visage de Christian se transformait en un masque de fureur brute. Et une fois de plus, ce dernier préféra partir plutôt que de laisser libre cours à sa colère.
Sauf que Dylan en décida autrement.
Il l’attrapa par le bras lorsqu’il tenta de se lever et tira dessus pour qu’il se rassoie. Ils luttèrent un moment, attirant de plus en plus de regards sur eux, jusqu’à ce que finalement Christian abdique. Il enfonça néanmoins son poing dans le sternum de Dylan, lui coupant le souffle.
Celui-ci toussa en se tenant le ventre.
« Putain ! souffla-t-il alors que son corps se crispait de douleur. T’abuses.
— Je ne crois pas, non ! J’ai voulu partir pour éviter ce genre d’accident. C’est toi qui m’as retenu, donc assume les conséquences. »
Malgré son souffle court, un rire ironique fit vibrer la gorge de Dylan.
« Tu te crois meilleur que moi, pas vrai ? Tu penses que tu es plus intelligent, plus mature parce que tu sais te contenir. »
Il se redressa et posa ses yeux sur un Christian légèrement étonné par le revirement de situation.
« Laisse-moi te dire une chose. Ton comportement n’a rien d’exemplaire. Il y a des situations où tu ne peux pas te contenter de partir. Éviter le conflit ne signifie pas y mettre fin !
— Alors quoi ? Tu aurais préféré que je te balance des abominations comme toi à l’instant ? Ou mieux, tu aurais préféré que je te frappe ?
— Parfaitement ! »
Christian fut estomaqué par la réponse. Comment pouvait-on vouloir une telle chose ? Comment pouvait-on souhaiter se faire taper ou insulter ou les deux, quand il y avait moyen de régler les problèmes pacifiquement ?
« C’est ridicule, souffla-t-il.
— Vraiment ? Et tu aurais fait quoi après être parti, hein ? Tu serais retourné avec tes amis et ensuite ?
— J’aurais attendu que tu viennes me présenter tes excuses…
— Pour que la situation de maintenant se reproduise ? coupa Dylan avant de souffler un bon coup. Écoute, Chris. Je suis le genre de personne qui parle sans réfléchir et tu le sais, alors…
— Justement, c’est bien ça le problème ! » s’emporta Christian, sa voix sifflant entre ses dents serrées.
Il sentait qu’il perdait le contrôle de ses émotions, mais puisque c’était ce que Dylan voulait, alors soit, il allait lui dire tout ce qu’il avait sur le coeur.
« Tu parles sans savoir le mal que ça fait. Pour toi, ce ne sont que des paroles en l’air que tu balances sans trop faire attention, mais pour certaines personnes, moi y compris, tes propos peuvent être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si tu étais le seul à les dire, alors ok, peut-être qu’effectivement je pourrais facilement te pardonner. Mais ces mots ne me sont pas anodins ! On me les sort souvent, ils ont une connotation néfaste pour moi. C’est comme dire à un noir qu’il est noir. C’est peut-être vrai, mais cette vérité est chargée de haine et d’injustice. Un brouteur de velu ?! Vous les hétérosexuels, vous balancez ça comme si c’était la pire chose qui puisse exister. Vous semblez oublier que le terme pourrait très bien s’adapter à vous. Car jusqu’à preuve du contraire, toutes les femmes ne se rasent pas les parties génitales ! »
Il s’arrêta un moment pour reprendre son souffle. Il avait parlé trop vite et ses poumons avaient eu du mal à suivre sa cadence.
« Chris…
— J’ai pas fini, coupa-t-il. Vous pourriez essayer de vous mettre un peu à la place de ceux que vous insultez en utilisant de tels propos. Imagine si quelqu’un te disait que les femmes sont des suceuses de bites ! Toi qui as une petite fille de onze ans, comment crois-tu qu’elle se sentirait en entendant ce genre d’insulte ? »
Dylan serra les dents. Il voulait lui dire de laisser sa fille en dehors de ça, mais il se retint. Car une part de lui savait que Christian avait raison. Combien de fois il entendait des propos déplacés sur les femmes qui étaient un peu trop libérées sexuellement. Il redoutait le jour où Mary aurait l’âge d’attirer le regard des autres garçons.
En fait, ses paroles pointaient du doigt des parts d’ombre que Dylan n’avait jamais pris le temps d’éclairer. Malgré tout, il était contrarié. Lui aussi on l’avait insulté de tous les noms, lui aussi avait dû supporter des propos déplacés et des regards méprisants. Ce n’est pas pour autant qu’il en avait fait toute une histoire.
Ok, ce n’était pas très poli de sa part de lancer que les gays étaient des brouteurs de velus, mais ce n’était tout de même pas de sa faute si c’était vrai. D’un autre côté, dire que ta fille sera une future suceuse de bite n’est pas faux non plus, chuchota une petite voix dans sa tête.
Il grinça encore plus des dents à l’exactitude de ces propos.
« C’étaient juste des paroles en l’air » grogna-t-il en guise d’excuse, incapable d’admettre tout haut qu’il avait tort.
Il savait pourtant que ça n’en était pas vraiment. Il ouvrit la bouche, prêt à en formuler de meilleures, sauf que Christian le coupa dans son élan.
« J’en doute pas un instant, Dylan. Mais ce que je veux que tu comprennes, c’est que ces paroles “juste” en l’air pour toi, sont comme des coups de poignard pour d’autres. Car ce sont des paroles qu’on entend à longueur de journée. Qu’elles soient pour nous ou pour d’autres, elles n’en restent pas moins blessantes. Je ne parlerai pas au nom de tous ceux qui sont homosexuels de par le monde, mais pour ma part, j’aimerais juste qu’on me laisse vivre ma vie tranquillement sans que je sois obligé de subir les insultes de gens qui ne me connaissent pas. Après tout, je ne me mêle pas de la vie de la voisine qui trompe son mari ou de l’homme possessif qui frappe sa femme. Alors qu’on me foute la paix avec mon orientation sexuelle. Les entendre parler de déficience ou de contre-nature, c’est un peu comme si quelqu’un t’arrêtait dans la rue et te disait que tu étais con. Tu marches sans rien demander à personne et tu te fais insulter. Pour qui ? Pour quoi ? Ça tu n’en sais rien, mais on te dit que tu n’es qu’un idiot. Tu pourrais mettre ça sur la folie d’une personne si ce cas ne se produisait qu’une seule fois, mais ça recommence le lendemain. Et ce n’est pas la même personne. Puis tu vois quelqu’un qui est comme toi, subir la même insulte. Et ça continue encore et encore. »
Un silence pesant s’installa entre eux, jusqu’à ce que Dylan se racle la gorge et tente une fois de plus de minimiser la situation.
« Tu n’exagères pas un peu ? Tu ne te fais pas insulter tous les jours non plus. »
Christian poussa un profond soupir. C’était difficile d’expliquer à quelqu’un des douleurs et des blessures qu’il ne voyait pas et dont il n’avait pas connaissance.
« On ne me les dit pas directement, mais cela n’empêche pas que je sois touché par les propos déplacés qu’on peut tenir à d’autres. On ne me pointe que très rarement du doigt, car je suis discret et que je n’ai pas le physique qui attire l’oeil des homophobes. Celui qui fait efféminé. Combien de fois j’entends des hétéros dire “Je suis sûr que c’en est un”, “Lui il est gay c’est obligé, t’as vu comment il s’habille !”, “À sa façon de parler, on voit tout de suite qu’il n’est pas du bon bord, celui-là” ou encore, la pire de toute, “À ton avis, qui fait la femme ?” Honnêtement, qu’est-ce que ça peut vous foutre ? »
Christian avait regardé Dylan droit dans les yeux en posant sa question et ce dernier se sentit gêné par ce regard intense qui dévoilait une souffrance qu’il ne connaissait pas. En réalité, il n’avait jamais cherché à savoir. Il n’était pas vraiment le genre de personnes à faire la chasse aux homosexuels, mais il mentirait s’il disait ne jamais avoir pensé une des phrases que Christian avait énumérées.
Pour lui c’étaient des questions anodines qu’il se posait à lui-même, mais la peur qu’avait éprouvée Zack en lui avouant son secret prouvait que ses réflexions n’étaient pas si secrètes que ça. Il pâlit légèrement à l’idée qu’il ait pu se moquer de travestis juste à côté de son fils.
Il reporta son regard sur Christian et prit le temps de l’observer. D’une manière qu’il n’avait pas faite depuis longtemps.
Très longtemps.
Vingt ans pour être exact.
Son visage avait les traits tirés, signe que le sujet le remuait bien plus que sa voix calme ne le laissait supposer. Ces mêmes traits étaient également plus virils qu’à ses dix-huit ans. La peau semblait moins douce qu’à l’époque où Dylan l’avait connu et elle était hâlée par le soleil californien, ce qui faisait ressortir le bleu de ses pupilles. Quelques rides apparaissaient sur son front et au coin de ses yeux principalement. Une légère barbe assombrissait le bas de son visage et attirait le regard sur ses lèvres fines et striées. Quand on les regardait, on avait l’impression qu’elles étaient gercées, mais Dylan savait que c’était faux. Car elles étaient déjà comme ça lorsqu’il était jeune et à ce moment-là, il avait adoré leur douceur.
Il secoua rapidement la tête pour chasser les tendres sensations qui revenaient, conscient qu’elles n’étaient plus permises désormais. Physiquement, Christian était un très bel homme, Dylan ne pouvait pas le nier. Tout comme il ne pouvait pas contester que son apparence n’avait rien d’efféminé. Il n’avait pas une carrure à la Schwarzenegger, mais les manches de son tee-shirt noir encadraient de musculeux biceps et le reste du vêtement moulait comme une seconde peau ses pectoraux. Le tee-shirt était un peu plus évasé vers le bas, mais il était quasiment sûr que Christian n’avait pas de rondeurs.
Quant au reste de son corps, comme il portait toujours des pantalons quand ils se voyaient, il ne pouvait pas trop juger, néanmoins Dylan était presque certain que ses cuisses étaient aussi fermes et musclées que ses bras.
Reportant son regard dans celui de Christian, il constata que celui-ci l’observait avec une étrange lueur dans les yeux. En fait, pas si inconnue que ça. Cette étincelle, il la connaissait très bien pour l’avoir vue s’allumer plus d’une fois dans le regard d’une femme qu’il admirait avec gourmandise.
Il prit alors conscience qu’il venait de le reluquer et cet état de fait le glaça d’effroi. Il détourna précipitamment la tête dans la direction opposée et pria pour que son ami ne se fasse pas d’idées.
De son côté, Christian n’en menait pas large non plus.
Quand Dylan avait posé son regard sur lui, il n’avait vu dans ses yeux qu’une simple curiosité. Mais à mesure qu’il parcourait son corps, il avait cru voir une lueur appréciatrice assombrir ses iris. L’avait-il remarqué ou était-ce son esprit qui lui jouait des tours ? Il n’en était pas vraiment certain. Et le visage soudainement blanc de Dylan faisait plus pencher la balance du côté de la mauvaise interprétation.
C’est mieux comme ça, souffla la voix de la raison à son oreille.
Christian hocha lentement la tête, acquiesçant mentalement. Il ne devait surtout pas se laisser charmer par Dylan. Tomber amoureux de lui serait la plus grosse erreur qu’il puisse faire. Il l’avait déjà commise dans le passé et rien de bon n’en était sorti.
« Dylan… » commença-t-il dans l’intention de le rassurer en lui disant qu’il n’avait pas mal interprété son regard, mais ce dernier le devança.
« Écoute Christian, je sais que je peux parfois me comporter comme un crétin et dire des choses qui dépassent le fond de ma pensée. Je pourrais te dire que je suis désolé, mais honnêtement, j’ai tendance à penser que ces mots ne veulent pas dire grand-chose. Je suis une personne d’action et c’est pour cela qu’à la place des excuses je vais te faire une promesse. »
Christian se figea en entendant cela. Il connaissait l’importance de ce genre d’engagement aux yeux de Dylan. Il ne faisait jamais de promesse à la légère et une fois qu’il s’était engagé, il s’y tenait corps et âme.
« Je te promets qu’à partir de maintenant, je ne dirai plus jamais un mot de travers au sujet des homosexuels, qu’ils soient des hommes ou des femmes. Et que je ferai de mon mieux pour améliorer l’image que j’ai d’eux. Alors, ami ? » demanda-t-il en tendant sa main vers lui.
Il l’observa un instant. Il sentit ses lèvres s’étirer en un doux sourire tandis qu’il la prenait dans la sienne, serrant légèrement pour sceller le pacte. Leurs regards se croisèrent pour s’accrocher et ne plus se lâcher. Ils ne prêtèrent même pas attention aux secondes qui défilaient, aux minutes qui s’écoulaient. Ils se sentaient tous les deux en paix.
L’instant fut cependant rompu par le bruit d’un pétard qui éclata au loin.
La gêne remplaça rapidement le moment de paix. Si durant leur échange ils n’avaient pas fait attention au temps qui passait, maintenant qu’ils avaient décroché, ils en avaient clairement conscience.
« On devrait peut-être retourner au bar… maintenant que les choses ont été mises à plat ? » proposa Dylan en se relevant.
Christian l’imita en hochant vigoureusement la tête. Oui, oui, sauvons-nous de là et laissons ce moment derrière nous. Pourtant, alors qu’il commençait à partir, Dylan posa sa main sur son épaule pour le retenir. Il se tourna vers lui, sourcils légèrement levés en guise d’interrogation.
« Pour ce que ça vaut et même si je t’ai fait la promesse de ne plus rien dire de néfaste sur ce sujet… je veux tout de même que tu saches que je suis vraiment désolé de t’avoir fait du mal. »
La surprise le prit de court et le laissa momentanément sans voix. Ne trouvant pas les mots justes pour s’exprimer, Christian décida de lui tapoter l’épaule et de lui offrir un sourire sincère.
« Ne t’inquiète pas, réussit-il finalement à dire, il m’en faut plus que ça pour rayer quelqu’un de ma vie. »
Dylan hocha la tête et ils retournèrent calmement, et le coeur plus serein, vers le Heaven’s in Hell.
« Tu dois être un descendant de Luke Skywalker pour faire preuve d’autant d’indulgence, rigola Dylan alors qu’ils avançaient dans la rue.
— C’est possible, mais comme je n’ai jamais vu Star Wars, je ne peux que te croire.
— Quoi ? » s’exclama-t-il en s’arrêtant.
Il le regardait comme s’il avait perdu la tête et cela contraria fortement Christian. Qu’y avait-il donc de mal à ne jamais avoir vu ces films ? Il n’était pas choqué de la réaction de Dylan. Ce n’était pas le premier à être surpris par cette information.
Par contre, et cela contrariait beaucoup Christian, son avis semblait peser plus lourd dans la balance que celui des autres. Là où il n’avait jamais été gêné par son manque de culture cinématographique avec ses amis, il se trouvait vraiment bête en cet instant devant les yeux verts exorbités.
Puis soudain, un sourire joueur étira les lèvres de Dylan et il passa un bras autour des épaules de Christian, rapprochant considérablement leurs deux corps. Ils se remirent en marche et tout en avançant Dylan lui dit sans le lâcher des yeux :
« Tu sais quoi, Chris ? Tu as du travail qui t’attend pour faire de moi un homme ouvert d’esprit. Et apparemment, j’ai également beaucoup à t’apprendre sur nos chefs-d’oeuvre du grand écran. C’est ce qu’on pourrait appeler une amitié donnant-donnant, non ? »
Il éclata de rire et répliqua :
« Est-ce que tu es en train de comparer un problème social à un manque de culture ?
— Ben quoi ? Les deux sont très importants ! »
Un autre rire s’échappa des lèvres de Christian, bientôt rejoint par celui de Dylan.
Ils continuèrent le reste du chemin en silence et bien que le moment de complicité fût passé, Dylan avait inconsciemment gardé son bras autour de ses épaules. Christian aurait dû dire quelque chose, il le savait, mais le sentiment de paix que ce contact lui apportait était bien trop fort pour qu’il souhaitât y mettre fin.
Le soleil était couché depuis longtemps maintenant et l’on sentait que les nuits étaient plus fraîches. Mais rien de bien désagréable. Ils arriveraient bientôt au bar quand Christian demanda soudain.
« Au fait, qu’est-ce qui t’est arrivé jeudi ? Tu semblais perturbé par quelque chose. »
Sa remarque prit Dylan de court et il retira son bras afin de mieux pouvoir se tourner vers l’autre homme. Était-il si transparent que ça ? Il répondit toutefois avec sincérité.
« Je venais te voir, en fait.
— Vraiment ? demanda Christian en tentant de camoufler la pointe de joie qui gonfla sa poitrine.
— Oui. Je voulais te demander conseil au sujet de Zack. »
Ah ! L’euphorie qu’il avait ressentie repartit aussi vite qu’elle était venue. Au moins, c’est à toi qu’il a pensé pour discuter, chuchota une petite voix réconfortante à son oreille. Il était cependant confus, en quoi pouvait-il bien aider Dylan avec son fils ? Il n’avait pas d’enfant et il ne comptait pas non plus en avoir.
Enfin, ce n’est pas qu’il ne voulait pas, mais il ne pouvait pas. Il était réaliste. Premièrement, même si les lois avaient changé, il n’avait aucun conjoint avec qui il pourrait fonder une famille. Deuxièmement, il se voyait mal demander à une femme de porter un bébé pendant neuf mois pour lui laisser la garde complète juste après. Il aurait trop l’impression de se servir du corps de cette personne. Quant à adopter… il valait mieux faire une croix dessus.
Troisièmement, le point le plus important, qu’est-ce que quelqu’un comme lui aurait à apporter à un enfant ?
Avouons-le, il n’était qu’un simple libraire âgé de presque quarante ans, incapable de se fixer plus d’une semaine avec un autre homme. Sans oublier le fait qu’il avait été victime de pédophilie et de harcèlement. Ah ! Et aussi qu’il s’était travesti durant presque deux ans, avant de tenter de se suicider.
Donc non ! Il ne serait jamais père.
Pas parce qu’il ne le voulait pas. Pas parce qu’il ne le pouvait pas. Mais uniquement car il était sûr qu’il serait incapable d’élever correctement un enfant. Une part de lui, bien cachée dans les méandres de son subconscient, lui envoyait également des messages d’avertissement. Il ne s’en rendait pas compte, mais Christian avait une trouille bleue de laisser se reproduire ce que lui-même avait vécu.
« Chris, t’es avec moi ? appela soudain une voix à sa droite.
— Hein ? »
Il cligna des paupières et porta son regard sur Dylan. Il se rendit alors compte qu’ils s’étaient arrêtés de marcher et son ami l’observait avec une lueur inquiète dans les yeux.
« T’as eu une absence, mec, lui expliqua-t-il. Je te parlais et soudain tu t’es arrêté. Ton regard était flippant. C’est comme s’il était éteint. Me refais jamais ça, s’il te plaît.
— Désolé » souffla Christian, incapable de trouver d’autres mots.
Après son suicide, il avait souvent eu des périodes d’absence comme aujourd’hui. Son cerveau se mettait en veille, le laissant dans ses pensées moroses et son corps passait en pilotage automatique. Il s’était plus d’une fois retrouvé dans des endroits qui lui étaient inconnus.
« Pas de soucis, répondit Dylan en se remettant en route.
— Tu me disais quoi au juste ? » interrogea-t-il, pas très fier de ne pas l’avoir écouté.
Dylan le regarda un instant, semblant peser le pour et le contre d’un dilemme connu de lui seul, avant de finalement dire :
« Le collège m’a appelé mercredi pour me signaler que Zack séchait les cours. Je lui ai donc demandé des explications et on a beaucoup parlé lui et moi. Il m’a alors révélé qu’il aimait se travestir et que ses camarades le lynchaient pour ça.
— Oh ! Christian s’arrêta une fois de plus, le regardant avec des yeux écarquillés comme des soucoupes.
— Ouais, comme tu dis, “Oh !” même si j’aurais plutôt choisi “Wouah !” ou “Putain de bordel de merde !”, ricana-t-il en tentant de dédramatiser le sujet.
— Comment tu te sens ? »
La question déstabilisa Dylan pendant un court instant. Il regarda Christian en clignant plusieurs fois des yeux, semblant ne pas comprendre ce que son ami lui demandait.
« Ça a dû être dur pour toi d’apprendre cette nouvelle, expliqua-t-il.
— Oh… »
Dylan ne l’avouerait jamais, mais à ce moment précis, il avait cru voir Christie en face lui et non Christian. Et les sensations que ça fit naître en lui ne lui plaisaient pas du tout. Il tenta d’ailleurs d’en faire abstraction et répondit :
« Oui, on peut dire que j’ai du mal à digérer l’information. Sur le coup, elle m’est passée totalement au-dessus de la tête. Mais après… »
Il s’interrompit, incapable de trouver les mots pour s’expliquer. C’est Christian qui termina la phrase pour lui.
« Après, tu t’es mis à cogiter là-dessus et plus tu y pensais, plus la situation te semblait bizarre, voire anormale.
— Oui ! Comment tu… »
Christian éclata d’un rire grave devant son étonnement et Dylan se fit la remarque, non voulue, que ce dernier était à l’opposé total du son clair qu’il avait à dix-huit ans.
Un frisson descendit le long de la colonne vertébrale.
« Tu n’as pas vraiment changé, en fait, répondit Christian, la bonne humeur toujours présente dans sa voix. Quand tu devrais tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler, tu ne le fais pas. Et quand, au contraire, tu devrais éviter de trop réfléchir pour ne pas te faire de mal, toi tu le fais.
— Oui, bon, ça va. Pas la peine de retourner le couteau dans la plaie, grogna-t-il gêné qu’il le comprenne toujours aussi bien et ce, malgré les vingt ans qu’ils avaient passés loin de l’autre. Déjà, je lui ai rien dit de méchant sur le coup.
— Heureusement. Tu l’aurais traumatisé sinon. Mais, je comprends mieux maintenant pourquoi Bartholomé a changé de déguisement à la dernière minute. Je devrais te dire merci, ça fait une éternité que je ne l’avais pas vu en femme, dit Christian avec un doux sourire.
— Ah bon ? »
Dylan rajouta ensuite après un court silence :
« Pourquoi il a fait ça pour Zack ? Ce n’est pas comme si l'on était en bons termes lui et moi ou qu’il connaissait mon fils.
— Bartholomé est… Disons qu’il est comme un électron libre. La société classe les hommes et les femmes dans des cases et, si quelqu’un ne rentre pas dans le moule, alors il est anormal. C’est triste de constater qu’à une époque comme la nôtre, qui se dit ouverte d’esprit, compatissante, sans religion pour la majorité de la population, on se retrouve, en fait, à être jugé plus sévèrement et méchamment qu’avant. Bartholomé n’a jamais rien fait comme tout le monde et même si aujourd’hui il a compris que pour vivre heureux il devait vivre caché, ça n’a pas toujours été le cas. »
Dylan se demanda quel genre de plaisirs avait cet homme pour préférer les cacher aux yeux des autres. Surtout quand on connaissait son côté exubérant.
« Il a beaucoup souffert du regard qu’on posait sur lui. Même si l’on était là, les gars et moi, pour lui remonter le moral, il n’empêche qu’il a malgré tout dû supporter beaucoup de critiques. »
Ils tournèrent au coin d’une rue et virent au bout de celle-ci le Heaven’s in Hell. Ils marchèrent en silence jusqu’au bar et une fois devant ils se saluèrent, chacun retournant vers son groupe respectif. Lorsque Dylan s’assit à sa table, il constata que sa bière n’était plus là et il jeta un regard mauvais à Zackary.
« Quoi ? Tu mettais trop de temps à revenir. Elle aurait fini par être chaude et sans bulle à force.
— Ben voyons ! répliqua-t-il en commençant à se lever.
— Ne bouge pas, l’arrêta Alexie, Sacha est parti chercher la tournée suivante.
— Super ! Où est Zack, au fait ? »
Carmen donna un petit signe de tête dans une direction et il vit son fils marcher vers lui. Un peu plus loin derrière, il reconnut Tom et ses parents. Il sut immédiatement ce que Zack allait lui demander avant que celui-ci n’arrive.
« Alors, bonhomme, tu t’es bien amusé avec les amies de Bartholomé ?
— Oui ! s’exclama le garçon, les yeux brillants de joie. Tu savais que l’un d’eux s’est fait des implants mammaires ? Pourtant il est marié et a trois enfants. Ça fait du bien de parler avec des adultes qui te comprennent. »
Un pincement se fit sentir dans la poitrine de Dylan. Il posa une main sur l’épaule de son fils et déclara :
« Je sais que ton vieux père est un peu étriqué d’esprit, mais sache que si tu as besoin de parler je serai toujours là pour t’écouter et que je te soutiendrai toujours. »
Les yeux de Zack se voilèrent légèrement de larmes. Il passa ses bras autour du cou de son père et ce dernier en fit automatiquement de même, attirant le corps encore frêle de son garçon contre lui.
« Je t’aime, papa. »
Dylan ne l’avouerait jamais, mais il adorait entendre ses enfants lui dire ce genre de mots et le bonheur qu’il ressentit à ce moment-là irradia sa poitrine.
« Moi aussi bonhomme. Moi aussi. Et si tu veux aller dormir chez Tom ce soir je n’y vois pas d’inconvénient. »
Zack le regarda avec surprise.
« Vraiment ? Je suis pourtant puni et…
— C’est vrai que j’avais interdit les sorties et le portable. Mais tu t’es bien comporté. Même les vilains petits garçons ont le droit à une remise de peine s’ils se tiennent à carreau, répliqua-t-il en faisant un clin d’oeil qui fit rire Zack. Par contre c’est un cas de figure exceptionnel, d’accord ?
— Oui ! »
Il enlaça une fois de plus son père et posa un baiser sur sa joue. Dylan lui rappela de penser à son sac de cours avant que son fils ne parte presque en courant vers son ami et les parents de ce dernier. Lorsque le regard de Dylan croisa le leur, ils se firent un petit signe de tête en guise de salutation et le groupe quitta le bar, le laissant libre de tous engagements parentaux pour le reste de la soirée.
Son frère arriva justement à ce moment-là avec les boissons et ils se mirent à parler de tout et de rien.
Sacha et Rebecca étaient désormais confortablement installés dans leur appartement et Alexie demanda (ou plutôt ordonna, serait un terme plus exact) qu’ils fassent une pendaison de crémaillère. Leur travail semblait leur plaire, mais Dylan trouva que Sacha était bien moins enthousiaste qu’il ne voulait le laisser paraître.
Carmen travaillait comme vendeuse dans un magasin de chaussures et, comme à son habitude, elle préféra ne pas engager de discussions sur les clients. Elle était du genre calme au premier abord, mais lorsque vous la lanciez sur un sujet qui lui tenait à coeur, dans le bon comme le mauvais sens du terme, vous pouviez être sûr qu’elle monopoliserait la conversation ou parlerait plus fort que vous.
Alexie quant à elle s’amusait comme une petite folle avec ses cours de yoga. Elle le menaça une fois de plus pour qu’il vienne à l’une de ses séances et tenta par là même de motiver Sacha. Dylan se garda bien de lui dire qu’il avait accepté d’y suivre Christian. Il connaissait l’acharnement de son amie. Si Alexie apprenait cette histoire, elle ne le lâcherait plus.
Comme en plus, Christian semblait avoir totalement oublié ce stupide accord, Dylan n’allait certainement pas le remettre sur le tapis.
Rebecca et Sacha furent les premiers à rentrer, suivis rapidement par Alexie et Carmen. Dylan décida d’utiliser cette situation à son avantage. Maintenant qu’il était seul avec Zackary, il allait pouvoir lui demander quand et comment il avait bien pu lui parler de Christian.
Mais son ami le devança en abordant un sujet complètement différent.
« C’est fini entre Léa et moi.
— Quoi ? s’exclama Dylan en le regardant avec des yeux écarquillés. Mais… comment ça s’est fini ? Depuis quand ? Elle t’a quitté ?
— Non, même si son comportement était tout comme, c’est moi qui l’ai fait il y a quatre mois de ça, déclara son ami pince-sans-rire.
— Ne me dis pas que…
— Et si ! Tu as devant toi un formidable cocu. »
Quelle salope ! pensa Dylan avec force, mais il se retint de le dire à voix haute. Zackary n’avait pas besoin d’entendre ce genre de choses. Même si les circonstances étaient contre Léa, elle n’en restait pas moins la femme que son ami aimait. Lui-même n’aurait pas apprécié qu’on insulte sa partenaire après dix-sept ans de couple.
« Je suis désolé, Zackary.
— Ne le sois pas, ce n’est pas ta faute. Et puis, j’ai fait mon deuil.
— Tu parles ! Te fous pas de ma gueule, tu as toujours été accro à cette femme.
— Peut-être… mais comme tu t’en doutes, après que je l’ai surprise avec un autre homme on a discuté elle et moi.
— Discuté ? répéta-t-il, un sourcil levé avec scepticisme.
— C’est vrai qu’on s’est plus engueulés qu’autre chose, ricana Zackary. Mais ce jour-là, j’ai vu une part d’elle que j’avais laissée de côté depuis trop longtemps. »
Il fit une pause avant de le regarder droit dans les yeux.
« Je me suis fourvoyé en la prenant pour acquise, mon frère. Elle souffrait de mes absences et je n’ai rien vu, pensant que notre amour survivrait à tout.
— Si tes missions la dérangeaient tant que ça, elle aurait pu t’en parler. C’était pas en couchant avec un autre que le problème allait être résolu » cracha Dylan malgré lui.
Il prit une gorgée de son whisky pour se calmer et éviter à sa bouche de trop s’ouvrir. Mais la situation le mettait sur les nerfs, car il se sentait impuissant. Il ne pouvait rien faire contre ces événements.
« C’est aussi ce que je lui ai dit et tu sais ce qu’elle m’a répondu ? “Comment j’aurais pu te demander de quitter ton métier alors que je n’ai jamais voulu abandonner le mien !” Quelle ironie, n’est-ce pas ? À quel moment dans la vie d’un couple on oublie l’autre pour se concentrer uniquement sur des suppositions ? C’est vrai que je lui en aurais voulu si elle m’avait demandé de lâcher l’armée, mais j’aurais au moins été au courant de ses sentiments et peut-être que j’aurais pu trouver une solution.
— Tu le lui as dit ?
— Oui. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas envie que sa demande finisse par s’immiscer entre nous. »
Zackary éclata de rire devant l’ironie de la situation et, s’il ne l’avait pas vu aussi mal, Dylan en aurait fait de même.
« Donc, c’est fini, souffla-t-il après un long silence. Malgré tout, ça m’a donné le courage nécessaire pour mettre à bien un projet que j’ai depuis un moment déjà.
— Ah bon ? Lequel ?
— Tu risques de me voir souvent désormais, Bro. Je vais ouvrir une agence de sécurité, ici, à Los Angeles.
— Quoi ? Tu quittes l’armée ? s’exclama Dylan.
— Oui. Avec toute cette histoire entre Léa et moi, j’ai beaucoup réfléchi. Je commence à ne plus être tout jeune et si je veux refaire ma vie, c’est maintenant ou jamais. Bon, financièrement ça ne va pas être facile, mais une fois lancé je suis sûr que ça ira mieux !
— J’ai réussi à mettre de l’argent de côté, dis-moi de combien tu as besoin et je te le donnerai.
— Ne raconte pas de bêtises ! Garde ton argent, Dylan. Tu en as plus besoin que moi ! déclara Zackary, touché malgré tout par la proposition.
— C’est toi qui racontes des conneries. Si j’ai pu placer cette somme c’est grâce à toi.
— Comment ça ?
— Tu as oublié que lorsque je suis venu m’installer à Los Angeles tu m’as fourni un sacré montant pour que je puisse me loger sans problème. »
Son ami n’eut pas le loisir de répondre, car une chaise de leur table fut vivement tirée et Bartholomé, qui avait entre-temps troqué sa robe contre un jean noir et une chemise blanche, prit place dessus.
« Le bar va fermer, messieurs. »
Dylan regarda son portable et constata avec ahurissement qu’il était presque deux heures trente passées.
« Je vous ai laissé le temps du ménage, mais mes employés sont fatigués et aimeraient bien rentrer chez eux » expliqua-t-il alors que Dylan jetait un regard autour d’eux, surpris de constater qu’il n’y avait plus personne dans le bar.
Il ne restait plus que les amis de Bartholomé, qui l’attendaient dehors. Il repéra rapidement Christian parmi la petite équipe. Reportant son attention sur le propriétaire du bar, il lui dit :
« Merci pour Zack. Il a beaucoup apprécié la soirée.
— Ton fils est un garçon formidable, Johnson » répondit simplement Bartholomé.
Dylan lui offrit un doux sourire, approuvant ses propos. Il finit son verre et il sortit avec Zackary. Dehors, l’air était d’une agréable fraîcheur et lui fit du bien.
« Dylan ? appela alors Christian, attirant son attention sur lui. On va aller se faire une partie de poker chez moi. Ça vous tente de vous joindre à nous ? » proposa-t-il.
Une voix protestataire s’éleva aussitôt.
« Pourquoi tu les invites, Cricri. On a pas… » le reste de la phrase se termina dans un son étouffé alors qu’Ulrik venait de poser sa main sur la bouche de Gaël.
« Excusez mon frère, répondit Christian, non sans avoir jeté au préalable un regard noir à ce dernier. C’est un grand timide, il a facilement peur des autres. »
C’était évidemment un mensonge, mais la pique porta ses fruits, car le groupe d’amis rigola et c’est un Gaël vexé qui fut relâché par le barman. Un sourire ravi ourla les lèvres de Dylan en constatant qu’il n’avait rien pu faire contre Ulrik. Il était d’ailleurs surpris de voir ce dernier ici alors qu’il n’était pas là en début de soirée.
« T’en penses quoi ? demanda-t-il à Zackary.
— C’est comme tu veux, mon frère. Tu sais bien que je ne dis jamais non à une partie de poker.
— C’est ok pour nous, répondit Dylan, créant un sourire ravi sur le visage de Christian. Par contre, il faudrait que je passe à mon appartement pour récupérer mon chargeur de portable. »
Sa batterie était dans le rouge et même si Zack était entre de bonnes mains, il voulait pouvoir décrocher si jamais on tentait de le joindre. Il se sentirait plus rassuré.
« Si l’on s’en fait une c’est maintenant ou jamais. Il commence tout de même à se faire tard » grogna l’homme qui, plus tôt dans la soirée, avait fait signe à Christian que Dylan se trouvait derrière lui.
Bartholomé ferma le bar juste à ce moment-là et ils partirent rejoindre l’appartement de Christian. Comme promis, ils firent une halte devant l’immeuble où Dylan habitait.
Il monta rapidement chercher son chargeur et quand il retourna dans la rue, il retrouva la petite troupe en pleine conversation nostalgique.
« De quoi vous parlez ? demanda-t-il à Zackary alors qu’ils se remettaient en marche.
— On était en train de se souvenir des berceuses qu’on nous chantait quand on était petits, expliqua son ami. On arrivait justement au tour de Christian.
— Mes parents ne me chantaient pas de comptine, déclara froidement ce dernier.
— Bien sûr que si, Cricri. Maman te chantait souvent une berceuse le soir avant que tu t’endormes et même quand tu te réveillais en pleine nuit, riposta vivement Gaël.
Dylan ricana et, tout en fixant Gaël d’un regard méchant, il grogna :
« On se demande bien pourquoi, il se réveillait la nuit. »
La réplique fit mouche et le frère de Christian avança d’un pas dans sa direction avec l’intention évidente de lui en coller une. Une main de Bartholomé sur son épaule l’arrêta cependant.
« Gab, je ne te le conseille pas. N’oublie pas qu’il a fait l’armée et qu’il sait très bien se défendre. De plus, je doute que son ami te laisse lui faire le moindre mal.
— Exactement, sourit Zackary, avant de reporter son attention sur Christian. N’empêche, peut-être que tu ne te souviens pas de la chanson de ta mère, mais il doit bien y avoir une mélodie que quelqu’un a un jour chantée pour toi et qui aujourd’hui encore te fait te sentir bien, non ? »
Christian regarda Zackary, puis il posa son regard au loin et il s’arrêta de marcher, faisant stopper tout le groupe. Il semblait perdu dans ses pensées. Il se remit en route et quand il commença à fredonner ce fut au tour de Dylan de se figer sur place.
Il porta son regard sur l’homme qui chantait doucement et son esprit le propulsa vingt ans en arrière.
Il était penché au-dessus du moteur de son bébé, tentant de trouver la panne qui l’empêchait de démarrer. Il était heureux, malgré les difficultés qu’il rencontrait, car Christie était avec lui et s’intéressait à tout ce qu’il lui disait. Pourtant, il était sûr d’avoir plus d’une fois entendu les autres garçons se plaindre du non-intérêt des femmes pour le sport ou les voitures.
Même si, en l’occurrence, leur conversation ne touchait plus la mécanique depuis un moment.
« Je ne pense pas qu’il soit utile de regarder le passé. Une fois que c’est fait, c’est fait. Point final. déclara Christie.
— Je ne suis pas d’accord avec toi, répondit-il.
— Ah bon ? Pour quelles raisons ?
— Notre passé, aussi douloureux soit-il, aussi moche soit-il, je pense qu’il faut avoir le courage de le regarder droit dans les yeux et lui dire ‘J’ai compris’, ‘Pardon’, ‘C’est ma faute ”, “ Merci pour ces bons moments ”. Sinon, à quoi ça servirait de vivre le présent et de préparer l’avenir puisqu’ils deviendront tôt ou tard du passé ? Si on laisse les jours, les mois ou les années qu’on a vécus derrière nous sans plus s’en occuper, alors on n’avancera pas et on reproduira forcément les mêmes erreurs. Enfin… ce n’est que mon opinion » déclara Dylan en s’éloignant du moteur pour regarder sa petite amie.
Mais lorsqu’il vit que son visage était encore plus pâle qu’à l’accoutumée, il l’appela, légèrement inquiet. Il l’observa ouvrir la bouche, mais aucun son n’en sortit et quand sa main se porta à sa poitrine, il devina qu’elle manquait d’air.
« Chris! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » demanda-t-il cette fois complètement paniqué alors qu’il s’approchait d’elle sans savoir quoi faire pour l’aider.
« Dans mon sac… ma… Ventoline… » réussit-elle à dire entre deux respirations sifflantes.
Dylan fouilla aussitôt dans ses affaires, se moquant de laisser du cambouis au passage. Il trouva rapidement l’objet demandé et le lui tendit. Cette dernière prit avec force deux grosses bouffées du médicament et, après quelques secondes, elle sembla retrouver une respiration plus libre, même s’il pouvait encore l’entendre siffler alors qu’elle inspirait de l’air.
Soudain, ses jambes la lâchèrent et elle s’assit par terre, ses membres tremblants, ses dents claquant comme des castagnettes. Des larmes inondèrent ses yeux et ses joues et elle se recroquevilla sur elle-même pour étouffer ses sanglots.
Désemparé, Dylan la regarda un instant sans savoir quoi faire. Puis il s’assit à son tour à côté d’elle et, après s’être essuyé les mains sur un vieux chiffon, il lui caressa gentiment le dos en faisant des cercles avec sa paume. Il ne la repoussa pas quand elle vint caler sa tête contre son torse, continuant au contraire ses caresses entre ses omoplates.
Puis il chanta.
Il ne savait pas s’il chantait juste ou pas, mais il le fit tout de même.
« When i find myself…
— Speaking words of wisdom, let it be. »
Dylan sortit de ce vieux souvenir alors que Christian achevait le premier refrain. Mais il ne pouvait s’empêcher de l’observer. Quelque part au fond de lui, il se sentait fier que cette chanson soit synonyme de douceur et de réconfort pour une autre personne que lui.
Il y avait également autre chose, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
« Tu écoutes vraiment cette chanson quand tu vas mal ? » demanda-t-il dans un souffle.
Christian se contenta de hocher la tête. Ils se regardèrent droit dans les yeux, oubliant tout ce qui était autour d’eux.
« Quand vous aurez fini de vous dévorer des yeux, on pourra peut-être enfin faire cette maudite partie. Si ça continue comme ça, le soleil sera levé qu’on l’aura tout juste commencée » grogna Nick.
Les deux hommes sursautèrent et ils regardèrent chacun dans une direction opposée, gênés de cet instant de faiblesse. Mais personne ne les observait vraiment.
Christian alla ouvrir et tandis qu’ils montaient jusqu’à son appartement, Ulrik lança :
« On pourrait faire un petit pari.
— Du genre ? demanda Michael.
— Celui qui gagne pourra demander tout ce qu’il veut à l’un des perdants de son choix » proposa Bartholomé.
Tout le monde accepta le pari et, dix minutes plus tard, ils étaient installés autour de la table basse de Christian, cartes en main.
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