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CHAPITRE 6

« Le plus difficile lorsque l’on accepte nos erreurs

c’est de reconnaître que, sans le vouloir,

on a pu faire du mal à quelqu’un que l’on aime. »

Sandrine Chatard

Christian aimait à penser qu’il était quelqu’un de calme et réfléchi. Il n’était pas non plus un « peace and love », mais rares étaient les situations qui le faisaient sortir de ses gonds. Il avait d’ailleurs plus d’une fois dû s’interposer entre ses amis et d’autres personnes afin de leur éviter des ennuis.

Ces derniers l’écoutaient souvent, mais il lui arrivait à certains moments de ne pas avoir gain de cause. Dans ces cas-là, Christian restait toujours en retrait. Pas parce qu’il ne savait pas se protéger, Bartholomé avait mis un point d’honneur à lui donner des cours d’autodéfense, mais il préférait ne pas avoir recours à la violence inutilement.

Il s'était battu une seule et unique fois. Cela remontait déjà à plusieurs années.

Ils étaient sortis pour aller voir un film au cinéma, bien que ça ne soit pas sa tasse de thé. Bartholomé avait passé son bras autour de sa taille, mais il n’en tenait pas compte. Il savait que son ami était une personne très tactile.

Seulement voilà, ils donnaient l’air d’un couple. Et cela n’avait pas plu à deux hommes qu’ils avaient croisés sur le chemin.

Christian avait réussi à l'empêcher de foncer dans le tas, mais les deux autres ne s’étaient pas retenus. Quant à lui, il n'avait pu se résoudre à laisser Bartholomé les affronter seul. Même s'il le savait assez fort pour s'en sortir.

En fin de compte, leur soirée cinéma s’était terminée au poste de police.

Voilà pourquoi il n’aimait pas se battre et préférait garder son calme.

Cependant, depuis quelque temps, il devait admettre qu’il bouillonnait de l’intérieur. Il avait pourtant l’habitude de rencontrer des personnes extrêmement compliquées et capricieuses. Il avait des tonnes de clients dans ce style-là. Mais aucun n’arrivait à le faire enrager comme Dylan Johnson !

Comment un seul homme pouvait-il à ce point bouleverser tout son équilibre ? Cette situation l’agaçait, car quand Dylan se trouvait dans les parages, Christian avait le sentiment de redevenir cet adolescent mal dans sa peau qui avait été inexorablement attiré par ce jeune homme aux yeux verts.

Apprendre qu'il le côtoierait tous les lundi et jeudi l'avait mis très mal à l’aise. Il avait cette drôle d’impression que, contrairement aux propos qu’il avait tenus deux mois plus tôt, Dylan lui en voulait encore. Et ça pesait sur sa conscience.

Ce qu’il avait craint se confirma dès le premier jour de la rentrée. Quand ils étaient arrivés dans le gymnase et que Dylan leur avait tout juste adressé la parole.

Le schéma se répéta inexorablement chaque jeudi et lundi, ajoutant toujours un peu plus de tension dans son corps et son esprit.

« Vous trouvez ça logique vous ? s’énerva Christian à Anthony alors qu’ils se trouvaient tous les deux dans le bureau de ce dernier. Je veux dire, s’il m’a pardonné pourquoi il se comporte de cette façon, hein ? Et s’il n’a vraiment pas passé l’éponge alors pourquoi il m’a dit le contraire ? »

Anthony observa son patient se lever et marcher énergiquement dans la pièce. C’était une nouvelle facette de sa personnalité qui apparaissait devant ses yeux. Jamais en cinq ans de thérapie il ne l’avait vu aussi exacerbé. Pourtant, il avait mis du coeur à l’ouvrage pour le faire sortir de ses gonds.

« Et si vous reveniez vous asseoir et que vous commenciez par m’expliquer comment vous avez rencontré Dylan ? » proposa le psychiatre en espérant que les souvenirs lui donneraient matière à travailler et qu’ils calmeraient Christian par la même occasion.

Ce dernier soupira et se passa pour la centième fois une main sur la nuque. Il regarda le fauteuil et sembla hésiter à poser ses fesses dessus. Puis finalement, il consentit à écouter Anthony. Une fois assis, il se pencha en avant, les coudes en appui sur ses jambes, l’os de l’articulation s’enfonçant douloureusement dans les muscles de ses cuisses.

Il joignit ses mains et enlaça ses doigts, les serrant régulièrement pour qu’elles ne tremblent pas. Et que son esprit reste ancré dans l’instant présent et ne dérive pas trop dans le passé. Se souvenir de sa rencontre avec Dylan était toujours une déchirure.

« J’ai rencontré Dylan il y a vingt ans... en septembre 2001. Je crois bien que je n’oublierai jamais ce moment, souffla Christian. Il pleuvait et j’allais intégrer une nouvelle école sous un nouveau nom, une nouvelle identité.

— Une nouvelle identité ? »

Christian se mordilla la lèvre et détourna les yeux, conscient qu’il allait devoir développer un peu plus s’il voulait que le psychiatre comprenne.

« À cette époque… je n’étais vraiment pas bien dans ma peau, dans ma tête… Vous vous souvenez de la première fois que vous m’avez vu ? » demanda-t-il en relevant les yeux pour croiser ceux d’Anthony.

Ce dernier hocha la tête en silence, ne comprenant pas où il voulait en venir.

« Vous ne vous êtes pas dit que je ressemblais à une femme ? »

Anthony fronça les sourcils, confus. Il se visualisa son patient lors de leur première séance et effectivement, pour quelqu’un qui ignorait que Christian était un homme, celui-ci possédait beaucoup de traits féminins. Mais pourquoi lui parler de… ?

L’évidence apparut dans son esprit et il commençait à entrevoir une partie du problème qui reliait Dylan et Christian.

« Vous vous êtes fait passer pour une fille. »

Ce n’était pas une question, mais Christian ne put s’empêcher de hocher la tête, les lèvres pincées et les paupières closes. L’entendre était toujours une torture, car avec cette simple phrase, avec cette simple vérité, on lui assenait en pleine figure la parfaite stupidité de ses actes.

Anthony pouvait voir sur le visage de son patient toute la souffrance et la détresse que cette histoire faisait remonter. Et il comprit alors une chose importante.

« Comment voulez-vous que Dylan vous excuse quand vous n’êtes même pas capable de vous pardonner vous-même ?

— Vous ne pouvez pas comprendre, souffla Christian, la voix beaucoup plus basse qu’en temps normal et également légèrement tremblante.

— Non, c’est vrai. Il me manque beaucoup trop d’informations pour être en mesure de vous aider complètement. Mais Dylan est quelqu’un qui marche à l’instinct. Lorsque vous l’avez rencontré au début de l’été, que lui avez-vous dit ? »

Christian passa une main sur sa nuque et la frotta énergiquement pour essayer d’atténuer la tension qui s’y trouvait. Inconsciemment, sa jambe se mit à tressauter.

« Le but de cette soirée, c’était que je lui explique pourquoi je lui avais menti sur mon identité.

— Mais est-ce que vous vous êtes excusé ?

— J’ai voulu, mais il ne m’en a pas laissé le temps.

— Et vous avez essayé avant ou après lui avoir raconté votre histoire ? »

Christian fronça les sourcils.

« Je ne comprends pas ?

— La question est pourtant simple. Est-ce que vous avez tenté de vous excuser avant de vous expliquer ou après lui avoir dit que vous avez été victime de pédophilie et de harcèlement ?

— Je ne vois pas ce que ça change.

— Tout. Si vous vous êtes excusé avant, alors cela veut dire que vous n’attendez pas de pitié de sa part, que vous ne vous cachez pas derrière votre histoire pour expliquer vos erreurs. Vous véhiculez le message que vous êtes désormais adulte et que vous comprenez la gravité de vos actes. Je suis désolé de t’avoir fait du mal, avec le recul et l’âge je comprends très bien la peine que je t’ai causée, mais maintenant, comprends-moi également parce que… et là vous expliquez ce que vous avez vécu. À l’inverse, si vous avez commencé par lui raconter vos déboires et que vous avez voulu vous faire pardonner seulement après, alors vous monopolisez le rôle de la victime. J’ai vécu des moments atroces donc ne t’en prends pas à moi, car je ne suis qu’une victime bien plus que tu ne l’es toi.

— Ce n’est pas…

— Ce que vous avez voulu dire, termina Anthony en lui coupant la parole. Mais c’est le message que vous avez fait passer et c’est donc ce que Dylan a compris.

— Il n’est pas aussi réfléchi. Ce n’est pas quelqu’un comme vous, il n'analyse pas toutes les phrases qui sortent de la bouche des gens » s’agaça Christian.

Pourquoi s’énervait-il, d’ailleurs ? Il n’y avait aucune logique à ressentir de la colère contre les propos d’Anthony. Il lui exposait juste son point de vue. Ce n’est pas pour autant qu’il devait approuver ce qu’il disait ou que ce dernier avait forcément raison. Mais au fond de lui, Christian savait que son raisonnement avait du sens et c’est uniquement pour cette raison que ces paroles le touchaient autant. Car ça signifiait qu’il avait une fois de plus mis à mal sa relation avec Dylan.

« C’est vrai. De ce que j’ai pu voir, Dylan n’est pas calculateur. C’est un homme simple qui n’aime pas se prendre la tête. Mais comme je vous l’ai dit plus tôt, il fait énormément confiance à son instinct et, même si je doute effectivement qu’il ait cherché à analyser vos propos, je suis persuadé que son sixième sens l’a mis en garde. Il n’a peut-être pas conscience des raisons qui le poussent à être en colère contre vous, mais, malgré tout, la réponse est là dans un coin de sa tête. Cachée, mais bien présente.

— Mais qu’est-ce que je dois faire alors ? » soupira Christian, perdu.

Il n’avait jamais souhaité que Dylan interprète ses propos de cette façon… n’est-ce pas ? Il comprenait parfaitement qu'il lui en veuille d’avoir menti. Il pouvait admettre qu’il avait commis une énorme erreur en cachant la vérité sur son genre. Est-ce que c’était une excuse pour se mettre dans tous ses états ? Est-ce qu’ils ne pouvaient pas seulement tourner la page comme Dylan l'avait lui-même suggéré ?

Après tout, cette histoire avait eu lieu vingt ans plus tôt. Il y avait prescription désormais, non ?!

« Pour le moment, vous ne pouvez rien faire pour Dylan, déclara Anthony, le sortant de ses pensées. Avant de pouvoir tenter la moindre approche, vous devez d’abord vous pardonner, vous-même.

— Mais je me suis pardonné ! s’écria Christian.

— Vraiment ? Et quand ça, exactement ? Vous avez fait une tentative de suicide, ce qui vous a conduit directement dans mon cabinet et après cinq ans de thérapie vous avez décidé d’arrêter alors qu'on n'avait pas encore traité le sujet principal » s’énerva à son tour Anthony.

Ce n’était pas bon, il devait retrouver son calme. Voir cette tête de mule agir comme si tout allait bien, quand il pouvait clairement constater que ce n’était pas le cas, agaçait fortement le psychiatre.

Cependant, au fond de lui, il savait que sa colère ne résidait pas uniquement dans le caractère de Christian. Le problème, c’est qu’il avait fini par s’attacher au jeune homme. Et quand celui-ci avait annoncé qu’il arrêtait les séances, il n’avait pas tenté de l’en empêcher. De toute façon, il n’aurait eu aucune raison d’agir de la sorte. Mentalement, Christian ne représentait pas une menace pour lui ou les autres.

Malgré tout, Anthony avait été peiné de perdre leurs échanges. À cette époque, il ne lui avait pas proposé de rester en contact. Non pas comme un psychiatre et un patient, mais comme deux hommes qui se connaissent et s’apprécient. Il s’était toujours promis que, si un jour il le revoyait, alors il tenterait de ne pas reproduire la même erreur.

« Et à aucun moment, vous ne m’avez parlé de Dylan Johnson, poursuivit-il sur un ton plus calme. Sans oublier que c'est vous qui l'avez mentionné comme étant « le coeur » de votre problème. Si vous vous étiez vraiment pardonné vos erreurs, alors vous n’auriez pas formulé vos propos de la sorte ! »

Ces paroles mirent Christian mal à l’aise. Il avait le sentiment d’être comme un enfant qu’on venait de surprendre la main dans le sac. Et cette sensation s’accentua lorsqu’il comprit qu’il ne la ressentait pas sans raison. Si elle était là, c’est bien que les paroles du psychiatre avaient touché une face cachée en lui.

« Je ne lui ai pas demandé de m’aimer, tenta de s’échapper Christian.

— Mais lorsqu’il l’a fait, vous ne l’en avez pas empêché non plus, répliqua immédiatement Anthony avant de dire d’une voix plus douce : Je ne vous juge pas, Christian. »

Un rire sans joie s’éleva entre eux, rendant l’air beaucoup moins respirable qu’en début de séance. Il était clair que son patient ne semblait pas du même avis que lui. Il essaya donc de lui expliquer son point de vue.

« On a tous le droit de faire des erreurs. Mais il est également essentiel d’avoir conscience que dans nos idioties nous sommes susceptibles de blesser les gens qui se trouvent autour de nous. Parfois, ce n’est pas le cas, mais pour vous c’est exactement ce qu’il s’est passé… et vous le savez. »

Anthony pouvait voir la lèvre inférieure de son patient se mettre à trembler au fur et à mesure qu’il parlait. Ses mains s’étaient à nouveau jointes et il les serrait avec tellement de force que les phalanges devinrent blanches.

« Je ne… »

Christian se mordit violemment la lèvre quand il entendit sa voix s’étrangler dans un sanglot. Il souffla un coup, tentant de retrouver son calme.

« Je ne voulais pas lui faire du mal. Je voulais juste qu’on m’aime. Juste une fois, je voulais avoir le sentiment de compter pour quelqu’un. Et je l’ai… je l’aimais vraiment, vous savez ? »

L’aveu détruisit la dernière barrière qui l'empêchait de pleurer. Ses sentiments pour Dylan ressemblaient à une épine qui se serait coincée sous la peau. Elle ne vous dérange pas spécialement sauf quand vous appuyez dessus. À ce moment-là elle vous envoie des décharges de douleur comme pour vous rappeler sa présence.

Admettre aujourd’hui qu’il l’avait aimé, peut-être plus qu’il n’aurait dû, plus qu’il ne le pourrait jamais, revenait à arracher cette épine qui était restée coincée si longtemps. La douleur du retrait, ainsi que celle de l’infection qu’elle avait causée, s’écoulait de son corps en des sanglots déchirants.

Christian plaça ses mains sur son visage pour cacher les larmes. Il avait beau essayer de contrôler sa respiration, celle-ci s’échappait de ses lèvres de façon laborieuse et entrecoupée.

Quand le flot commença à se calmer et que son souffle reprit une allure régulière, il essuya ses joues et ses yeux avec ses mains. Mais il n’osa pas lever la tête pour regarder Anthony.

« Vous n’avez pas à avoir honte de pleurer. C’est quelque chose de naturel qui permet à tout un chacun d’évacuer ou d’exprimer des émotions qu’on n’arriverait pas à verbaliser, déclara doucement le psychiatre en lui tendant une boîte de mouchoirs.

— Vraiment ? Je ne me sens pas mieux pour autant, répliqua Christian qui en prit tout de même un.

— Alors peut-être que votre cerveau a essayé de vous faire passer un message. Pourquoi avez-vous pleuré ?

— J’en sais rien. »

C’était clairement un mensonge et ils le savaient tous les deux, mais Anthony jugea bon de ne pas relever et de mettre fin à la séance. Son patient était à cran. Poursuivre serait contre-productif.

« Reposez-vous, Christian, lui dit Anthony avant qu’il ne parte. Et surtout, n’allez pas voir Dylan pour le moment. »

***

Christian avait tenté de mettre en pratique les paroles de son psychiatre, mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Malgré tout, il réussit à se contenir et à ne pas chercher à comprendre. Deux semaines venaient de s’écouler depuis son rendez-vous avec Anthony et les choses n’avaient pas évolué d’un pouce.

Tout partit en vrille un jeudi soir du mois de septembre.

Il ne restait plus que le club dans le gymnase et les heures de théâtre touchaient à leur fin. En se dirigeant vers la sortie, Christian aperçut un portable tombé derrière un banc. Allons bon, s’exaspéra-t-il en allant ramasser l’objet, qui est le jeune idiot qui a pu perdre son téléphone.

En le prenant, il constata que celui-ci en avait vu des vertes et des pas mûres. Il alluma l’écran de l’appareil et fronça un peu plus les sourcils en se rendant compte qu’il n’était même pas sécurisé. Une photo de deux enfants d’environ dix ans apparut devant ses yeux.

Son coeur rata un battement lorsqu’il réalisa qu'il s'agissait du portable de Dylan et que ce dernier était père.

Il serra le téléphone dans sa main et préféra ne pas s’attarder sur ce genre de pensées. À la place, il se dirigea vers l’accueil de l’école, mais, comme il s’en doutait, il n’y avait plus personne à cette heure-là.

Il réfléchit quelques secondes avant de passer un coup de fil à Ariette.

« Le souci, c’est que Dylan a posé sa journée de demain, déclara l’assistante sociale après qu'il lui eut expliqué la raison de son appel. Je peux vous donner son adresse, vous pourriez le lui rendre en main propre. »

Aussitôt, un signal d’alarme s’enclencha dans sa tête. C’est une très mauvaise idée, souffla sa conscience. Mais d’un autre côté, il y allait juste pour lui rendre son téléphone. Rien de plus.

« Ok, faisons comme ça. »

C’est de cette manière qu’il se retrouva, quinze minutes plus tard, devant la porte de l’appartement de Dylan. Il hésita à frapper, mais finit par s’y résoudre. Il crut entendre du bruit derrière le montant en bois puis le son distinct d’une serrure qu’on ouvre. Lorsqu’il apparut devant lui, son visage était détendu et légèrement souriant.

Mais dès qu’il vit Christian, toute trace de paix disparut. Son expression ne laissait aucun doute sur ce qu’il pensait de sa présence devant sa porte.

« Christian ? » dit-il pour simple salutation.

Ce dernier déglutit avec difficulté. Il sentait la colère de Dylan et il pouvait voir qu’elle était totalement dirigée contre lui.

« Je… j’ai trouvé ton portable derrière un banc et comme on m’a dit que tu ne serais pas là demain j’ai jugé utile de te le ramener, expliqua Christian en sortant le portable de sa poche.

— Merci. »

Lorsqu’il vit Dylan prendre le téléphone, Christian comprit que ce dernier allait ensuite lui fermer la porte au nez. Il ne tentait même plus de camoufler son animosité envers lui. Oubliant toutes ses bonnes résolutions, il l’appela et ajouta par la suite quand Dylan suspendit son geste :

« Est-ce qu’on pourrait parler… s’il te plaît ? » quémanda-t-il.

Il crut un instant que Dylan allait refuser, mais finalement il s’écarta de la porte et accorda le droit à Christian d’entrer chez lui. Ce dernier ne put s’empêcher de regarder avec attention l’aménagement du salon ainsi que la disposition des meubles.

C’était propre.

Il se rappela alors l’état dans lequel il trouvait la chambre de Dylan lorsqu’il venait le voir chez Patrick. Son lit n’était jamais fait, il y avait toujours des vêtements qui traînaient par terre et son bureau était plus un fourre-tout qu’un meuble de travail.

« Je vois que tu es plus ordonné qu'à l'époque » dit-il pour détendre l’atmosphère.

En voyant ses épaules se raidir et son regard devenir foncièrement méchant, il comprit qu’il n’aurait pas dû. Il voulut s’excuser, mais Dylan lui coupa l’herbe sous le pied en grognant.

« De quoi voulais-tu parler ?

— De nous.

— Il n’y a pas de nous, Christian, répondit simplement Dylan.

— Mais il y en a eu un.

— Malheureusement, murmura-t-il avant de demander plus fort : Qu’est-ce que tu veux au juste ?

— Seulement comprendre. Tu as dit que tu me pardonnais. Qu’on devrait aller de l’avant. Et pourtant, j’ai l’impression que tu m’en veux encore.

— Tu te fais des idées.

— Je ne suis pas stupide, Dylan ! Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Que tu ne m’as pas pardonné, tenta une nouvelle fois Christian.

— Et si c’était le cas ? s’énerva son vis-à-vis. Qu’est-ce que ça changerait, hein ?

— Tout ! s’agaça-t-il à son tour. Pourquoi tu m’as tenu de tels propos si tu ne le pensais pas ? »

Puis il poursuivit d’une voix plus douce, en se rappelant ce qu’Anthony lui avait dit.

« Si tu m’expliquais, peut-être que…

— Que quoi ? Que tu t’excuserais ? coupa Dylan, un rire mauvais s’échappant de ses lèvres. Tu crois que des excuses vont arranger les choses ? Qu’il suffit de dire qu’on est désolé pour que tout se résolve ? Bordel de merde, Christian ! Qu’est-ce que tu imaginais ? Qu’en me racontant ta vie misérable j’allais tout oublier et qu’on ferait comme si de rien n’était ? T’as cru qu’on irait se boire des verres ensemble comme de vieux copains ? »

Christian était choqué par les propos de Dylan. Ils confirmaient ce qu’il pensait depuis le début. Leur agressivité fit battre son coeur plus vite et l’adrénaline commença à amenuiser son calme. Est-ce qu’il ne venait pas de lui dire que sa vie était misérable ?

« Est-ce que tu te rends compte du courage qu’il m’a fallu pour te raconter ce que j’avais vécu ? demanda-t-il, la voix beaucoup plus basse, oubliant ses bonnes résolutions. Tu penses que c’était facile pour moi de te dévoiler ce genre de chose ?

— Tu veux une médaille ?

— Putain, Dylan ! Qu’est-ce que tu attends de moi exactement ? C’est toi qui es venu me voir, je te ferais remarquer. C’est toi qui voulais absolument que je m’explique et c’est ce que j’ai fait. Alors pourquoi tu m’en veux autant ? »

Ce fut cette fois-ci à Dylan d’être sur le cul. Est-ce que ce connard se moquait de lui ?

« Dégage » déclara-t-il d’une voix froide, des envies meurtrières commençant à prendre naissance au creux de son estomac.

Christian pouvait effectivement voir qu’il était à deux doigts de s'en prendre une, mais maintenant qu’il se trouvait là, il comptait bien obtenir ses réponses. Et il ne partirait qu’une fois qu’il les aurait acquises. Alors il déclara :

« Non.

— Pardon ?

— Non, je ne partirai pas. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu ne m’auras pas expliqué ce que tu me reproches.

— Est-ce que ta mémoire a flanché ? Est-ce que tu as oublié ce que tu as fait il y a vingt ans ? siffla Dylan.

— Je n’ai rien oublié. Je sais que je t’ai menti en me faisant passer pour une fille et je suis…

— Si tu me dis que tu es désolé je t’éclate la gueule !

— Alors, dis-moi ce que je peux faire ! Qu’est-ce que je dois faire ?

— Mais il n’y a rien à faire ! hurla-t-il excédé. Quand je t’ai dit que je voulais des explications, je ne pensais pas que tu allais me déballer toute ta misère. Je pensais que tu allais surtout me dire comment tu as pu rester cinq mois avec moi sans jamais trouver le moment de m’annoncer que t’étais un putain de garçon !

— Je suis désolé, souffla Christian commençant à comprendre ce que Dylan avait vraiment attendu de lui.

— Ta gueule ! Je veux pas t’entendre. Tu crois que tu es le seul qui a souffert ? Que toutes les merdes qui te sont tombées dessus te permettaient de me faire subir ce genre de chose ?

— Je sais que je n’ai pas été honnête avec toi, mais ce n’est pas non plus la peine d’en faire toute une histoire. Que tu aies été choqué à l’époque, je peux comprendre, mais il y a prescription maintenant » répliqua Christian, toujours hermétique à la souffrance de l’autre homme.

La droite partit tellement vite qu’il n’eut pas le temps de l’éviter. Il fit un pas en arrière sous la force de l’impact tandis qu’une violente douleur le chauffait au niveau de sa lèvre.

« Espèce de pauvre con, frémit Dylan de rage. Et tu t’étonnes que je ne veuille pas te pardonner. T’es qu’un putain d’égoïste. Tu crois que tu es le seul qui a eu une enfance malheureuse ? Ma mère est morte, je me suis retrouvé avec un père alcoolique et un jeune frère qu’il fallait éduquer, car il était évident que ce n’était pas notre géniteur qui pourrait le faire. Je ne me suis jamais attaché à qui que ce soit. Personne ! Tu as été le premier à qui je me sois réellement ouvert. Je t’ai raconté des choses que même Paty et Sacha ignoraient. J’ai pleuré devant toi. Je t’aimais sincèrement et je te faisais confiance et toi tu m’as trahi ! Et tu oses me dire que j’en fais toute une histoire ?! »

Les yeux de Christian s’étaient agrandis à mesure que Dylan avait parlé. Chaque mot ressemblait à une claque et une chape de plomb s’était logée dans sa poitrine. Il ouvrit la bouche prêt à parler, mais aucun son ne sortit. Et apparemment, Dylan était loin d’en avoir terminé.

« As-tu une idée de ce que ça fait d’aimer un mensonge ? Tu sais quoi, on va inverser les rôles ! Imagine que tu rencontres un homme qui te plaît drôlement. Tu lui proposes de sortir avec toi. Tu l’aimes et tu lui dévoiles tous tes secrets. Tu lui laisses même te faire ta première fellation. Et après cinq mois, il vient te voir pour te dire qu’en réalité c’est une femme ! Tu aurais envie de lui pardonner ? »

Le rappel de leur première expérience sexuelle frappa Christian avec force et il sentit son coeur s’emballer. Il était venu pour obtenir des réponses à ses questions, se croyant innocent de toute autre faute que celle d’avoir dit qu’il était une fille. Mais Dylan lui crachait au visage toutes les erreurs qu’il avait commises et qu’il n’avait même pas soupçonnées.

J’ai vécu des moments atroces donc ne t’en prends pas à moi, car je ne suis qu’une victime bien plus que tu ne l’es toi.

Les paroles d’Anthony lui revinrent alors en mémoire, terminant d’enfoncer le clou. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait sale.

« J’aimerais ne jamais t’avoir rencontré » poursuivit Dylan.

Maintenant que le flux des mots était lancé, il n’arrivait plus à l'endiguer.

« J’aimerais ne jamais avoir pris ce putain de bus ni t’avoir laissé t’asseoir à côté de moi. Et par-dessus tout, j’aimerais ne jamais être venu te voir pour te proposer de sortir avec moi. Je te hais, Christian. Avec tellement de force que ça me bouffe de l’intérieur. »

Sous la violence de ces propos, Christian recula d’un pas. Ils restèrent un moment à se faire face en silence.

« Je… » commença Christian, mais il fut interrompu par la porte d’entrée qui s’ouvrait, laissant apparaître un jeune garçon, ainsi qu’un homme et une femme.

« Je crois qu’il est temps que je parte, souffla-t-il, modifiant ce qu’il voulait dire au départ.

— Je le pense aussi » rétorqua Dylan.

Et sous les yeux légèrement étonnés des trois nouveaux arrivants, Christian sortit précipitamment de l’appartement. Une fois que la porte fut fermée, Dylan laissa éclater sa rage. Il attrapa à deux mains sa table basse et l’envoya valdinguer à l’autre bout de la pièce.

Zack était totalement pétrifié de peur. C’était la première fois qu’il voyait son père dans un tel état. Son visage était figé dans une expression mauvaise. Ses yeux ressemblaient à deux charbons ardents et les commissures de ses lèvres s’étiraient vers le bas dans une caricature parfaite du smiley en colère. Il entendit vaguement son oncle parler et une main se posa sur son épaule, le tirant vers sa chambre. Zack suivit Rebecca sans jamais lâcher des yeux son père.

Une fois qu’ils furent partis, Sacha rejoignit son frère dans la cuisine. Ce dernier s’était ouvert une bouteille de bière et en avait déjà bu la moitié.

« Tu veux en parler ? demanda calmement Sacha.

— Non. Non. Non. Et non ! » s’énerva Dylan en envoyant son poing contre la porte du frigidaire, infligeant un impact plutôt conséquent à cette dernière.

« Tu comptes détruire tous les meubles de ta maison ? s’exaspéra son frère avant de lever rapidement les mains en signe d’apaisement lorsqu’il croisa ses yeux crépitants de colère. Honnêtement, Dylan, calme-toi. Tu me fais penser à lui quand tu agis de la sorte. »

Ses paroles avaient uniquement pour but d’aider son frère à retrouver ses esprits. Cependant, il grimaça lorsqu’il vit le visage blanc tourner au vert à la mention de leur père biologique.

Il se précipita aussitôt vers l’évier et régurgita tout ce que son estomac pouvait contenir. L’odeur nauséabonde du vomi emplit immédiatement les lieux, mais Sacha n’en tint pas compte et s’avança lentement vers lui quand il remarqua que son frère ne semblait pas avoir fini.

Sauf qu’en posant une main entre ses omoplates en signe de réconfort, il comprit que ce qu’il avait cru être des haut-le-coeur était en réalité des sanglots que Dylan tentait de retenir.

Ce constat le prit de court. Son frère pleurait. En silence, mais c’était bien des larmes qu’il voyait rouler sur ses joues.

« Je le hais » souffla Dylan entre deux sanglots avant de se mordre la lèvre pour s’empêcher de pleurer et de parler.

Mais lorsque Sacha massa son dos en lui répondant qu’il savait, il ne put se contenir et répéta les mêmes mots encore et encore. Et son frère agit à l’identique. Ça ne dura que quelques minutes, mais pour Dylan comme pour Sacha, qui n’avait pas l’habitude de ce genre de situation, la scène sembla s’étirer sur l’éternité.

***

Christian mit un temps fou à rentrer à son appartement. Il avançait lentement, ayant du mal à placer un pied devant l’autre alors que dans sa tête se rejouaient inlassablement les dix minutes qu’il avait passées chez Dylan.

Il arriva toutefois chez lui et, lorsqu’il referma la porte de son appartement, il se laissa glisser contre elle, incapable de fournir un effort supplémentaire.

Je te hais avec tellement de force que ça me bouffe.

Tu crois que tu es le seul qui a eu une enfance malheureuse ?

Je t’aimais sincèrement…

Christian étouffa un sanglot alors que les paroles de Dylan tournaient en rond dans sa tête. Jamais il n’avait pensé que les choses avaient pu être aussi difficiles pour lui. Il s’était uniquement concentré sur sa propre douleur sans prêter attention à celle de l'autre homme.

Ce dernier avait raison en disant qu’il n’était qu’un égoïste.

Il se sentait misérable et avait juste envie de disparaître.

Il appuya sa tête contre la porte et alla donner des petits coups contre elle, comme s’il espérait que les mouvements feraient sortir de son esprit ce qu’il venait de se dérouler. Mais les mots étaient désormais ancrés en lui et rien ne pourrait les effacer. Il sentit les larmes rouler sur ses joues malgré ses paupières closes.

Il ne sut pas combien de temps il resta là devant sa porte d’entrée, mais il devait être sûrement très tard lorsqu’il réussit à trouver le courage de rejoindre son lit. Il se déshabilla et se glissa sous la couette, s’enroulant sur lui-même pour tenter d’obtenir un semblant de réconfort.

La fatigue réussit à l’emporter, mais son subconscient continua de le harceler, ne lui laissant aucun moment de répit, même dans ses rêves.

***

Le week-end passa trop vite au goût de Dylan. Il n’avait absolument pas envie de partir bosser. Non pas qu’il n’aimât pas les enfants. Il avait réussi à obtenir une bonne ambiance avec tous ses groupes, même s’il y avait quelques loupés à certains moments.

Mais aujourd’hui, on était lundi, ce qui signifiait que le club de théâtre serait présent ce soir. Par conséquent, il verrait Christian. Et ça, ce n’était définitivement pas ce qu’il voulait. Malgré tout, il fit bonne figure tout au long de la journée et c’est dans une ambiance plutôt joyeuse que les dix-sept heures approchèrent.

Il était en train de jouer avec les Intermédiaires du groupe deux lorsque la porte claqua dans son dos. Il ne se retourna pas, bien décidé à agir comme si rien ne s’était passé. À agir comme si Christian n’était pas venu chez lui jeudi et que Dylan ne lui avait pas balancé des trucs horribles, qu’il pensait certes, mais horribles tout de même.

Sauf qu’il n’était pas encore tout à fait l’heure que le club de théâtre arrive. Par contre, la personne qui était entrée se dirigeait droit sur lui d’un pas furieux et avec une lueur meurtrière dans ses yeux bleus.

Il fut attrapé par l’épaule et retourné violemment pour se retrouver face à la mine enragée de Bartholomé.

« Il faut qu’on parle » siffla ce dernier en le tenant toujours pour l’entraîner à l’écart des enfants.

Dylan aurait facilement pu se dégager, mais il savait que cela aurait mis le feu aux poudres et il ne voulait pas faire de vagues devant les élèves. Alors il accepta d’être tiré vers le fond du gymnase, après avoir dit à sa classe de poursuivre sans lui, loin des oreilles indiscrètes. Puis il se défit de la poigne d’un simple coup d’épaule.

« Je peux savoir ce qu’il te prend ? » demanda-t-il en regardant Bartholomé droit dans les yeux.

Bien sûr, il connaissait très bien la raison de sa colère. Christian avait dû pleurer dans les jupons de cette pimbêche après qu’il lui avait sorti ses quatre vérités.

Décidément, il ne sait faire que se plaindre et s’apitoyer sur son sort, grogna mentalement Dylan avec colère. Des pensées qui furent immédiatement suivies par une autre peu charitable envers sa propre personne. T’es vraiment un gros con parfois, Johnson !

Oui, il se doutait qu’il agissait comme un enfoiré, mais il ne pouvait s’empêcher d’être énervé. Un autre sentiment plus obscur tordait ses entrailles, mais il n’était pas assez ouvert d’esprit pour l’analyser correctement. En ce moment, toute son attention était focalisée sur l’homme en face de lui et l’agacement que Christian avait tout raconté.

« Ne fais pas l’innocent, Johnson ! cracha Bartholomé avec mépris. Je sais ce qu’il s’est passé jeudi soir, le frère de Christian m’a tout raconté. »

Dylan se tendit en l'entendant mentionner Gaël Brown.

« Comment ça, son frère t’a raconté ? »

Les lèvres de Bartholomé formèrent une ligne sévère et contrariée qui le mirent sur la voie.

« En fait, Christian ne t’a rien dit. »

Un sourire victorieux étira les coins de sa bouche et un soulagement intense gonfla sa poitrine. C’est avec une satisfaction arrogante qu’il fit un pas vers l’autre homme pour enfoncer le clou davantage.

« Est-ce qu’il sait au moins que tu es ici en ce moment, en train de te contenir de me taper dessus ? »

Sa joie augmenta en observant les yeux bleus s’enflammer de colère. Mais ce dernier ne se laissa pas intimider pour autant.

« Non effectivement, Christian ignore que je suis venu te voir, tout comme il n’est pas au courant que son frère m’a tout raconté. Mais même s’il le savait, ça ne m’empêcherait pas d’être là. » répliqua-t-il en avançant d'un pas.

Leurs visages n'étaient désormais qu’à quelques centimètres. Il n’y avait plus aucun bruit de ballon qui se faisait entendre, mais les deux hommes n’en tinrent pas compte, trop concentrés à se fusiller du regard.

« Dis-moi, Johnson. Tu aimes à penser que tu es l’unique victime dans cette histoire…

— Moi ce que je crois, c’est surtout que tu ferais mieux de fermer ta putain de grande gueule et de ne pas parler sur quelque chose que tu ne connais pas » le coupa Dylan.

Ce fut au tour de Bartholomé d’avoir un sourire mauvais aux lèvres.

« C’est là que tu te trompes, j’en sais bien assez pour te dire qu’un homme ne devrait pas manquer de respect à la personne qui l’a fait jouir pour la première fois. »

Ses poumons se serrèrent avec force sous le choc. Christian n’avait peut-être pas parlé de leur dispute, mais il lui avait malgré tout raconté ce moment intime. Il parvint néanmoins à ne rien laisser paraître et rétorqua :

« Je ne connais peut-être pas Christian aussi bien que toi, mais je suis néanmoins certain qu’il ne t’a pas raconté cette histoire pour que tu viennes t’en vanter devant moi. »

Puis il se pencha légèrement en avant afin que sa bouche se retrouve au niveau de l’oreille de Bartholomé où il lui susurra sous le coup de la colère :

« Tu sais, la jalousie est un vilain défaut. Si tu tiens tant que ça à avoir sa bouche autour de ta bite, t’as qu’à lui demander gentiment. »

Il se recula d’un pas et lui offrit son plus beau sourire avant d’ajouter :

« Tu m’excuseras, mais j’ai un cours à donner. »

Il tourna ensuite les talons et il ne comprit son erreur qu’en sentant la poigne de Bartholomé se resserrer sur son épaule pour le forcer à se retourner. Dylan eut tout juste le temps d’apercevoir le visage de ce dernier avant que le poing percute son nez. Sa tête partit en arrière à cause du choc et un liquide chaud s’écoula par sa narine gauche.

Beaucoup de personnes auraient été légèrement sonnées par le crochet, mais il était quelqu’un d’entraîné. Il vit donc le deuxième coup arriver et réussit à le parer sans difficulté. Il se décala légèrement vers la droite afin de se retrouver à l’extérieur du bras de son adversaire puis frappa à son tour, envoyant son poing cogner dans les côtes.

Bartholomé gémit sous la douleur, mais ne recula pas pour autant. Il se remit face à lui, en position de combat. Les deux hommes se jaugèrent quelques secondes, la colère se reflétant dans leurs yeux.

Puis ils s’élancèrent en même temps.

Ils étaient doués tous les deux, chacun reconnaissant mentalement la force de l’autre. Ça ne les arrêta pas pour autant, et ce, malgré les élèves de Dylan qui observaient la scène, complètement choqués et paniqués.

Même lorsqu’ils furent rejoints par les adolescents du club de théâtre ils continuèrent à donner et parer les coups. La porte du gymnase s’ouvrit une troisième fois au moment ou Bartholomé attrapa Dylan au poignet et l’envoya valser par-dessus son épaule.

Ce dernier se réceptionna sur sa hanche gauche et le cri de douleur qui s’échappa de ses lèvres ne sembla pas attendrir son adversaire, bien au contraire. Bartholomé s'approcha de lui avec un sourire mauvais et la ferme intention de lui enfoncer son pied dans le ventre lorsqu’il fut brusquement poussé sur le côté et qu’un coup de poing vint percuter sa mâchoire.

Il se redressa rapidement prêt à répliquer quand il se rendit compte qu’il s’agissait de Christian.

« Je peux savoir ce que tu fais ? » demanda son ami d’une voix dangereusement basse.

« Christian…

— Tu attaques un professeur dans l’enceinte d’un établissement scolaire et devant des élèves en plus. Est-ce que tu as complètement perdu l’esprit ? s’écria-t-il.

— Pourquoi tu défends ce salaud ! s’énerva à son tour Bartholomé. Après ce qu’il t’a dit, tu…

— Tu n’avais pas à agir à ma place ! le coupa Christian d’une voix forte. Et Gaël n’avait pas non plus à te parler dans mon dos ! Je ne t’ai pas raconté mon passé ce soir-là pour que tu joues les chevaliers servants et que tu t’en prennes à lui. C’est ma vie et c’est à moi et à moi seul de décider de la marche à suivre le concernant.

— Christian » souffla une petite voix à sa droite.

Le susnommé se retourna pour voir qui s’adressait à lui et il se radoucit en constatant qu’il s’agissait de Stephen. C’était un garçon de la classe Mineur qui avait été placé dans l’établissement par sa famille d’accueil.

« Oui, Stephen ?

— Je crois que monsieur Johnson ne va pas très bien » déclara l’enfant d’une petite voix en pointant son professeur de sport du doigt.

En effet, quand il regarda dans la direction indiquée, il vit que plusieurs élèves s’étaient regroupés autour de Dylan. Merde ! Pensa Christian en se précipitant vers lui.

« Dylan ? Ça va ? » demanda-t-il, réellement inquiet en voyant son visage tordu par la souffrance.

« À ton avis, crétin ! Ce connard m’a éclaté contre le sol. Qui irait bien après ça ! » siffla-t-il en jetant un regard noir audit connard.

Christian tiqua au commentaire.

« Pas la peine d’être aussi insultant, Dylan. Tu es tout aussi responsable que Bartholomé. Dans une dispute les torts sont toujours partagés.

— Ça te va bien de dire ça ! » s’énerva un peu plus le blessé en le foudroyant de ses yeux verts.

Christian aperçut du coin de l’oeil Bartholomé faire reculer les élèves pour leur laisser de l’espace. Il en profita donc pour s’agenouiller à ses côtés et tout en le regardant dans les yeux il lui dit :

« Je ne pense pas que ce soit le meilleur moment pour régler nos comptes. Sauf si tu tiens à ce que toute l’école soit au courant de ce qu’il s’est passé entre nous il y a vingt ans ? »

Dylan eut l’intelligence de ne pas répondre et de détourner les yeux. Christian lui demanda alors s’il pouvait se relever. Ce dernier essaya, mais échoua lamentablement. Il ne put retenir un faible cri de douleur lorsqu’une vive souffrance s’empara de sa hanche et du bas de son dos, le cuisant jusque dans le genou.

« Je crois que je me suis démis la hanche, déclara-t-il en se rallongeant.

— Je vais appeler les secours.

— Non.

— Quoi ? s’exclama Christian en le regardant avec des yeux ahuris. Comment ça, non ? Tu vas pas rester allongé sur le plancher !

— C’est juste déboîté. Il suffit de tirer dessus pour la remettre et ça ira bien.

— Ça va pas la tête ou quoi ! s’énerva-t-il en comprenant ce que Dylan attendait de lui. C’est toi qui te comportes comme un crétin. »

Le professeur de sport ouvrit la bouche, prêt à parler, mais Christian se releva et déclara :

« Ça suffit, j’appelle les secours, un point c’est tout.

— Putain ! Mais t’écoutes quand on te parle ! Je t’interdis de les appeler, tu m’entends !

— T’as qu’à te lever pour m’en empêcher ! » le mit-il au défi en s’éloignant afin d'éviter toutes tentatives de mutinerie.

Impuissance, Dylan le regarda donc composer le numéro et expliquer la situation. Puis il demanda à Émilie, une jeune fille qui venait pour le théâtre, si elle pouvait aller prévenir l’accueil de l’arrivée de l’ambulance.

Christian se tourna ensuite vers les autres élèves et expliqua :

« Dans les circonstances actuelles, je doute que vous puissiez poursuivre le sport. Alors, allez vous changer, vous terminerez cette heure en permanence. Pour les membres du théâtre, je vais vous demander de rentrer chez vous pour ceux qui le peuvent, pour les autres, vous n’aurez qu’à suivre vos camarades.

— Mais, Christian, c’est juste pour ce soir n’est-ce pas ? demanda timidement Anaïs.

— Honnêtement, répondit-il en jetant un regard noir à Bartholomé, je ne sais pas, ma grande. Ce que Bary a fait est très grave et il est fort possible que des sanctions soient prises à son encontre. Or, comme vous le savez, le club ne peut tourner que si nous sommes deux pour vous surveiller. En fonction de la décision de la direction, il se peut que le club ferme. »

Dylan entendit clairement les murmures tristes qui s’élevèrent autour d’eux. L’atmosphère avait totalement perdu sa joie et sa bonne humeur et le sentiment de culpabilité qu’il ressentait, s’accentua.

Les élèves quittèrent le gymnase d’un pas lourd et le coeur triste. Ils avaient à peine déserté les lieux qu’Ariette arrivait d’une démarche raide et rapide, suivie par Craig.

Christian expliqua à l'assistante sociale ce qu’il avait vu, puis s’éloigna afin de lui laisser les rênes. Il se dirigea vers Bartholomé qui discutait avec animation, mais à voix basse, avec le psychiatre.

De son côté, Dylan profita qu’Ariette soit présente à ses côtés. Il lui demanda si elle pouvait se pencher afin de lui parler sans élever la voix.

« Ariette, vous pouvez me rendre un service ?

— Bien sûr, Dylan. Dites-moi ce que je peux faire.

— Si jamais la direction décide de mettre fin au club de théâtre, j’aimerais que vous preniez la défense de Bartholomé.

— Pardon ? »

Elle était plutôt étonnée par ses paroles. Ce dernier dut s’en rendre compte, car il expliqua :

« C’est pas de la faute de ces pauvres gosses si l’on s’est battu lui et moi. Ils ne devraient pas avoir à payer pour nos bêtises. Et vous savez que j’ai raison. Alors, s’il vous plaît, faites en sorte que le club ne ferme pas. Je suis prêt à payer des indemnisations sur mon salaire s’il le faut. »

Ariette posa une main réconfortante sur son épaule. Elle savait que Dylan était quelqu’un de bien, mais elle n’aurait pas pensé qu’il irait jusqu’à sacrifier une partie de son revenu pour sauver le club.

« Très bien. Je ne vous promets rien, mais je ferai mon possible et sans que cela n’ait de répercussion sur votre paye » lui dit-elle en tapotant gentiment son épaule.

Dylan ferma les yeux, légèrement soulagé. Les pompiers choisirent ce moment-là pour arriver. Ils se postèrent à ses côtés, demandant ce qu’il s’était passé et où il avait mal. Quand il eut fini de leur donner les détails, ils décidèrent de le mettre sur une civière, même si ce dernier n’était pas vraiment pour. Sa fierté en prenait un sacré coup. Heureusement pour lui ses élèves n'étaient plus là pour le voir.

Malgré tout, il espérait sincèrement que son problème à la hanche ne serait pas trop grave. Il avait parlé d’un déboîtement à Christian pour faire bonne figure et tenter d’échapper à l’ambulance, mais rien ne garantissait que ça fût aussi simple.


Texte publié par Sandro599, 3 novembre 2024 à 10h27
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