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CHAPITRE 4

« Tout ce qui est fait dans le présent

affecte l’avenir en conséquence,

et le passé par rédemption. »

Paulo Coelho

Bartholomé était un homme excentrique. Tous ceux qui le connaissaient un tant soit peu pouvaient l’affirmer. Même son prénom se démarquait des autres. Et bien qu’il ne l’ait pas choisi, il avait créé sa personnalité autour de lui.

Alors, quand il avait rencontré le petit frère de Gaël, personne n’aurait pu prévoir qu’ils s’entendent aussi bien.

Pourtant, Bartholomé n’avait pu rester insensible à la détresse et au mal-être qui étaient clairement visibles chez Christian. Et pour la première fois de sa vie, il avait ressenti le besoin de prendre soin de quelqu’un d’autre.

Enfant unique né de parents acrobates qui travaillaient dans un cirque, il avait passé la majorité de son enfance sur les routes. Mais à la suite d’une mauvaise chute qui amena son père à vivre en fauteuil roulant, ses parents décidèrent de quitter le cirque et de se sédentariser.

Son père mit fin à ses jours quelques mois après, ne supportant plus son handicap.

Seule, sa mère avait du mal à joindre les deux bouts. Fut-ce par désespoir ? Par facilité ou par lâcheté ? Il ne le saurait jamais, mais quelques mois après la mort de son père, elle avait commencé à ramener des hommes chez eux.

Puis il y avait eu l’alcool et la drogue.

Et lui, au milieu de tout ça. Jeune et impuissant.

Cet environnement insalubre l’entraîna à préférer vagabonder dans les rues que d’être à l’appartement où il pouvait entendre ce qu’il se passait dans la chambre de sa mère. D’autant qu’une fois qu’ils avaient fini, certains des hommes qu’elle ramenait se permettaient de vider le frigidaire et de squatter le canapé.

Combien de fois il avait hurlé contre elle, la suppliant de se reprendre et de faire une cure de désintoxication ? Il en avait rapidement perdu le compte. Mais dans la fougue de la jeunesse, Bartholomé avait cru qu’il pourrait aider sa mère.

Toutefois, quand son courage flanchait, il préférait quitter l’appartement durant plusieurs heures. Il savait qu’il ne lui faudrait pas grand-chose pour décider de partir définitivement.

Il y avait dans son quartier un local qui servait de lieu de répétition à un groupe de théâtre tous les mercredis soir. Et Bartholomé s’y était tout naturellement incrusté. Au début, il ne participait pas, car il n’avait pas l’argent pour payer l’inscription, mais il adorait les regarder évoluer dans la salle, changeant de rôle et de décor selon leur désir.

Et il les envia pour ça. Pour cette facilité de pouvoir devenir, le temps d’un instant, une autre personne.

Était-ce par pitié ou parce qu’ils s’étaient attachés à lui ? Toujours est-il qu’ils finirent par intégrer Bartholomé à leur groupe quelques mois après son arrivée. Et c’est à ce moment-là que sa personnalité commença à se démarquer.

À quinze ans, il était déjà grand et élancé. Il s’habillait généralement avec des vêtements moulants et légers, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Ses tenues attiraient souvent les regards. De mépris ou de convoitise. Et entre une mère ayant sombré dans la déchéance et ses propres désirs qui le tiraillaient, Bartholomé trouvait agréable de faire tourner les têtes sur son passage. En bien ou en mal.

Puis sa mère décéda et il y comprit à ce moment-là que même s’il avait une mauvaise image d’elle, cette dernière lui avait tout de même fourni un toit sous lequel dormir.

Cependant, Bartholomé avait plus d’un tour dans son sac. Tant bien que mal, il se débrouilla de manière peu conventionnelle pour ne pas être à la rue le temps de finir le collège.

Malgré les lacunes qu’il avait accumulées et ses notes catastrophiques, il avait pris la décision d’obtenir une bourse et d’intégrer une grande école de commerce. Il voulait avoir les clés nécessaires pour rester libre de faire ce qu’il désirait sans avoir à rendre de compte à personne. Sans dépendre de qui que ce soit. Et quoi de mieux que d’être son propre patron pour ça ?

C’est en intégrant l’école Anderson School of Management qu’il fit la connaissance de Gaël Brown. Cet homme exubérant et épuisant ! Perpétuellement en train de parler ou de faire des blagues.

Leur rencontre avait provoqué des étincelles dès les premières minutes. Et avec cette personnalité à l’opposé de la sienne, jamais Bartholomé n’aurait pensé à cette époque qu’ils deviendraient amis.

Malgré tout, leur relation bouleversa beaucoup de choses dans sa vie. Mais le plus grand changement fut sa rencontre avec Christian.

Quand il avait fait sa connaissance, Bartholomé était beaucoup plus âgé et bien plus posé et réfléchi qu’à l’époque de la fac. Ça ne l’empêchait pas, comme tous ceux de la bande, d’avoir l’esprit encore joueur. Mais avec Christian, il se découvrit une fibre fraternelle qu’il ne pensait pas avoir.

Gaël avait bien évidemment parlé de ce petit frère qui allait débarquer de New York. Malgré leurs dix ans d’écart, il leur avait demandé de lui faire une place dans le groupe pour qu’il ne sente pas trop seul.

Forcément, ils avaient tous accepté. Mais en faisant la connaissance de Christian, il apparut que les raisons de Gaël étaient bien moins minimales qu’il avait voulu le prétendre. Il était évident, pour Bartholomé en tout cas, que son frère avait vécu dans la solitude.

Il s’était donc rapidement rapproché de Christian. Au départ, il avait agi dans le seul but de l’aider à se sentir mieux dans sa peau, mais avec le temps, il s’était aperçu que cette amitié n’avait pas que des bénéfices à sens unique.

Entre ses séances chez le psychiatre et Bartholomé, Christian avait fini par s’aimer et s’affirmer. Il avait abandonné les vêtements trop larges et les cheveux longs. Il s’était mis à manger plus et à faire du sport. Petit à petit, son corps avait retrouvé la stature d’un homme.

Bartholomé, quant à lui, avait découvert en Christian un ami attentif et toujours présent. Bien plus que le reste de la bande. Avec lui, il avait trouvé le courage nécessaire pour mettre des mots sur ses sentiments vis-à-vis de son passé et de ses relations.

L’une des plus grandes qualités de Christian était son incroyable capacité à ne jamais juger les gens et à toujours rester ouvert d’esprit. Parfois, quand il avait besoin de se confier sur des choses vraiment sales, il disait à son ami, avec une pointe d’humour pour dissimuler son mal-être, qu’il venait voir Bouddha.

Aujourd’hui encore, Bartholomé gardait à l’esprit que le destin lui avait offert son plus beau cadeau en mettant Christian sur sa route.

Alors, quand il avait constaté que ce dernier semblait au bord du gouffre après le départ précipité de son rendez-vous il y avait un peu plus d’un mois, il n’avait pas voulu le laisser seul. Bartholomé s’était donc installé sur la place libre et avait demandé ce qu’il s’était passé. Souhaitant soulager Christian de sa souffrance.

Mais devant l’absence de réponse, il avait fini par lui dire :

« Tu sais Christian, tu es comme un frère pour moi. Tu connais tout de ma vie, de mes plus belles réussites aux choses les plus sombres et les plus sales qu’il m’ait été donné de faire. Je ne t’ai jamais rien caché, car je sais que tu ne me jugeras pas. Mais honnêtement, je n’aurais jamais pensé que je te donnerais aussi peu confiance en moi. »

Les yeux de Christian s’étaient écarquillés à mesure qu’il parlait. Et au fond, Bartholomé s’en voulait d’avoir été aussi direct dans ses propos quand il était évident que ce dernier n’allait pas bien. Il fallait malgré tout savoir battre le fer tant qu’il était encore chaud et il ne pourrait définitivement pas l’aider à se sentir mieux s’il ne connaissait même pas la base du problème. C’est d’ailleurs ce qu’il lui avait dit.

Il avait pu voir son visage se fermer petit à petit jusqu’à ne plus exprimer aucune émotion et il avait bien cru qu’il ne parlerait pas. Mais c’est avec une voix monocorde que son ami s’était mis à raconter ce qu’il avait vécu durant son enfance, puis son adolescence. Il alla même plus loin en parlant de sa rencontre avec Dylan, ses sentiments pour lui, puis la déclaration et l’accident.

Bartholomé avait écouté silencieusement, encaissant les révélations avec la plus grande difficulté. Il regretta alors de l’avoir poussé à souffrir une fois de plus en si peu de temps, mais contre toute attente, quand Christian eut fini son histoire, il avait relevé la tête dans sa direction pour lui offrir un sourire soulagé.

« Merci, Bary. »

Deux mots. Pas grand-chose. Mais ils frappèrent avec force dans le coeur de Bartholomé. Jamais il n’aurait pensé qu’on puisse aimer autant une autre personne. Un amour platonique sans aucune arrière-pensée si ce n’est celle de voir l’autre heureux.

L’été s’était ensuite écoulé sans soucis majeurs. Et même si Christian n’en laissait rien paraître, il semblait évident que la rencontre avec l’autre homme l’avait chamboulé.

« Pourquoi tu ne lui envoies pas un message ? lui avait-il demandé un jour.

— J’ai effacé son numéro.

— Tu pourrais le redemander à Alexie.

— Non. De toute façon, c’est mieux comme ça » avait répondu Christian.

Il n’avait pas insisté.

Et aujourd’hui, plus d’un mois après ce fameux soir, qui venait d’arriver en courant dans cette salle de classe où lui et Christian attendaient ?

Dylan Johnson. En personne !

Bartholomé étouffa un éclat de rire tandis que l’homme se figeait au milieu de la pièce. Et quand il se dirigea vers la place qu’Ariette lui avait indiquée, Bartholomé ne put s’empêcher de se pencher vers Christian et de souffler à son oreille.

« Si ça, c’est pas ce qu’on appelle un coup du sort. »

Le regard noir que son ami posa immédiatement sur lui eut raison de sa retenue et il partit dans un grand rire qui attira l’attention sur lui, mais dont il se moqua totalement.

***

Malgré le regard qu’il jeta à son ami, Christian n’en menait pas large. Il écouta sans vraiment y prêter attention le discours du directeur et celui d’Ariette.

Ce n’est qu’au moment où l’assistante sociale présenta le nouveau psychiatre de l’école qu’il sortit de ses pensées. Los Angeles était-elle à ce point si petite ?

Quand Gaël lui avait proposé d’habiter avec lui, il avait posé à Christian une condition. S’il souhaitait vraiment venir à Los Angeles, alors il devrait consulter un thérapeute. Il en avait rencontré trois, jamais plus que le temps d’une séance. Le quatrième fut le psychiatre Anthony Craig.

À la fin du rendez-vous, Christian se rappelait encore très bien lui avoir dit :

« Merci. Au revoir et bonne journée.

— Une minute, jeune homme, avait susurré le thérapeute. Nous n’avons pas fixé le prochain rendez-vous.

— C’est parce qu’il n’y aura pas d’autre séance. »

Le docteur Craig avait fait claquer plusieurs fois sa langue avant de lui répondre :

« Ce n’est pas mon avis, Christian. Je pense même que vous avez grand besoin de parler à quelqu’un. »

Puis soudain, il avait parlé d’une voix plus forte et autoritaire.

« Alors, vous allez vous asseoir et nous allons reprogrammer un rendez-vous. »

La phrase avait claqué comme un coup de fouet, faisant sursauter Christian. Il avait tellement été surpris qu’il n’avait pas cherché à répondre et avait obéi en reprenant place sur son siège. Une fois assis, il avait écarquillé les yeux en comprenant ce qu’il venait de se passer et le sourire narquois du psychiatre lui avait hérissé le poil. Il s’était alors juré de lui faire vivre des séances infernales.

Finalement, son propre plan s’était retourné contre lui. Et jamais il n’avait par la suite regretté de s’être rassis sur cette chaise.

Son regard croisa celui du thérapeute et ce dernier lui lança un clin d’oeil complice en guise de réponse. Pour une raison qu’il ne chercha pas à comprendre, Christian se sentit instantanément mieux. Il voyait en l’arrivée du médecin un signe pour lui.

Après sa rencontre inopportune avec Dylan, il avait songé à reprendre des séances.

Quand il avait arrêté treize ans plus tôt, il s’était pensé guéri. Le docteur Craig n’était pas de cet avis. Et aujourd’hui, Christian comprenait qu’il existait toujours quelques noeuds à défaire. Il n’avait pas voulu les voir à l’époque. Peut-être parce qu’il était fatigué et qu’il désirait vivre une vie normale. Mais la vérité, c’est qu’à aucun moment durant les séances, il n’avait parlé de Dylan. C’était un sujet encore plus tabou que les abus sexuels qu’il avait subis enfant.

Lorsque la réunion se termina, ils profitèrent tous du temps suivant pour boire et manger un morceau. C’était également l’occasion d’échanger avec les nouveaux arrivants ou de retrouver les collègues qu’ils avaient perdus de vue durant les vacances.

Christian se dirigea immédiatement vers le docteur Craig et bien que celui-ci fût déjà entouré par quelques personnes il les remercia gentiment avant de s’approcher à son tour de son ancien patient.

« Christian Brown. Je ne m’attendais pas à vous revoir entre ces murs, jeune homme, dit le psychiatre de sa voix douce et traînante, cette même voix qui était souvent montée dans les tours pour le faire sortir de ses gongs et qu’ils puissent enfin avancer dans sa thérapie.

— Oh, je ne suis plus vraiment jeune, vous savez, répondit-il avec un sourire arrogant.

— Vous l’êtes toujours plus que moi » répliqua Anthony avant que son regard ne soit attiré vers un point dans la classe.

Lorsqu’il reposa ses yeux sur son vis-à-vis, il sourit à son tour. De ce petit rictus qui n’avait jamais rien présagé de bon pour Christian.

« Est-ce moi ou il y a quelques tensions entre vous et le jeune homme qui était assis à vos côtés ? »

Christian avait très bien compris qu’il voulait parler de Dylan, pourtant il déclara :

« Qui ça ? Bartholomé ? Bien sûr que non, c’est mon meilleur ami. Je vous en ai beaucoup parlé durant mes séances. »

Anthony garda son sourire, mais ses yeux se plissèrent légèrement et de façon dangereuse alors qu’un petit rire s’échappait de sa bouche.

« Je vois que vous aimez toujours tourner autour du pot, Christian. Sûrement votre préliminaire préféré » ricana l’homme avant de rire plus fort devant le regard noir que lui lança son ancien patient.

Quelques personnes se tournèrent vers eux, curieuses de savoir ce qu’ils s’étaient dit de si drôle. Christian quant à lui serra les dents et répliqua :

« Et moi je constate que vous avez toujours une langue aussi acérée. Dommage qu’elle ne vous soit d’aucune utilité devant votre femme. »

Ce fut au tour du psychiatre de le regarder méchamment avant que son visage ne se détende et qu’un sourire, plus joyeux, reprenne place sur ses lèvres.

« Touché, jeune homme. Touché. »

Au grand dam d’Anthony, Christian avait fait la connaissance de sa femme et ce dernier avait constaté que la verve de son psychiatre ne fonctionnait tout simplement pas face à elle. Mais il ne se mentait pas à lui-même et il ne l’avait pas fait à Christian non plus lorsque celui-ci avait remarqué son abandon total de contrôle quand il était avec Rosalie.

« Il nous arrive à tous d’avoir besoin à un moment donné de relâcher la pression, Christian, lui avait-il dit. Pour moi, qui dois toujours avoir le contrôle sur mes émotions et mon caractère durant mes heures de travail, laisser ma femme diriger quand je suis chez moi est quelque chose qui m’est devenu vital. Et je ne m’en sens pas diminué pour autant. »

L’honnêteté du psychiatre et les décisions qui avaient amené Christian chez lui finirent par avoir raison des dernières défenses du jeune homme et à partir de ce moment ils avaient pu avancer dans sa thérapie.

« Je vous ai poussé au départ pour que vous avanciez, Christian. Mais si aujourd’hui vous ne le souhaitez pas, alors je ne peux plus rien de mon côté. La réelle cause de votre tentative de suicide n’a jamais été abordée, mais vous êtes désormais assez stable pour que je vous laisse partir. Néanmoins, si vous souhaitez un jour vous attaquer au coeur du problème, alors, n’hésitez pas à venir me voir » lui avait dit Anthony à la fin de leur dernière séance.

Un léger sourire dépourvu de joie étira les lèvres de Christian alors que les paroles du psychiatre lui revenaient en mémoire.

« En réalité, avoua-t-il, il est le coeur du problème. »

Son regard était rivé sur Dylan pendant qu’il parlait et quand ce dernier leva les yeux dans sa direction, il se dépêcha de reporter son attention sur Anthony.

« Que diriez-vous de vendredi 20 à dix-neuf heures dans mon cabinet ? proposa-t-il, comme si de rien n’était, ce qui arracha un sourire à Christian.

— Dix-neuf heures, c’est très bien. »

***

Malgré son air calme et posé, Dylan était à cran.

Il avait passé la totalité de la réunion à serrer les dents à s’en péter les molaires pour éviter à ses jambes de tressauter, à ses doigts de tapoter ou encore à sa putain de tête de cogiter. Pourquoi ? C’était la question qui tournait en boucle dans son esprit depuis qu’il était entré dans la salle de classe et avait vu Christian assis à côté de la dernière place libre.

Pourquoi, putain de bordel de merde, le sort s’acharne-t-il ainsi sur moi ?

Quand vous vouliez quelque chose ardemment il ne se passait rien. Par contre vous pouvez être sûr qu’en cherchant à le fuir de toutes vos forces, ce dernier revenait continuellement sur votre chemin !

Il n’avait donc pas prêté grand cas à ce qu’il se disait durant la réunion et il aurait volontiers pris les jambes à son cou si les règles de bienséance ne l’avaient pas un minimum retenu. Elles, mais aussi une part de sa fierté mise à mal par toute cette ironie.

À un moment, il sentit un picotement au niveau de sa nuque. Le genre que vous ressentez quand quelqu’un vous regarde un peu trop longtemps. Et lorsqu’il avait levé les yeux, il était tout de suite tombé sur Christian qui l’observait de l’autre côté de la salle. Ce dernier détourna aussitôt la tête, mais c’était trop tard. Dylan savait.

Cela eut le don de mettre un peu plus ses nerfs à vif et c’est en grinçant des dents qu’il jeta un coup d’oeil à son portable pour voir s’il pouvait enfin se sauver. En regardant l’heure, il poussa un soupir de soulagement.

Il dit au revoir à Mike et Edward. Les deux hommes étaient de jeunes professeurs, l’un d’anglais et l’autre de mathématiques. Dylan les avait trouvés sympathiques et il ne doutait pas qu’il s’entendrait vraiment très bien avec eux.

Il se dirigea ensuite vers Ariette qui paraissait en pleine discussion avec un homme qui lui semblait familier.

« Je vais devoir y aller.

— Oh, déjà ? » demanda Ariette visiblement peinée de ne pas avoir pu parler avec lui avant son départ.

« Mes enfants sont chez leur mère et je dois conduire cette dernière à l’aéroport.

— Très bien. Laissez-moi juste vous présenter à Bartholomé Flint. Je ne vous retiendrai pas longtemps, mais Bartholomé a soulevé un point important que j’avais oublié de vous mentionner » déclara Ariette en se tournant vers la personne qui se tenait à ses côtés.

Il devait avoir dans ses âges. C’était un homme svelte aux cheveux châtains et aux yeux bleus. Il avait une petite barbe autour de la bouche et portait un pantalon noir moulant ainsi qu’un haut à la matière légère et bleu électrique dont le V descendait jusqu’au niveau de son sternum.

Totalement efféminé, songea Dylan.

Le sourire narquois qui ourla les lèvres du dénommé Bartholomé le mit mal à l’aise. Il semblait lui dire, Je sais à quoi tu penses.

« Vraiment ? Lequel est-ce ? demanda Dylan pour attirer son attention sur autre chose que cette désagréable sensation.

— Vous devrez partager le gymnase avec le club de théâtre tous les lundis et jeudis après-midi. »

Merde !

« Et qui s’occupe du club de théâtre ? »

Ses yeux étaient fixés sur l’homme en face de lui et ce dernier le dévisageait également sans aucune retenue. Il se mit à prier pour qu’il ne soit pas l’un des animateurs.

« Eh bien, répondit Ariette, inconsciente de la tension entre les deux hommes, il y a Bartholomé évidemment. »

Et merde !

« Et il y a également Christian Brown. »

Seigneur… mais qu’est-ce que je t’ai fait pour mériter ça ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!

« Génial, dit-il, bien qu’il n’en pensât pas un seul mot. On se reverra donc demain soir, monsieur Flint.

— Oh, appelez-moi Bartholomé, Dylan. Après tout, je suis sûr que nous serons amenés à nous revoir souvent et ce, même en dehors de cette école » susurra l’homme en prenant une gorgée de son jus d’orange pour masquer son hilarité.

Dylan lui offrit un sourire crispé avant de partir, se demandant ce que cet énergumène savait exactement de sa relation avec Christian et ce qu’il avait voulu dire en supposant qu’ils se reverraient à l’extérieur de l’établissement.

Merde ! hurla-t-il une fois de plus dans sa tête tandis qu’il marchait à grandes enjambées dans les couloirs déserts.

Quand il arriva à sa voiture, même pas cinq minutes plus tard, sa crise était passée et il avait enterré bien au fond de sa mémoire le fait qu’il verrait Christian tous les lundis et jeudis. Il avait enfoui bien plus profondément l’information qu’il serait accompagné de cette pimbêche masculine !

Lorsqu’il se gara devant la maison d’Amélia, son esprit avait retrouvé son calme. Il alla à leur rencontre en la voyant galérer à sortir avec toutes ses valises. Zack et Mary l’aidaient, mais il y en avait trop pour eux trois.

« Salut, ça va ? demanda Dylan en les embrassant chacun à tour de rôle.

— Oui. J’ai bien cru qu’on n’y arriverait pas, mais finalement nous avons réussi à terminer les bagages et l’inspection de la maison à temps. »

Ils se dirigèrent vers la Dodge Charger et Dylan réussit, tant bien que mal, à loger toutes les valises dans le coffre. Ils durent tout de même en mettre un peu au pied des jumeaux. Mais heureusement, ils n’avaient pas attendu le départ d’Amélia et Mary pour déménager les affaires de Zack.

Alors qu’il conduisait vers l’aéroport, ses pensées dérivèrent vers cette fameuse soirée où tout s’était décidé.

Pendant les deux semaines avec ses enfants, Dylan leur avait bien fait comprendre que, s’ils restaient à Los Angeles, ils ne verraient plus leur mère aussi régulièrement. Que le choix qu’ils feraient ne serait pas sans conséquence pour leur avenir. Il leur avait donc demandé de bien réfléchir et qu’ils en rediscuteraient avant qu’ils retournent chez Amélia.

« Je veux rester avec toi, avait déclaré Zack le matin de leur dernier jour.

— Tu es sûr ? » voulut-il s’assurer.

Sa question pouvait laisser supposer qu’il ne souhaitait pas que ses enfants habitent avec lui. Mais en réalité, il avait surtout peur qu’ils regrettent leur choix par la suite. Il avait peut-être la garde partagée depuis un an, il n’oubliait pas pour autant que Mary et Zack avaient principalement vécu avec leur mère.

« Oui. Je veux rester » avait répondu son fils.

Dylan avait hoché la tête avant de se tourner vers Mary.

« Et toi ?

— Je sais pas… Si je reste, tu crois que maman m’en voudra ?

— Bien sûr que non !

— Et toi ? » avait-elle demandé d’une toute petite voix, le nez plongé dans son bol de céréales.

Il avait alors compris que sa fille ne resterait pas à Los Angeles.

« Je ne t’en voudrai pas non plus, ma puce. C’est ton choix et je n’ai aucun droit de ne pas l’accepter. La seule chose dont je veux que vous ayez conscience tous les deux, c’est que votre mère ne part pas à une heure de Los Angeles. Que vous partiez ou que vous restiez il faut que vous sachiez que nous ne nous verrons pas aussi souvent. Même vous deux. Est-ce que cela vous conviendra ? »

Ses paroles avaient apporté une certaine morosité autour de la table, mais Dylan savait qu’il devait se montrer honnête et réaliste. Leur faire miroiter des rêves ne les aiderait pas dans ce genre de situation.

Malgré tout, Zack n’avait pas flanché, et Mary, quant à elle, avait pris la décision de partir avec Amélia. Choix pour lequel Dylan ne lui en tenait absolument pas rigueur même si ça lui fendait le coeur de savoir qu’il ne la verrait plus que de temps en temps.

Après tout, Mary était une jeune fille qui rentrait dans la préadolescence et qui aurait besoin de sa mère pour comprendre son corps et les changements qui s’y opéreraient bientôt. Non pas que Dylan n’aurait pas su gérer, mais il n’était pas non plus le père le plus ouvert d’esprit qui puisse exister.

Le trajet jusqu’à l’aéroport dura une bonne heure à cause des bouchons de la fin de journée, mais ils étaient partis suffisamment en avance pour ne pas être angoissés par un quelconque retard. Une fois la voiture garée, les bagages sortis et les billets d’avion en main, ils se dirigèrent tous les quatre vers le guichet d’enregistrement du terminal quatre.

Beaucoup de monde circulait dans l’enceinte de l’aéroport, mais les salles d’attente étaient suffisamment grandes pour donner l’impression qu’il n’y avait personne. Heureusement d’ailleurs, car Dylan détestait la foule. Il était facile d’y perdre quelqu’un et le sentiment d’étouffement qui l’envahissait chaque fois était une sensation bien trop désagréable pour qu’il ait envie de la vivre. Sans oublier qu’en cas de danger cette marée humaine deviendrait une armée meurtrière. Courant et hurlant, se marchant les uns sur les autres sans chercher à s’éviter ou s’aider.

Oui, Dylan détestait la foule, car elle avait toujours tendance à tuer l’intelligence et à rendre les gens bêtes. Il suffisait de regarder pendant les périodes de solde.

« Vous allez rester avec nous jusqu’à notre départ, hein ? interrogea Mary en lui prenant la manche pour attirer son attention.

— Bien sûr. »

Il passa une main sur ses cheveux pour la réconforter, mais au fond il avait également besoin de profiter de ces derniers moments. Certes, il la reverrait dans moins de trois mois tandis que Zack partirait à son tour pour New York afin d’être avec sa mère pour les vacances d’octobre.

Quand il s’avéra que le choix des jumeaux était diamétralement opposé, il fallut que Dylan et Amélia réfléchissent à une organisation qui pourrait satisfaire tout le monde. D’un commun accord, ils avaient convenu que Zack et Mary devraient également passer du temps ensemble afin de ne pas perdre leur lien fraternel, même si pour cela les parents devraient sacrifier des moments avec leurs enfants

Après de longs échanges, ils étaient finalement parvenus à trouver un accord pour la répartition des vacances.

« Et puis, les billets d’avion ne sont pas non plus hors de portée. On pourra peut-être venir sur un week-end à New York et vous également » avait également proposé Dylan.

Malgré tout, la séparation fut douloureuse.

Quand l’heure arriva pour Amélia et sa fille de se rendre dans la salle d’embarquement, là où Dylan et Zack ne pourraient plus les suivre, Mary ne voulait plus le lâcher.

« Mary, c’est l’heure » dit une nouvelle fois sa mère d’une voix douce.

Le visage collé contre le torse de son père, la jeune fille secoua fortement la tête, resserrant un peu plus ses bras autour de Dylan. En voyant ses épaules être agitées par d’incontrôlables sanglots, ce dernier ne put empêcher son coeur de se comprimer douloureusement et ses propres yeux de s’embuer face à son désespoir.

Il les essuya rapidement pour ne pas montrer à sa fille qu’il souffrait également. Puis il l’écarta gentiment de lui et s’accroupit afin qu’il soit à peu près à la même hauteur. Levant son visage vers celui de Mary, il caressa du doigt ses joues pour en effacer les traces que les larmes avaient laissées sur sa peau douce.

Dylan se mordit la langue pour refouler le sanglot qui montait dans sa gorge. C’était son bébé et il était obligé de lui dire au revoir. Elle avait tellement grandi et il trouva qu’elle ressemblait de plus en plus à sa mère. Pas de doute, elle deviendrait une très belle femme ! Et cela le chagrina encore plus. Là-bas, à New York, elle serait trop loin de lui pour qu’il puisse la protéger si jamais des garçons lui tournaient autour avec un peu trop d’insistance.

Pour une raison qu’il ignorait, l’histoire de Christian lui revint en mémoire. Cet homme avait vécu tellement de souffrances dans cette ville. Et si sa fille subissait la même chose ? Il secoua la tête pour chasser ces pensées néfastes et inutiles. La vie de Christian lui appartenait et Mary avait la sienne qui lui était propre. Tous les enfants de New York n’étaient pas victimes de pédophilie.

« Je veux pas y aller, pleura Mary entre deux hoquets. Je veux rester avec toi.

— Je sais que c’est dur, ma puce. Tu es triste de partir et c’est normal. C’est également dur pour ta maman et Zack… et moi aussi. Mais tu verras que le temps passera vite et que tu seras bientôt revenue à Los Angeles pour les vacances. Et puis, il y a le téléphone, Skype et encore plein d’autres moyens de se parler.

— Mais… »

Dylan posa un doigt sur sa petite bouche délicate pour la stopper dans son élan et sans qu’il puisse l’en empêcher, une larme rebelle coula sur sa joue. Il ne chercha pas à l’effacer. Après tout, il devait avant tout penser à sa fille et non pas à l’image qu’il renvoyait.

« Quand tu m’as annoncé vouloir partir avec ta mère, tu te souviens de ce que je t’ai dit ?

— Est-ce que tu es sûre de ton choix ? dit-elle.

— Exactement. Et que m’as-tu répondu ?

— Oui… Je ne veux pas quitter maman, souffla la petite fille en regardant son père droit dans les yeux, avant d’avouer : Mais j’ai peur. »

Et moi donc, pensa-t-il. Que se passera-t-il si tu m’appelles en pleurant pour que je te réconforte ou que je t’aide alors que tu seras à un bout du pays et moi à l’autre ?

« C’est normal, c’est une sacrée aventure que tu vas vivre, mais elle te rendra plus forte et plus riche d’expériences pour ton avenir. Alors, vis-la à fond, ok ? »

Les larmes avaient séché. La peine avait diminué. Le menton se redressa et les yeux verts s’observèrent avec détermination, tandis qu’un sourire canaille ourlait les lèvres du père et de la fille.

« Ça, c’est ma championne » déclara Dylan en constatant que la crise était passée.

Amélia, qui n’avait rien raté de la scène, serra l’épaule de Zack qui ne l’avait pas lâchée d’une semelle depuis le départ de leur ancienne maison. Elle s’essuya les yeux et passa une main affectueuse dans les cheveux bruns de son fils. Il leva la tête sous la caresse et lui offrit un petit sourire, la tristesse étant toutefois clairement visible sur son visage.

Finalement, mère et fille passèrent la porte qui les menait à la salle d’embarquement. Dylan et Zack restèrent un moment devant celle-ci sans bouger. Puis, c’est le coeur lourd que le père se tourna vers son fils et lui dit pour tenter d’alléger l’atmosphère :

« Qu’est-ce que tu dirais de se manger une pizza ce soir ? Un truc bien gras pour nous réconforter. »

Les yeux de Zack pétillèrent d’envie à l’idée de manger sa pizza préférée. Orientale avec plein de sauce piquante. « Trop cool ! Est-ce qu’on pourrait regarder Star Wars en mangeant ? »

Un sourire complice étira les lèvres de Dylan et il dit :

« Carrément ! Et tu sais quoi, on va appeler Sacha et Rebecca pour savoir s’ils veulent se joindre à nous. Qu’est-ce que t’en penses ? »

Le visage de Zack rayonnait de bonheur et c’était limite s’il ne sautillait pas sur place. Dylan tendit son poing vers son fils en lui disant « check ». Le jeune garçon cogna le sien, beaucoup plus petit, contre celui de son père avant de partir d’un pas guilleret vers le parking.

Dylan regarda une dernière fois la porte d’embarquement. Désormais, sa fille vivrait une vie loin de lui et, bien que ça lui fasse un mal de chien, il ne pouvait plus rien faire contre ça. Il tourna donc les talons et rejoignit rapidement Zack.

***

« Tu plaisantes, j’espère ? s’exclama Sacha en regardant son frère prendre quatre assiettes dans un placard, tandis qu’il sortait lui-même les serviettes et les verres.

— Non. Crois-moi, je voudrais bien, mais non » soupira Dylan.

Il avait appelé Sacha avant de partir de l’aéroport et lui avait fait part de leur projet à Zack et lui, les invitant à se joindre à eux. Il avait pu entendre son frère interroger Rebecca et le cri de joie que celle-ci avait poussé à l’idée de manger une pizza avait suffi à répondre à la question.

« Je crois qu’elle est d’accord » avait rigolé Sacha à l’autre bout du combiné.

Dylan avait donc contacté la pizzeria et passé commande.

« Le livreur ne sera pas là avant une bonne heure, alors va prendre une douche » avait dit-il à son fils lorsqu’ils étaient rentrés à l’appartement.

Zack ne s’était pas fait prier et il était encore sous la douche lorsque Sacha et Rebecca arrivèrent. Dylan offrit une bière à ses deux invités puis s’en ouvrit une pour lui.

Sa belle-soeur reçut à ce moment-là un coup de fil de ses parents et elle quitta la pièce pour s’isoler dans le salon.

Dylan profita de ce moment seul avec son frère pour lui raconter comment s’était passée la réunion et par la même occasion lui révéler que Christian faisait également partie des enseignants. De manière bénévole et juste pour des cours de théâtre, mais il devrait quand même le côtoyer les lundis et jeudis, car ils faisaient les séances dans le gymnase.

« Eh ben, qui aurait cru que Los Angeles pouvait être aussi petite, souffla Sacha ébahi par les événements. Du coup, tu comptes faire quoi ?

— Comment ça ? demanda-t-il en regardant son frère avec suspicion.

— Tu vas pas pouvoir faire comme s’il n’existait pas, Dylan.

— Ah bon ? C’était pourtant l’idée. »

Sacha soupira d’exaspération. Il savait que son frère pouvait se montrer parfois borné dans ses idées, mais s’il commençait de cette façon ça ne pourrait que mal se finir. Et il lui en fit part.

« Je ne vois absolument pas pourquoi les choses tourneraient mal. Je me contenterai de leur dire bonjour et au revoir. Il n’y a pas besoin de chercher plus loin.

— Et les enfants ?

— Quoi, les enfants ?

— Ils vont voir qu’il y a de la tension entre vous, expliqua-t-il.

— Et alors ? Bordel ! Ils verront ce qu’ils voudront, que veux-tu que ça me foute, putain ! » s’énerva Dylan.

Sacha leva les mains en l’air en signe de reddition. Il ne servait à rien de pousser son grand frère. À l’heure actuelle, il était bien trop à cran et n’avait pas encore digéré les événements de la journée. Inutile donc de parlementer avec lui.

Ils retournèrent dans le salon avec les assiettes, les serviettes et les verres. Zack était sorti de la douche et parlait joyeusement avec Rebecca.

Ils mangèrent dans un agréable brouhaha, ne prêtant guère attention aux vaisseaux spatiaux et aux sabres laser qui défilaient sur l’écran.

Une fois que Sacha et sa fiancée furent partis et Zack couché, Dylan prit sa douche et s’allongea à son tour sur son lit.

Du coup, tu comptes faire quoi ?

Les paroles de son frère lui trottaient dans la tête depuis l’instant où elles avaient franchi ses lèvres. Il poussa un profond soupir. Il s’était énervé contre Sacha, car, en réalité, il ne savait absolument pas comment se comporter et agir.

Pourtant, quand il était dans l’armée on l’avait préparé à affronter n’importe quelle situation. Mais ce n’était pas un ennemi qui lui faisait face. Dylan n’avait pas à trouver une solution pour sauver sa peau.

Non, les entraînements qu’il avait reçus ne pouvaient vraiment rien pour lui, si ce n’est l’aider à garder son sang-froid. Il était persuadé que Christian ne tenterait rien, mais il était parti du principe qu’ils ne se reverraient plus. Savoir que chaque lundi et jeudi il devrait côtoyer l’autre homme mettait Dylan sur les nerfs.

Il était déjà minuit passé lorsqu’il réussit à s’endormir.

***

Le lendemain matin fut plutôt chaotique. Dylan avait bien mis son réveil, mais il n’avait pas inclus dans son programme qu’il devait accompagner son fils au collège. Imbécile ! C’était la première journée pour Zack. La toute première. Alors évidemment qu’il devait être avec lui.

Heureusement, il était le seul à ne pas avoir pensé à ça et Zack était déjà plus ou moins prêt. En tout cas, il était douché, ce qui laissait la salle de bains libre pour Dylan. Il se lava, s’habilla et se brossa les dents en dix minutes chrono, décidant qu’il ne prendrait pas de café ce matin.

Ils purent ainsi partir à l’heure.

Alors qu’ils étaient dans le bus, Dylan remarqua la mine soucieuse du garçon et demanda à ce dernier ce qui n’allait pas.

« Rien, répondit-il en mordillant sa lèvre.

— Tu es nerveux ? »

Zack le regarda droit dans les yeux, le visage grave. Durant un instant, il crut que son fils allait lui dire quelque chose d’important, mais il se contenta de hocher la tête et de déclarer.

« Oui. Mais j’ai hâte aussi. Ça fait trois semaines que j’ai pas vu Tom et Jack. »

Dylan sourit à son fils. Il était heureux qu’il ait des amis sur qui compter, lui à son âge, il ne pouvait pas en dire autant. La faute à qui ? lui souffla une petite voix dans sa tête. La mienne, répondit-il sans aucun regret. À cette époque-là, il avait d’autres chats à fouetter que de traîner avec des garçons de son âge. Il devait gérer Mike et s’occuper de Sacha.

Il pensa à Patrick. Cet homme avait été une véritable bouée de sauvetage pour lui. Et il s’était également très bien occupé d’eux. Il songea qu’il devrait l’appeler dans la journée. Il n’avait pas entendu sa voix bourrue depuis quelques semaines et, malgré tout, elle lui manquait.

En reportant son attention sur son fils, il se nota dans un coin de sa tête qu’il devrait également envoyer un message à Zackary.

Lorsqu’ils arrivèrent à destination, Dylan resta avec Zack jusqu’à l’ouverture des grilles, ce qui ne devait pas tarder au vu de l’heure qui était indiquée sur son portable. Mais quand il fut temps pour son fils de partir, il constata que celui-ci était toujours figé à ses côtés. Silencieux.

« Zack?

— Et si je ne suis pas dans la classe de Tom ou Jack ? »

Dylan se pencha vers le garçon et posa une main réconfortante sur son épaule.

« Alors tu te feras d’autres amis.

— Mais si les autres ne m’aiment pas ?

— Pourquoi ils ne t’aimeraient pas ? demanda-t-il, clairement étonné par cette idée.

— Pour rien » murmura Zack avant de mettre ses bras autour du cou de son père et de le serrer quelques secondes.

Puis il s’en alla vers les grilles du collège et Dylan le regarda partir, légèrement dérouté par ce qu’il venait de se passer. Est-ce que Zack avait des ennuis à l’école ? Amélia ne lui avait pourtant rien dit sur ce sujet. Il jugea utile de l’appeler ce soir pour s’en assurer.

Décidément, pensa-t-il avec sarcasme, j’en ai du monde à contacter tout à coup !

Il arriva au Centre vers neuf heures moins le quart et il eut le plaisir de voir qu’Ariette était là pour l’accueillir. Il lui offrit un sourire canaille auquel elle répondit avec facilité.

« Je vous manquais à ce point pour que vous m’attendiez devant les portes de l’école ? demanda Dylan avec humour.

— Seigneur ! J’avais surtout espéré que vous arriviez en retard pour pouvoir vous donner la fessée. »

La blague salace surprit Dylan et le figea sur place. Il regarda l’assistante sociale avec des yeux écarquillés. Puis il partit dans un rire tonitruant qui l’étonna lui-même. Il put entendre celui plus discret d’Ariette résonner dans ses oreilles.

« Promis, demain j’arrive avec cinq minutes de retard juste pour voir ça. »

Ils éclatèrent une nouvelle fois de rire tout en se dirigeant vers le gymnase.

« Je dois vous prévenir, expliqua Ariette sur un ton beaucoup plus sérieux, monsieur Craig risque de passer voir de temps en temps comment vous enseignez aux enfants. On nous a demandé un suivi sur vous durant le premier mois. »

Dylan n’en fut absolument pas étonné. Il avait même trouvé bizarre qu’il ait carte blanche comme s’il enseignait depuis vingt ans. Cependant, quelque chose le dérangeait légèrement.

« Il est comment, cet Anthony Craig ? »

La grimace que fit Ariette lui fit craindre le pire. Dylan avait déjà rencontré le psychiatre, mais l’échange n’avait duré que quelques minutes, difficile donc de savoir s’il était quelqu’un de bien ou pas. Néanmoins, il n’oubliait pas les propos que ce dernier avait tenus à son encontre.

« Disons… qu’il a une méthode bien à lui de traiter avec ses patients. Et je ne suis pas sûre d’apprécier sa façon de travailler, expliqua Ariette avant d’ajouter : Cependant, on m’a rapporté que malgré ses manières brusques il ne lâchait jamais ses patients.

— Ah oui ? Et qui vous a dit ça ? demanda Dylan avec sarcasme. – Sûrement un pauvre con qui n’a jamais eu affaire à un psychiatre de sa vie, songea-t-il.

— C’est Christian. Vous savez, celui qui offre des cours de théâtre avec Bartholomé. »

Sous le choc, il réussit à s’étouffer avec sa propre salive. Bordel ! Mourir par suffocation salivaire serait vraiment le comble du comble pour un militaire qui a échappé à la mort après une explosion.

Une fois la surprise passée et son souffle retrouvé, il analysa les informations qu’Ariette lui avait fournies. Si Christian avait tenu de tels propos, cela signifiait donc implicitement qu’il avait consulté le psychiatre.

Pour une raison que Dylan ignorait et qu’il détesta, il fit confiance aux propos de Christian. Son instinct lui soufflait qu’il n’irait pas raconter quelque chose qui pourrait nuire à des gosses.

Ce qui en soi était plutôt ironique puisqu’il avait nui à Dylan en lui racontant des inepties.

Lorsqu’ils arrivèrent devant le gymnase, les élèves n’étaient pas encore là, mais le docteur Craig si. Et le regard qu’il posa sur Dylan fit frissonner ce dernier. Il avait l’impression que le psychiatre lisait en lui comme dans un livre ouvert et qu’il prendrait un malin plaisir à gratter dans son crâne pour débusquer le moindre secret que Dylan tenterait de lui cacher.

Merde ! Il commençait sérieusement à regretter d’avoir accepté ce job. Pour se donner contenance il attrapa la main tendue du thérapeute et serra légèrement.

« Ariette m’a informé de l’enquête que vous devez mener sur moi. Je le comprends parfaitement, mais je ne m’attendais pas à vous voir dès la première heure. » déclara Dylan avec un sourire forcé sur les lèvres.

Comme il venait de le dire, il acceptait parfaitement qu’on le surveille. Cependant, la présence du psychiatre lui donnait le sentiment qu’on ne lui faisait pas confiance. Et si c’était réellement le cas, alors pourquoi lui avait-on proposé ce poste ?

« Oh ! Mais ce n’était absolument pas mon intention première, monsieur Johnson.

— Dans ce cas, que faites-vous ici ? répliqua Ariette.

— Disons que j’ai décidé de changer ma tactique d’approche depuis que je sais que notre collègue ici présent a pris sa retraite suite à des blessures graves. »

Il posa son regard sur le visage soudain blanc de Dylan avant de poursuivre :

« Et qu’il n’a jamais suivi de thérapie après la perte de cinq membres de son équipe durant un exercice d’entraînement. »

Comment cet homme était-il au courant de ça ?

Dylan savait par expérience que le dossier de chaque militaire était précieusement conservé et sécurisé. Ce n’était pas à la portée de tout le monde de l’obtenir.

En soi, le fait qu’il ait vu son dossier ne le dérangeait pas plus que ça, mais par contre, que quelqu’un ait pu voir la tache sombre qui devait être inscrite en fin de rapport, si. Celle qui disait qu’il avait failli dans sa mission de capitaine. Qui indiquait qu’il n’avait pas pu sauver ces jeunes.

La honte se transforma en une colère froide et redoutable.

Il fit un pas vers Anthony et se pencha légèrement en avant pour qu’ils soient à la même hauteur. Il siffla alors :

« Si j’étais vous, je ne m’aventurerais pas sur un terrain trop glissant. Vous pourriez y laisser quelques plumes. »


Texte publié par Sandro599, 3 novembre 2024 à 10h06
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