« Les erreurs sont toujours pardonnables.
Seulement si celui qui les a commises a le courage
de les admettre. »
Bruce Lee
« Voici le gymnase de l’école. Techniquement, l’État nous impose un programme à suivre pour chacune de nos matières, mais nous avons réussi à obtenir une exception pour le sport.
— Donc je pourrai leur enseigner ce qu’il me plaît ? demanda Dylan en regardant l’immensité de la salle.
— Dans la mesure du raisonnable, oui. Le but n’est pas d’en faire des soldats. »
Un sourire étira les lèvres de l’ancien militaire en entendant les propos de l’assistante sociale, ainsi que l’avertissement sous-jacent qu’ils contenaient.
« Bien évidemment » répondit-il.
Il suivit une fois de plus Ariette Olson dans les couloirs de l’école. Pour l’instant, celle-ci était vide, mais dans moins de deux semaines elle grouillerait d’enfants entre dix et dix-huit ans. Certains étaient placés au Centre pour les aider à rattraper leur retard, mais beaucoup avaient surtout des déboires familiaux ou avec la justice, comme le vol ou la bagarre ainsi que la dégradation de biens publics.
« Je suis vraiment ravie que vous ayez accepté le poste, monsieur Johnson. Les professeurs font de leur mieux pour les aider, mais souvent ce dont ces jeunes ont besoin, c’est d’un moment où ils peuvent se défouler.
— Vous dites ça comme si j’étais le premier éducateur sportif que vous ayez, répliqua Dylan avec curiosité.
— Non. Bien sûr que vous n’êtes pas le premier. Par contre, nous n’avons jamais travaillé avec des militaires avant vous. Les précédents enseignants n’avaient pas le mental pour encadrer les enfants de notre établissement.
— Pourquoi les avoir engagés dans ce cas-là ?
— Nous ne les avons pas embauchés. Ils venaient uniquement sur la base du volontariat pendant leurs études. C’était donc un moyen facile de proposer le sport comme matière sans dépenser un sou. Mais, ils ne restaient jamais bien longtemps. Ces gamins ont vécu des choses difficiles et ils ont tendance à se défouler sur nous, expliqua Ariette.
— Ça doit être charmant en classe.
— C’est différent, car les cours se déroulent en binôme. Généralement, il y a un professeur avec de l’expérience à mi-temps et un jeune qui assure l’intégralité de la semaine.
— Pourquoi ne pas avoir appliqué le même principe au sport dans ce cas-là ? » interrogea-t-il.
Un petit rire s’échappa des lèvres de l’assistante sociale avant qu’elle ne réponde :
« L’argent, monsieur Johnson. L’argent. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons décidé de nous tourner vers un militaire pour cet emploi. On espère que vous serez en mesure de les aider à se défouler tout en leur donnant un cadre et une discipline que les jeunes professeurs qui vous ont précédé n’ont pas été capables d’instaurer.
— J’espère tout de même obtenir mon salaire à la fin du mois, plaisanta-t-il.
— Ne vous inquiétez pas, monsieur Johnson. Vous serez payé. Mais je ne vous cache pas que votre salaire se trouve bien en dessous de celui de nos autres enseignants.
— Je le sais déjà, mon frère m’a prévenu. Mais, je touche une retraite de la part de l’armée. Certes, elle n’est pas très grande, néanmoins les deux combinés me suffiront » déclara Dylan en suivant Ariette dans l’établissement.
Il avait croisé Ivan Trap, le directeur et fondateur de l’école, un peu plus tôt. Ce dernier lui avait expliqué les raisons qui l’avaient poussé à créer cette institution ainsi que celles qui l’obligeaient à devoir accepter certains élèves qui avaient pour seul problème celui d’avoir un poil dans la main.
« Le Centre a été créé il y a seulement dix ans, monsieur Johnson. J’ai réussi à obtenir quelques petites subventions de la part de l’État, mais comme vous vous en doutez, celles-ci ne sont absolument pas suffisantes pour nous permettre de cracher sur les dons que certains parents sont prêts à donner si en échange on s’occupe de leurs enfants.
— Quel genre de problèmes rencontrent les élèves de l’école ? avait alors demandé Dylan tandis qu’ils patientaient que l'assistante sociale arrive pour lui montrer l’établissement.
— Les moins graves sont surtout des problèmes d’inattention et d’immaturité, lui avait expliqué Ivan. Ensuite, vous avez les enfants placés en famille d’accueil, ceux qui ont perdu un proche et, pour finir, quelques-uns de nos élèves ont commis des actes passibles d’emprisonnement.
— Du genre ?
— Vol, racolage, coups et blessures. »
Il avait énuméré ces faits comme s’ils n’étaient pas importants, et cela plut à Dylan. Si dès le départ le directeur de cette école voyait d’un mauvais oeil les problèmes judiciaires des élèves qu’il recevait, alors ils ne risquaient pas d’aller bien loin.
Il avait également rencontré par la suite le docteur Anthony Craig, le nouveau psychiatre de l’établissement. Ce dernier connaissait déjà certains des enfants puisqu’il les avait eus en consultation avant la rentrée scolaire.
« Je suis vraiment heureux d’apprendre que l’école a réussi à embaucher un militaire comme ils le souhaitaient, avait déclaré Anthony d’une voix doucereuse qui avait immédiatement mis Dylan sur le qui-vive, mais je ne m’attendais pas à ce que celui-ci soit aussi jeune.
— Ça pose un problème ? avait-il demandé avec un sourire aux lèvres qui contrastait avec son ton froid.
— Non, aucun. Je me demande juste pour quelles raisons un homme dans vos âges, et qui semble en pleine possession de ses moyens, quitte un métier qu’il a exercé pendant presque vingt ans. »
Dylan avait serré les dents avec force devant les propos tout juste voilés du docteur. Ils s’étaient regardés pendant un instant, se jaugeant en silence et, au moment où il s’était apprêté à lui révéler sa façon de penser, l’autre homme l’avait devancé en déclarant :
« Peu importe. Le principal, c’est que vous donniez à ces jeunes un moyen de se défouler. D’ailleurs, j’apprécierais si vous pouviez corser vos exercices pour certains d’entre eux.
— C’est-à-dire ? avait grogné Dylan dont l’aversion pour cet homme allait crescendo.
— Ne vous faites pas plus bête que vous ne l’êtes, monsieur Johnson. Vous avez très bien compris ce que j’attendais de vous. Sur ce, je dois vous laisser, j’ai du travail qui m’attend. »
Puis il avait tourné les talons avant de disparaître dans les couloirs, laissant Dylan seul et bouillonnant de rage.
Cependant, malgré sa colère il ne pouvait nier qu’il avait effectivement très bien saisi ce que le psychiatre lui avait demandé. Après tout, il se rappelait très bien comment il était lorsqu’il avait l’âge de ces gamins. Et l’on aurait clairement pu le qualifier de tête brûlée.
Pour cause, il passait son temps à se révolter contre tout le monde. En particulier ses professeurs. Ces adultes qui pensaient tout connaître de la vie parce qu’ils étaient plus vieux que lui.
Quelle prétention !
Ils ne savaient rien. Si cela avait été le cas, ils auraient compris que Dylan cherchait la bagarre dans le seul but de camoufler les bleus que Mike lui laissait quand il était de passage. Mais cela l’avait bien arrangé qu’ils ne découvrent rien. Il savait déjà à l’époque que si jamais les services sociaux s’en mêlaient, Sacha et lui risquaient d’être séparés en étant placés dans des familles d’accueil différentes.
De toute façon, même si on leur avait promis de les laisser ensemble, Dylan aurait préféré encaisser. Premièrement, pour Sacha. Ensuite, parce qu’il considérait que parler, c’était se dévoiler, et il n’était pas le genre de personne, même adolescent, qui aimait ouvrir son âme. À l’époque, tout comme aujourd’hui, il considérait que tout ce qu’il racontait d’un peu trop personnel était une arme qu’on pourrait, à tout moment, retourner contre lui. Il était donc avare de renseignements à son sujet.
Il n’avait donc aucun mal à comprendre la réaction hostile que certains jeunes semblaient avoir à l’encontre du psychiatre. Si lui-même avait eu affaire à un homme comme le docteur Craig, il se serait fermé comme une huître et aurait refusé de prononcer le moindre mot en sa présence.
D’un autre côté, quand il avait intégré l’armée, son tempérament lui avait valu beaucoup de tours au trou et d’exercices physiques supplémentaires. Il n’en était pas devenu plus bavard pour autant, mais peut-être aurait-il été plus enclin au dialogue.
Dylan ne pouvait donc nier que la demande du docteur était loin d’être inefficace. Malgré tout, il ferait les choses à sa manière. Il allait d’abord commencer par prendre ses marques dans cet établissement et avec les gosses. Ensuite, il réfléchirait aux méthodes à employer en fonction des caractères.
« L’école n’a pas en charge beaucoup d’adolescents, monsieur Johnson. »
Les propos de l’assistante sociale le tirèrent de ses pensées et il reporta son attention sur elle. Ils étaient revenus dans le hall d’entrée de l’établissement.
« Nous nous évertuons à garder une moyenne d’environ soixante élèves au sein de l’établissement. Cela nous permet de leur offrir un meilleur encadrement. Comme vous le savez sûrement, les écoles standards ont plus à coeur de délivrer dans leur intégralité le programme qu’on leur a attribué en faisant fi des adolescents à la traîne. Ici, nous avons trois classes constituées chacune d’une vingtaine d’élèves. La première prend en charge les dix à douze ans. La seconde, les treize à quinze. Et la dernière va jusqu’à dix-huit, dix-neuf ans. Chaque professeur suit et avance au rythme de ses élèves.
— Comment ils font lorsqu’il y en a un qui avance plus vite que l’autre ? » demanda Dylan curieux.
Il y avait toujours un petit surdoué et un escargot dans une classe, même si cette dernière était la meilleure du monde.
« C’est tout l’intérêt de créer des groupes à nombre réduit. C’est à l’enseignant de connaître ses élèves et leurs capacités pour pouvoir ensuite leur donner un apprentissage adapté. Néanmoins, si cela s’avère nécessaire, nous pouvons placer un élève dans un cours supérieur ou inférieur en fonction de ses facultés, expliqua Ariette. Le but est surtout de les aider à se sentir mieux dans leur peau et dans leur tête pour qu’ils puissent vivre le plus sainement possible. Certains d’entre eux ne restent qu’une seule année, d’autres plus. Ça dépend de la manière dont ils évoluent avec nous. »
Dylan était plutôt impressionné par les objectifs de l’école et dans un sens il trouvait que d’autres devraient en prendre de la graine. Ils échangèrent encore un instant, contents de cette petite complicité qui s’était liée entre eux et qui deviendrait primordiale dans leur travail.
Alors qu’il quittait l’établissement, il songea qu’il avait bien fait d’accepter le poste. Il avait pris cette décision peu de temps après avoir vu Christian.
Il y a des moments dans votre vie qui ne s’effaceront jamais. Peu importe les années, ils resteront toujours intacts dans votre mémoire et vous suivront peut-être même dans la mort. Leur discussion en faisait partie.
Cependant, elle laissait à Dylan le goût amer de la défaite. Il avait espéré obtenir des réponses en écoutant Christian, mais cela ne lui fut pas accordé. Ou en tout cas, pas celles qu’il souhaitait réellement. À la place, il se retrouvait avec encore plus de questions et le sentiment injuste d’avoir été oublié dans l’équation de son récit.
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Lorsque Dylan arriva devant le Heaven’s in Hell ce fameux dimanche de juin, il souffla un bon coup avant de pousser la porte du bar. Ses yeux naviguèrent automatiquement de droite à gauche à la recherche de Christian. Il l’aperçut assis près d’une fenêtre, son regard bleu fixé sur lui. Il se dirigea dans sa direction d’un pas rapide pour éviter à sa tête de trop penser et de lui faire rebrousser chemin.
« Christian, dit-il en prenant place sur la chaise qui se trouvait en face de l’autre homme.
— Bonsoir, Dylan. »
Malgré son ton jovial et son sourire, Dylan perçut son malaise, ce qui le rassura et lui permit de se détendre. Apparemment, il n’était pas le seul que cette rencontre mettait sur les nerfs. Il allait ouvrir la bouche, prêt à lancer la conversation, lorsqu’un homme noir et de haute stature arriva à leur table pour déposer une bière devant chacun d’eux.
« C’est offert par la maison, dit le serveur en regardant Christian avec insistance.
— Merci, Ulrik. »
Visiblement, ils se connaissent, pensa Dylan. Et vu l’avertissement silencieux que le serveur lui jeta, il y avait plus qu’une simple relation d’employé à client entre eux. Il ne se laissa toutefois pas marcher sur les pieds et lui offrit un sourire chargé d’arrogance, pour lui faire comprendre qu’il n’était absolument pas intimidé.
Ça ne sembla pas lui plaire, mais, au lieu de répliquer, il tourna les talons et partit derrière le comptoir où il se mit aussitôt à discuter avec un autre homme qui regardait dans leur direction.
« Tu dois souvent venir ici pour avoir le droit à une tournée gratuite dès ton arrivée, lança Dylan avec une pointe d’ironie dans la voix.
— Ulrik est un ami de longue date.
— Et l’efféminé avec qui il parle, c’est également un ami ?
— Oui, Dylan, siffla Christian dont les yeux bleus s’assombrirent légèrement sous la colère. Mais je ne pense pas que tu sois venu ici pour qu’on parle d’eux, n’est-ce pas ?
— Non, effectivement. »
Néanmoins, après ces paroles, le silence revint à la table. Il était gênant, étouffant, angoissant. Heureusement que le bar diffusait de la musique et qu’il y avait un peu de monde autour d’eux pour faire du bruit, sinon ça aurait été pire.
Toutefois, alors que Dylan pensait que le résultat de cette soirée allait se terminer comme celui de la veille, Christian se mit à parler.
« Je me souviens très bien de ce que je t’ai promis dans ma lettre, Dylan. Mais il faut que tu comprennes qu’à ce moment-là j’étais jeune et stupide et que j’écrivais sous le coup de la culpabilité. Je ne me serais jamais douté que tu la conserverais d’ailleurs.
— Ça t’a surpris ? demanda-t-il d’une voix doucereuse qui devint tranchante quand Christian hocha la tête. Bien, comme ça tu ressens au moins un pour cent de ce que j’ai ressenti lorsque tu m’as annoncé qui tu étais vraiment. »
Il eut le plaisir de voir le visage de Christian pâlir considérablement. Ce dernier tenta de garder un semblant de sang-froid, mais lorsqu’il reprit la parole, son timbre était légèrement tremblant.
« Ou-oui, je suppose, avoua-t-il, puis il se racla la gorge et sa voix se fit plus sûre. Quand tu es venu me voir hier, ça m’a pris de court et je me suis retrouvé dans l’incapacité de te parler. Mais comme tu me l’as fait remarquer, je t’avais promis de tout te raconter. Malgré tout… ce n’est pas quelque chose de facile à dire et… j’ai moi-même du mal à accepter et… »
En voyant qu’il avait de plus en plus de difficultés à s’exprimer clairement, Dylan comprit que Christian était plus ou moins en proie à une crise de panique. Ne voulant pas que ce dernier s’arrête en si bon chemin, il se sentit obligé de le rassurer.
« Christian. Il n’y a rien qui presse. Si cette rencontre doit durer pendant des heures, eh bien soit ! Alors, ne stresse pas et prends tout le temps qu’il te faudra. D’accord ? »
Il avait agi dans le simple but d’obtenir ce qu’il voulait. Cependant, quand il vit un faible sourire étirer ses lèvres, il ne put s’empêcher de se trouver égoïste. Après tout, il ne connaissait pas les raisons qui avaient poussé Christian à lui mentir aussi longtemps à cette époque.
Ce dernier resta silencieux un certain temps, son esprit essayant de trouver le meilleur moyen d’aborder le sujet.
« Tu te souviens de mon père ? » demanda-t-il à brûle-pourpoint.
Quelque peu désarçonné par cette question soudaine, Dylan hocha toutefois la tête. Un peu qu’il s’en souvenait. Cet homme lui avait plus d’une fois hérissé le poil !
« Il avait un jumeau, commença alors Christian. Quand je suis né, mes parents vivaient sur la côte est à New York et le frère de mon père habitait de l’autre côté des États-Unis dans l’État de l’Oregon. Je l’ai vu pour la première fois à l’âge de six ans. Il avait déménagé afin de se rapprocher de nous. »
Il s’interrompit le temps de boire une longue gorgée.
« Je ne sais pas si tu t’en souviens, mais il y a dix ans d’écart entre Gaël, mon frère, et moi. Entre lui qui voulait sortir avec ses amis, mon père quasiment omniprésent à cause de son emploi à l’hôpital et ma mère qui donnait des cours de piano jusqu’à tard le soir, il n’y avait pas grand monde pour me garder. Mes parents avaient largement les moyens de payer une nurse pour s’occuper de moi, mais lorsque le frère de mon père est arrivé à New York, après avoir perdu son travail, ils ont souhaité l’aider financièrement en me laissant à sa charge. Ainsi, il avait un salaire et moi quelqu’un pour me garder après l’école, le week-end ou pendant les vacances. Cela devait durer le temps qu’il retrouve un travail bien sûr. »
Christian rigola avec amertume.
« Bizarrement, il n’a jamais réussi à trouver un seul emploi. »
Il s’arrêta une fois de plus et termina sa bière. Dylan pouvait voir ses mains qui tremblaient et au fond de lui il commençait à apercevoir la fin de l’histoire. Il serra les dents avec force pour ne pas jurer ou lui dire de s’arrêter là. Non pas qu’il voulût en savoir plus, mais si Christian était resté un tant soit peu le même qu’il y avait vingt ans, alors Dylan se doutait qu’il n’aimerait pas être interrompu après s’être donné tout ce mal pour s’expliquer.
« Tu vois, le plus drôle dans toute cette histoire, reprit Christian dont le visage n’exprimait pourtant aucune forme d’amusement, quelle qu’elle fût, c’est qu’on dit souvent que les parents connaissent leurs enfants par coeur, surtout les mères. Mais j’ai appris bien trop tôt que tout ça, ce n’était que des conneries. »
Il prit une grande inspiration puis son regard se posa dans celui de Dylan et ce dernier en frémit tellement il était chargé de sentiments négatifs. Il devait sûrement en avoir conscience, car il essaya de sourire, mais cela eut pour seul effet de lui donner un visage hideux qui reflétait clairement ce qu’il se passait à l’heure actuelle dans son coeur.
« Au départ, c’était juste une caresse. Une main qui se glisse dans mes cheveux ou qui se pose autour de ma taille. Puis il y a eu les paroles. Comme quoi j’étais mignon. Que j’avais la peau douce. Que je sentais bon. Quand t’es gosse, tu ne t’imagines pas une seule fois qu’une phrase peut en cacher une autre, qu’un geste peut dissimuler une pensée plus profonde. Tout s’est enchaîné lorsqu’un jour j’ai demandé à aller aux toilettes. Il m’a dit qu’il venait pour s’assurer que je n’en mette pas partout. J’ai eu beau déclarer que je faisais pipi comme les grands désormais, il n’a rien voulu savoir et m’a accompagné. Forcément, j’étais gêné qu’il me regarde, alors je n’arrivais pas à faire. »
Il s’interrompit un instant, son teint livide montrait toute la difficulté qu’il éprouvait à se souvenir de ces douloureux moments. Et même si ce n’était pas vraiment ce à quoi Dylan s’était attendu en venant ici ce soir, il ne pouvait pas lui demander d’arrêter. Il avait l’impression de ne pas en avoir le droit. Alors, malgré son écoeurement face à ce récit morbide, il garda la bouche close.
« Il a prétexté que c’était parce que je la tenais mal » poursuivit Christian.
Maintenant qu’il était lancé, il ne pouvait empêcher les mots d’affluer, inconscient qu’il donnait trop de détails.
« Il a retiré ma main pour ensuite mettre la sienne. J’avais vraiment honte. C’était la première fois qu’une personne autre que mes parents ou moi me touchait à cet endroit. Et encore, même eux n’avaient jamais fait ça de cette façon. Mais j’ai fini par faire pipi. Il m’a essuyé et m’a félicité en disant qu’effectivement j’étais un grand garçon. Malgré ma gêne, son commentaire m’a fait plaisir. Mais ça a recommencé. J’en venais même à ne plus vouloir aller aux toilettes lorsque j’étais avec lui. Sauf qu’un jour j’ai fini par m’uriner dessus. Si j’avais su ce que ça allait déclencher par la suite je crois que… »
Christian émit un son entre le ricanement et le sanglot.
Des frissons d’horreur parcoururent la peau de Dylan, l’histoire commençait à lui donner la nausée. Plus Christian parlait, plus ses nerfs étaient mis à rude épreuve. En temps normal, il était quelqu’un qui détestait l’injustice et l’abus de pouvoir. Mais il était également un père et dans le récit de Christian, c’est son fils, Zack, qu’il vit.
À l’idée que son garçon puisse vivre le même événement, Dylan reposa mal son verre et ce dernier perdit l’équilibre. Il roula sur la table et termina sa course en mille morceaux sur le sol. Le bruit du matériau qui se brise résonna assez fort dans la salle pour que certaines personnes l’entendent et se tournent vers eux.
Avec les yeux légèrement larmoyants de Christian et le visage colérique de Dylan, ça donnait l’impression qu’ils venaient d’avoir une dispute. Quelques instants plus tard, Ulrik approcha de leur table avec une serviette à la main ainsi qu’une pelle et un balai.
« Désolé » marmonna Dylan en ramassant quelques morceaux de verre.
Il se leva et écarta la chaise pour que l’autre homme nettoie plus facilement.
« Ce n’est rien. C’est juste du verre » répondit-il en balayant autour de la table.
Néanmoins, lorsqu’il eut terminé il regarda Christian quelques secondes et demanda :
« Ça va ?
— Oui, merci » répondit simplement ce dernier, reconnaissant envers son ami de s’inquiéter pour lui.
Il savait qu’à leurs yeux il était quelqu’un qu’il fallait protéger. Cela venait sûrement de son côté réservé. Christian n’était pas une personne qui aimait faire des vagues, alors le plus souvent il préférait faire profil bas que de foncer dans le tas. Ces amis prenaient ce côté passif pour de la faiblesse, mais c’était loin d’être le cas.
« Bien, dans ce cas je vais vous laisser. Mais si jamais il t’embête dis-le-moi et il finira comme ce verre, d’accord ?
— Merci, Ulrik, mais je n’ai pas besoin de ton aide. »
Son ton sans appel surprit le barman. Il le fixa un instant, mais le regard était implacable. Un léger sourire apparut alors sur les lèvres d’Ulrik. Voir Christian répondre était une expérience nouvelle pour lui, mais pas déplaisante pour autant.
Néanmoins, aurait-il réagi de la même manière si l’homme en face de lui avait été quelqu’un d’autre que Dylan ? Il observa ce dernier d’un oeil nouveau. Qui qu’il fût, il faisait sortir Christian de sa coquille.
Il allait partir quand son ami lui demanda s’il pouvait lui ramener un verre d’eau.
« Bien sûr, sourit-il avant de se tourner vers Dylan. Et vous ? »
Il prit la même chose. Il avait assez bu de bière dans la journée. Ulrik alla donc chercher leur commande qu’il déposa devant eux quelques minutes plus tard.
« Désolé, souffla Christian une fois qu’il fut parti.
— Pourquoi ? Tu n’y es pour rien si ton ami est protecteur, ne put s’empêcher de le rassurer Dylan.
— Oui, mais à presque quarante ans c’est un peu humiliant.
— Il n’y a pas d’âge quand il s’agit de défendre une personne qui nous est chère. Mon petit frère va sur ses trente-quatre ans, ça ne m’empêchera pas de coller une droite à quiconque lui cherchera des noises. »
Sa déclaration arracha un sourire à Christian et il répondit d’une voix plus douce :
« Tu as toujours été très protecteur envers Sacha. »
Les paroles choquèrent Dylan. Non pas qu’il ignorât son comportement envers son frère, mais cette vérité, sortie de la bouche de l’homme assis en face de lui, lui fit prendre conscience à quel point ils étaient à la fois proches et étrangers.
Il ne connaissait pas ce visage, ces traits, cette voix ou encore cette bouche entourée d’une barbe naissante. Il ne savait rien de cet homme qui était libraire, qui aimait la bière et qui avait vécu des événements horribles durant son enfance.
Et pourtant, il retrouvait en lui un peu de cette personne qu’il avait rencontrée quand il était adolescent. Christian avait encore cette habitude de battre la mesure lorsqu’il était nerveux, soit avec son pied, soit avec son index. Il avait cette petite fossette au coin des joues même si elle était légèrement camouflée par sa barbe naissante. Quand il était gêné, il se passait une main sur la nuque. Et lorsqu’il souriait, il y avait toujours cette douceur dans ses yeux bleus. Ces yeux qui l’avaient immédiatement attiré vingt ans plus tôt.
Et aujourd’hui, voilà qu’ils étaient assis l’un en face de l’autre. Deux hommes avec un passé commun que le temps avait séparé et qui désormais n’étaient plus que des étrangers.
Si proches et pourtant si loin.
« Dylan ? appela Christian en le sortant de ses pensées. Tu semblais ailleurs, expliqua-t-il en voyant son regard interrogatif.
— Désolé.
— Il n’y a pas de quoi. Hmm… pour en revenir à mon histoire, je vais t’épargner les détails, je pense que tu as compris l’idée générale, rigola Christian avec gêne en se massant la nuque. Toujours est-il que ça a duré pendant presque deux ans et…
— Deux ans ! Bordel, mais ils foutaient quoi tes parents ? Ils avaient de la merde dans les yeux ou quoi ? ne put s’empêcher de s’énerver Dylan.
— Je suppose que la vérité était trop douloureuse pour être acceptée et qu’ils ont préféré faire comme si de rien n’était, déclara l’homme avec un léger sourire face à la réaction de Dylan.
— Ne leur cherche pas d’excuses !
— Ce n’est pas ce que je fais, dit-il avant de rajouter rapidement en le voyant prêt à répliquer : De toute façon, la question n’est pas là. Ce qui est fait est fait et tenter de rejouer le passé ne m’apportera rien de bon. Si je te raconte cette histoire, ce n’est pas pour savoir si mes parents sont coupables ou pas, mais afin que tu comprennes pourquoi je t’ai menti. Et peut-être aussi pour que tu puisses me pardonner » avoua-t-il tout bas.
Le sentiment de tromperie que Dylan avait commencé à ressentir s’intensifia.
« Avec le temps, j’avais fini par savoir quand il allait vouloir abuser de moi, alors je me planquais. Il arrivait qu’il ne réussisse pas à m’attraper et j’attendais l’heure où mes parents venaient me chercher pour sortir de ma cachette, mais en la quittant, je lui montrais où elle se trouvait, du coup elle devenait inutilisable la fois d’après. Elles n’ont pas toutes été bonnes malheureusement… Ce fut le cas ce jour-là. Il m’a couru après dans le couloir et en tentant de m’attraper dans l’escalier on a dévalé les marches. Je me souviens encore de la sensation de lourdeur qui s’est emparée de mon bras et, ensuite, cette odeur atroce. J’étais couché sur le parquet et je savais qu’il était juste à côté de moi. Mais il ne bougeait pas. Il est mort d’une hémorragie cérébrale.
— Tu es resté combien de temps à côté de lui avant qu’on vous trouve ? demanda Dylan.
— Qui te dit que je n’ai pas bougé ?
— L’intuition » répondit-il en haussant les épaules.
Sa remarque arracha un petit rire à Christian.
« L’accident a eu lieu dans le milieu de l’après-midi et l’on ne venait me chercher que vers dix-sept heures. J’ai passé trois heures allongé à côté de lui sans oser bouger alors que mon bras me faisait un mal de chien et que le sang mouillait mes cheveux. J’en ai fait des cauchemars pendant des années. Il m’arrive encore d’en avoir quand je suis dans un trop grand état de stress. »
Il y eut un court silence avant qu’il n’enchaîne.
« Forcément, avec la mort du frère de mon père il y a eu une enquête et j’ai dû parler avec une psychologue. C’était une femme très douce. Je ne sais pas pourquoi, je ne me souviens pas de son visage, mais je me rappelle clairement qu’elle sentait la pêche. Je pense que si mes parents m’avaient laissé lui parler, j’aurais fini par lui avouer ce qu’il s’était passé. Mais ils ne l’ont pas fait et moi je n’ai rien dit. Et je m’en suis souvent voulu.
— Ce n’était pas à toi de dire quoi que ce soit, siffla Dylan dégoûté par la lâcheté des parents de Christian.
— C’est vrai, tu as raison et je le sais aujourd’hui, avoua ce dernier, ce qui soulagea un poids dans la poitrine de Dylan qu’il n’était même pas conscient d’avoir. Mais pas à l’époque. Et j’ai grandi en croyant que j’étais l’unique responsable de mon malheur. J’étais la victime du frère de mon père, mais j’étais devenu mon propre bourreau en me taisant. Je me disais que si j’avais été moins peureux, si j’avais parlé, alors mes parents auraient compris et fait le nécessaire. »
Les pensées de Dylan se dirigèrent vers ses enfants. Lorsque Amélia lui avait annoncé qu’elle était enceinte, il avait paniqué et sa première réaction avait été de lui dire d’avorter. Quand elle avait rétorqué que c’était hors de question, il avait rejeté toute responsabilité paternelle. Il avait grandi sans père jusqu’à ses dix ans et lorsqu’il en avait finalement eu un, ce dernier s’était montré violent et alcoolique. Ce n’est qu’à l’âge de onze ans qu’il avait croisé la route de Patrick.
Aujourd’hui encore, Dylan savait que cet homme était un cadeau venu du ciel. Mais, malgré tout l’amour qu’il leur avait offert, il n’avait pas pu effacer l’unique année que Dylan avait vécue avec son père biologique. En apprenant la grossesse d’Amélia, son esprit s’était automatiquement tourné vers Mike, se posant en boucle cette question angoissante : et s’il devenait comme lui ?
Mais après une soufflante de la part de Patrick, Dylan avait fini par accepter le choix d’Amélia ainsi que ses responsabilités. Et depuis que les jumeaux étaient nés, il ne regrettait absolument pas d’être revenu sur ses propos. En tant que père, il ferait n’importe quoi pour ses enfants.
Malgré tout, le récit de Christian le fit douter sur sa capacité à les protéger. Ce dernier n’avait jamais rien dit à ses parents des abus sexuels qu’il subissait et eux n’avaient rien vu. Il se demanda s’il se retrouverait confronté à ce genre de situation un jour. Est-ce qu’il était possible que demain Zack ou Mary souffrent en silence et qu’il soit incapable de s’en apercevoir ?
Il secoua lentement la tête pour chasser cette idée désagréable et se concentra sur la voix de Christian.
« Avec le temps, je me suis senti de plus en plus mal dans ma peau, poursuivait ce dernier. J’avais des problèmes de croissance. Je n’étais pas grand, je n’étais pas musclé, ma voix était fluette et comme je n’aimais pas le regard des autres, j’avais laissé mes cheveux pousser pour me cacher derrière. Je ressemblais à une fille, j’avais la voix d’une fille, mais je m’appelais Christian et en cours tout le monde savait que j’étais un garçon, ce qui m’a valu pas mal de moqueries. Je n’étais déjà pas quelqu’un de très ouvert, alors avec le temps j’ai fini par complètement me renfermer. Pour tenir, je me répétais qu’un jour ça changerait. »
Christian attrapa le verre d’eau afin de s’hydrater.
« Mais ça ne s’est pas passé comme tu le voulais » déclara Dylan.
Un ricanement lui répondit.
« C’est exact. La dernière année que j’ai passé à New York, je me suis fait agresser par deux garçons de mon lycée. Ils disaient que ce n’était pas possible que je sois un mec, que je ne pouvais pas avoir de couilles entre les jambes avec une voix aussi fluette et une peau imberbe. Bref, tu vois bien le genre. »
Oui, Dylan voyait très bien. Il avait lui-même souffert de la stupidité de certaines personnes sur sa situation familiale.
« Ce n’était déjà pas facile pour moi, poursuivit Christian. Je me sentais mal dans ma peau et je n’étais pas stable psychologiquement. Tout s’est mélangé dans ma tête à ce moment-là. Je ne les voyais plus eux, mais lui. J’ai eu l’impression d’entendre sa voix me chuchoter que j’étais mignon et délicat comme une petite fille et que c’est pour ça qu’il m’aimait autant. Que c’était pour cette raison que ces garçons s’en prenaient à moi. Je me suis alors dit que tout serait plus simple si j’étais une fille. Puisqu’ils voulaient tous que j’en sois une, peut-être que, finalement, c’était la solution. C’est à partir de là que j’ai décidé de m’appeler Christie. Je refusais qu’on prononce mon ancien prénom. Je n’y répondais même plus. Mes parents m’ont emmené voir un psychiatre, mais comme je ne voulais pas parler, ce dernier leur a recommandé de déménager et de rentrer dans mon jeu pour une année. Après ce laps de temps, s’il n’y avait vraiment pas d’amélioration, ils pourraient à nouveau tenter de me faire voir un thérapeute.
— Vous avez alors déménagé à Pryor Creek.
— Oui. La suite tu la connais.
— Pas tout à fait, non. Tout ça n’explique pas pourquoi tu m’as menti » répliqua Dylan en fermant les yeux pour contenir sa colère et sa déception.
Il comprenait pour quelles raisons Christian lui avait raconté tout ça, mais il ne lui avait pas donné rendez-vous ce soir pour entendre cette histoire-là. Il voulait qu’il lui explique comment on pouvait déclarer aimer quelqu’un et lui cacher un secret aussi énorme. Il voulait comprendre pourquoi il avait accepté de sortir avec lui. Pourquoi il avait mis autant de temps à lui révéler la vérité ?
Il voulait des réponses et surtout des putains d’excuses !
Le silence s’installa entre eux, avant d’être rompu par Christian.
« Tu es la seule personne qui m’ait jamais aimé. Je sais… »
Il dut s’éclaircir la gorge et se mordre la lèvre afin de chasser les sanglots.
« Je sais que je t’ai fait du mal. Je m’en doutais également à l’époque. Mes parents et Gaël m’avaient mis en garde. Mais j’avais peur qu’en te racontant la vérité tu me tournes le dos. Tu as été une incroyable bouffée d’air frais pour moi et je n’étais pas sûr de pouvoir m’en passer. Lorsque tu m’as proposé de sortir avec toi, j’ai essayé de te prévenir, de te mettre en garde, mais tu ne m’as pas compris et je n’ai pas osé en dire plus. Comme tu semblais tellement sûr de toi, je me suis dit que ça pourrait être bien de te laisser une chance. Je voulais savoir ce que ça faisait d’être aimé, de se sentir protégé et cajolé. Même si cette affection n’était pas totalement vraie puisqu’elle était basée sur un mensonge.
— Non, tu crois ! » cracha Dylan avec ironie.
Il passa ses mains sur son visage et tourna la tête vers l’extérieur. La nuit n’était pas encore installée, mais le ciel pourpre indiquait que le soleil n’allait pas tarder à se coucher. Il jeta un coup d’oeil à son téléphone et constata qu’ils parlaient depuis une bonne heure. Son regard se porta une nouvelle fois sur Christian. Ce dernier ne disait rien, attendant que Dylan exprime le fond de sa pensée.
Sauf qu’il n’avait rien à ajouter. Il était évident qu’il s’était fait de faux espoirs et l’injustice de la situation formait une boule indigeste au niveau de son estomac. Il en voulait à Christian de n’avoir pensé qu’à lui, mais d’un autre côté, il ne pouvait pas l’engueuler et lui dire le fond de sa pensée. Pas après ce qu’il lui venait de lui raconter.
Alors il fit un choix. Celui de le libérer de ses erreurs passées et de sacrifier par là même ses questions et son besoin de reconnaissance. Il le faisait pour Christian, mais également pour lui.
Car en revoyant cet homme qui avait été son premier amour, la première femme de sa vie, des souvenirs dont il se serait bien passé avaient commencé à s’agiter sous la couche de boue que représentaient les années écoulées. Et il ne voulait pas les déterrer. Il ne voulait pas les voir surgir. Pas après tout le mal qu’il s’était donné pour les oublier.
« Écoute, Christian. Je te remercie de m’avoir raconté ton histoire. D’avoir pris le temps de m’expliquer. Je comprends mieux certaines choses maintenant. Et je suis désolé que tu aies dû te remémorer ces mauvais souvenirs. À dire vrai, je pensais être en colère contre toi, mais je me rends compte que j’ai depuis longtemps tourné la page.
— Dylan… commença Christian en le voyant se lever, mais il fut coupé par l’autre homme.
— Et ne t’inquiète pas. Je te pardonne. Alors, va de l’avant… Allons de l’avant d’accord. Je te souhaite beaucoup de courage pour la suite. Sincèrement. »
[center]***[/center]
En réalité, songea-t-il alors qu’il quittait le Centre, il avait fui.
Mais il n’avait pas trouvé d’autre solution à ce moment-là. Car il avait eu peur qu’en restant, il devienne agressif envers Christian. Il avait voulu des réponses et dans un certain sens c’est ce qu’il avait obtenu. Désormais, Dylan comprenait bien mieux la réaction de sa petite amie quand il avait essayé de glisser la main sous son tee-shirt alors qu’ils étaient tous les deux dans sa chambre. Il savait pourquoi elle ne venait jamais au cours de natation. Ou encore les raisons qui la poussaient à ne pas vouloir mettre de jupe ou de robe.
Mais cela ne l’avait pas rassuré sur ce qu’il avait pensé à l’époque et qu’il estimait toujours concret aujourd’hui.
Il avait déclaré à Christian qu’il lui pardonnait et c’était vrai, mais une part de lui se sentait encore trahie. Elle était en colère contre l’autre l’homme, car en se faisant passer pour une fille il avait laissé Dylan tomber amoureux d’un garçon. Et ça, c’était quelque chose qu’il avait du mal à digérer. Il ne pouvait pas supporter l’idée qu’il ait pu à un moment donné être gay.
Certains diraient que ce n’était pas le cas puisqu’il croyait à l’époque que Christian était une fille, mais il n’en restait pas moins qu’il avait aimé son caractère. Il avait apprécié leur complicité et leur échange. Et ce soir-là, dans ce bar, assis l’un en face de l’autre, il avait retrouvé un peu de cette personne qu’il avait aimée. Sa voix avait changé, son apparence n’était plus la même, mais il était indéniable pour Dylan que, s’il n’était pas parti, ils auraient facilement pu renouer ce lien qui les avait unis vingt ans plus tôt. Peut-être que les choses auraient été différentes, mais…
Il secoua la tête. Il ne voulait plus penser à ça.
Dylan regarda sa montre et s’aperçut qu’il était l’heure pour lui d’aller chercher Zack et Mary chez leur mère. Il les avait avec lui pour les deux prochaines semaines.
Lorsqu’il s’était séparé d’Amélia, il avait encore son travail. Dylan n’avait donc pas eu d’autre choix que lui laisser la garde des jumeaux. Ils avaient cependant convenu qu’il s’occuperait des enfants à chaque fois qu’il serait de passage à Los Angeles.
Mais après son accident, Zack et Mary avaient demandé à passer plus de temps avec lui.
Dans sa douleur, Dylan n’avait même pas remarqué celle de ses propres enfants. C’est n’est qu’après un cauchemar de sa fille, qu’il avait compris. L’entendre lui dire qu’elle ne voulait pas qu’il meure, qu’elle l’aimait et qu’elle ferait tout ce qu’il voudrait tant qu’il ne retournait pas à l’armée avait été atroce pour lui.
Ils étaient restés tous les trois ensemble cette nuit-là. Zack n’avait pas fait de cauchemar, mais les propos de sa soeur avaient fait écho aux siens et il s’était également mis à pleurer.
C’est après cette nuit, qui remontait à plus d’un an, que Dylan avait décidé de quitter l’armée afin de passer un maximum de temps avec ses jumeaux. Et chaque fois qu’il allait les chercher, ils l’attendaient toujours sur les marches du perron avec une impatience non feinte.
C’est pour cette raison qu’il sut que quelque chose clochait lorsqu’il les vit assis la mine soucieuse et triste.
« Alors les gnomes ! C’est quoi ces têtes d’enterrement ? ricana Dylan en avançant dans l’allée qui menait à la maison de son ex.
— Papa ! » s’écrièrent les deux enfants en courant vers lui.
Aussitôt dans ses bras Mary se mit à pleurer.
« Papa, dis-lui qu’on ne veut pas partir. On veut rester à Los Angeles. »
Contre lui, il sentit Zack hocher vivement la tête et le serrer un peu plus fort.
« Houlà ! Je ne comprends rien à ce que vous baragouinez » déclara Dylan, légèrement mal à l’aise de retrouver ses enfants dans cet état sans en connaître la raison.
Il entendit alors le bruit d’une porte qui s’ouvre et, quand il leva les yeux, il put voir Amélia sortir sur le perron. Elle lui offrit un petit sourire triste en lui disant qu’ils devaient discuter avant qu’il ne parte avec les jumeaux. Dylan hocha la tête et avança vers la maison le coeur lourd. Il sentait venir la confrontation.
« Vous voulez bien monter dans votre chambre pendant que je parle avec votre père ? demanda Amélia quand ils furent dans la maison.
— Pour quoi faire ? On sait déjà ce que tu vas lui dire, répliqua Mary.
— En plus, ça nous concerne également » enchérit Zack.
Dylan fut quelque peu surpris de les voir répondre. Cependant, malgré leur séparation Amélia et lui avaient toujours fait front ensemble quand il s’agissait de recadrer l’un des deux chenapans si ce n’est les deux en même temps, alors il déclara :
« Votre mère vous a parlé à tous les deux et maintenant elle voudrait échanger avec moi. Donc vous allez faire ce qu’elle vous demande. Tout de suite. »
Légèrement penauds, Zack et Mary partirent dans leur chambre. Une fois sûr qu’ils étaient seuls, Dylan se tourna vers Amélia et l’interrogea avec humour pour détendre l’atmosphère.
« C’est quoi cette nouvelle ? La fin du monde est proche ? »
Amélia sourit à la blague, mais la joie n’atteignit pas ses yeux. Elle connaissait bien Dylan, avec lui il valait mieux ne pas y aller par quatre chemins pour ce genre d’annonce.
« Gregory a obtenu un poste à New York. Il va partir lundi prochain et nous devons le rejoindre dans trois semaines. »
Un silence pesant s’installa dans la cuisine. Il fallut un certain temps à Dylan pour digérer la nouvelle.
« Quand tu dis “nous”, tu inclus les enfants avec toi, j’imagine ? interrogea-t-il avec sarcasme.
— C’est exact. Écoute Dylan…
— Et vous savez ça depuis quand ?
— Un mois » répondit Amélia en sentant le conflit approcher à grands pas.
Dylan sentit un rire sans joie franchir ses lèvres et il se frotta le visage.
« Wouah ! Un mois et tu m’en parles à trois semaines de votre supposé départ ?
— Il n’y a rien de supposé, Dylan. Tu n’as jamais voulu d’une garde partagée et les avoir pendant tes vacances te suffisait largement. De toute façon, nous partons, que tu sois d’accord ou pas » répliqua-t-elle.
Elle aurait mieux fait de ne pas se montrer si directe pour le coup, car cela eut le don d’énerver un peu plus son ex-conjoint.
« Je crois qu’il y a quelque chose que tu n’as pas compris, Amélia. Ce n’est pas parce que je t’ai laissé la garde des enfants que je ne me considère pas comme leur père. À cette époque, ça nous arrangeait aussi bien l’un que l’autre. Surtout avec mon métier. Mais aujourd’hui, tu m’annonces cette nouvelle, non pas comme si j’étais leur père, mais de la même manière que si j’étais un ami qui n’avait pas voix au chapitre. Tu m’en aurais parlé il y a un mois j’aurais compris, j’aurais pu m’y préparer. On aurait peut-être même pu trouver une solution.
— Et qu’est-ce que tu proposes ? s’impatienta Amélia.
— Je n’en sais rien, moi ! s’énerva-t-il en se levant.
— Dylan, c’est pour le mieux. Les enfants vivront dans une chouette ville en plus, tenta d’argumenter Amélia.
— Ils habitent déjà dans une super-ville, cracha leur père. Et eux, ils en pensent quoi ? Ils veulent partir ? »
Il eut le plaisir de voir son visage pâlir devant la question. Il se rappela alors les paroles de Mary quand il était venu les chercher. Il comprenait mieux ce qu’elle voulait dire.
« Ils sont jeunes, ils s’habitueront à…
— Ils veulent rester, coupa Dylan. S’ils avaient vraiment envie de partir avec toi, de leur propre chef, je ne dirais rien. Mais s’ils demandent à rester à Los Angeles, alors je les garderai avec moi.
— Dylan ! »
Elle fut toutefois coupée par l’arrivée de Mary et Zack qui déclarèrent d’une même voix qu’ils n’avaient pas envie de partir. Qu’ils voulaient rester avec leur père ! Malgré tout, Dylan savait qu’il y avait des lois pour la garde des enfants et que ni lui ni Amélia ne pourraient faire comme bon leur semblait sans l’accord de l’autre. Mais, expliquer ça à des jeunes de onze ans qui pensaient encore qu’une simple parole pouvait tout changer était quelque chose de compliqué.
« Écoutez, les gnomes, voilà comment on va procéder. Nous allons tous les trois partir pour passer les deux prochaines semaines ensemble. Comme ça, votre mère va pouvoir mettre en place les dernières démarches pour rejoindre Gregory. Pendant ces deux semaines, vous réfléchirez si oui ou non vous voulez aller à New York ou rester à Los Angeles. Et de notre côté, votre mère et moi allons essayer de trouver des solutions. Ok? »
Les deux enfants hochèrent vivement la tête, soulagés qu’on leur laisse le choix et qu’il y avait encore une chance pour qu’ils ne partent pas à l’autre bout des États-Unis.
« Allez chercher vos affaires maintenant. »
Une fois seul de nouveau, Dylan se tourna vers Amélia et c’est d’un ton déterminé qu’il lui dit :
« Tu penses peut-être que tu les aimes plus que moi, mais ce sont également mes enfants, Amélia. Et je refuse de ne les voir qu’une fois à l’occasion. Je sais ce que tu vas dire, coupa-t-il alors qu’elle ouvrait la bouche. Quand j’étais à l’armée je n’avais la garde de Zack et Mary que durant mes vacances et ça m’allait très bien. Tu as raison de vouloir souligner ce fait, mais tu oublies un détail important.
— Lequel ? feula la femme.
— J’ai failli mourir il y a deux ans. »
Ce rappel poignarda Amélia en plein coeur. Elle se souvenait parfaitement de ce jour où un officier de l’armée avait frappé à sa porte pour lui dire que son ex-conjoint, le père de ses enfants, était entre la vie et la mort suite à un exercice qui avait mal tourné. Heureusement, il avait pu être rapatrié en urgence, mais les médecins n’osaient pas se prononcer.
À cette époque-là, Mary et Zack n’avaient que neuf ans et malgré leur jeune âge ils avaient attendu patiemment, sans pleurer ou faire de crises, que leur père se réveille.
Dylan était resté dans le coma pendant presque cinq mois. Ensuite, il y avait eu huit semaines de rééducation avant de pouvoir quitter l’hôpital. Mais Amélia n’oublierait jamais la pâleur de cet homme, pourtant si fort et courageux, alors qu’il était allongé sur un lit d’hôpital.
Après cet événement, il avait beaucoup changé, surtout vis-à-vis des enfants. Et effectivement, à la demande des jumeaux et de leur père, Amélia avait accepté qu’ils aient une garde alternée de deux semaines chacun.
Ils n’étaient pas passés par le juge pour ça, considérant que cela ne regardait qu’eux et que ça serait dépenser de l’argent inutilement puisqu’ils étaient d’accord.
Tout avait toujours été simple entre eux.
Leur rencontre, leur mise en couple. L’arrivée imprévue des jumeaux, malgré la panique de Dylan. Même leur séparation s’était faite sans accroc. Pourquoi ? Parce que Dylan avait tout fait pour qu’il en soit ainsi. En se rappelant ce détail, Amélia sentit son coeur se serrer douloureusement.
Elle avait toujours su qu’elle l’aimerait plus que ce qu’il pourrait lui offrir en échange. Même aujourd’hui, elle ne pouvait nier qu’il l’attirait encore. Mais elle n’avait jamais pu supporter qu’il ne s’investisse pas davantage dans leur couple.
Enfin, si l’on pouvait vraiment apprécier les deux ans qu’ils avaient passés ensemble comme une relation amoureuse, dire qu’il s’agissait d’un arrangement amical serait peut-être plus exact. Et même si le comportement de Dylan l’avait plus d’une fois blessée, elle n’avait jamais pu lui dire au revoir.
Car il n’en restait pas moins quelqu’un de charmant et constamment présent pour elle. C’était également un amant attentionné et le sexe avait toujours été super entre eux.
Mais Amélia avait rapidement compris qu’il n’était pas prêt à s’engager dans une relation plus profonde que celle qu’ils possédaient. Alors, lorsqu’elle était tombée enceinte et qu’il avait parlé d’avortement elle s’était montrée claire.
« Il est hors de question que j’avorte, Dylan. Que tu le veuilles ou non, j’aurai cet enfant.
— Très bien ! Mais ne compte pas sur moi pour m’occuper de cette larve ambulante. »
C’était la première fois qu’elle le voyait sortir de ses gonds et s’opposer à une de ses décisions. Ce jour-là, il était parti en claquant la porte et elle ne l’avait revu que deux mois plus tard. Il s’était alors excusé pour son comportement et lui avait dit qu’il serait là pour l’aider.
Malgré sa promesse d’être un père, il avait toutefois émis la volonté de mettre un terme à leur relation.
Amélia avait alors ressenti un sentiment de soulagement. Elle ne s’était même pas rendu compte que leur couple pesait bien plus lourd sur ses épaules qu’elle ne l’aurait pensé.
Heureusement, leur séparation n’avait pas brisé le lien qui s’était tissé entre eux. Ce qui leur avait permis de trouver un terrain d’entente pour s’occuper des jumeaux. Sauf qu’Amélia avait souvent reproché à Dylan de ne pas être assez présent pour eux. Qu’il devrait songer à quitter l’armée pour leur offrir une meilleure stabilité.
Et aujourd’hui, alors que son souhait de l’époque était en train de se réaliser, elle s’y opposait. L’ironie de la situation lui arracha un petit ricanement.
« Très bien, souffla-t-elle. Prends les enfants avec toi pendant ces deux semaines et réfléchissez bien à ce que vous voulez tous les trois. Si, à la fin de ce laps de temps, Zack et Mary souhaitent toujours rester avec toi et que tu es également d’accord pour t’occuper d’eux, alors je te laisserai leur garde et je me contenterai de les voir pendant les vacances scolaires ainsi qu’un mois durant l’été. Ça te va ? »
Elle observa avec plaisir son visage se libérer de toute tension et se détendre. Il hocha la tête pour toute réponse, car les jumeaux dévalaient les marches dans un boucan infernal. Ils attendirent leur père avec impatience, trépignant d’un pied sur l’autre.
« Et moi, alors ? grogna faussement Amélia en s’approchant de ses enfants. Je n’ai pas le droit à un bisou avant votre départ ? »
Ils râlèrent pour la forme, argumentant qu’ils avaient passé l’âge d’embrasser leur mère, avant de se jeter dans ses bras pour déposer d’énormes baisers sur ses joues. Puis ils partirent en courant vers la voiture, suivis de près par Dylan.
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Christian regarda son portable pour voir l’heure et jura en constatant qu’il était temps pour lui de partir. Il rangea autant qu’il le put son bureau avant de descendre les escaliers de son appartement pour rejoindre la rue.
Il n’ouvrirait pas la librairie cette après-midi, car il avait une réunion de prérentrée au centre Wind of change.
Depuis sept ans environ, il offrait bénévolement, avec Bartholomé, des cours de théâtre aux jeunes de l’établissement. Ils étaient donc invités chaque année à participer au rassemblement qui avait lieu peu de temps avant la reprise de l’école. Ça permettait à tout le monde de bavarder et d’accueillir les nouveaux membres du personnel.
Il envoya un message à son ami pour lui dire de ne pas l’attendre, car il serait un peu en retard. Un simple smiley en forme de clin d’oeil lui répondit et il rangea son portable dans la poche intérieure de sa veste en souriant.
Christian n’avait pas de voiture. Il considérait ça comme inutile dans une ville comme Los Angeles. Les transports en commun étant largement suffisants. Et même si ça n’avait pas été le cas, il aurait préféré mourir que de monter dans ces engins de malheur. Il rejoignit donc l’arrêt de bus où il ne patienta que quelques minutes avant de voir son moyen de locomotion arriver.
Une fois installé, il posa sa tête contre la vitre fraîche et regarda le paysage défiler plus ou moins vite en fonction du trafic. Il avait du mal à réaliser que le mois de juillet était déjà fini et que la rentrée scolaire s’effectuerait demain.
Sans qu’il ne puisse le contrôler, son esprit dériva vers cette soirée de juin où Dylan et lui s’étaient retrouvés. Lorsqu’il l’avait vu partir de manière légèrement précipitée, il avait été à deux doigts de le retenir. Christian savait que cette rencontre avait pour unique but de lui permettre de s’expliquer. Pourtant, il aurait voulu discuter un peu plus avec lui, en apprendre davantage sur sa vie.
Par la suite, il avait également dû se faire violence pour ne pas lui écrire. Il avait même supprimé son numéro ainsi que le message d’Alexie pour ne pas être tenté.
Avec le temps, il avait fini par oublier quelque peu et, désormais, ce besoin de le voir n’était plus qu’un vague souvenir.
Il se demandait parfois s’il le recroiserait un jour au coin d’une rue ou dans un bar. Mais il en doutait fortement. Christian vivait à Los Angeles depuis presque vingt ans maintenant et il avait appris par Alexie que ça faisait dix ans que Dylan habitait aussi dans cette ville, dont huit dans le quartier.
Et pourtant, ils ne s’étaient jamais rencontrés jusque-là.
En même temps, Los Angeles était une métropole immense. Avec quasiment quatre millions d’habitants, c’était presque un exploit que Dylan et Christian s’y soient croisés. Et l’on dit qu’un miracle n’arrive qu’une fois.
Pas deux.
De toute façon, c’est mieux ainsi, songea Christian en descendant du bus.
L’arrêt était juste à côté de son lieu de rendez-vous et, au vu de l’heure, il n’eut pas besoin de courir pour être dans les temps.
Quand il arriva dans la salle, celle-ci était presque pleine. Il balaya vite fait la pièce, sans trop prêter attention au visage des personnes qui s’y trouvaient. Il repéra rapidement Bartholomé, celui-ci lui faisant de grands gestes de la main. Son comportement excentrique arracha un sourire à Christian et il se dirigea vers son ami.
« Bien, tout le monde est presque là. Il ne nous reste plus que… »
Des pas précipités se firent entendre dans le couloir, coupant l’assistante sociale dans son élan, et un homme apparut dans l’encadrement de la porte.
« Monsieur Johnson ! Pile à l’heure » s’exclama Ariette en lui indiquant le dernier siège.
Christian observa avec effarement Dylan saluer la femme, avant de se diriger vers sa place. Juste à côté de Christian. Mais quand son regard vert se posa sur lui, il se stoppa en plein milieu de la salle, sa bouche s’ouvrant d’étonnement.
L’un en face de l’autre, ils avaient, sans s’en rendre compte, la même expression de stupéfaction.
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