Note de Grimm : Merci à Aihle S. Baye pour la relecture.
Faire la poussière. Barré.
Afficher les nouvelles promotions. Barré.
Mettre en rayon les nouvelles vidéos-grimoires. Barré.
Oleffe, dit Ol’, scrutait sa liste des tâches avec satisfaction. Le tout barré comme il se devait – un trait bien droit, sec et déterminé – il chiffonna la feuille et la jeta. Il n’y avait désormais plus qu’à observer sa clientèle déambuler dans les rayons de son vidéoclub, le Grim’Box Vidéo.
L’affaire était rentable : les cassettes « grimoire » se louaient sans même avoir à faire de la publicité à outrance. Les ménagères en raffolaient, suivies de prêts par les druides en manque de pouvoirs, les féis aux ailes atrophiées, les sorcières sans imagination, les… Il secoua la tête ; Ol’ pouvait continuer ainsi de longues minutes, à détailler sa clientèle.
Pour exemple, les jeunes sorcières se dirigeaient immédiatement vers les tutoriels du « sort de feu, volume 1 ». Alors que les femmes sans pouvoirs, les humaines classiques, prenaient, reprenaient, re-reprenaient l’indétrônable « le grimoire pour les sans-pouvoirs ». Des arnaques pour la plupart, il en avait bien conscience mais qui était-il pour juger ? Certaines sorcières – de véritables sorcières, celles qui jetaient des sorts, qui trifouillaient les chaudrons et agitaient leurs doigts dans tous les sens – y trouvaient leur compte.
Ces petites boites rectangulaires en parkésites, incrustées de deux photogemmes, avaient révolutionné le marché de la sorcellerie : les vidéos-grimoires se répandaient à grande vitesse dans le quotidien des sorcières. Alors oui, il y avait les fameuses voix dissidentes qui s’indignaient de voir les nouvelles générations se simplifier la vie, oublier les rudiments de l’art ésotérique et perdre en qualité d’écriture et de lecture, des compétences nécessaires et essentielles dans la pratique des sorcières. Mais que pouvait y faire Ol’ ? Lui n’était qu’un petit vendeur, il n’était nullement responsable d’une quelconque déchéance, aussi triste fût-elle.
Et pourtant, un événement non noté sur sa liste des tâches vint perturber cette journée qu’il avait espéré paisible : la reine des voix dissidentes pénétrait dans son antre.
Cette grincheuse traînait ses chaussures dorées sur la moquette du magasin, son cigare posé avec nonchalance sur ses lèvres, les cheveux blancs toujours trop gonflés de laques et ses rides encore plus profondes que le canyon de l’Everdeen. Le comble du mauvais goût était cette veste en moumoute d’une couleur rose, bien trop criarde pour être classe, assortie aux paillettes qui brillaient dans sa mise en pli capillaire.
Son parfum – un mélange de fumée de cigare froid et de fleurs fanées – envahit les narines d’Oleffe. Il cligna plusieurs fois des yeux pour tenter de s’accoutumer à cette présence bien trop toxique pour lui ; pourtant, quand elle se contorsionna pour retirer le fusil qui pendait mollement dans son dos, Ol’ ne put s’empêcher de lâcher un soupire sonore et exaspéré.
— Un problème, trouduc ? grogna-t-elle en posant l’arme sur le comptoir.
— Madame Gâ…
— Lady ! Lady Gâchette ! Tâche de t’en souvenir !
— Lady Gâchette, rectifia Oleffe d’un sourire crispé. C’est un plaisir de vous revoir. Mais vous savez, les armes ne sont pas… euh…
— Les armes ? Quelle arme ? Tu vois une arme, tête de fion ?
Il pointa du doigt le fusil à canon large et haussa les épaules. Les clients compliqués, il connaissait mais une telle tête de pioche… Il prit sur lui pour ne pas s’énerver et continua calmement.
— Votre fusil, que vous tenez, c’est une…
— C’est pas une arme, c’est une traqueuse à démon, trouduc. Alors qu’est-ce qu’on a aujourd’hui, Jean Marie ?
— Je. Mon nom c’est Oleffe.
— Avec ta peau cireuse et tes cheveux huileux, j’ai envie de t’appeler Jean Marie. On a quoi aujourd’hui ?
Ol’ se mordit les joues, contracta les poings et inspira profondément.
Ne pas contrarier les personnes âgées. Ne pas contrarier les personnes âgées. Ne pas contra…
— Et ! Toi là-bas ! Touche pas à ça !
Elle invectiva la cliente en fond de magasin qui, en sursautant, fit tomber la cassette qu’elle tenait entre les mains.
— Foutues sorcières de seconde zone, cria-t-elle de plus belle. Savez rien faire sans être assistées ! Retourne à ton grimoire ! C’est pas avec ces trucs que t’apprendra quèque chose !
— Mada… Lady Gâchette, vous ne pouvez pas…
— Pas quoi Jean Marie ? Tu vends de la merde ! j’ai l’droit d’dire !
— On ne vend pas, on loue !
— C’pareil ! Alors t’as quoi pour moi ?
Gâchette le fixa de ses petits yeux humides, ourlés de ridules et d’un trait de maquillage bien trop tremblant.
Ol’ souffla pour de bon et, mains sur les hanches, s’énerva :
— J’ai quoi pour vous ? Des cassettes, madame, des cassettes.
— Enfiiin il s’énerve, s’émerveilla la vieille colorée et acariâtre. C’est qu’il en a dans le froc, le Jean Marie !
— C’est Oleffe !
— On s’en fiche, trouduc. J’ai cru comprendre qu’t’avais un démon. Qu’est-ce t’as pour moi ? et me refourgue pas tes cassettes. Je veux du vrai, je veux du sale !
Elle souleva plusieurs fois ses maigres sourcils. Lady Gâchette donnait l’impression d’être un crapaud survitaminé ayant avalé des fioles de potions fluorescentes.
Il tiqua tout de même quand elle évoqua la présence d’un démon et, l’espace d’un instant, se mit à douter. Pouvait-elle vraiment être là pour une quelconque menace ésotérique ? Il la détailla et secoua le menton pour lui-même : Lady Gâchette n’était qu’une trouble-fête en pantalon de cuir bleu. Trop âgée pour chasser du démon.
— Madame Gâchette. Vous n’êtes plus la bienvenue au Grim’Box Vidéo ! C’est déjà la quatrième fois que vous perturbez nos clients.
Gâchette s’accouda alors, attrapa son cigare du bout des doigts et l’écrasa sur le comptoir sous les yeux horrifiés d’Oleffe.
— Bien. Bien. Tu viendras pas pleurer quand tu te feras trouer le derche par un démon.
Elle se réarma, au grand soulagement d’Oleffe : la voir remettre son fusil dans le dos lui donnait espoir de la voir enfin quitter les lieux. Cependant, la vieille se pencha sur la vitrine, pointa du doigt une cassette mise en avant (« savoir écrire un sortilège, par les sœurs Nolliwell ») et se releva avec un sourire sur son parchemin de visage.
— J’veux celle-là ! J’te la ramène dans une semaine ! On est d’accord qu’y a pas d’démon ? Tu valides Oleffe ? Bien, bien. Si tu valides… J’en doute hein. Tu valides ?
Le soir, harassé par cette journée qui se voulait calme – mais qui ne le fut pas -, Ol’ s’attarda quelque temps pour préparer sa journée du lendemain. Une liste de tâche, la base.
Et puis, enfin, il s’apprêta à fermer boutique quand soudain, un bruit. Un grognement. Et une odeur de pourriture. Quelque chose qui lui faisait dire que cette journée ne se terminerait définitivement pas de la bonne des façons.
J’ai cru comprendre qu’t’avais un démon. Qu’est-ce t’as pour moi ?
— Et flûte !
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