Un Phare dans la Nuit
La nuit était tombée depuis longtemps lorsque le fiacre déposa Rosemary à l'entrée du manoir. La grille qui s'élevait devant elle semblait constituée de ténèbres, minces volutes de fumée qui s'enroulaient les unes sur les autres. Un pas de plus, la sensation d'avoir subi une douche froide, et sans savoir comment, elle se retrouva de l'autre côté. L'immense bâtisse se dressait au clair de lune, écrasant Rosemary de tout son poids. Un corbeau croassa au loin. Rosemary remonta l'allée à grand pas, pressée d'en finir.
Elle serrait dans sa poche la mystérieuse invitation qu'elle avait reçue la veille. Une invitation à un dîner, lors duquel le seigneur et maître de cette demeure, le comte De Follett, prétendait avoir des révélations à lui faire. Elle était sur ses gardes, cependant. Elle n'avait jamais entendu parler de ce personnages et ses recherches s'étaient avérées infructueuses. Toutefois, la curiosité avait pris le dessus et voilà qu'elle entrait dans un hall glacé, traversé par les courants d'air et éclairé d'un seul candélabre. Personne. Seul le carillon lointain d'une horloge antique sonnait onze heure. Sur sa droite, une imposante porte s'ouvrit en grinçant bruyamment.
Elle pénétra dans une salle de réception qui semblait figée dans un passé lointain. Une nappe mangée aux mites recouvrait la table, chargée de vaisselle d'un autre temps, noyée sous une épaisse couche de poussière. Elle n'osait entrer, effrayée par l'atmosphère qui régnait là. Elle s'apprêtait à changer d'avis, prendre ses jambes à son cou lorsqu'elle aperçut l'esquisse d'une silouhette, assise au bout de la table. Cette dernière l'invita d'un geste à s'asseoir. Rosemary sentit une force l'attirer. Elle n'était plus maîtresse d'elle-même...
***
Une douce chaleur lui caressa le visage. Rosemary soupira d'aise. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi bien. Oubliée, la prophétie. Oubliée, la cavale. Elle s'étira et ouvrit les yeux.
Rien. L'étrange. Partout autour d'elle. Rond. Tout était rond. Elle reconnut l'architecture d'une tour. Pas une issue. La muraille, tout autour. Pas une porte. Pas une fenêtre. Et pourtant. Pourtant, elle avait bien senti la chaleur du soleil. L'aube naissante. Elle la ressentait au plus profond d'elle-même. Hors du temps. Une aube éternelle. L'odeur de la nuit, puis l'odeur de la pluie. Une forêt. Enneigée. C'était particulièrement grisant. Le vide, sensation de chute. Rosemary s'appuya contre le mur. Elle comprit soudain. La chronologie des événements. Un trou, quelques minutes. Quelques heures peut-être. Le piège s'était refermé. Ses pensées étaient erratiques, oscillant entre la volonté de sortir et celle que tout s'arrête enfin.
La seconde s'imposa, s'amplifia, prit de plus en plus de place, jusqu'à l'implosion. Accepter son sort, se fondre dans les éléments. Une pulsation malsaine lui donna la nausée. Elle perçut la satisfaction du manoir, qu'elle reconnut comme un mangeur d'âme.
Tout son corps se tendit. Contre toute attente, et pour la première fois de sa vie, elle prit une décision ferme. Se battre. Jusqu'à la mort s'il le fallait.
Elle inspecta la pièce plus attentivement. La Tour. Le mur uni. Cette fois cependant, les murs étaient tapissés d'étagères, formant une bibliothèque labyrinthique. Elle était douée d'une vie propre, se déplaçait de manière imperceptible, au coin de l'oeil. Fascinée, Rosemary fit le tour plusieurs fois, sans jamais trouver les mêmes ouvrages. Au bout du troisième tour, l'un d'eux attira son attention. Il était doux au toucher. Un cuir ancien. Rare. Intuitivement, elle sut. Le Premier Serpent. Le Dragon des Premiers Ages. Elle l'ouvrit respectueusement. Et fut extrêmement désapointée. Vide. Pages blanches, à l'infini.
Elle leva les yeux et poussa un petit cri. La bibliothèque avait disparu. Elle était désormais seule avec son livre inutile. Une douleur sourde la traversa. Tout son être aspirait à s'échapper.
L'ouvrage vibra, faiblement d'abord, puis plus intensément. Des mots ! Des mots se traçaient sur le vélin !
Si tel est ton choix
Fais-moi confiance
Ecoute ma voix
Je te montrerai le chemin de la délivrance.
*
Fini le noir,
Fini le désespoir.
Traverse le miroir.
Evidemment, aucun miroir en vue. Encore des énigmes. Toute sa vie était une énigme. Elle réfléchit un instant. C'était peut-être cela, la clé. Dévoiler les zones d'ombre. Se confronter. A elle-même.
Une lumière aveuglante l'éblouit et un grand miroir à pied se matérialisa. Elle prit une profonde inspiration et se pencha en avant.
Aucune résistance.
Elle atterrit sur un sol en pierre. Froid. Odeur de naphtaline. Elle se trouvait dans la salle à manger du manoir. Elle se relevait péniblement lorsque le manuscrit vibra de nouveau. Elle y lut ces mots :
Une rose tu trouveras
Une rose, tu délivreras.
Une bande d'enfants surgit de nulle part. Parmi eux, elle se reconnut, enfant. Elle frissonna. Un détail clochait. Les yeux. La bouche. Des billes de verre et des éclats effilés. Une voix résonna dans sa tête. Sa propre voix. Elle lui intimait de la suivre. La volonté de Rosemary s'affaiblit. Elle commença à la suivre, semblant flotter au-dessus du sol, comme dans un rêve. Elle luttait pourtant. De toutes ses forces. Impossible. L'enfant ricanait, et poussait les autres enfants vers un escalier sombre, qui menait sans nul doute aux cachots. Le bruit, qui s'amplifiait dans sa tête comme autant d'échos, devenait insupportable. Elle devait mettre fin à ce cauchemar le plus vite possible. Toutefois elle était tiraillée entre l'envie d'étrangler l'enfant et l'envie de sauver son âme dévorée.
Une dernière impulsion et elle enserra l'enfant de ses bras, lui murmurant des paroles réconfortantes à l'oreille. Cinq minutes s'écoulèrent et un grognement de satisfaction se fit entendre. Le livre ronronna et écrivit :
Quand viennent les ténèbres
Liberté
Il ne faut pas oublier
Les enfants s'étaient volatilisés, remplacés par le grand miroir. Elle reprit confiance et marcha dans sa direction d'un pas résolu.
Elle ne trébucha pas, cette fois. Elle atterrit en douceur dans l'un des cachots du manoir. Une forte odeur de moisi et d'humidité en émanait. Rien ne se produisit. Evidemment, aucune porte. Elle sortit sa baguette, murmura « Lumos ». Rien. Les ténèbres étaient si profondes que Rosemary se sentit sombrer. Une peur primitive s'empara d'elle. « Viens, viens à moi », sussura une voix serpentine qu'elle ne connaissait que trop bien. « Viens, je ferai de toi ma Reine », « viens, et tu seras admirée », « viens, et tu seras aimée ». Rosemary avait tellement envie d'y croire. Voldemort lui offrait non seulement la protection de son royaume et des siens, mais surtout le respect et la reconnaissance dont elle avait toujours manqué. Il lui avait également promis qu'Alexander, préfet de Serpentard et son meilleur ami, demeure à tout jamais à ses côtés.
Les larmes roulaient sur ses joues. Elle se recroquevilla sur elle-même, confuse. On lui servait une sécurité éternelle sur un plateau. Et pourtant. Elle se rendit compte que tout cela sonnait faux. Un paradis de carton pâte. Une prison de verre, où rien ni personne ne changerait jamais.
Le livre lui avait déjà montré le chemin et prouvé qu'elle avait un pouvoir.
Celui de décider de son destin.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2836 histoires publiées 1285 membres inscrits Notre membre le plus récent est Fred37 |