Un lion dont les yeux rouges brillaient dans le noir, qui vomit une nuée de vers grouillants. Vers qui se transformèrent en os longs, et eux-mêmes dansèrent et cliquetèrent pour composer une mélodie macabre. Tout tomba en poussière.
Une nuée de chauve-souris qui tourna, tourna jusqu’à former un tourbillon, l’aspira dans un trou noir insondable qui absorba ses cris et ses peurs. Seul un rire perçait, pas le sien, celui de quelqu’un d’autre, qui se répercutait entre ces parois de chair. Il lui semblait le reconnaître mais, déjà, elle oubliait.
Une chouette dont les serres lacérèrent un tas de tissus sanguinolents, avant de se perdre dans un boyau sombre, sans fin. Encore le rire. Une lumière souligna les contours d’une poupée désarticulée, pâle, autour de laquelle volait le rapace. Une dizaine de fils translucides la maintenaient debout. Des larmes de sang coulaient sur ses joues.
Un poulpe dont les tentacules la frôlaient et la tiraient vers une étendue de liquide noir, d’où perçaient des hurlements désemparés, comme autant d’âmes perdues qui échouaient à s’en extraire.
Des chats, devant une porte, qui grattaient le bois, grattaient, grattaient encore, et la fixaient de leurs yeux luisants, pour gratter encore, et le battant vibrait en écho, encore et encore, pendant qu’ils continuaient de gratter. Le son devenait infernal, prenait des tonalités sinistres, angoissantes. La porte s’ouvrit et ils se dispersèrent pour disparaître, sans plus de considération pour elle. Contre toute attente, rien de menaçant n’en sortit. Un seul félin demeura, l’invita à le suivre.
Et ce rire, toujours ce même rire, qui se moquait d’elle, la narguait, comme si tout ceci n’était qu’un jeu, rien qu’un jeu.
Elle se réveilla brusquement, le cœur battant. Une main pressée contre sa poitrine, elle se redressa. Une fine chaîne cliqueta à son mouvement mais elle l’ignora. Quel rêve étrange. Alors qu’elle s’efforçait de se calmer, elle s’aperçut qu’elle n’était pas dans son lit. Elle se raidit, puis leva les yeux pour considérer son environnement. Elle ne le reconnut pas et cela l’inquiéta. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle se trouvait, ni comment elle avait atterri là.
La chambre était d’un style ancien et vieilli, tout comme le lit sur lequel elle était assise. Plusieurs portes de bois sombre, closes, rompaient avec les couleurs criardes de la tapisserie. Plusieurs meubles de riche facture l’occupaient. L’abondance de miroirs l’intrigua. La Chambre des Miroirs. Elle ne sut d’où lui venait ce nom, mais il convenait à cette pièce. Aucun mur n’était épargné, et il y en avait de toutes les tailles et de toutes les formes, dans des cadres en bois ou en fer sculpté : du petit, rond, à hauteur du visage, jusqu’à la psyché placée dans un coin de la pièce. L’ensemble conférait à la salle une ambiance oppressante.
Un rire brisa soudain le silence et lui arracha un sursaut. Le même rire que dans son rêve. Un nœud se forma dans sa gorge. Puis elle se rappela ce que lui évoquait ce rire, autant que ses derniers souvenirs. L’invitation, le Bal. Le Manoir. Celui d’un certain fantôme… L’angoisse céda un instant la place à la colère. Folletto !
Le rire s’accentua, comme ravi d’avoir été reconnu. Elle serra les poings et roula des yeux, exaspérée. Ainsi, il s’agissait encore de l’un de ses tours. Elle aurait dû s’y attendre !
Elle décida de l’ignorer. S’énerver contre lui était vain, d’autant plus qu’il ne prenait même pas la peine de se manifester en personne. Elle décida de se lever mais, dans son mouvement, elle sentit un poids glisser sur le tissu qui couvrait ses cuisses. Elle s’arrêta un instant pour considérer l’objet. Le bijou, un collier pendu à une fine chaînette, paraissait aussi ancien que le reste. Elle n’avait aucune idée de la raison de sa présence. Elle le saisit, hésita à le disposer autour de son cou avant de se contenter de le glisser dans une poche. Après tout, il appartenait sans doute à Folletto, et toute chose se rapportant à lui était suspecte par essence. Peut-être n’était-il même pas prudent qu’elle le conservât avec elle. Elle le fit malgré tout.
Enfin, elle quitta le lit pour gagner la fenêtre.
L’extérieur était plongé dans une obscurité telle que rien n’était visible. Était-ce réellement naturel ? Elle porta la main vers la poignée pour ouvrir, et son regard s’attarda sur l’animal qui y était sculpté. Elle écarquilla les yeux à sa vue. Un poulpe ! Comme dans son rêve ! S’agissait-il d’une simple coïncidence ? Non, pas avec Folletto, songea-t-elle alors que son rire soulignait sa présence. Mais alors, comment… ?
Elle réfléchit quelques secondes, se remémora cette sorte de lac d’où provenaient des hurlements désemparés, puis elle recula. Cette option ne semblait plus si bonne, tout à coup. Autant vérifier le reste de la pièce avant.
Elle erra dans la pièce d’un pas lent, incertain. Le rire avait disparu. Les miroirs, nombreux, lui renvoyaient son reflet à son passage. Dans un premier temps, elle ne s’y attarda pas mais, du coup de l’œil, elle repéra des anomalies qui l’intriguèrent et la stoppèrent dans sa progression. Elle se planta devant une grande psyché au cadre de fer forgé d’entrelacs écaillés de lierres et de fleurs. Ses sourcils se froncèrent. C’était bien elle mais quelque chose n’allait pas dans cette image que le miroir lui renvoyait. Des différences ténues, mais perceptibles, qu’elle ne s’expliquait pas. L’objet avait-il un défaut ? Sa surface était toutefois parfaitement lisse et exempte de la moindre fissure. À moins que ce ne fût la fatigue ? Elle avança de quelques pas pour se planter devant un autre miroir. Le même phénomène, encore. Elle répéta sa tentative à plusieurs reprises, et une angoisse sourde l’emplit peu à peu alors qu’elle se confrontait à cette même distorsion incohérente. Elle finit par abandonner et s’écarta du sujet de son énième test, vacillante. C’est un coup de Folletto, assurément, tenta-t-elle de se rassurer. Je ne dois pas me focaliser dessus. Je dois sortir de là. Peut-être étaient-ce des fantômes ? Des amis de Folletto, ou autre chose ? L’hypothèse ne la rassura pas, bien au contraire. Elle l’occulta de ses pensées, se concentra sur une première porte vers laquelle elle se dirigea. Sortir. Je dois juste sortir. Ce ne doit pas être si difficile, n’est-ce pas ?
La vue du heurtoir, glissé dans les mâchoires d’un prédateur en bronze, la fit reculer. Un lion, comme dans son rêve ! Prise d’un haut-le-cœur, son estomac se tordit et sa main couvrit ses lèvres tandis que des vers grouillants et des os musiciens s’agitaient dans son esprit. Elle secoua la tête. Pas cette porte-là non plus ! Elle se dirigea vers la seconde tout en ignorant les reflets inquiétants qui la suivaient. La chauve-souris qui exhibait ses crocs sur le battant, au niveau de son visage, lui arracha des frissons et l’incita à se détourner de la même façon. La même chose se produisit avec la troisième ornée d’une serre de chouette, au creux de laquelle était incrustée une pierre ronde d’un violet opaque et terne. À ce stade, la coïncidence n’existait plus ; elle n’en connaissait pas la raison, mais son rêve semblait avoir pris des allures prémonitoires pour l’avertir. Du moins l’espérait-elle. Elle n’avait aucun moyen de confirmer son hypothèse, hormis en testant.
Elle rejoignit donc la dernière porte en priant.
La tête de bouledogue qui serrait le heurtoir ne lui évoqua rien. Soulagée et saisie d’une vague d’espoir, elle tendit la main pour l’ouvrir. Soudain, le battant se mit à vrombir sans raison apparente. Elle se figea et attendit un instant mais la secousse persistait, ne cessait de se poursuivre, comme dans un mauvais film. Comme si l’objet était… hanté ? Un spectre ?! Elle réalisa qu’au claquement du bois contre l’entrebâillement s’ajoutait un autre son, celui de grattements. Des griffes ou des ongles contre la surface dure, sans y laisser la moindre trace. Cela ressemblait à la dernière scène de son rêve, avec les chats. Cette simple réflexion dissipa toute inquiétude. Ce seraient des chats ? Elle haussa les sourcils, interloquée. Ou était-ce une simple métaphore à l’égard de ces spectres qui se comportaient comme ces félins ? Elle ne réfléchit pas davantage. Rien ne s’était produit sur cette séquence-là, alors elle supposait que ce devait être la bonne option ? Il le faut. Elle pria pour que la porte ne fût pas fermée à clé. Il ne manquerait plus que cela.
Ignorant les heurts de la porte, elle l’ouvrit. Le mouvement et le son disparurent, et rien ne se jeta sur elle pour la dévorer ou la traîner dans une allée enténébrée. Des traces serpentaient sur le tapis moelleux qui couvrait le parquet. Elle quitta la pièce et entreprit de les suivre. Cela lui semblait la meilleure chose à faire.
Pour le moment.
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