Note de Grimm : Un défi de l'Allée des Conteurs à double entrée : une serre où les plantes ne cessent de pousser. Une boussole qui pointe toujours vers l'endroit opposé à celui où vous voulez aller.
Un jour, tu m’as offert une rose.
Je me suis enfoncée une épine dans le doigt. Mais j’étais heureuse…
« On do… emm… un… dicant »
Un murmure à son oreille. Une tonalité féminine peut-être. Andréa n’arrivait pas à les distinguer clairement ; il y avait plusieurs voix.
« No… »
« … qu.. »
Andréa ouvrit les yeux. Ses paupières papillonnèrent pour retirer ce voile flou qui recouvrait sa vue. Ses ongles s’agrippèrent aux pavés froids ; elle tenta de se relever mais ses muscles refusèrent de bouger. Elle inspira profondément et vissa ses pupilles sur le plafond en verre.
Son regard glissa sur le châssis métallique, s’attarda sur les carreaux de couleurs et enfin s’accrocha aux lianes grouillantes et feuillues qui serpentaient le long de la verrière. Alors elle se souvint ; elle était dans une serre, à se promener avec Sven et…
… et quoi ?
Cette simple pensée bouscula son cœur. Il tambourinait un peu trop vite.
Dehors il faisait nuit. Quelques étoiles brillaient au-delà du verre ; où alors était-ce des tâches blanches sur la surface ? Les trois lunes semblaient ne pas vouloir se montrer. Elle soupira et tenta de bouger le bras. Quand enfin ses membres acceptèrent d’obtempérer, Andréa s’essuya le front moite et se redressa tant bien que mal.
Elle s’appuya sur ses coudes et prit le temps de détailler son environnement.
« And..a ! … qu’est… y …. pas…»
« …bée… et…là »
Un murmure.
Les plantes tout autour d’elle frémirent, comme si… elles rigolaient ? Les fleurs donnaient l’impression de détourner le regard quand Andréa posait ses yeux sur elles. Les longues branches s’entremêlaient, gesticulaient, tentaient de s’approcher d’elle avant de reculer vivement.
Loin de s’en inquiéter, Andréa se releva, pris une profonde inspiration et retira son manteau noir ; l’air poisseux de la serre lui donnait chaud. Elle s’essuya une nouvelle fois le front.
— Bien. Où sommes-nous ?
Elle savait la serre gigantesque mais dans la nuit, sans trop de visibilité, il lui était difficile de déterminer sa position. Des globes lumineux flottaient ici et là mais, malgré cette lueur bienvenue, Andréa n’arrivait pas se situer. La serre semblait… s’étendre, encore et encore.
« La sortie est par là », lui avait dit Sven. « Fais tes trucs de sorcière et on se retrouve là-bas ». Il lui avait déposé un baiser sur le front et l’avait laissée à ses affaires.
Un baiser ?
Un craquement sonore la fit sursauter. Le son provenait d’en haut ; elle releva la tête et fronça les sourcils. Ses yeux s’accrochèrent immédiatement à la fissure qui venait d’apparaître dans le verre. Etrange…
L’endroit devenait dangereux ; il ne fallait pas s’attarder ici.
Andréa n’avait donc qu’à faire « ses trucs de sorcière » pour trouver une sortie au milieu de cette jungle dense. Elle s’agenouilla, releva sa paume gauche vers le plafond et psalmodia quelques paroles sibyllines. L’énergie ésotérique afflua dans ses veines, remonta le long de son bras et se concentra dans sa main tendue. Bientôt, une boussole dorée se dessina entre ses doigts.
— Guide-moi vers Sven !
L’ordre donné lui procura une drôle de sensation. Un malaise au creux de son estomac. Andréa se frotta le cou de la main libre et la retira d’un coup. Une douleur subite grignotait sa peau.
Son cœur s’emballa.
Les ombres autour d’elle grandissaient. Les plantes s’agitaient. Les champignons se gonflaient. Les fleurs pivotèrent lentement vers elle et les pétales s’écartèrent : au centre de la corolle, un œil veiné de rouge l’observait.
« Qu’est.. ..ui… fait »
« ..ien »
« Tu… l’….glé ? »
Les murmures s’intensifiaient à son oreille.
L’environnement devenait hostile. Les larges feuilles frémissaient au rythme de sa respiration saccadée. Et plus le stress la gagnait, plus le mur végétal s’épaississait.
Ses jambes se mirent enfin en mouvement ; Andréa suivait l’aiguille rouge de la boussole, le souffle court. Aussi fébrile que ses doigts, la petite flèche l’amenait à droite puis à gauche, l’obligeait à se contorsionner pour éviter un tronc tortueux, à lever haut les pieds pour ne pas s’empêtrer dans les racines.
« Ell… ait…. tard. J…l’…. nue »
Les yeux végétaux l’épiaient ; elle était certaine d’entendre des ricanements au cœur des fougères épaisses. « Retard, retard, retard », susurraient les brindilles.
« Ne sois pas en retard », dit Sven avec un sourire coquin.
Ils riaient tous les deux à cette remarque coutumière. Sven avait l’habitude d’attendre, le pauvre.
Avec un sourire ?
Un craquement résonna. Une nouvelle fissure dans le verre ? Il était urgent de partir.
Et pourtant, quelque chose n’allait pas dans ce souvenir. Il se modifia ?
« Sois pas en retard », dit Sven légèrement agacé. Elle rit, car il avait raison : Andréa était une spécialiste des retards. Il lui avait sourit en retour.
Une nouvelle fissure tonna dans le ciel de verre, tel un orage.
« Fais pas comme d’habitude, sois pas en retard », maugréa Sven de sa voix cassante. Andréa opina du menton.
Un coup de tonnerre aussi glacial que le verre.
« Fais pas la conne, sois pas en retard », s’énerva Sven avec rage. Andréa baissa le menton, une main sur sa joue encore meurtrie de la veille.
Le plafond s’éventra en un fracas assourdissant. Une pluie de verre étincelant s’abattit autour d’Andréa. Ses souvenirs tombaient un à un, tel des paillettes lumineuses dans l’obscurité de son esprit. Dans ce maëlstrom soudain, l’aiguille de la boussole s’emballa. Surprise, Andréa buta contre une racine et s’étala de tout son long. Son menton cogna, sa tête vibra.
Le coup lui rappela celui de la veille. Un coup chaud, vif, reçu d’une main qu’elle aimait.
— Tu comprends enfin…
— Non, gémit Andréa.
— La boussole t’a amenée à moi. C’est que tu as compris.
— Non, supplia Andréa. Non.
Elle se frotta le visage pour tenter de retirer la douleur. En vain.
— Je t’ai regardée des années durant accepter l’inacceptable. Je t’ai vue souffrir en silence. Je t’ai vue maquiller les bleus. Je t’ai vue excuser le monstre.
— C’est moi, le monstre…
Andréa restait prostrée entre les racines, incapable de relever la tête vers la source de sa propre voix. Soudain, un tentacule épineux se planta en son cœur ; la douleur fut telle qu’Andréa hurla à s’en déchirer la gorge. Soulevée de terre par ce bras végétal, elle n’eut d’autres choix que d’affronter son double.
L’Andréa d’en face était vigoureuse. Son épaisse chevelure rousse la faisait ressembler à une rose. Tout son corps se mélangeait harmonieusement aux branches alentours, aux tiges fleuries, aux mousses humides et aux branches épineuses. Les fleurs cascadaient sur son buste, remontaient dans ses mèches ondulées et s’enroulaient autour de ses bras à l’aspect de bois.
L’Andréa d’en face était magnifique. Elle, l’Andréa du début, n’était plus qu’une fleur fanée dans cet esprit chamboulé.
— Tu n’auras plus mal désormais !
Ses yeux se mouillèrent enfin. Les larmes brulaient sa peau, acides, remplies d’amertumes, véritable torrent porteur de tous les maux infligés par Sven.
— Qui es-tu ?
— Je suis toi. Une sorcière qui se réveille enfin. Une sorcière qui ne demande qu’à être vengeresse. Je suis la rose qui ne demande qu’à fleurir en toi. Il est temps.
— On doit l’emmener voir un médicant ! gémit Mari.
— Non !
— Pourquoi ?
Sven puait la rage, la fureur et la peur. Il gardait ses mains dans les poches, les yeux écarquillés, incapable de venir en aide à la pauvre femme allongée sur le dos.
Il n’y avait personne alentour. La serre était vide et Mari avait beau crier pour attirer quelqu’un, nul ne répondait.
— Andréa, insista-elle en secouant ses épaules. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Elle… Elle est tombée. Et voilà.
Son cœur battait mais ses yeux refusaient de s’ouvrir. Mari avisa les marques sur le cou. De longs traits rouges en forme de… doigts ?
— Qu’est-ce que tu lui as fait ?
— Rien !
— Tu l’as étranglée ? comprit alors Mari. Tu…
— Elle était en retard, se défendit Sven. Je l’ai prévenue. Je…
… l’étais-je vraiment ? Je veux dire… étais-je vraiment heureuse ?
Tu m’avais offert une rose une fois. Celle qui m’a fait croire que j’étais amoureuse. Elle m’avait blessée, cependant. Essayait-elle de me prévenir ?
Ce fut cette même rose qui me transforma ce jour-là. Ce jour où tu m’as étranglée, après tant de sévices corporels. Elle m’aida à comprendre qui tu étais vraiment.
Je me souviens de l’instant où je me suis réveillée. Tu m’as regardé, horrifié et tu as su que c’était la fin. Tu as su que le véritable monstre c’était toi et non moi.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2836 histoires publiées 1285 membres inscrits Notre membre le plus récent est Fred37 |