Pourquoi vous inscrire ?
«
»
Lecture

L'énigme de la Tour de l'Aube

— Moi, je ne suis plus mortel, dit notre Hôte en s’élevant lentement au-dessus de la table. Je comprendrais que tu refuses de risquer ta vie avec mon défi, même si elle ne vaut pas grand-chose.

Je bondis sur mes jambes vacillantes, le vin me montant à la tête.

— Nul ne se moque du Duc Suliak ! J’accepte ton défi, serpillère crasseuse !

— Parfait ! Que la fête commence !

Je tressaute. Mes doigts caressent un parquet verni. Les bribes du rêve, ou plutôt du souvenir, se dissipent en moi. J’essaye de rattraper ces pensées fugaces, elles m’échappent. J’oublie. Je me redresse sur les genoux. Ma tête me brûle, tourne. J’ai les oreilles qui sifflent.

Bonne chance…

On aurait dit un souffle glacé. Je me retourne vivement, puis gémis en portant la main à mon crâne douloureux. Qu’était cette voix ? Je me redresse plus lentement, me mets sur mes jambes. Me serais-je endormi à cause du l’alcool ? Un semblant de fête me revient en mémoire, indistincte.

Je promène mes yeux sur la pièce circulaire, et ricane. La décoration du manoir est d’un gout… manoir ? Qu’est-ce qui me fais croire que je suis dans un manoir ? Cette pièce est trop ringarde et petite pour un manoir. Je continue mon observation.

Le plafond est en forme de cône, laissant apercevoir toutes les poutres. On croirait un moulin ou un grenier. Une tour peut-être.

La tour de l’aube.

Je sursaute, parcouru d’un long frisson de terreur. Encore cette voix ! Sentant ma tête tourner, je m’assieds lourdement sur une malle, le front entre mes mains. Lorsque je redresse enfin la tête, ma migraine un peu calmée, je vois une lucarne. Je m’en approche à pas prudents, hésitants.

La tour…

Je pousse le loquet.

De…

Je bascule le petit panneau carré.

L’aube.

J’ouvre la lucarne.

Un spectacle splendide s’offre à ma vue. Une campagne, entourant un parc majestueux, aux buissons soigneusement taillés, accueillant un potager et une serre sur la gauche, des statues de granit sur ma droite, une fontaine au milieu. L’eau semble dorée, la pierre rose. C’est l’aube qui se lève à l’horizon, parant les champs, les collines et les bois de rubis.

Je reste béat face à ce spectacle. J’en oublie de tenir la lucarne, qui s’abat avec violence sur mon crâne. Je crie et me prends la tête à deux mains, dents serrées.

Un grand rire s’élève. C’est encore la voix de glace.

— Ta gueule ! hurlé-je de rage en balayant le plafond des yeux.

Oh, un tel langage n’est pas digne d’un homme de votre rang !

La moquerie fait jaillir un visage devant mes yeux. Un nom s’échappe de mes lèvres, semblant plus un grognement animal qu’une parole humaine :

— Folletto.

La voix se tait. Je commence à me rappeler… oui, c’est feu le sieur de Follet qui m’a invité ! Il m’a défié pendant le dîner !

— Sale petit bourgeois ! craché-je, fou de colère.

Il m’aurait drogué et enfermé ici jusqu’à l’aube ? Possible, oui.

Sur une commode tout aussi laide que le reste du mobilier, à côté d’un chandelier d’argent aux bougies consumées, je repère une petite horloge. Je m’en approche, regarde l’heure. Le cadran est plein de poussière, mais je distingue onze heures et demie. C’est ridicule, le soleil ne se lève pas à onze heures ! Je soupire. Un objet cassé, c’est bien du genre de Folletto. En plus elle est moche.

Je parcoure à nouveau la pièce du regard. Pas de porte. Pas de trappe.

— Bon, grogné-je. Puisque c’est un défi, la sortie doit être dissimulée quelque part.

Je commence à tâter les murs, puis le plancher. Durant deux dizaines de minutes, je fais le tour de la pièce avec minutie, mais toujours rien. Je m’approche à nouveau de la lucarne. Peut-être pourrais-je sortir par-là ? Je l’ouvre. Le spectacle est toujours aussi beau. L’aube pointe toujours… mais… mais comment se fait-ce ? Je me frotte les yeux, et regarde à nouveau. Non, c’est bien l’aube encore ! Ni plus ni moins que vingt minutes plus tôt ! Serait-ce… un genre de sort temporel ?

Je m’approche de la petite horloge, l’époussette. Elle indique à présent trois heures !

— Merde, Folletto…

Je me prends la tête dans les mains. Le temps ici se dérègle, valse sans aucun sens. Une pensée horrible traverse mon esprit. Quand est-on dehors ? Si je sors, aurais-je fais un bon dans le passé ? Dans l’avenir ? Ai-je disparu depuis des années ? Je ne peux plus réfréner mes tremblements. Un cri de rage et d’horreur s’échappe de mes lèvres. Pourquoi moi ? Pourquoi ma vie, et pas celle d’un badaud, d’un manant ? Un de ces gens de basse extraction présents au bal ?! Pourquoi a-t-il fallu que ce soit moi ?!

Je m’effondre sur le parquet et éclate en pleurs amères. Je resterai coincé ici pour l’éternité ! Dans une pièce moche ! Moqué par une serpillère !

— Non ! Non !

La folie, déjà ?

— Ta gueule ! Ferme ta grande bouche Folletto ! T’es qu’un… T’es qu’une…

Allez, si on peut plus s’amuser. Mais bon, le désespoir c’est marrant deux secondes, après…

— Quoi ? Tu vas m’aider, c’est ça ? Ou me conduire droit dans un piège ?

Va savoir. Le temps nous le dira. Le temps est la clef.

— Quoi ?

Silence.

— Folletto, où es-tu ? Comment ça le temps est la… le temps est…

Je regarde la petite horloge.

— La clef… ?

Je la prends entre mes mains tremblantes. Je fixe le cadre. L’aiguille bouge soudainement. Elle tressaute, faisant trois quarts de tour. Je sursaute, l’objet m’échappe des mains. Le cadran se brise sur le parquet. Je pousse un cri. Non ! Non ! Folletto a dit que c’était la clef !

Je me précipite sur l’objet, le ramasse. L’aiguille est tordue. Elle tressaute à nouveau, tournant d’une manière apparemment aléatoire. Une bouffée de joie m’envahie. Elle n’est pas cassée !

J’observe avec attention ses mouvements. Elle ne semble pas pourvue de quelque logique que ce soit : les heures n’ont aucun sens, et elle change de position à intervalles irréguliers.

— La clef… il est marrant, lui !

Comment résoudre l’énigme de la tour de l’aube ? La tour de l’aube… L’aube et l’horloge…

J’approche mon doigt de l’aiguille. A quelle heure arrive l’aube en octobre ?

— Environ… huit heures et demie… ?

Je tourne l’aiguille, qui suit mon doigt sans résistance. Mon cœur bat la chamade, résonne à mes oreilles. Vais-je pouvoir sortir d’ici ? J’arrête l’aiguille entre le huit et le neuf. Je tremble.

Rien.

Je soupire, presque soulagé. Subitement, la petite horloge se met à carillonner. Je sursaute, recule. Le son se fait plus fort. Je fronce les sourcils, fait quelques pas. Le son augmente puis diminue au fil de mes pas. Cela me conduirait-il à un passage secret ?

Je trouve vite le mur devant lequel le carillon sonne le plus fort, mais j’ai beau tâter, pousser dans tous les sens possible, rien ne se passe, pas de porte, pas de passage.

Le temps est la clef, me souvins-je. J’examine les aspérités du mur. Les pierres sont rugueuses, bosselées… et là ! Oui, là, un petit trou, minuscule, tout fin ! Je baisse les yeux sur l’horloge. L’aiguille !

Je décroche avec douceur le petit objet fragile, enfonce la pointe ouvragée dans le trou… Ça coince.

— Pourquoi ? enragé-je en forçant dessus. Allez, vas-y…

Elle est tordue. Lorsque l’horloge est tombée, l’aiguille s’est tordue. Elle ne rentre plus. J’appuis plus fort, sentant des gouttes de sueur perler sur mon front. Puis j’entends un claquement.

L’aiguille s’est brisée.

— Non ! hurlé-je de désespoir. Non, ce n’est pas possible ! Non ! Non !

Je frappe le sol de mes poings, je m’y cogne le front, je hurle.

— Folletto ! Sors-moi de là ! Serpillère dégueulasse !

Je reste là, entouré du silence et de mes plaintes. Folletto ne me répond plus. Je suis seul. Je suis mort.

Puis j’entends un grondement sourd. Au bord de la folie, je n’y prête pas une grande attention. Puis des pas claquent sur le sol. On me donne un petit coup de pied dans le flanc.

— Debout, dit-une voix sensuelle au timbre dégouté. T’es sauvé, l’épave.

Je me redresse lentement. Le mur s’est ouvert. Une jeune femme se tient devant. Une femme sur talons hauts, dans une robe rose pailletée, ses cheveux blonds bouclés ruisselants sur ses épaules, son visage trop maquillé regardant aux alentours avec dégout.

— Pammy, soufflé-je.

— Je sais, tu es fan. Allez, bouge. J’ai eu pitié de toi en te voyant comme ça.

— Toi ? Pitié ?

— Oui. Je suis égocentrique, mais je suis pas un monstre non plus !

Elle jette un regard méprisant à la salle.

— C’est de la torture de rester dans une pièce aussi moche.

Je la regarde. Elle me regarde.

J’éclate de rire.


Texte publié par RougeGorge, 26 octobre 2024 à 18h24
© tous droits réservés.
«
»
Lecture
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2837 histoires publiées
1286 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Antho.Del
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés