Longtemps, Maïeul est resté assis sur l'herbe, à observer au loin la fenêtre brisée. Ses pensées sont toujours là-bas, dans cette chambre aseptisée de bonheur et d'insouciance et souillée de sang, de souffrance et de peur. Myranda... Elle est aussi belle que son prénom, et il n'arrive pas à se l'ôter de l'esprit. Il y a tant de douceur dans les traits de son visage. Et lui, il aime les gens gentils et cléments.
Maintenant, il est allongé sur le dos, dans le petit lit qui sent le vieux de la chambre d'amis qu'il occupera durant deux semaines. Il a les yeux dans le vague, et c'est comme s'il n'avait que le ciel lisse et sans nuages pour couverture, son regard voyant bien au-delà du plafond aux poutres vermoulues en plusieurs endroits.
Elle est aussi lumineuse que sa chambre est terne, malgré son teint blafard, ses valises sous les yeux et son extrême maigreur. Ses cheveux aussi noirs que la nuit dégoulinants de sueur lui donnaient l'air farouche, quand il avait enfin posé les yeux sur elle. Il avait d'abord pensé à un oisillon à l'aile blessée, alors même que c'était lui qui avait pris peur en se rendant compte de sa présence.
Il s'en était fallu de peu qu'il parte sans demander son reste, mais, pour une raison obscure, elle lui avait demandé de rester. Tout comme il s'en était fallu de peu qu'il hausse les épaules et reparte sans rien dire, lorsqu'il avait sonné et que personne n'avait répondu.
Mais, véritable casse-cou qu'il était au sortir du berceau, sa mère l'avait inscrit très tôt à diverses activités de sport, dont la varappe. Il ne reculait pas devant l'obstacle, non, il reculait pour mieux sauter. Et puis, il s'en était étonné, mais la fenêtre de l'étage était plutôt basse, et cela lui avait bien rendu service.
C'est en cherchant la sortie côté jardin qu'il avait remarqué que la maison, construite sur un dénivelé, commençait au-dessous du niveau du sol à certains endroits. En passant par la porte d'entrée pour sortir, il fallait monter une rangée de marches, contrairement à la porte côté jardin.
— Eh y a que Maille qui Maïeul, viens dehors avec moi au lieu de regarder ce plafond pourri ! s'exclame Archibald en faisant irruption dans la chambre sans frapper.
— P'tit con, va ! répond Maïeul, qui s'est vivement redressé et a désormais la main sur son cœur, qui palpite tambour battant.
— Ça fait mille fois que je viens te chercher ! ronchonne Archibald.
Maïeul lance un regard noir à son petit frère, mais ne répond rien : il préfère se morfondre en pensant à tout ce qu'il a fait de travers quelques heures plus tôt, et ce n'est pas le fait d'escalader la façade des voisins qui lui vient en tête, car ça, jamais il ne le regrettera !
Myranda est un océan de douceur dans son monde de brutes. Elle est intelligente et pleine d'humour. Elle est rafraîchissante : il ne supporte plus le monde qui l'entoure, en ce moment, fait de SMS, de snap et de photos Instagram. Parfois, il a la sensation de ne plus connaître ses amis, qui rechignent toujours à lâcher leurs téléphones pour sortir taper dans le ballon ou simplement se défouler.
Dans la chambre de Myranda, le temps n'existait pas et il n'y avait aucun mur entre eux et le monde. Il avait senti un vent de panique l'envahir quand elle lui avait demandé de lui décrire l'extérieur, mais il s'était finalement senti si bien, si libre !
— Mamie a fait une tarte pour qu'on l'emporte aux voisins d'en face. Si on s'excuse pas on est privés de dessert jusqu'au retour à la maison !
— T'aurais pas pu l'dire avant ! s'agace Maïeul en poussant Archibald pour sortir et dévaler les escaliers en vitesse.
— C'est que du dessert ! s'écrie Archibald en courant à sa suite.
Maïeul n'en a cure, du dessert. Peut-être que les parents de Myranda le laisseront aller s'excuser auprès d'elle ? Non, il doit être plus fin que ça, il n'est pas censé être au courant de son existence... Peut-être qu'il peut demander à aller aux toilettes ou...
— Oui, c'est pour quoi ?
Attendez, quoi ? Quand est-ce que j'ai sonné moi ? Et d'où je suis déjà à leur porte ? Et puis j'ai pris la tarte dans la cuisine ? pense-t-il en sentant un filet de sueur descendre le long de son dos.
— B... bonjour... bégaye-t-il. Je suis le petit-fils de vos voisins d'en face, et voici mon petit frère. Ce matin, par accident j'ai cassé une de vos fenêtres et... euh... bah... On vous a fait une tarte.
Précipitamment, il tend la tarte vers l'homme qui se tient devant lui. Sur son visage, il reconnaît le sourire doux et indulgent de Myranda, et cela le rassure.
— On vient s'excuser... et peut-être récupérer notre ballon ?
Maïeul décide d'y aller au culot, avec un petit sourire charmeur.
— Oui, on s'essecuse ! surenchérit Archibald, qui depuis tout petit n'a jamais su prononcer le mot excuse.
Le père de Myranda prend la tarte et les invite aimablement à entrer. Maïeul soupire de soulagement.
— Alors vous êtes les fameux affreux Jojo qui ont cassé notre fenêtre ?
— Oui... mais on s'excuse... J'ai essayé de sonner ce matin mais...
Le père de Myranda plaque son immense main rugueuse sur l'épaule droite de Maïeul, qui se sent pâlir. Ses muscles se tendent, et l'homme le remarque. Il retire sa main, comme si le contact avec le tissu du tee-shirt de Maïeul l'avait brûlé.
— Je vais pas vous manger, les p'tits monstres : j'ai trois enfants, vous savez ! Assoyez-vous donc ! On va discuter de cet incident.
— Un incendie, quel incendie ? s'angoisse Archibald.
— Mais non, incident, andouille, incident ! Et maintenant assois-toi ! le reprend Maïeul en lui claquant doucement l'arrière de la tête, exaspéré.
D'où Maïeul est assis, il peut facilement voir l'escalier : il ne peut s'empêcher de tourner régulièrement la tête vers celui-ci en se créant une carte mentale de l'endroit. Il n'est qu'à un étage de revoir Myranda, il peut le faire !
— Ça vous convient, les enfants ?
— Pardon ‽ répond Maïeul avec de grands yeux surpris, car il n'a absolument pas écouté la proposition du père de Myranda.
— Je paye les réparations, pour qu'elles soient faites au plus vite, mais vous viendrez m'aider à entretenir le potager et à tondre la pelouse pendant vos vacances.
— Et... on peut... récupérer le ballon ? demande Maïeul avec espoir.
Le père de Myranda lève les yeux au ciel avec amusement.
— À l'étage, deuxième porte à gauche, mais je ne sais pas où est le ballon.
— Jjjjj...e vous remercie ! s'exclame Maïeul en se levant avec hâte.
Un peu plus, et il répondait « Je sais ! ».
— Je vous suis, indique l'homme en les invitant à passer devant lui d'un geste ample de son immense main qui remplirait Maïeul d'effroi s'il ne s'était pas montré aussi avenant envers eux.
Maïeul retient une moue de déception tandis que ses épaules s'affaissent. Archibald, qui le connaît par cœur, fronce les sourcils en l'observant. Maïeul espérait plus que tout pouvoir parler à Myranda dans sa chambre, rien que tous les deux...
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