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tome 1, Chapitre 2 tome 1, Chapitre 2

Maïeul pousse un long soupir : certaines choses ne se décrivent pas, elles se vivent. Il sent sa bouche devenir pâteuse alors qu'il recherche désespérément le vocabulaire à utiliser. Sur sa nuque, il sent le regard doux de Myranda, dont il se figure le sourire indulgent et compatissant face à la « corvée » qui lui incombe à cause d'elle.

Il ferme les yeux pour se recentrer sur le monde qui l'entoure. L'air frais s'insinue dans ses narines et le chatouille. Ses cheveux, mi-courts, dansent avec le vent. Il sourit : il se sent connecté à l'univers. Il entend le bruissement des feuilles des arbres.

— Le vent est comme une caresse sur ma peau, aujourd'hui : il est frais mais il me réchauffe le cœur. J'ai envie de profiter de la vie et de rendre les gens heureux, il me remplit de force. C'est fascinant, le vent...

Il rouvre les yeux, il n'a plus besoin de réfléchir pour trouver ses mots.

— J'adore le sifflement qu'il fait en passant entre les branches et les feuilles. Et là il y a l'odeur de l'herbe fraîchement coupée et... je me sens comme appelé dehors ! Ce que j'aime plus que tout c'est l'odeur si spéciale qui plane dans l'air après un orage d'été ! J'étais tellement satisfait d'entendre l'orage gronder cette nuit ! Tu entends les mélodies des oiseaux ? Bald, c'est mon frère, il adore jouer avec moi à deviner le chant de quel oiseau on entend, et quand on se promène, je lui apprends à identifier les feuilles et les arbres qui nous entourent. Il adore quand on voit des écureuils et...

Il se retourne en souriant, radieux : il s'est laissé prendre au jeu. Myranda ne le quitte pas de vue, le regard brillant d'envie et un petit sourire à la fois tendre, amusé et compréhensif étendant ses lèvres. Il a la sensation de lui cracher son bonheur à la figure, avec son sourire éclatant.

— Merci... se contente-t-elle simplement de murmurer.

Puis elle tousse à nouveau du sang dans son mouchoir, qu'elle a sorti de sous son oreiller après sa récente bévue.

Maïeul rêverait de lui parler d'elle, mais il n'ose pas : il a peur que son intérêt pour elle soit mal interprété. Il est immobilisé par une terreur aussi sournoise que muette et qui l'empêche de se précipiter auprès de la jeune fille pour l'épauler tant bien que mal pendant ce moment de souffrance intense.

— Tu sais ou y... merde ! Y a une voiture qu'arrive dans l'allée ! s'interrompt-il en se baissant brusquement pour se cacher.

— Saute par la fenêtre en vitesse, panique Myranda en tentant de se redresser vivement, sans succès.

Un rictus de douleur déforme son visage.

— Désolé, fausse alerte, c'est quelqu'un qui faisait demi-tour...

Un long silence ponctue ses paroles.

— Sauter par la fenêtre, vraiment ‽ s'insurge-t-il faussement en se penchant au-dessus du visage de Myranda, qui s'est mollement laissée retomber sur son oreiller, soulagée et épuisée par cette frayeur supplémentaire dans son existence déjà si terrifiante et exténuante.

Son petit rire faible mais cristallin se transforme en une énième quinte de toux, qu'elle parvient à contenir, contrairement aux deux dernières.

— C'est comme ça que ça va finir si tu restes jusqu'à l'arrivée de la voiture de ma mère dans l'allée. Si tu pars maintenant, y a un escalier et la porte côté jardin est ouverte. Tu devrais essayer la prochaine fois, c'est magique.

Elle rit brièvement : il a l'impression d'entendre un oisillon gazouiller et il sent son cœur se fissurer, puis s'ouvrir entièrement, pour laisser Myranda s'encrer dans son sang et circuler dans ses veines pour l'éternité. Désormais, elle est tatouée en lui, de manière indélébile.

Avec un pincement au cœur, Maïeul réalise qu'elle a raison. Il ne sait pas comment la saluer : est-ce trop audacieux de lui dire aurevoir, préjugeant ainsi que ce ne sont pas des adieux et qu'ils se reverront ? Qui dit qu'elle, autant que lui, elle a envie de le revoir ?

Se sentant plus le roi des idiots que la reine d'Angleterre, il lève la main droite comme l'aurait fait cette souveraine face à son peuple.

Myranda tente de rire à nouveau, mais cette fois, elle ne parvient pas à empêcher le sang de sortir de ses lèvres tandis qu'elle lui fait signe de partir. Quand la porte se referme sur lui, et que sa quinte passe enfin, elle soupire en se renfonçant dans son lit.

Elle est transie de froid à cause de la fenêtre cassée, mais elle regrette bien plus le départ du jeune garçon, duquel elle n'arrive pas à détourner ses pensées. Elle prend fébrilement le livre de sa table de chevet et l'ouvre à l'endroit du marque-page. Elle essaye vraiment de se concentrer sur sa lecture. Elle a lu ce livre des milliards de fois : elle pourrait en jurer car c'est son préféré, mais là, maintenant...

Lorsque sa mère, Virginie, entre et voit l'ampleur des dégâts, elle ne réagit pas vraiment, faisant mine de lire en haussant mollement les épaules, faussement résignée : qu'aurait-t-elle bien pu faire pour condamner la fenêtre, elle qui n'a même pas assez de force pour sortir de son lit ‽

Ce n'est que lorsque sa mère sort de sa chambre pour aller préparer son propre lit pour l'y installer qu'elle remarque que, depuis tout ce temps où elle essayait de se concentrer sur les phrases de son bouquin, elle le tenait à l'envers. Elle sourit en levant les yeux au ciel, se demandant si Maïeul est aussi tête en l'air qu'elle depuis leur rencontre.

La chambre de ses parents et plus spacieuse que la sienne, et elle lui semble aussi plus lumineuse. Elle sourit distraitement alors que sa mère la somme d'une voix calme mais ferme de lui dire ce qu'il s'est passé avec « cette fenêtre de malheur, bon sang de bonsoir de bon sang de bon dieu de merde ! ».

Virginie est étonnante quand on ne la connaît pas : elle est capable de dire les pires jurons avec la voix la plus douce qui soit. Elle blasphème souvent quand ils sont en famille, croyant de moins en moins en Dieu au fil des jours mais se refusant à l'admettre à quiconque, et encore moins à elle-même. Tous les dimanches, elle s'échine à se rendre à la messe, tirée à quatre épingles mais la mine grise car Myranda hante toutes ses pensées. Elle revient toujours avec nombre de mots gentils et d'encouragements, et quantité de nourriture préparée par d'autres fidèles de sa communauté.

Parfois, elle invite leurs amis à dîner pour montrer que la vie continue et que tout va bien car ils sont forts et vont s'en sortir. Son époux, David, fait bonne figure, sourit et plaisante. Il veut que chaque moment du reste de la vie de son aînée soit merveilleux. Mais Virginie finit toujours par fondre en larmes avant le départ des invités...

— Je sais pas, d'accord ‽ s'agace Myranda sous la pression des questions insistantes de sa mère tandis qu'elle la borde dans le lit conjugal. J'ai essayé de demander à Zlurpy le nuage mais il refusait de répondre même sous la torture, c'est bon là ‽


Texte publié par JAJ, 10 octobre 2024 à 19h07
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