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tome 1, Chapitre 7 « Le Mystère de la Chambre Noire » tome 1, Chapitre 7

Avicennius avait pédalé pendant près de trois quarts d’heure, quand il arriva devant la grille de Sorbonne. Finalement la traction humaine assisté avait un bel avenir, il n’avait mis qu’un quart d’heure de plus qu’en prenant la Trompettante. Descendant de sa bicyclette, il la prit à la main et s’approcha d’un planton.

– Bonjour officier ! Pourriez-vous m’indiquer la direction du pavillon de psycho-physique, s’il vous plaît.

– J’ai peur que vous ne puissiez vous en approcher, mais si vous e souhaitez vous pouvez toujours vous adressez au lieutenant des sapeurs-pompiers, là-bas.

– Je vous remercie. Bonne journée officier !

– Je vous remercie également. Bonne journée à vous aussi !

Puis Avicennius s’éloigna, tenant toujours sa bicyclette à la main, et se mit en quête du capitaine des sapeurs-pompiers, qu’il ne tarda pas à repérer grâce à son casque brillant au milieu d’un attroupement de journalistes et de photographes de tous poils. Avicennius, peu désireux de se mettre en avant, surtout qu’il avait été présent sur place pendant la nuit, se tint un peu à l’écart, sans toutefois trop s’éloigner pour ne pas manquer le moindre de leurs échanges.

– Pour le moment nous ne privilégions aucune hypothèse mais selon nos premières constatations, rien ne laisse envisager l’usage d’explosif. Aucune trace de l’une ou l’autre de ces substances n’a été retrouvé à cette heure. De plus les gardiens en faction la nuit n’ont rien vu, ni entendu de suspect qui soit de nature à nous orienter dans nos recherches.

– Capitaine, y a-t-il un danger particulier, car il nous ait toujours formellement interdit de nous approcher du bâtiment éventré.

Visiblement le capitaine semblait très embarrassé par cette question et se retrancha derrière le secret militaire :

– Tout ce que je puis vous dire, c’est que nous tenons nos ordres de monsieur Joliot-Curie lui-même, dans un vœu de préserver au maximum la santé et la sécurité des Parisiennes et des Parisiens. En outre, il n’y a pas lieu de s’affoler, le bâtiment s’étant entièrement effondré, il maintient une étanchéité contre des émanations potentiellement nocives.

– Tout de même ! Ne trouvez-vous pas curieux de vous réfugier derrière le secret militaire et monsieur Joliot-Curie. Ne nous cachez-vous pas malgré tout quelque chose quant à la nature de cette explosion ?

Le capitaine blêmit et chercha des yeux une échappatoire, qui vint en la personne du Préfet de Police de Paris, Auguste Truand, reconnaissable à son melon et à sa moustache impeccablement taillée. Ayant repéré l’embarras de l’officier Jabiche, celui-ci lui fit de lui laisser la parole.

– Messieurs, je cède la parole à monsieur Auguste Autrand, Préfet de Police de la ville de Paris, qui répondra à toutes vos questions.

Un murmure de désapprobation se fit entendre parmi les journalistes massés, quelques lampes à magnésium crépitèrent et le capitaine battit en retraite.

– Tout d’abord, je tiens à vous rassurer et à rassurer nos chers concitoyens voisins de la Sorbonne. Tout danger sera définitivement écarté d’ici une vingtaine d’heures environ, mais nous devons, pour le moment, toujours maintenir le cordon de sécurité dans un périmètre de 400 mètres autour de l’université.

– Monsieur le Préfet, pouvez-vous nous en dire davantage sur la nature de la menace.

– Hum… monsieur Joliot-Curie nous a informé que la machine présente dans les sous-sols du pavillon, et qui est très certainement à l’origine de la déflagration, contenait un liquide extrêmement inflammable et explosif, mais également très volatil. Tant que ce liquide restera confiné sous terre, il existera des risques majeurs, aussi attendons-nous son évaporation complète avant de pouvoir procéder aux excavations.

– Monsieur le Préfet ! Pourquoi alors ce périmètre de 400 mètres autour des bâtiments ?

– Comme je vous l’ai précisé ce tantôt, ce produit est extrêmement volatil et ce rayon correspond au volume d’air à partir duquel il ne présente plus de danger d’explosion spontanée. Merci messieurs, ce sera tout pour aujourd’hui !

Et le Préfet s’en retourna vers la brigade des sapeurs-pompiers, tandis que les journalistes et autres curieux se dispersaient.

Avicennius ne comprenait pas la dissimulation à l’œuvre dans le discours du Préfet, que désirait cacher l’État à ses citoyens. Puis se remémorant la nuit, il sentit confusément que ce qu’il avait vécu était bel et bien à l’origine de la catastrophe, aussi invraisemblable que cela puisse paraître. Bien sûr, il aurait pu aller témoigner auprès de l’un des journalistes, mais il n’était pas là pour çà et il ne l’aurait certainement jamais cru, au pire eut-il passé pour un fou. Il voulait comprendre le lien qui existait entre lui et cette explosion. Faisant alors mine de s’éloigner, il commença à longer le cordon de police à la recherche d’un lieu où garer sa bicyclette, tout en cherchant une lacune dans le dispositif. Il repéra bientôt une grille entrouverte, oubliée, car dissimulée par d’énormes massifs de troènes. Se garant un peu plus loin, il fit négligemment demi-tour et se glissa d’un coup dans les épais massifs. Laissant s’écouler plusieurs minutes, pour être certain de ne pas avoir été suivi ou repérer, il s’avança alors doucement dans les denses fourrés. Ce fut tout d’abord extrêmement ténu, si faible qu’il ne ressentit presque rien, mais à mesure qu’il progressait vers le cratère, la sensation se fit de plus en plus présente. Il serait allé jusqu’à l’épicentre, s’il n’avait aperçu à temps l’éclat métallique d’un casque. Il se jeta derechef dans les massifs, il aperçut alors deux hommes revêtu d’une étrange combinaison, qui marchaient d’un pas très lourd, comme ils portaient leur propre poids sur leurs épaules. Se cachant et s’agenouillant au milieu des arbustes, il s’efforça de retrouver la présence qu’il avait ressentit, mais de même qu’elle s’atténuait avec la distance ; le temps aussi semblait à l’œuvre. C’était presque imperceptible, mais il sentait la présence s’affaiblir alors même qu’il demeurait immobile, à moins qu’il ne fut le jouet de quelque illusion.

Troublé, il se retira de sa cachette et sortit prestement de l’institution, prenant garde de ne croiser aucune force du maintien de l’ordre. Certes, il n’avait pu s’approcher plus de l’épicentre du phénomène, mais il était désormais persuadé que ce qu’il avait vécu en cette nuit dantesque s’était réellement passé, mais où et pourquoi telles étaient les questions en suspens, et qui. Qui était cette ombre qu’il avait vu, plongeant sa main dans le cœur du réacteur. Néanmoins, au plus profond de lui, il sentait que cette question ne resterait pas insoluble longtemps.

Il reprit, en passant la grille, le pas hésitant du promeneur perdu et s’en retourna vers l’endroit où il avait rangé sa bicyclette. Il dépassa plusieurs groupes de policiers, de sapeurs et d’hirondelles sans qu’aucun ne lui prête la moindre attention. Dans le lointain une cloche sonna la demie de quatre heures, il avait amplement le temps de revenir au manoir Pierzi sans que son absence ne fût remarquée par Issam ou l’un de ses invités, accaparés qu’ils devaient être par cette explosion au pavillon. Enfourchant la Démoniaque, Avicennius pédala avec entrain vers Sceaux, ne s’arrêtant que pour acheter l’édition spéciale du « Petit Journal » à un gamin des rues. Il ne stoppa sa course qu’à environ 200 mètres de la résidence pour ne pas faire d’entrée fracassante et encore moins suscité la suspicion. Il finit le chemin à pied tenant d’une main la Démoniaque et de l’autre le journal, acheté un peu plus tôt. Il fit le tour du parc et aperçut Joliot-Curie en grande conversation avec Issam et le susnommé Delanne. Personne ne semblait avoir remarqué son absence et il en fut grandement soulagé. Il aurait été fort embarrassé de devoir s’expliquer auprès d’Issam et de ses invités. Il entra par une porte de service dissimulée aux yeux de tous, conçu ainsi pour ne pas troubler ou importuner ses messieurs de la grande bourgeoisie. En son for intérieur de telles pratiques répugnait Avicennius, mais en la circonstance cela lui rendait fort service. Ainsi pouvait-il gagner la remise et sa chambre dans la plus absolue discrétion.

Une fois ses affaires rangées, il partit dans sa chambre faire une toilette et se changer. Il ne voulait surtout pas éveiller le moindre soupçon. Habillé de pieds en cape, il consulta l’horloge murale. Elle indiquait six heures moins un quart d’heure. Vers six heures décida-t-il, il irait se présenter et s’enquérir des besoins d’Issam et de ses invités. Il profita donc du temps qu’il lui restait pour s’instruire de l’édition spéciale du « Petit Journal ». Après dix minutes de lecture, Avicennius le reposa, déçu, non seulement il n’avait rien appris de nouveau, mais ce qui ressortait ressemblait furieusement à de la propagande impériale destinée à rassurer les bonnes gens. Jetant le journal dans un coin de sa couche, son regard tomba d’un coup sur Flatland. Il avait failli l’oublier, mais pour l’heure il devait se présenter au jardin afin de recueillir les doléances de ces messieurs, il y reviendrait un peu plus tard. Il passa une nouvelle fois par la salle de bain pour vérifier une fois de plus sa mise. Satisfait, il sortit et se rendit au jardin. Issam avait installé ses invités à l’ombre, sous la ramure du vieux chêne vert, rendant ainsi plus supportable la chaleur étouffante de l’après-midi. Arrivé à leur hauteur, Avicennius les salua avec entrain :

– Bonsoir messieurs ! J’espère que vous appréciez le lieu et le service.

Il aurait été difficile d’affirmer ou de prétendre le contraire, toutes les assiettes étaient vides.

– Les émotions creusent l’appétit semblent-ils, se dit Avicennius.

Ce fut Delanne qui rompit le premier le silence :

– Avicennius, les mots me manquent, mais je crois pouvoir parler au nom de nous tous en affirmant que tout cela fut exquis.

– Mais ce n’était rien. Puis-je m’enquérir à mont tour des raisons de votre venue, si je ne fais pas preuve de trop d’indiscrétion.

– Pas du tout ! Nous aurions d’autant plus apprécié de pouvoir partagé avec vous et notre conversation et le festin que vous nous avez préparé Avicennius.

– Mais il n’est pas trop tard, ajouta Joliot-Curie, joignez-vous à nous, à moins que vous n’ayez une objection à formuler Issam.

– Pas du tout ! Au contraire même, affirma Issam même si son regard démentait ses paroles rassurantes.

– Merci ! Et je vous présente toutes les excuses pour mon absence, mais les nécessités de service, répondit-il en s’asseyant, se disant qu’il préférait mentir par omission, plutôt que de travestir la vérité.

Cependant un mensonge restait un mensonge et il détestait cela, pourtant en cet instant révéler la vérité aurait été autrement plus dangereux. Joliot-Curie reprit alors la parole :

– Je pense pouvoir affirmer, sans me tromper, que vous devez être au fait des graves événements qui ont eu lieu cette nuit à l’institut.

– En effet, j’ai pu lire dans le journal ce qu’il est arrivé au pavillon de Psycho-physique. L’explosion du réacteur en est bien à l’origine, n’est-ce pas ?

– Tout à fait ! et cela est d’autant plus incompréhensible que de multiples précautions sont prises pour sa sécurité, étant donné sa nature toute particulière.

– Que voulez-vous dire ?

– Hum, hé bien… comment dire… Je suis tenu par le secret militaire, mais comme vous êtes malgré vous, tout comme Issam et Gabriel, impliqué puisque vous étiez présent avec moi lors de notre démonstration, je puis tout vous dire. Mais vous serez tout comme moi également tenu au secret, rien qui ne sortira de mes lèvres ne devra sortir des vôtres.

– Vous avez ma parole, monsieur.

– Je vous remercie Avicennius. Or donc si vous vous souvenez, je vous avait expliqué que le combustible était de l’hydrogénium, mais en omettant soigneusement de vous parler de sa nature particulier et du principe qui régit le fonctionnement de cette machine.

– Non c’est exact.

– L’hydrogénium est un mélange de d’hydrogène et d’une version plus lourde de ce même élément, le deutérium. Dans les conditions naturelles, lorsque ces deux composants sont ensemble, il ne se produit rien. Mais ajoutons-y de l’éther fluctuant ultra-pur et il se produit alors un formidable flux de chaleur, accompagné de rayonnements extrêmement dangereux.

– Et ces rayonnements ont heureusement une portée limitée, si j’en crois la présence d’un cordon sanitaire autour des bâtiments de la Sorbonne.

Avicennius faillit ajouter qu’il avait aperçu des hommes en combinaison, certainement pour se protéger du rayonnement, mais se retint de justesse.

– Exactement ! Nous n’en connaissons pas encore la nature exacte, mais nous avons quelques hypothèses. De toute façon tout cela est superflu pour ce qui nous intéresse. Le problème qui se pose à nous est comment le réacteur a-t-il pu exploser.

Joliot-Curie jeta un coup d’œil à Issam puis à Gabriel et reprit :

– Une seule chose peut provoquer pareil cataclysme : une surchauffe du réacteur, chose qui n’arrive que si le réacteur est en fonctionnement avec une panne de tous les circuits de refroidissements.

– Mais le réacteur était à l’arrêt quand nous somme partis, ajouta Avicennius.

– Oui. Le réacteur était coupé, de même que le circuit d’éther fluctuant. Seul le circuit de refroidissement fonctionnait toujours, par mesure de sécurité. De plus l’accès au sous-sol ne peut se faire que par la trappe que nous avons empruntée, laquelle possède un dispositif de verrouillage interne, à l’instar de celui d’un coffre fort ; sans compter les rondes des gardiens de nuit qui n’ont vu personne. Messieurs nous voici donc face à un mystère en chambre close, car la seule façon de procéder serait de remettre en route le circuit éthérique, puis de couper le circuit de refroidissement. Mais ce serait de plus un acte purement suicidaire, car la personne qui commettrait pareille chose n’aurait que quelques secondes, tout au plus pour s’enfuir.

Avicennius se garda bien de narrer le songe de la nuit passée, qu’il envisageait désormais sous un tout autre angle. Tandis qu’il restait songeur, Delanne prit la parole :

– Nous en sommes donc réduits aux conjectures et nous ne pourrons nous approcher sans danger que d’ici une dizaine d’heures.

– Tout à fait, affirma Issam, et je suggère que nous agissions à la faveur de la nuit, sous couvert de l’armée. Qu’en penses-tu Frédéric ?

– Excellente initiative, avez-vous une objection quelconque à émettre ?

Avicennius et Delanne acquiescèrent, tous voulaient se mesurer au mystère de la chambre noire.

– Pardonnez-moi cette touche de cynisme, mais j’espère que nous retrouverons un cadavre, car alors ce mystère risque d’être réellement insoluble.

C’était Avicennius qui s’était exprimé ainsi, ce qui surprit d’autant plus Issam, qu’il ne lui connaissait aucun goût pour le macabre.

– D’un autre côté cela pourrait renforcer certaines thèses très controversées du spiritisme, que j’ai déjà eu l’occasion d’entendre en d’autres temps, ajouta Delanne, mais nous n’en somme spas encore là, Newton soit loué !

– Messieurs, ne nous mettons pas martèle en tête et songeons plutôt à nous restaurer ? Que souhaiteriez-vous ? interrogea Issam.

Mais avant que Joliot-Curie ou Delanne n’ai pu répondre, Avicennius s’empressa de prendre la parole :

– Messieurs, Issam, je n’aurai pas assez de temps pour vous préparer l’un des nombreux plats dont je détiens le secret. Cependant je compte me rendre chez un artisan de ma connaissance, avec qui je me suis fortement lié d’amitié, d’où je vous rapporterai quelques trésors d’exotisme. Qu’en dites-vous ?

– Ma foi ! Voilà une proposition des plus appréciables et des plus alléchantes, et pendant qu’Avicennius partira en course, laissez-moi vous offrir une fine d’Armagnac. Je pense que tu n’en prendras pas ombrage Avicennius, je connais ton goût modéré pour les alcools.

Ce dernier acquiesça, puis se leva et salua Issam et ses invités. Il se retira en direction de la cuisine puis leur lança :

– Je serai de retour d’ici une paire d’heures.

Quelques minutes plus tard, il avait enfourché la Démoniaque, à qui il avait accroché une petite remorque, en direction de Meudon.


Texte publié par Diogene, 31 janvier 2015 à 21h47
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