La sonnerie retentit alors que je n’ai pas encore fini de copier. Il est déjà dix heures? Déjà l’heure de la pause … Les autres sortent en courant de la salle de classe en se bousculant les uns les autres. Je suis bientôt la dernière avec quelques autres retardataires. Je copie les mots qui me manquent et range mes affaires. Mais alors que je m’apprête à partir, le professeur m’interpelle d’une voix distraite tout en triant des copies :

- Goodbye Ambre.

Oh non, j'espérais que je passerais inaperçue, qu’il ne me parlerait pas… D’habitude, je me fonds dans le décor. Je réponds d’une voix étranglée :

-See you tomorrow mister.

Et un tsunami d’angoisse m'envahit. Je sors sans demander mon reste, en prenant soin de cacher mon visage qui affiche sûrement une expression paniquée. Devant la porte, des élèves attendent leurs amis qui sont encore dans la classe. Et si j’avais rougi ? Peut-être qu’ils l’ont vu… Je traverse les couloirs en courant presque et dévale les escaliers à toute vitesse, slalomant entre les collégiens qui discutent gaiement. Un tas de questions me viennent à l’esprit et l’angoisse devient de plus en plus forte. Et si j’avais mal prononcé la phrase? Et si le professeur avait trouvé ça drôle? Et s'il avait remarqué mon expression ? Et si des élèves l'avaient vu eux aussi ? Je traverse la cour le plus vite possible, la tête baissée, évitant de justesse un ballon de football. J’ai besoin d'être seule et je ne veux pas que les autres me voient. Je dois avoir l’air d’être sur le point de pleurer. En fait, je crois que c’est le cas. En plus, je suis moche, j’ai des cheveux roux et secs et des yeux marrons ternes, alors que d’autres filles ont de belles chevelures ondulées et de magnifiques yeux bleus. En plus d’être jolies, certaines sont très sociables et ont beaucoup d’amis. Pourquoi je ne suis pas comme elles ? Je n’arrive même pas à échanger quelques mots avec un professeur. La vie est parfois vraiment injuste.

Après cette course effrénée, j’arrive enfin à l'endroit où je passe toutes mes récréations depuis maintenant trois ans : les toilettes. Au moins ici je suis au calme, et personne ne peut me voir. Je choisis une cabine libre, m’enferme à l'intérieur et m’assois en essayant de ne pas faire trop de bruit. Je fais en sorte d’être la plus discrète possible, car si quelqu'un comprend que je suis ici à chaque pause, il pourrait me dénoncer à la vie scolaire. Soulagée, je passe mes mains sur mon visage pour me calmer.

Je souffre en fait d'anxiété sociale. Plutôt aiguë selon mon psychologue. J’ai beaucoup de mal avec les interactions sociales, en tout cas avec les personnes autres que les membres de ma famille, et j'ai peur de leurs jugements, qu'ils soient en rapport avec mon apparence ou avec mes actes. J’ai peur de faire mal les choses devant d’autres personnes. Ce n’est pas toujours facile. En réalité, ça ne l’est jamais, car il y a des gens partout, donc beaucoup trop de sources de stress. Je ne suis bien que quand je suis chez moi et je sors seulement quand je ne peux l'éviter. Mais malheureusement l’école est obligatoire. Je crois que le collège est l’endroit que je déteste le plus. Non pas que je n’aime pas apprendre, mais le jugement y est permanent. Je peux presque sentir son poids sur mes épaules … Finalement, je sors mon livre et commence à lire. J’adore la lecture, cela me détend, et m’offre une parenthèse irréelle dans ce monde si stressant …