Je me regarde encore dans le miroir, je n’arrive pas à arrêter. Il faut que ma coiffure soit parfaite, il faut que je sois parfaite. Je ne peux pas faire autrement. Je coiffe mes cheveux bruns et ondulés d’un geste frénétique et jette un nouveau coup d'œil à la glace.
- Louise, crie maman, tu vas être en retard au collège !
- J’arrive !
Mais je ne le pense pas. Je sais que je n’arriverai pas à descendre à temps et que ce matin je vais encore échouer. Comme tous les matins, je vais devoir sonner pour rentrer dans le bâtiment car la porte sera fermée. Puis je passerai par la vie scolaire avant d’aller en cours. Comme je n’ai déjà plus de mots de retard dans mon carnet de liaison (après seulement trois mois de cours), ma mère devra appeler pour leur certifier que mon retard est dû à des raisons médicales. Bien sûr, cela fait deux ans maintenant que les surveillants sont au courant de ma maladie, mais ils disent qu’ils doivent quand même “vérifier”. Ils pensent vraiment que je suis du genre à aller au bar d’en face avant de me rendre au collège, pour acheter des chewing-gum que je vais mâcher en cours toute la journée au plus grand désespoir des profs ? Non, je sais très bien qu’ils me connaissent et qu’il font ça seulement pour ne pas se faire taper sur les doigts. Puis, mon mot de retard en main, je monterai les escaliers quatre à quatre pour me retrouver devant ma salle de classe sans oser frapper à la porte. Finalement, je me déciderai à rentrer après trois petits coups brefs, et tous les élèves me regarderont en chuchotant des choses comme “Mais elle est toujours en retard …”. C’est la même routine depuis deux ans, et malheureusement ça n'est pas prêt de changer…
Je regarde l’heure sur la pendule de la salle de bain que maman a acheté en pensant que ça m'aiderait à gérer mon temps (ce qui n’a pas vraiment fonctionné). Il est huit heures. Sachant que la petite musique qui nous sert de sonnerie retentit à sept heure cinquante cinq précisément, j’ai déjà cinq minutes de retard. Je me prépare déjà depuis deux bonnes heures. C’est alors que Maman se décide à venir me tirer de ma litanie sans fin. Je l’entends monter les escaliers, la panique me saisit car je sais qu’elle va me forcer à m’éloigner du miroir. Mais je ressens aussi un certain soulagement, j’en ai marre de me recoiffer. Elle ouvre alors la porte de la salle de bain et j’ai une sorte de haut le cœur. Elle me prends doucement par le bras et dit calmement :
- Allez, ça suffit maintenant. Ton frère et ta sœur sont déjà partis …
Je la regarde droit dans les yeux avec un air paniqué. Je sens l’angoisse m'envahir. Elle me happe dans un gouffre sans fond. Oh non … Je ne veux pas faire une crise maintenant, il faut que j'aille au collège aujourd’hui. Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration. Je peux y arriver. Je ne vais pas la laisser gagner.
-D’accord maman.
-C’est bien ma chérie.
Et tandis que nous descendons ensemble l’escalier, mes T.O.C me disent de retourner devant le miroir. Mais je dois lutter, même si ce n’est pas facile tous les jours. A cause de mes troubles obsessionnels compulsifs (plus souvent appelé T.O.C) d'hygiène, les activités quotidiennes comme se doucher, se brosser les dents, se laver les mains, qui paraissent si faciles et automatiques pour les autres personnes sont très longues, fastidieuses et me demandent beaucoup plus de concentration. Pour moi, toutes ces tâches sont divisées en plusieurs étapes, que je dois suivre rigoureusement car si je ne le fais pas ou moins bien, j’ai l’impression que des choses horribles pourraient arriver. Les médecins appellent cela “ritualiser”, car je me crée des sortes de rituels, qui me font du mal, qui font souffrir mon corps et me prennent un temps fou. Me brosser les dents me prend par exemple au moins un quart d’heure, et me doucher, parfois plus d’une heure et demie. J’ai mal partout, mes mains sont sèches et mes gencives irritées. Voilà ce que j’endure au quotidien, depuis maintenant bien trop longtemps. Je ne me rappelle même plus comment c’était, de ne pas être malade. J’aimerais guérir, mais je n’y arrive pas.
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