Forest traversa le hall central de l’aéroport. Son sac de voyage sur le dos, il n’ignorait pas qu’une fois les portes menant à l’extérieur franchi, il ne remettrait plus les pieds dans ce lieu avant un long, très long moment.
Durant le trajet, son regard s’était posé de-ci de-là, ses oreilles s’étaient attardées sur chaque son symbolique de cet endroit. Même si c’était son choix d’arrêter, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe de nostalgie.
Cependant, il avait passé dix années loin de son pays et après le Covid, Forest avait éprouvé le besoin de rentrer chez lui.
Lorsqu’il arriva dehors et que le soleil vint agresser ses yeux, il fit une pause dans sa marche. Lui qui avait fui pendant si longtemps, voilà qu’il se sentait plus libre que jamais.
« Forest ! »
La voix d’une femme qui l’appelait au loin lui fit rouvrir les yeux. Il chercha du regard celle qui avait prononcé son nom et l'aperçut faire de grands signes de la main à quelques mètres de lui. Bien qu’il ne l’ait pas vu depuis un très long moment, Forest la reconnut immédiatement.
Il s’avança d’un pas rapide vers elle, courant presque, et lorsqu’il fut à sa hauteur, il la serra avec force dans ses bras.
« Ça me fait tellement plaisir de te voir, souffla-t-elle sans le lâcher.
— Moi aussi. »
Forest avait du mal à croire qu’il serrait enfin sa petite sœur dans ses bras. Pendant son exil c’est bien la seule qui lui avait manqué.
« Laisse-moi te regarder, dit-il en se reculant, tu es vraiment devenu une femme magnifique.
— Arrête de raconter des bêtises, le gronda-t-elle en rougissant malgré tout du compliment.
— Si tu es là, c’est que tu as dû recevoir ma lettre ? demanda Forest en montant dans la voiture.
—Hmm. Il faudra que tu m’expliques un jour quel genre d’homme de presque trente ans peut écrire des lettres et vivre sans téléphone. »
Il rigola à la boutade et promit de lui donner la réponse lorsqu’il l’aurait lui-même trouvé.
Après quelques échanges basiques, le silence envahit l’habitacle et Forest en profita pour laisser son regard se perdre sur le paysage. Il n’y avait pas grand-chose à voir. Le décor était principalement fait d’immeuble en tout genre, parsemé par un peu de verdure. Il avait vu plus beau. Il avait aussi vu plus laid.
« Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? demanda sa sœur, le sortant de ses pensées.
— Je commence dans une agence de voyages dès lundi.
— Tu sais où dormir ?
— Oui, ne t’inquiète pas. Un collègue m’a laissé les clés de son appartement le temps que je me trouve un logement.
— Tu peux venir vivre à la maison. J’ai assez de place pour t’accueillir. »
Forest allait répondre, mais le téléphone de sa sœur sonna à ce moment-là. Elle s’excusa avant de mettre son oreillette et décrocha.
Il en profita pour se tourner une nouvelle fois vers l’extérieur. Forest n’avait jamais vu Bangkok. Lorsqu’il était jeune, il vivait dans le nord du pays près de la frontière entre la Thaïlande et le Laos. Les grandes villes et leurs ambiances, il ne les avait connus qu’une fois partis de chez lui.
New York, Paris, Rio, Tokyo ou encore Séoul. Il avait vécu des moments incroyables dans chacun de ces endroits. Il ne s’était pas contenté de visiter les capitales. Toutes occasions étaient bonnes pour en voir un peu plus. Les rencontres qu’il avait également pu faire lui avaient permis d’en apprendre davantage sur les lieux où il se trouvait.
C’était grâce à toute cette connaissance qu’aujourd’hui il pouvait travailler dans une agence de voyages sans avoir spécialement les diplômes exigés. Ça, et le fait qu’il savait parler différentes langues.
Bien qu’il soit perdu dans ses pensées, Forest se tourna vers sa sœur lorsqu’il entendit sa voix trembler. La conversation devait toucher à sa fin, car il la vit raccrocher, mais il ne rata pas le petit mouvement de sa main pour essuyer ses joues.
« Ça va ? demanda-t-il légèrement inquiet.
— Hein ? Oui, oui, ne t’en fais pas.
— Tu es sûre ?
— Certaine. »
Forest savait qu’elle mentait, mais essayer de la forcer à dire ce qu’elle avait sur le cœur ne servirait à rien, alors il se contenta d’un hochement de tête. Il avait conscience que son absence avait créé un fossé entre eux. C’est pour cette raison qu’il avait été surpris de la voir à l’aéroport. Forest l’avait prévenu de son retour par lettre quelques semaines plus tôt, mais il ne s’était pas attendu à ce qu’elle vienne le chercher d’elle-même.
Il retint un soupir las. Il avait eu besoin de dix ans pour tirer un trait sur le passé. Mais peut-être qu’il avait un peu trop tourné la page sur cette période de sa vie...
Forest posa sa main sur la cuisse de sa sœur et la pressa légèrement dans un geste qu’il voulait réconfortant.
« Je sais que j’ai été absent un long moment. Mais je veux que tu saches que je suis revenu. Je serais là pour toi désormais. »
Il put voir la surprise se peindre sur son visage avant de se fermer complètement et qu’un faux sourire vienne ourler ses lèvres. L’atmosphère dans la voiture devint soudain pesante et Forest se dit qu’il faudrait du temps pour que le lien entre sa sœur et lui se recrée.
Ils arrivèrent à destination peu après et Forest sortit de l'habitacle avec un certain soulagement.
« Merci d’être venu me chercher, dit-il à travers la vitre ouverte.
— Je t’en pris. Voici mon adresse, passe me voir lorsque tu auras du temps libre et s’il te plaît, achètes toi un portable.
— Promis. » Répondit-il en prenant le bout de papier que lui tendait sa sœur.
Après un dernier signe de la main, elle s’engagea dans la circulation, le laissant seul au milieu de la foule.
Forest sortit de son sac une carte de Bangkok et chercha l’adresse que lui avait donnée son ami. Il n’avait pas choisi la meilleure période pour revenir dans son pays natal. Actuellement, le ciel était clément, mais il savait que cela ne durerait pas et Forest n’avait guère envie de se retrouver trempé.
Il ne mit pas longtemps à trouver l’appartement de son ami. Ce dernier l’avait acheté afin d’avoir un pied à terre lorsqu’il prenait des vacances. Comme il s’en servait principalement pour dormir, il n’y avait pas de cuisine. Pour Forest, cela n’était pas un problème. Il ne comptait pas rester ici éternellement.
Il posa son sac et s’allongea sur le lit où la fatigue l’emporta rapidement.
Sunti plaça avec délicatesse le dernier pétale en nougat au sommet de sa pièce montée. Il se recula ensuite pour admirer le spectacle et un sourire plein de fierté illumina son visage. Ce n’était pas de la présomption de sa part. Il savait admettre qu’il avait des points faibles, alors il pouvait très bien flatter son amour-propre lorsqu’il faisait du beau travail.
« Les mariés vont être contents, s’exclama son collègue et meilleur ami.
— Ils ont intérêt !
— Le camion est prêt à être chargé, déclara leur patron en rentrant dans le local. Est-ce que la pièce est finie ? »
Sunti lui montra son chef-d’œuvre d’un mouvement du menton et comme il pouvait s’y attendre de la part de son chef, ce dernier ne fit aucun commentaire sur son travail. On pouvait se dire que c’était une bonne chose, mais lorsque vous êtes le seul à n’obtenir aucune remarque parmi les cinq autres employés, alors ça pouvait devenir légèrement contrariant.
Juste légèrement !
« Sunti, Max, je vous confie la boutique pour la journée. »
Et voilà, soupira intérieurement Sunti, encore obligé de faire des heures supplémentaires !
Il était sur sa pièce montée depuis quatre heures du matin. Sa journée aurait déjà dû être terminée. Il jeta avec un certain agacement son tablier sur le plan de travail une fois sûr que son patron était parti.
« Un jour, je partirais d’ici et ce vieux croûton regrettera de ne pas avoir reconnu mon talent, râla-t-il.
— Mais oui, mais oui. »
Max connaissait suffisamment Sunti pour savoir que le proverbe qui dit : « chien qui aboie, ne mords pas » lui collait à la peau.
Ils s’étaient rencontrés durant leurs études. À cette époque-là, son ami n’avait pas du tout le même comportement. Il était réservé, toujours en retrait et lorsqu’on le regardait, on avait le sentiment qu’il portait toute la peine du monde sur ses épaules.
Pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’il venait de vivre un événement marquant et pas dans le bon sens du terme. Max n’avait pas cherché à l’aborder et si leur professeur ne les avait pas mis en binôme pour réaliser un projet, alors ils n’en seraient peut-être pas là aujourd’hui.
Il écouta son ami maugréer contre leur patron, lui répondant de temps en temps pour qu’il ait l’impression qu’il était attentif. Et quand ils fermèrent la boutique trois heures plus tard, Sunti continuait de se plaindre.
« Tu sais, finit par dire Max, il faut vraiment t’aimer pour te supporter.
— Parce que j’ai tort peut-être ! Ces bons à rien n’ont absolument rien fait, mais c’est eux qui sont allés présenter mon travail. Pourquoi est-ce qu’on devrait toujours rester en arrière, hein ?
— En ce qui me concerne, je pense que ça vient du fait que je suis ton ami. Pour ce qui est de ton cas, je pense que le patron a suffisamment de jugeote pour savoir que tu n’as pas ta place dans ce genre d’événement.
— Et pourquoi donc je te prie ?
— Tu ferais tache dans le décor. »
Max évita de justesse le coup de pied de Sunti. Loin de s’en offusquer, il partit en rigolant comme un gosse tandis que son ami lui courait après. À les voir se chamailler comme ça dans la rue, on pouvait douter qu’ils avaient presque trente ans.
« Aller, déclara Max en venant passer un bras autour de son cou, essaye de voir le bon côté des choses. On a certes fait trois heures supplémentaires, mais maintenant, on est en week-end ! Alors qu’eux, ils font devoir poireauter jusqu’à la fin du repas pour pouvoir rentrer chez eux.
— Tu n’as pas tort, répondit Sunti avec un sourire satisfait. Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire de notre soirée pour qu’ils soient dégoûtés de nous en entendre parler ? »
Ils réfléchirent un moment en silence avant de se regarder avec la même expression de jubilation sur le visage. Ce soir, ils allaient faire la fête pour bien en faire profiter leurs collègues lorsqu’ils se reverraient au travail !
Lorsqu’il fallut se lever le lundi matin, Sunti regretta amèrement leur idée. Il avait un affreux mal de tête et sa langue s’était transformée en un vieux bout de carton tout desséché.
Il réussit tant bien que mal à se préparer et lorsqu’il sortit de chez lui et tomba nez à nez avec Max qui apportait café et collation, il remercia le ciel d’avoir un tel ami.
« Rappelle-moi pourquoi on a fait une telle chose ? demanda Sunti alors qu’ils marchaient vers la pâtisserie.
— Parce qu’on est assez vieux pour vouloir être respecté, mais visiblement pas assez pour réfléchir avant d’agir.
— Hm, c’est bien ce qui me semblait. »
Ils étaient presque arrivés lorsque la pluie commença à tomber. Comme tous les autres passants, ils se mirent à courir, mais à cause du déluge, Sunti ne voyait pas très bien ce qu’il se passait devant lui. Alors, lorsqu’il se sentit heurter quelqu’un, il se tourna machinalement pour s’excuser.
Les mots restèrent coincés dans sa gorge quand, à travers la pluie, il reconnut l’homme qu’il venait de percuter.
Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vu ? Dix ans environ.
Sunti savait qui se tenait en face de lui et lorsqu’il remarqua le visage désolé se fermer brusquement pour ne plus exprimer que de la colère, il comprit qu’il l’avait également reconnu. Sunti ouvrit la bouche dans l’espoir de renouer le contact, mais l’autre homme ne semblait pas être de cet avis et tourna les talons pour poursuivre son chemin.
Sa première réaction fut de lui courir après, sauf que Max lui attrapa le bras pour l’en empêcher.
« Qu’est-ce que tu fais ? » S’énerva Sunti sans se tourner vers son ami.
Il ne voulait pas le lâcher des yeux de peur de le perdre dans la foule. Ce qu’il adviendrait inévitablement s’il ne pouvait pas le suivre.
« Je te connais suffisamment pour comprendre qui est cet homme, répliqua Max. Et je ne pense pas que le poursuivre soit une très bonne idée.
— Et qu’est-ce que tu en sais ? Surtout que si je le laisse partir je n’aurai aucune chance de le revoir.
— Ne t’inquiète pas pour ça, tu vas le revoir très souvent.
— Comment tu peux en être si sûr ? l’interrogea Sunti avec lassitude après avoir perdu son homme du regard.
— Je le sais, parce qu’il avait un badge autour du cou avec le logo de l’agence de voyages Horizon. Leur équipe vient manger tous les mardi et jeudi midi dans le restaurant qui se trouve à côté de notre pâtisserie. Ils ont donc l’habitude de venir prendre leur dessert et leur café chez nous. »
Surpris qu’il en sache autant sur l’agence de voyages, il ne chercha même pas à comprendre comment Max pouvait être au courant pour son ancien petit ami.
Ils reprirent leur chemin d’un pas tranquille. Plus la peine de courir, ils étaient déjà trempés.
Le week-end de Forest s’était déroulé calmement. Il avait profité de ces deux jours pour revoir son trajet de l’appartement jusqu’à son lieu de travail ou encore commencer à regarder les annonces pour un futur logement.
Avec son ancien boulot, il avait réussi à économiser pas mal d’argent, en particulier sur les dernières années. S’il avait commencé à travailler pour des entreprises thaïlandaises, Forest s’était vite émancipé pour se tourner vers les concurrents européens ou américains. Avec eux, il avait touché le gros lot. La valeur monétaire des pays occidentaux était supérieure à celle du bath.
Ça ne signifiait pas pour autant qu’il était riche. Cependant, il avait suffisamment bien géré son argent pour s’assurer le confort aujourd’hui.
Il se regarda une dernière fois dans la glace de l’entrée avant de quitter l’appartement pour se rendre à son travail.
C’était son premier jour et il mentirait s’il disait ne pas être nerveux.
Forest était parti en avance pour prédire tout retard. Néanmoins, jamais il n’aurait pu imaginer ce qui allait produire par la suite.
Qu’on lui dise qu’il serait trempé jusqu’aux os, pourquoi pas. Qu’il se heurterait à quelqu’un, passe encore. Mais que la personne en question serait la même que celle qui l’avait quitté dix ans plus tôt... ça, certainement pas.
Il ne l’avait pas reconnu tout de suite. Il faut avouer qu’avec la pluie qui tombait à verse, il était difficile de bien voir.
Assis dans la salle de pause, essayant de sécher, du mieux qu’il le pouvait, ses vêtements imbibés d’eau, Forest le revit ouvrir la bouche pour lui parler. Sauf qu’il n’avait pas eu envie d’engager une quelconque discussion avec lui.
Alors, il s’était détourné. Il avait fui dans un certain sens.
Son regard se posa sur la tasse de café fumante que sa chef lui avait apportée et sans qu’il ne puisse s’en empêcher, il laissa son esprit se glisser dans des souvenirs lointains.
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