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tome 1, Chapitre 13 « Le passé se fuit, l'avenir se dessine » tome 1, Chapitre 13

Le convoi qui transportait le cirque s'était arrêté pour la pause de la demi-journée. Gisèle était restée dans le véhicule des pirates urbains, attendant leur retour du déjeuner. Ils rentrèrent enfin et lui donnèrent un paquet sentant bon la viande fumée. Fébrile, la jeune femme l'ouvrit et mangea sans un mot. Toujours silencieux, l'un des antipodes monta l'échelle menant aux dortoirs aménagés, tandis que l'autre s'installait dans la cabine du conducteur.

"La route est mauvaise, fais attention aux trous." cria celui qui avait grimpé à l'étage.

"Bien sûr que oui !" ronchonna le second, en refermant une porte vitrée derrière lui.

Encore une fois seule, Gisèle finit de manger en se demandant si ses acolytes ne l'avaient pas oublié. Mal à l'aise, elle se leva et alla cogner sur la vitre qui la séparait du conducteur.

"Excusez-moi, nous sommes où là ?"

"Nous sommes sur la route du Sud, ce soir nous atteindrons l'avant-poste Moira." dit-il en cherchant ses clefs.

"Je ne sais pas où cela se situe..."

Il soupira et sortit une carte qu'il lui tendit brusquement.

"Nous sommes où dessus ?" demanda-t-elle mal assurée, n'osant prendre le papier.

"Vous êtes ici..."

Gisèle réfléchit, faisant fi de l'air blasé du pirate urbain.

"Mais vous savez au moins où vous devez aller ?" demanda celui-ci.

"Quelque part par là..." dit-elle en montrant un point au milieu d'une zone colorée en vert.

"Mais... On s'éloigne, là ! On ne traverse pas la forêt !" dit-il, en suivant de son doigt une ligne.

Gisèle fit des yeux ronds, tandis que sur son front perlait déjà une sueur glacée.

"Comment je vais faire !" hurla-t-elle.

"Silence ! " intima l'antipode en posant un doigt sur sa bouche.

Gisèle eut soudainement envie de pleurer en voyant son plan s'effondrer devant ses yeux. Elle ne pouvait que s'en vouloir. Elle n'avait pas précisé sa destination qui était au cœur des bois. Elle aurait bien dû se douter que des véhicules ne passeraient pas par une zone si dangereuse.

"Personne ne va par là, il n'y a pas d'avant-poste et c'est en pleine cambrousse. Y a juste un chemin menant à la grotte du sacrifié."

"Où est ce chemin ?" demanda-t-elle, précipitamment.

"A une dizaine de kilomètres peut-être. Mais à pied c'est suicidaire..."

"J'ai une pierre philosophale."

"Quoi ! J'étais sûr que vous alliez m'apporter des ennuis ! Vous l'avez pas volé au moins cette pierre ?"

Une casserole tinta dehors, mettant fin à leur discussion.

"Je dois démarrer. Si vous partez, il faut sortir maintenant."

Il actionna la clef de contact et le moteur vrombit.

Gisèle recula et s'avachit sur le lit, un sanglot vibrant du fond de sa gorge. Elle devait offrir une piteuse vision: jeune femme perdue sur ce lit trop grand. C'était l'image même d'une naufragée sur un radeau de soie et de bois vernis. Elle ne pouvait pas continuer le voyage avec eux: qui sait quand serait leur prochaine escale ? Cela risquait de l'éloigner encore plus de son objectif. Pourtant, elle hésitait à partir. La peur lui étreignait le cœur à l'idée d'aller seule dans la forêt. Elle se souvenait de ces histoires horribles, colportées par les mercenaires et les agents royaux. Leurs récits décrivaient des scènes d'horreur qu'elle imaginait parfaitement. De se sacrifier, elle n'en avait cure, mais devenir une proie pour les prédateurs lui serrait la gorge de terreur. Une telle mort était un déshonneur. Personne ne la retrouverait, personne ne la pleurerait.

La porte d'entrée s'ouvrit alors avec fracas. Une jeune femme pénétra dans le camion, intimant au conducteur l'ordre de ne pas rouler. Il était trop tard pour se cacher, Gisèle resta donc figée sur le lit comme une statue, retenant sa respiration. Elle reconnut la jeune femme à qui elle avait demandé son chemin.

"Bonjour." dit-elle en s'approchant de Gisèle.

"Je vous en prie, ne dites rien de ma présence à qui que ce soit."

"Je ne suis pas là pour vous dénoncer, n'ayez crainte."

"Je ne sais pas ce qu'elle fait là, je te le jure !" tenta l'antipode qui conduisait.

"Ça va ! Je te savais roublard et profiteur, n'ajoute pas à ce portrait peu flatteur le qualificatif de menteur !" déclara la nouvelle arrivante.

Instinctivement Gisèle se calma. La voix de la femme lui apparut sincère et sa physionomie sympathique. Elle sentait qu'elle n'avait rien à craindre d'elle. Son visage si ouvert et épanoui lui offrait comme un repos dans cette mer d’inquiétude. La femme s'assit sur le rebord du lit et lui tendit la main.

"Je m'appelle Désirée, et vous ?"

Un peu interloquée par la poignée de main proposée, Gisèle la regarda longuement avant de la saisir. Lorsque leurs paumes se touchèrent, elle sentit son cœur défaillir. C'est pourtant l'inconnue qui sembla se réveiller d'une nuit agitée. Instinctivement, Gisèle recula, mais il était trop tard. La nouvelle arrivante avait obtenu ce qu'elle voulait : la raison de sa venue.

Les yeux grands ouverts, Désirée déclama d'une voix précipitée :

"J'étais sûre... Tu es une égarée... Surtout ne fais pas ça... Ton père ne serait pas fier. Tu n'es pas seule..."

Horrifiée par les vérités que Désirée débitait précipitamment, Gisèle sortit en trombe du camion.

" Reste avec nous !"

La fille du sacrifié percuta un homme en pourpoint rouge et sans même se retourner, plongea dans l'obscurité de la forêt. Il entendit seulement des pleurs, étouffés petit à petit par les fourrés bordant la route.

"Gisèle !" cria la médium.

A son tour, elle était sortie en furie et faillit tomber, les effets de sa vision la bouleversant encore. Elle voulut poursuivre la fille du sacrifié mais celle-ci avait déjà disparu. A seulement quelques pas des premiers arbres, Désirée s'arrêta. Elle n'osait s'engager à sa suite. Ce fut comme si un mur invisible, celui de la peur, l'avait arrêté dans son élan.

L'homme en pourpoint qui avait assisté à toute la scène, posa une main sur l'épaule de la sibylle, l'attirant en arrière. Elle se retourna subitement et hurla :

"Il faut l'empêcher de se tuer ! Sa mort causera notre perte !"

"Mais qu'est-ce qui se passe ?"

Elle se jeta dans les bras de l'homme qui à défaut de comprendre percevait bien l'importance à accorder aux propos de Désirée.

"Calme-toi, Daisy, et dis-moi tout ce que tu as vu."

Il la raccompagna vers le camion, mais celle-ci jetait des regards terrifiés autour d'elle. Il la força presque à s'asseoir sur le marchepied du véhicule. Désirée releva la tête, l'horreur se reflétant toujours sur son visage.

"Cette fille, elle va se faire tuer et sa mort entraînera la nôtre..."

"Qui est-elle ?"

"Elle est la fille du sacrifié."

"Quoi ? En es-tu sûre ?"

Elle acquiesça, déglutissant péniblement comme si l'air venait à lui manquer.

Le directeur du cirque s'agenouilla à ses côtés, mortifié. Il savait qu'elle disait la vérité car la médium, malgré ses visions floues qui s'effaçaient comme on oublie ses rêves au réveil, était d'une qualité rare. Cependant, il ne pouvait pas envoyer ses hommes ratisser l'immense forêt à la recherche d'une jeune femme qu'il ne connaissait pas. Il ne se rappelait que d'un visage où la peur était présente. Il ne pouvait pourtant pas la laisser filer comme cela. Tout en s'avouant dépassé par l'affaire, il réfléchit à un moyen de la retrouver sans pour autant mettre en danger ses employés.

"Daisy, ça va aller ?"

"Oui, je crois..."

Il lui sourit tristement en prenant sa main dans la sienne. Il n'avait pas peur du pouvoir de la jeune femme. Il faisait partie de la vie de Désirée, ce qui l'empêchait de deviner son futur. Voir le devenir des inconnus mais non le sien ou celui des êtres aimés: voilà la malédiction des oracles. C'était mieux ainsi. Pour elle comme pour lui.

"Tu me dis que la jeune fille est l'enfant du sacrifié ? Alors Bartholomé devrait pouvoir nous aider." dit-il.

Désirée acquiesça, épuisée.

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Bartholomé n'en revenait pas. Lui, qui fuyait son passé, le voyait surgir avec énergie et ce, au milieu de nulle part. Il pensait semer ses souvenirs dans ce voyage perpétuel qu'imposait la vie du cirque, mais qu'importe là où il allait, la mémoire lui revenait. Ses actes le suivaient comme une ombre et les kilomètres parcourus sur terre ou dans les airs ne suffisaient pas à les distancer.

"Tu dois nous aider !" avait déclaré le directeur du cirque, encore tout essoufflé de sa course.

Ayant accompagné le père de Gisèle jusqu'à la mort, Bartholomé se devait de sauver sa fille. Si auparavant il obéissait à sa propre colère, cette fois, il accomplissait seulement ce que sa conscience lui dictait. Il se sentit donc obligé d'accomplir ce que le directeur lui demandait. Le nephilim l'écouta attentivement. La mission lui semblait hasardeuse et dangereuse, mais sans hésiter, il s'envola en direction de la capitale. Retrouver une personne dans la forêt n'était pas chose aisée, car la cime des arbres l'empêchait de planer à ras du sol. Il pouvait tout au plus survoler la forêt en l'appelant.

Répondrait-elle seulement ? Après tout, elle s'était enfuie. Gisèle avait beau le connaître, il y avait peu de chance pour qu'elle lui signale sa présence.

La meilleure chose qu'il pouvait faire était de prévenir les agents du Roi.

"Judith est peut-être déjà à sa recherche." se dit-il en battant de ses larges ailes, guidé par la lueur qui baignait l'horizon. La capitale brillait tel un phare. Il fuyait depuis trop longtemps cette lumière, ainsi que sa mémoire. Désormais, il n'avait plus d'autre choix que de lui faire face.

NOTE DE L'AUTEUR:

8/13 chapitres

Merci à ceux qui me sont fidèles.


Texte publié par Roselyre, 28 mars 2015 à 21h05
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