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tome 1, Chapitre 12 « Homonculus circus » tome 1, Chapitre 12

L'Homonculus Circus était un cirque célèbre dans tout le Doublon. Il l'était surtout pour son numéro d'acrobatie réalisé par les homoncules, êtres sans âme créés par les alchimistes. Ces golems de chair, n'ayant pas de conscience, obéissent à leur créateur comme des machines. Leur apprendre des petits tours est chose aisée, mais en coordonner une dizaine relève plus de l’orfèvrerie que du simple domptage d'animaux sauvages. Voilà pourquoi ce numéro attirait autant de spectateurs.

L'alchimiste, qui était aussi le directeur de cette troupe, tenait du génie pour embaucher des personnes talentueuses, étoffant ainsi l'affiche de noms prestigieux. En lisant l'un d'eux, Gisèle regretta d'avoir eu pareille idée. Hésitant à s'en aller car éreintée, elle resta devant l'entrée de la foire qui encerclait le chapiteau. L'immense tente se démontait déjà et elle ne croisa que de rares visiteurs aux visages ravis. Les vendeurs ambulants rangeaient les marchandises, leurs figures quant à elles épuisées. Elle longea ainsi un camion servant de caisse pour le cirque et tourna pour se retrouver dans une allée vide. Elle fit face à un panneau indiquant le plan de la fête foraine. Au centre, le chapiteau; à gauche, les attractions foraines dont le carrousel à pédales et le cinéma; du côté droit, tout ce qui était en lien avec le commerce des pirates urbains, en plus d'un restaurant à ciel ouvert. Encore en robe de soirée et le visage dévasté par les larmes, la jeune femme attirait l'attention. Elle se hâta donc d'un pas mal assuré vers l'allée de droite.

Avant d’atterrir ici, Gisèle avait pris le temps de rentrer au palais pour y récupérer quelques affaires. C'est donc les mains alourdies d'une valise, qu'elle observait les bannières ornant chacun des stands. Un peu effrayée par ce silence et ce vide qui caractérisait la fin de journée pour ces saltimbanques, elle se retourna vivement lorsqu'une jeune femme sortit d'une petite toile de tente. L'inconnue héla Gisèle :

"Bonsoir, vous cherchez quelque chose ?"

Elle sursauta, mais devant l'air aimable de cette femme, tenta de répondre calmement :

"Je cherche un pirate urbain."

"C'est juste en face de vous."

"Merci."

Elle se dirigea vers le camion que lui avait indiqué la jeune femme. Les boutiques étaient au rez-de-chaussée des bus à deux étages disposés de manière à former une barrière entre les allées et le chapiteau. Sur le ponton disposé comme une estrade, plus aucun objet n'était exposé. Tout prêtait à croire que la boutique était fermée, mais Gisèle entendit des bruits de rangement provenant de l'intérieur. Elle cogna à la porte puis n'ayant aucune réponse, la poussa. Elle voulait tellement fuir l'allée qu'elle en oublia la politesse.

Elle fit alors face à un capharnaüm que deux personnes tentaient d'organiser.

"Ça tiendra jamais ! Tu étais obligé d'acheter ce lit ?"

"Et toi, tu pouvais pas le vendre !"

Tout en se lançant des reproches, les antipodes poussèrent ce fameux lit contre la taule du véhicule recouverte d'une épaisse mousse rose.

"Excusez-moi... J'aimerais vous demander un service."

"On est fermé !" crièrent en chœur les deux pirates urbains.

"Vous faites quoi ici ? Tu as encore oublié de mettre la pancarte "fermée", toi !" continua l'un.

"J'ai vraiment besoin de vous." insista-t-elle.

"Et pourquoi, donc ?" demandèrent-ils à l'unisson.

Ils savaient mieux que quiconque que ce genre de phrase annonçait de bonnes affaires ou au contraire des mauvaises histoires. Visiblement, l’appât du gain était plus fort que la prudence.

"Je vous donne tout ce que j'ai pour voyager avec vous."

"On est pas un transport de personnes."

"C'est juste pour se rapprocher un peu plus du lieu où je dois aller."

"Et où devez-vous allez ?"

Elle ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Elle ne devait le dire à personne, et surtout pas à deux antipodes qu'elle connaissait seulement depuis quelques secondes.

"Ecoutez, j'ai vraiment besoin de vous pour aller jusqu'à la forêt de Mantras." mentit-elle.

Ils se regardèrent tous deux. Un seul se retourna vers elle et lui demanda :

"Vous avez quoi à offrir ?"

Gisèle s'empressa d'ouvrir son sac et en sortit une tenue elfique du plus grand effet.

"C'est brodé d'or." crut-elle bon de rajouter devant l'air effaré des antipodes.

"C'est une tenue de facture royale..." dit l'un d'eux en touchant du bout des doigts le tissu.

"Nous sommes des pirates urbains, pas des voleurs." continua-t-il.

Du vert bleuté de leur peau à l'état naturel, ils en étaient devenus livides. Gisèle perdait aussi ses couleurs. Elle espérait vraiment que cette robe serait son passeport à bord du cirque. Mais au vu de leurs yeux écarquillés, elle n'avait fait que les effrayer.

"As-tu autre chose ?" tenta l'autre.

Elle regarda désespérément dans son sac. La robe était la seule chose qui avait une réelle valeur. Elle avait aussi apporté un vieux miroir à main que son père lui avait donné. Il ne valait rien, mais Gisèle l'avait pris par simple nostalgie. Ce cadeau était le seul souvenir qu'elle possédait de lui. Lorsqu'elle le sortit pour fouiller le fond du sac, les antipodes s'en approchèrent. En voyant leurs regards intéressés, elle comprit. Gisèle le leur tendit à contrecœur.

"On le prend, mais ce n'est pas assez." dit l'un, tandis que l'autre regardait sous tous les angles la nouvelle acquisition.

Cela lui fit mal de voir ce souvenir disparaître dans la manche d'un inconnu, mais le prix le plus juste, n'est-il pas celui qui fait ressentir son manque ? Elle sortit alors une petite boîte en bois de rose finement gravée. Il s'agissait quant à celle-ci, du dernier souvenir de sa mère.

"Nous prenons aussi, mais ceci n'est toujours pas suffisant. Tu comprends, on va devoir te cacher et te nourrir." argumenta l'autre en lorgnant sur la mallette.

Gisèle le lui tendit, un peu exaspérée. Délestée de tous ses biens, elle se tordit les mains en lorgnant le bout de ses chaussures. Pour là où elle partait, elle n'avait besoin de rien d'autre que de son courage. En avait-elle seulement ?

"Très bien, tu peux rester, mais surtout ne sors pas."

"Tu peux dormir sur ce superbe..."

"Et encombrant..."

"Lit à baldaquin." finit l'antipode en regardant son collègue d'un air mauvais.

C'est ainsi que Gisèle réussit à s'embarquer à bord d'un camion de l'Homonculus Circus.

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De fins et pâles rayons de lumière perçaient au travers les rideaux. Ceux-ci, comme tout le reste du mobilier, ballottaient légèrement comme un bateau en pleine mer. Gisèle était réveillée depuis longtemps, mais elle restait allongée, sentant les secousses au plus profond de son être. Les yeux grands ouverts et le visage impassible, elle repensait au regard plein de haine que le prince lui avait lancé. Cela avait fini par la convaincre de la nécessité de son départ.

Aucun avenir ne lui était possible ici, ni avec lui, ni avec elle-même. Tout le désir que le prince éprouvait pour elle avait subitement disparu, au seul bruit de ce coup de tonnerre. Elle pensa alors qu'il ne pouvait s'empêcher, malgré sa bonne volonté, de la haïr pour ce qu'elle était : une humaine. De par le fait qu'elle n'était pas une créature, l'amour d'Azerin était une absurdité. Elle ne blâmait nullement le prince, mais détestait sa propre stupidité. Comment avait-elle cru qu'un prince puisse l'aimer, elle, pauvre orpheline ? Elle n'avait pourtant plus l'âge de croire aux contes de fées.

Si elle n'avait plus d'avenir ici, fallait-il pour autant se sacrifier ? Quelque part en elle, elle se soupçonnait de ne pas saisir la totale portée de cet acte. Elle se surprenait à penser que mourir était juste, qu'importe la cause.

Une vérité émergeait dans son esprit avec plus de clarté à ce moment qu'auparavant : elle voulait se suicider. Elle quittait déjà la vie avec cette inertie qui caractérisait son attitude depuis un an. Elle se comportait comme un cadavre, se laissant voguer au gré des vents. Elle ne se débattait pas par manque de courage, mais ne coulait pas par manque de volonté.

Comprendre cela en si peu de temps ne bouleversa en rien Gisèle. La vérité avait toujours été présente à son esprit, elle n'avait fait que se libérer du voile de sa propre hypocrisie. Elle était déjà résignée à se sacrifier, bien avant que cet inconnu ne lui parle. Il lui offrait juste un noble dessein par lequel réaliser sa volonté.

Elle ne pleura pas, soulagée d'avoir enfin une mission à réussir. Elle était prête mourir autant pour les créatures que pour faire cesser cette torture d'une vie sans joie.

Pendant ce temps-là dans les obscurités mordorées du palais royal, Roselyre était allongée sur son lit à baldaquin. Les mains jointes dont la blancheur contrastait avec la couverture cramoisie et ses cheveux éparpillés sur l'oreiller sombre, la princesse attendait son frère. Azerin pénétra dans la pièce par une porte qui se confondait avec le lambris, accompagné d'un elfe à la peau striée de veines bleutées.

"Voilà donc la royale patiente..." déclama le vieil elfe d'un ton enjoué, malgré la gravité de la situation.

La tragédie avait été évitée de peu. La princesse se releva, malgré les injonctions de son frère. Elle sourit au vieux médecin.

"Ce n'est qu'une entaille superficielle. C'est étrange qu'il vous ait loupé de si près." observa-t-il alors qu'il relevait la chemise de nuit de Roselyre pour examiner le bandage qui lui sanglait la poitrine.

"C'est que je n'étais pas celle qu'il voulait assassiner."

"Quoi ?" intervint le prince.

Le médecin, assez fin pour se sentir de trop, ne resta pas plus longtemps et s'éloigna. Après une révérence, il s'en alla dans un froissement d'étoffe azure et sortit par la porte dérobée.

"J'étais près du Darkomai Rubedo, et c'était lui qui était visé par cette attaque."

Le prince était si abasourdi qu'il s'assit à côté de sa sœur.

"Pourtant, ses mots... Je pensais qu'ils nous étaient destinés."

"Nous avons nos propres ennemis, mais ce soir ce n'étaient pas eux. C'était le sorcier qu'il insultait de traître... Ces ingrats veulent se venger d'être condamné à vivre ici."

Il soupira, ses yeux cachés par une main tremblant un peu.

"Cette soirée était un véritable fiasco..." lâcha-t-il finalement.

"Pas pour tout le monde apparemment. Je t'ai vu danser avec Gisèle."

Azerin se leva, sa dignité piquée.

"Ce n'est pas le moment de parler de cela. Quand je pense que tu as dit à père que je l'aimais. Je ne veux plus rien te confier."

Elle sourit et lui répondit :

"Tu ne dois pas vraiment m'en vouloir pour me le reprocher que maintenant."

"J'en veux plus à moi qu'à toi. Je l'ai regardé comme si elle était la terroriste. Je pensais tellement que c'était un acte des humanistes..."

"Et alors ? Est-elle coupable de ne pas être une créature ? Certains elfes sont mauvais, mais d'autres sont bons : tous les deux lèveront le doigt si l'on leur demande "êtes-vous des créatures ?"

"Je me sens parfois bête comparé à ma si jeune sœur." plaisanta-t-il tristement.

"Lui as-tu avoué tes sentiments ?"

"Pas clairement... Je n'ai pas eu le temps de tout lui dire."

Il semblait si mal à l'aise par les questions du cœur, que sa sœur le plaignit:

"Tu n'as jamais été fort pour ce genre de chose, pourtant il n'y a rien de compliqué à lui dire que tu l'aimes."

Il la regarda comme sur le point de lui dire un secret. Il hésitait à lui dévoiler les raisons de son malaise, mais la prudence gagna et sa bouche resta close. Sa sœur ne fut pas dupe et lui demanda :

"Y a-t-il quelque chose qui t'empêche de lui dire ?"

"La vérité..."

Il se leva, fuyant autant le regard de sa sœur que ses questions.

"Dis-le lui."

"Tu ne comprends pas!" s'énerva-t-il. "Si je lui dis la vérité, jamais elle ne me pardonnera."

"Tu ne sais pas."

"Je te laisse te reposer..." finit-il par dire.

Soudain il s'arrêta, se retournant pour avouer à sa sœur la moitié de ses pensées :

"Je déteste l'aimer, car cela me rappelle à quel point je suis mauvais. J'aimerais tellement m'arracher le cœur, mais mes pensées sont esclaves de Gisèle. Et je ne peux m'empêcher de penser que l'aimer, c'est trahir ce que j'ai été. L'aimer, c'est aller contre tout ce à quoi je croyais il y a seulement quelques mois."

"Mais les choses ont changé !"

"Oui, mais on efface pas une haine de plusieurs siècles en seulement un an. Je dois d'abord changer et là je pourrai l'aimer plus sereinement. J'étais mon seul allié et voilà que je suis devenu mon pire ennemi."

"Attention, frère, à trop attendre, tu ne le verras plus comme tu la vois maintenant. Le temps passe beaucoup plus vite pour elle que pour toi. Ne la prive pas de ton amour parce que tu as peur."

Il baissa les yeux: il était l'aîné, mais sa sœur était plus douée que lui dans les choses du cœur.

"Elle est une guerre contre moi-même." finit-il par murmurer.

"Veux-tu seulement engager le combat ?"

"L'amour que j'ai pour elle est plus grand que la peur. Tant pis si je perds la bataille, cela sera ma punition pour ce que je lui ai fait." dit-il, en levant les yeux, déterminé.

"Ce que tu lui as fait ?"

"Ne me demande pas. Je ne te le dirai jamais."

"Cela me va du moment que tu le lui dis, à elle."

"Décidément ta sagesse m'est précieuse." dit-il pour remercier sa sœur de ses conseils.

"Écoute-moi encore un peu avant de t'en aller. Va la retrouver pour te faire pardonner."

Il était prêt à allait présenter ses excuses à Gisèle quand la grande porte s'ouvrit à la volée. Le roi, père fatigué et monarque désenchanté, laissa échapper ces quelques mots qui glacèrent d'effroi le prince.

"Gisèle a disparu..."

NOTE D'AUTEUR :

Pour mon absence prolongée, voici deux chapitres.

Il est trop dur pour moi de garder un rythme identique, alors je ne dis rien quant à la date du prochain chapitre.

Merci à ceux qui suivent !


Texte publié par Roselyre, 14 mars 2015 à 21h52
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