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tome 1, Chapitre 11 « Univers mort-né » tome 1, Chapitre 11

Dans la cathédrale, l'orchestre jouait les plus belles symphonies tandis qu'une constellation de couleur tourbillonnait au rythme des mélodies. Les robes des femmes virevoltaient au son des valses, toute en souplesse et en grâce, contrastant avec la rigidité de leurs cavaliers. Gisèle et Azerin tournaient sur eux-mêmes, ajoutant un système à la galaxie des danseurs. Pour eux, comme pour tous les autres, seul importait son partenaire.

"Appréciez-vous d'être ici ?" demanda le prince.

"Oui... Je suis toujours surprise de voir surgir un crocoeur d'un coin d'ombre, ou un nephilim atterrir. Je n'aime pas la façon dont vous traiter les homonculus, mais c'est votre manière de vivre et je la respecte. Je l'apprécie."

Elle continua, offrant son profil délicieux à la contemplation du prince.

"J'ai appris le protocole, les coutumes, l'Histoire, et je crois même avoir l'audace de penser vous connaître. A vrai dire, j'ai encore du mal à m'imaginer que les humains ignoraient tout de votre monde..."

"Ils ne nous ignoraient pas, mais refusaient de croire en notre existence. Nous n'étions que des souvenirs, des légendes. Et votre monde, vous manque-t-il ?" demanda le prince, observant les cils de Gisèle qui s'abaissaient régulièrement sur ses yeux brillants.

Son visage de nouveau pivota vers lui.

"Parfois, je me sens comme une exilée, parfois je me sens aussi isolée."

"J'essaye, je veux dire la famille royale, essayons de rendre votre exil le plus agréable."

"Mais il est agréable ! Comprenez-moi bien que jamais je n'aie été aussi bien traité de toute ma vie. Cette robe, cette soirée, vous-même... Tout semble sortir d'un rêve. J'ai du mal à réaliser que c'est réel."

La main du prince se fit plus pressante, attirant le corps de Gisèle vers le sien.

"Tout est si merveilleux, mais je n'arrive pas à me sentir comme chez moi. Je suis vraiment égoïste... désolé... Je devrais être reconnaissante, mais je ne trouve qu'à me plaindre."

Azerin retira sa main pour la poser sur le visage de la jeune femme. Elle arrêta immédiatement de danser : ce simple geste lui avait donné le vertige. Gisèle en oublia même qu'elle se trouvait au milieu d'une foule et les battements de son cœur couvrirent la musique. Ces doigts sur sa peau étaient brûlants malgré le gant.

"Ce monde, je vous l'offre. Soyez-en la princesse." murmura Azerin à son oreille.

Elle le regarda, interdite. En plongeant son regard dans le sien, elle comprit qu'elle ne s'était pas fourvoyée quant au sens qu'il fallait donner à ces paroles. Il était bel et bien en train de lui avouer qu'il l'aimait.

Élaguant sa conscience de toutes les questions qui la tourmentait, il la libérait d'une simple formule. Sans le savoir, il venait de la sauver. Gisèle était pour la première fois heureuse, vivant le moment présent sans ployer sous le poids du passé. Un an était insuffisant pour oublier mais un instant état largement assez pour aimer.

Ses projets avaient été détruits par le sacrifice de son père et quelque part dans son cœur, elle lui en voulait de l'avoir entraîné dans une telle histoire. Puis le remords, le regret de ne plus jamais le revoir, adoucissait sa colère. Elle avait dû faire le deuil de son père en même temps que de son avenir. Elle avait pourtant choisi de s'embarquer pour le Doublon, ultime vestige de son père, car plus rien ne la raccrochait à l'Original. Il n'est pourtant pas facile de quitter un univers, pour réapprendre à vivre dans un autre si différent. Faire des études, vivre une vie normale, lui apparaissait auparavant bien fade, en comparaison de sa vie à présent. Pourtant, elle était prête à donner très cher pour retrouver ses repères. Son innocence était morte, emportée par son père, tout comme ses projets.

Azerin venait de bouleverser ses pensées en un geste et quelques paroles. Il lui faisait de nouveau croire qu'un avenir autre que la mort lui était permis. Un futur avec lui voilà ce qu'il lui offrait. Il lui avait esquissé en une phrase non pas une galaxie, mais un univers où eux seuls tournoieraient jusqu'à la véritable nuit .

Un coup de tonnerre retentit dans la salle, arrachant des mauvaises notes à l'orchestre dont les musiciens fuyaient déjà par les loges. Un instant auparavant encore enlacés, les couples se divisèrent. Des danseurs effarés s’amassèrent aux sorties. De l'harmonie et de l'élégance de la soirée, il n'en restait que des créatures à aux bouches tordues par la terreur et au bras tendus pour écarter les plus lents. Le prince repoussa Gisèle et fendit la foule effrayée. Les fuyards n'oubliant pas le protocole se poussèrent pour le laisser passer. Gisèle le suivit, mais elle fut vite distancée. Que s'était-il passé pour qu'en un instant, toute la joie de la soirée se soit brisée ?

Enfin, un spectacle terrible s'offrit à Gisèle. Devant ses yeux catastrophés se déroulait une scène dont elle peinait à déterminer les conséquences, tellement celles-ci semblaient graves.

Roselyre, la fille du roi, se relevait à grande peine. Aidée par son frère, le prince, elle se tenait la poitrine d'une main ensanglantée. Cependant, des gardes royaux retenaient un forcené, tandis que l'on ramassait un pistolet à ses pieds. Celui-ci s'époumonait et les quelques mots qu'il lança dévastèrent Gisèle.

"Les traîtres doivent être punis ! C'est avec leur sang que l'on doit abreuver les trous noirs qui dévorent les innocents. Le sang s'efface avec le même sang !"

Bientôt il fut bâillonné, mais le venin de ces paroles se propageait déjà dans l'esprit de la jeune femme. Gisèle n'avait plus qu'une idée en tête, entreprendre le même voyage que son père. Pour que cesse la souffrance et que disparaisse à jamais les trous noirs qui peu à peu dévoraient le dernier cadeau de son père. Pour que s'arrête toute cette folie. Sous le regard étonné de Judith et celui accusateur du prince, elle se mit à courir dans cette cathédrale vidée de sa musique, de ses danseurs, et de l'espoir qu'elle avait suscité.

L'univers était mort-né.

Dans sa course, elle fut arrêtée par un bras impérieux. Le visage baigné de larmes, elle ne reconnut pas l'elfe qui venait de la forcer à s'arrêter dans ce qui lui semblait être son propre sépulcre. Puis elle se rappela: il s'agissait de l'inconnu du jardin.

"Vous savez ce qu'il vous reste à faire, Gisèle."

Elle brandit la pierre philosophale, folle de colère et de tristesse :

"Arrêtez de me tourmenter, je vais obéir à vos désirs !" hurla-t-elle, des larmes débordant de ses yeux.

"Qui vous a donné cette pierre ?" demanda l'elfe, étonné.

"Mais c'est l'une des nombreuses personnes qui souhaitent me voir rejoindre mon père !" déclama-t-elle tragiquement, avant de s'arracher à son étreinte.

Peu lui importait ce qu'il pouvait lui dire, elle n'avait qu'une envie, fuir le théâtre de sa désillusion. Il ne la retint pas. Il vit à ses yeux qu'elle était prête à tout pour sauver le Doublon, y compris à se suicider.

"Le sang s'efface avec le même sang..." murmura-t-il, alors que d'autres gardes accouraient vers la royale blessée.


Texte publié par Roselyre, 1er mars 2015 à 11h28
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