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tome 1, Chapitre 10 « Thé glacé et pied de chaise » tome 1, Chapitre 10

Sur le parvis encerclé de barrières, une petite foule riait, discutait et dansait. Des tables étaient disposées pour ceux voulant se reposer, et Elias en avait bien besoin. Il avait salué et serré des mains par centaine aujourd'hui. Son humeur taciturne le poussait normalement à fuir ce genre de représentation, mais son métier l'obligeait à y être présent. Il sirotait donc son thé glacé en solitaire, dans un des rares coins déserts. Son air morne contrastait avec la joie des alentours et son costume sombre tranchait avec les atours colorées des invités. Décidément, Il dénotait dans le décor et personne n'osait l'approcher, de peur de se voir contaminer par son ennui.

C'est à ces pensées moroses qu'Elias s'abandonnait lorsqu'une une jeune femme s'avança vers lui. Il ne l'avait pas remarqué, pourtant ils étaient nombreux à se retourner sur son passage. Elle s'assit à côté d'Elias et lui fit un clin d’œil. Son espace vital ainsi violé, il la regarda un instant et retourna à sa boisson, maussade. Il releva brusquement la tête, peinant à reconnaître Judith. La jeune femme portait une robe fourreau violette et parsemée de sequins qui contrastait avec sa peau bronzée. Sa carrure sportive parfaitement soulignée, elle était resplendissante.

"Vous ne m'aviez pas reconnu !" s'amusa Judith en remettant une mèche dans son chignon.

"Je n'ai pas l'habitude de vous voir ainsi accoutré." dit-il en luttant pour ne pas plonger dans son décolleté.

"Vous comprendrez aisément que ce genre d'accoutrement, comme vous dites si bien, n'est pas pratique pour le travail que je fais."

"Pourtant, les criminels et autres brigands se jetteraient à vos genoux pour implorer votre pardon."

Elle rit à gorge déployée.

"Alors vous êtes venu." demanda-t-il pour lancer la discussion et éloigner le sentiment de malaise qui le gagnait.

"C'était un ordre, non ?"

"Vous avez bien fait, mais ne comptez pas dessus pour avoir des heures supplémentaires."

Elle haussa les épaules et lui avoua :

"A vrai dire, je suis aussi là pour Gisèle. Pour savoir comment elle va."

"Elle à l'air d'aller bien, je l'ai aperçu en train de danser avec le prince."

"Oh..." laissa-t-elle échapper, presque attristée. "Et moi qui pensez la voir pleurer."

"Vous êtes déçue qu'elle soit heureuse ?" plaisanta Elias.

"Non... Non pas du tout." essaya-t-elle de se convaincre. "Après tout, un an c'est déjà long pour un deuil."

"Pour vous c'est suffisant ?"

"Ce n'était pas mon père." esquiva Judith.

"C'était votre monde."

"Je suis partie de mon plein gré, malgré vos nombreuses objections."

"C'était de mon devoir de vous prévenir du danger que vous encourriez."

"Vous voulez mon avis, y a pas plus de danger ici qu'ailleurs. Et vous ?"

"Quoi, moi ?" demanda-t-il, étonné.

"Vous vous habituez à vivre ici. Vous supportez vos nouvelles fonctions ?"

"Ma foi, oui. J'étais chef d'une milice privée, désormais royale. Vous voulez mon avis à moi ?"

"Allez-y."

"Rien n'a changé." dit-il, plus sérieusement qu'il ne l'aurait souhaité.

Elle le regarda étrangement, émue et amusée.

"Je vous ai toujours connu comme ça : pragmatique et froid..."

"Je ne suis pas froid, juste réservé." se sentit-il obligé de préciser.

"C'est vrai, vous auriez été froid, vous ne m'auriez pas fait découvrir tout ça."

"J'aurais alors préféré être froid, je vous aurais éviter beaucoup de soucis."

"Vous plaisantez ? Bien sûr, j'ai des regrets, de l'amertume, de la souffrance en moi, mais je ne regrette absolument rien. Toutes ces épreuves, cela fait la richesse d'une vie. Et puis, vous savez, tout a commencé quand cette méchante grand-mère a voulu me manger !"

Judith faisait référence à cette nuit où tout son petit monde avait basculé vers un autre univers : celui des créatures. Son patron était le seul au courant de l'accident qui l'avait fait découvrir la société qui vivait sous ces pieds.

Les crocoeurs sont des vrais chasseurs et lorsqu'ils vieillissent, il arrive parfois qu'atteint de folie, ils s'en prennent aux humains de manière irréfléchie. C'est ce qui était arrivée à Judith, lorsqu'une vieille femme lui avait demandé de monter ses courses. Une fois chez elle, la porte soigneusement cadenassée, la crocoeure avait tenté de la dévorer. Judith n'était pourtant pas femme à se laisser manger aussi facilement. Elle lui avait donc transpercé la gorge avec un pied de chaise.

Le fait d'avoir abattu quelqu'un plongea Judith dans le désarroi et ce n'était que le début. L'abîme d'incompréhension se creusa encore un peu plus lorsqu'elle comprit que la personne qui gisait à ses pieds n'était pas humaine. Elle venait de tuer quelqu'un qui avait des crocs de fauves et des yeux rouges sang.

Elias avait été là pour la rassurer et accessoirement couvrir le corps d'un drap. Loin de lui cacher la vérité, il lui avait pourtant dit d'oublier tout de cette nuit. Judith en avait été incapable, et par d'habiles manigances, avait fini par percer à jour le grand secret. Sachant pour les créatures, elle épousa leur cause avec un zèle et un courage tel, qu'elle choisit de vivre avec elles. C'est ainsi que débuta ce que Judith appelait sa seconde vie.

A cette allusion, l'homme rit. C'était la première fois qu'elle l'entendait rire et cet éclat sonna franc, le rendant séduisant. Il n'était pas un bel homme, assurément, mais ils avaient vécu tellement d'épreuves ensemble. Elle avait pour lui une sorte de sympathie teinté de sentiment d'amour pur et sans désir. Il était bien plus qu'un patron pour Judith et s'ils se parlaient rarement en-dehors du travail, elle le considérait comme un ami. Elle ne devait sa survie qu'à elle-même, mais il avait été toujours là pour l'écouter et ce depuis cette nuit, où le monde des créatures lui avait littéralement sauté à la gorge.

"Je n'imagine pas ma vie autrement que celle que j'ai aujourd'hui." dit-elle. "Il y a ici ce qui n'existait plus dans l'Original : la liberté. Je veux dire la vraie. C'est un monde nouveau ou chacun peut choisir ce qu'il veut devenir."

A ces mots, Elias pensa à une chose terrible. Que serait devenu Judith si elle était restée dans l'Original ? Aurait-elle fini comme Yathzee : folle de chagrin et incomprise ? Cette idée le déculpabilisa quelque peu, il avait bien fait de lui dire la vérité sur eux.

Il ne sut pas comment traduire ces pensées alors il garda le silence. Il aurait été trop dur pour lui de dire qu'il était fier d'elle. Cette difficulté était dû à une sorte de jalousie. Il aurait tellement voulu être à la place de Judith pour vivre ces événements historiques, dont elle ne semblait même pas percevoir l'importance. Cette simplicité d'être, cette candeur courageuse, la magnifiait aux yeux d'Elias.

"Vous êtes exceptionnelle." se força-t-il à lui dire, submergé par toutes ces pensées.

"Vous avez bu ?" demanda-t-elle, étonnée.

Ils rirent tout deux et Elias se trouva bien idiot de se laisser surprendre par la nostalgie, sentiment imposé par le motif de la soirée.

"Au sacrifié !" Dit-il finalement en levant son verre de thé glacé.


Texte publié par Roselyre, 21 février 2015 à 12h59
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