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tome 1, Chapitre 9 « Le bal des condamnés » tome 1, Chapitre 9

Toutes les tours, pointes et gargouilles de la cathédrale s'étaient habillées de lumières flamboyantes. Le monument cultuel qui servait de salle de bal pour la célébration du sacrifice, resplendissait d'une beauté fantastique.

Du haut d'un toit dominant le parvis, Gisèle regardait la foule s'amasser aux immenses portes de bois sculpté. Le discours avait déjà été prononcé et contre toute attente, elle n'avait pas pleuré. La jeune femme avait même troqué son habituel regard triste pour un air digne et grave. En vérité, elle entendait sans écouter, comme elle voyait sans regarder les gens se pousser pour aller danser. Gisèle n'avait aucune envie de les rejoindre, car son esprit était prisonnier de cette seule pensée :

"Dois-je me sacrifier ?"

Bien sûr, l'inconnu n'avait nullement employé le terme « sacrifice », mais elle l'avait deviné au travers ses paroles. Depuis que ce mystérieux elfe lui avait parlé, elle était perpétuellement préoccupée par ses mots. Pourtant, la nuit était belle et les gens heureux, mais Gisèle semblait comme loin d'eux. Elle doutait.

"Est-ce que ces personnes en valent vraiment la peine, papa ? Ils ont l'air si insouciants autour de moi. Pourtant, je n'ignore pas les conflits qui gangrènent leur société. Ces schismes entre eux les poussent à s’entre-tuer, à se voler... Sont-ils meilleurs que les humains comme ils le prétendent tous ?"

Entre les humanistes qui prônaient le retour à l'Original et les indépendantistes qui voulaient faire cesser l'hégémonie des elfes, le royaume lui semblait aussi fragile qu'un château de carte en plein courant d'air. Tout lui parut à l'instant si vieux, si historique, qu'elle en fut profondément découragée. Leur civilisation vivait ses premiers pas mais elle semblait déjà s'essouffler. A croire que lors de l'exode, ils avaient emmené leurs problèmes comme une saleté tenace, les poussant inévitablement vers la crise.

L'absurdité de la situation dans laquelle Gisèle se trouvait, la faisait sombrer dans une inertie et un défaitisme qui la poussait au dépérissement. Devait-elle vivre pour voir le monde mourir, ou devait-elle mourir pour sauver ce même monde ? La facilité avec laquelle elle s'imaginait disparaître lui fit peur mais cette hypocrite frayeur cessa bien vite. En réalité, elle devait se l'avouer, sa propre mort lui était indifférente. N'était-elle pas déjà entrain de se suicider en fuyant le bonheur ? Elle avait peu à peu abandonnée la vie et cette idée de sacrifice lui était apparu comme un moyen plus noble de partir.

Perdue dans le dédale de son esprit, elle n'entendit pas l'orchestre jouer ses premières notes.

"Gisèle..."

Cette voix, sortie d'outre tombe, lui fit faire volte face.

"Je n'ai pas voulu vous effrayer. Je dois vous entretenir d'un important sujet."

L'homme en face d'elle était un crocoeur qu'elle ne connaissait pas. Il fit une révérence royale et cela la gêna : aucun sang noble ne coulait dans ses veines.

"Vous voulez me parler ?"

"Oui. Ou plutôt j'ai une chose à vous donner."

L'homme sortit une pierre étincelante et la lui tendit. Elle était si belle que Gisèle ne put en détacher son regard.

"Je vous l'offre."

Devant l'insistance de la créature habillée d'or et d'argent, elle saisit le joyau du bout des doigts.

"Pourquoi ? Qui êtes-vous ?"

"J'ai aussi été chargé de vous donner une lettre."

Il lui tendit un parchemin enroulé et scellé. Elle le prit sans hésiter. Le crocoeur renouvela sa révérence puis la quitta, sans pour autant avoir répondu à ses questions. Elle voulait le retenir mais il descendait déjà l'escalier d'un pas pressé. Elle ouvrit alors la lettre, espérant y trouver des réponses.

" Gisèle,

L’œuvre de votre père est en danger. Seul celui qui a crée peut briser ce qui a été crée. Pour cela, allez à la grotte où le sacrifié, feu votre père, nous a ouvert le chemin.

La pierre vous protégera durant ce voyage.

Nous croyons en vous ! N'en parlez à personne."

Le papier se désagrégea subitement, se transformant en poussière qui s'égrenait déjà au gré du vent. Elle le lâcha et les restes s'envolèrent comme des étincelles dans une nuit sans étoile. Ne lui restait plus que la pierre entre les doigts.

Elle fut d'abord déboussolée. Il s'agissait du second homme à lui parler d'un projet en rapport avec son père. Leurs initiatives, indépendantes l'une de l'autre, se ressemblaient pourtant. Si l'un voulait débarrasser le doublon de la menace des trous noirs, l'autre voulait libérer ceux qu'il appelait "les opprimés". Dans les deux cas, il s'agissait des créatures. Toujours et encore.

"Ont-il tant besoin que cela d'un héros ! En ais-je seulement la carrure !" se demanda-t-elle profondément troublée.

Des bruits de pas la sortirent de sa rêverie.

" Bonsoir, prince."

Azerin était magnifique dans son costume de parade.

"Vous êtes très maigre." remarqua-t-il, sur un ton de reproche.

Cette entrée en matière l'a surprit. Elle ne sut pas quoi répondre. Face à ce silence, il s'approcha d'elle et contempla la vue. Le prince regardait avec déni les gens qui s'amusaient en contre bas.

"Vous ne descendez pas ?" demanda-t-il pour engager la discussion.

"Je n'ai pas envie de danser."

Gisèle jouait négligemment avec la pierre qui luisait et accrocha un rayon de lumière. Lorsque le prince la vit, il lui demandant durement :

"C'est une pierre philosophale ! Qui vous l'a donné ?"

"C'est un admirateur..." bredouilla-t-elle en cachant subitement la pierre dans son corsage.

"Gisèle ?"

Son prénom prononcé par Azerin l'a fit rougir.

"Est-ce que cet « admirateur » a des raisons de craindre pour votre sécurité ?" continua le prince, inquisiteur.

"Bien sûr que non, c'est juste un cadeau d'un quelconque seigneur."

Elle détourna le regard pour cacher sa gêne. Azerin en profita pour l'admirer à la dérobée. Elle ressemblait tellement à une proie prise au piège. Le regret lui fit baiser la tête. Sa pureté lui brûlait les yeux et il était incapable de la regarder sans ressentir de la culpabilité. Il voulait tellement plaisanter avec elle, lui apparaître comme un galant homme, mais cette même culpabilité annihilait toute volonté de lui plaire. Il se punissait en s'interdisant de la toucher. C'était sa condamnation pour avoir ruiné sa vie.

En lui brûlait la colère et le regret, ces feux alimentant ceux de la passion. Pourtant, rien ne transparaissait dans son attitude. Il était le seul témoin de la bataille qui se déroulait en son for intérieur. Tandis qu'il combattait le brasier de son cœur, son visage restait parfaitement froid.

Un silence s'installa entre eux. Gisèle rêvassait alors que le prince luttait pour ne pas lui avouer ses sentiments :

"Dites-moi, prince, avez-vous beaucoup voyagé ?"

"J'ai toujours profité des opportunités qui s'offrait à moi pour visiter le monde."

"J'aimerais voyager aussi."

"Et qu'aimeriez-vous visiter ?"

Lorsqu'elle aborda le sujet, elle n'avait pas pensé que sa réponse risquait de blesser le prince. Elle se sentit bête et bredouilla :

"J'aimerais aller quelque part en particulier mais je ne suis pas sûre que cela vous plaise."

"Dites-le moi quand même."

"J'aimerais beaucoup voir la maison de Carmen."

Le prince sourit.

"Vous pensiez me mettre en colère ?"

"Oui..."

"J'ai fini par pardonner à mon père. C'est un bel endroit assurément. Proche de la grotte du sacrifice." finit-il, hésitant.

"Oui. J'aimerais aussi y retourner. Vous savez, c'est étrange mais mon père m'avez offert une poupée quand j'étais petite. Je l'avais appelé Carmen."

Le prince se retourna vivement, étrangement curieux :

"Quel âge aviez-vous ?"

"Je... Je ne sais plus..." marmonna-t-elle, surprise de cet intérêt.

Le prince changea de sujet pour ne pas paraître suspect :

"Et quel autre endroit aimeriez-vous visiter ?"

"Oh ! Il y a tellement d'endroits que j'aimerais voir avant de..."

Elle se tut subitement.

"Avant de mourir ? Vous avez le temps !" plaisanta Azerin.

Gisèle eut un regret en pensant que son temps lui était désormais compté. Le prince eut, quant à lui, le cœur serré en comprenant que la vie de la femme qu'il aimait été un soupir comparé à la sienne.

"Merci." souffla-t-elle.

"Pourquoi ?"

"Pour être si gentil avec moi. J'ai toujours pensé que vous me détestiez."

"Vous vous trompez... Je ne vous hais pas."

"Bien au contraire." avait-il envie d'ajouter.

Gisèle se redressa subitement. Elle semblait avoir regagné un peu de bonne humeur en la présence du prince.

"J'ai envie de danser finalement. Descendons, voulez-vous ?" demanda-t-elle.

" Après tout, c'est le bal de mon père... Et peut-être bientôt le mien. Amusons-nous comme s'il s'agissait de ma dernière soirée. " pensa la jeune femme.

Le prince lui tendit le bras et tout deux descendirent l'escalier menant à la cathédrale.


Texte publié par Roselyre, 16 février 2015 à 11h00
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