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Yathzee était une femme originale : autant pour son look agressif que pour sa faculté à se mettre dans le pétrin. Il semblait qu'elle pourchassait les monstres autant pour l'argent que pour le plaisir, mais Judith n'était pas dupe. Une telle capacité à se mettre en danger relevait plus du suicide que du courage.

"T'es pas entrain de dévaster un autre quartier ?" demanda Judith à la nouvelle arrivante.

"Non, c'est jour de paie, donc ce soir c'est beuverie jusqu'à la fin de la nuit. Et comme ici la nuit est éternelle, je ne te dis pas dans quel état je vais me mettre."

Elle rafla le verre de Judith et le finit d'une traite.

"Tu sais que je t'aime pas, alors pourquoi venir ? Je veux dire, à part pour finir mon verre..."

"Pourquoi tu ne m'aimes pas ?" demanda Yathzee, en faisant la moue.

Ses lèvres rouge écarlate et ses cheveux décolorés lui donnaient un air de clown triste.

"La raison première est que tu es dingue."

"On retrouve bien le ton consensuel des agents royaux." ricana la mercenaire.

Judith se redressa vivement et pointa un doigt menaçant vers la femme. Celle-ci ne parut pas surprise, son regard torve ne cachant rien de son état d'ébriété.

"Ecoute, on est pas amie, alors casse-toi ! Voilà qui est moins consensuel !"

"Je vous l'accorde très cher ! Mais je ne peux accéder à votre requête, milady."

Le dos de Judith se courba sous l'exaspération. Le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se débarrasser de Yathzee étaient de courir dans les rues et ce, jusqu'au moment où la mercenaire se mettent à dormir dans le caniveau ou y vomisse toute l'alcool ingurgité. Judith était de si mauvaise humeur ce soir, qu'elle ne voulait pas faire le marathon dans la capitale pour se débarrasser de ce parasite. Alors elle s'abandonna sur sa chaise et rit doucement.

"Quand on a un problème, encore faut-il avoir la volonté de le résoudre..." pensa-t-elle, philosophe.

"Et puis tu sais quoi, va te faire foutre..." dit-elle tout simplement à Yahtzee.

Yathzee leva son verre pour trinquer à cette phrase mais se rendant compte qu'il était vide, héla une serveuse. Une fois servie, elle se rapprocha de Judith.

"Quelque chose ne va pas, vas-y dis-le moi."

"J'ai rien à dire. Enfin, j'ai rien à te dire."

"C'est secret ?"

"Oui et non, peut-être, va voir ailleurs si j'y suis."

" Tu sais pourquoi je ne t'ai jamais éclaté la tête sur la table ? " demanda Yathzee, le plus amicalement du monde.

" Parce que je suis jolie ? " minauda Judith.

" Non, toi, je ne te drague pas. Tu es comme on dit " mahrimé ". En fait si je te causes, C'est parce que tu me ressemble. "

" Attend deux secondes, je m'éclate la tête toute seule. En plus ça fait deux fois qu'on me le dit. Où sont ces foutus trous noirs quand on en a besoin !" hurla-t-elle en regardant autour d'elle.

" Tu es là colère, le regret, la douleur incarnée." déclama solennellement la mercenaire, en regardant un point au loin comme perdue dans ses pensées.

" Tu es comme moi, tu caches ça derrière ta stupidité... " continua-t-elle.

" Merci ! "

" On est du même monde toute les deux. Je veux pas parler de l'Original, mais au vient du même milieu. On semble heureuse pour les autres, mais ces abrutis n'ont jamais rien compris. Il ne comprennent pas qu'on voit la vérité. On a tellement souffert que nos yeux se sont ouverts. Le problème est que devant ce qui nous a été révélé, on ne sait pas comment se comporter. Alors on regrette presque d'être capable de voir, parce qu'on n'a pas la volonté de changer. Tu veux que je te dises, on est prisonnière. On sait que les ombres sur les murs ne sont que des silhouettes dans cette putain de grotte, mais on pas envie d'en sortir. Mais tu sais, on est pareille mais différente un peu. "

" Me voilà rassurée... " fut la seule chose que Judith trouva à dire devant la tirade de l'excentrique.

" Toi tu te morfonds alors que moi j'avance. " Maintenant que vous avez des yeux, vous vous en allez " comme dit le proverbe. "

Judith la regardait sans rien dire. Elle luttait contre l'envie d'arracher le plateau des mains de la serveuse pour assommer Yathzee. Au pire des cas elle lui fracasserait sa propre chaise sur le crâne. Cette idée la rassura assez pour qu'elle continua d'écouter :

" Je vais te raconter mon histoire. Tout a commencé avec ça. "

Elle pointa du doigt une balafre qui fendait la moitié de son visage.

"C'était un jour comme les autres. Je me souviens, je nettoyais le lavabo en attendant que les mioches rentrent de l'école. Je me suis regardé dans la glace et j'ai compris tout ce que je viens de te dire. J'ai pris la première chose que j'ai trouvé. C'était un ciseau. Je l'ai ouvert et je me suis arraché le visage avec. J'ai vu ce que j'étais vraiment en dessous de ce putain de masque : une personne qui se mourrait à force de faire taire ses envies. Voilà, ceci était mon histoire." conclut-elle simplement.

"T'as pas trouvé mieux à faire que de te défigurer ? Et tu as des enfants ?" intervint Judith, complètement ahurie.

"Non."

« Non a quoi ? T'as pas d'enfant ? Tu me perds là... » jura la jeune femme.

Yathzee prit la main de Judith, terrifiant cette dernière. Elle la secoua avant de s'en aller comme si de rien n'était. L'agent royal la regarda partir, paralysée de stupeur. Elle chercha à comprendre ce qui venait de lui arriver mais abandonna vite cette idée.

La serveuse vint finalement la voir :

"Elle vous a raconté quelle version ?" demanda-t-elle, curieuse.

"Pardon ?"

"Pour sa cicatrice, elle a bien parlé de ça, non ? Parce qu'elle invente une histoire à chaque fois. Par exemple elle a dit à ce type là-bas que c'était son premier dragon, à ce gars, elle a dit que c'était son mari... J'en passe des pires et des meilleures !"

"Bien sûr que c'est des conneries !" se força à répondre Judith, en craignant sincèrement que

la mercenaire lui avait dit la vérité.