Enfin, ils aperçurent le bureau de l'Agence Royale. L'immeuble, haut et coincé entre deux autres plus imposants, semblait quelque peu étriqué. La façade travaillée par l'ajout de mosaïque ainsi que la porte finement ouvragée prouvait tout de même l'aisance des premiers habitants. Judith poussa la lourde porte, activant une clochette qui annonça leur présence. Immédiatement, un jeune crocoeure vint à eux. Elle les salua et leur présenta d'un geste l'escalier en colimaçon :
"Monsieur Garivani est occupé, mais vous pouvez patienter dans le couloir."
"Très bien, Jyzabel." répondit Rackham en posa ses affaires au travers des bras de la secrétaire.
Judith retint un éclat de rire en voyant la jeune stagiaire faire autant d'effort pour se voir si mal traitée. Ils montèrent les marches, d'un pas léger quoique légèrement excité par l'annonce que leur patron devait leur faire.
"Le suspens est à son comble !" murmura Rackham.
"Mais que va-t-il nous annoncer ?" surjoua la jeune femme.
Ils rirent tous deux, mais leur bonhomie fut de courte durée en voyant la personne qui attendait devant la porte.
"Bonjour !" salua une jeune fille d'une vingtaine d'années. Elle se leva de son siège et vint à leur rencontre, l'étoffe de sa large jupe sifflant à ses mouvements.
"Je suppose que ton maître est là." prononça Judith d'un ton peu engageant.
"Comment vas-tu, Caroline ? Darkomai Ignis est-il bon avec toi ?" intervint l'elfe.
Il voulait cacher aux yeux de la jeune fille, la malaise qui se lisait sur la physionomie de Judith.
"Il est intransigeant, mais je me débrouille de mieux en mieux." répondit Caroline, ravie de parler de son maître.
"Pour preuve !" continua-t-elle en remontant sa manche.
Elle montra sa main, fit jouer ses doigts et tourna son poignet dans un geste élégant. Un fil de lumière violet et brillant, comme un arc électrique, se créa entre son pouce et son index.
"C'est peu, mais compte tenu du fait que je ne suis pas censé le faire, c'est déjà beaucoup, n'est-ce pas ?" soupira-t-elle, éprouvée par son petit tour de magie.
L'elfe, étonné, acquiesça. La jeune fille était une illusionniste et non pas une élémentaliste. Qu'elle puisse ne serait-ce que réaliser ce qu'elle venait de faire était déjà la preuve d'une grande force. Peu de magiciens, même adultes, la possédaient.
"Ignis doit être fier."
"Je l'espère..." rougit Caroline.
"Dis-moi, pourquoi ton maître est là ?" demanda Rackham d'un ton faussement badin.
"Mon maître n'est pas très bavard." répondit-elle en haussant les épaules.
Ils n'eurent pas longtemps à attendre pour avoir une réponse, car la porte du bureau s'ouvrit. Le magicien Ignis Rubedo en sortit et ne fut nullement surpris de voir la petite assemblée devant lui. Il était d'une petite stature et ses cheveux flamboyants contrastaient avec sa robe cintrée d'un violet foncé.
"Caroline, nous partons immédiatement. Attends-moi en bas."
L'élève hocha la tête et descendit l'escalier en saluant Rackham et Judith.
"La pierre philosophale que je t'ai donnée, protège-t-elle encore ta maison, Judith ?" demanda le magicien d'un ton impassible.
"Tu sais que je ne suis pas ravie de te voir, alors tu commences par signaler que je te dois beaucoup. C'est malin, mais cela ne marche pas avec moi. Pourquoi es-tu là ?" questionna durement la jeune femme.
"Je ne comprends toujours pas la colère que tu nourris envers moi depuis tout ce temps."
"Un an n'est pas suffisant pour faire "tout ce temps". En tout cas, pas pour moi."
"C'est déjà beaucoup, surtout pour toi."
Elle n'apprécia guère l'allusion au fait que son espérance de vie était moindre que celle des créatures.
"On oublie pas en un an les choses que j'ai vues, Ignis."
Elle se passait du protocole, ne l'appelant jamais par son titre. Ils partageaient trop de souvenirs pour qu'elle s'abaisse à lui jouer du "Darkomai" et autres titres pompeux.
"Ne gaspille pas ce précieux cadeau qu'est la vie en haine stérile."
"En tout cas, bravo pour les progrès de Caroline. Quand vas-tu te décider à la tuer ?" explosa Judith.
Les mots étaient si durs que Rackham crut bon d'intervenir :
"Judith, un peu de respect..."
Le visage du magicien resta neutre, mais sa voix trahit une pointe de colère, mêlée à du regret.
"Jamais je ne la tuerai pour absorber ses pouvoirs. Elle me rappelle trop ce que j'ai fait. Elle est... En quelque sorte ma rédemption."
Sur ces mots, il descendit à son tour.
Désormais seule avec Rackham, Judith fixa la porte entrouverte. Elias Garivani, le patron de cette agence de détectives royales, avait sans aucun doute entendu les propos de chacun. Il aurait pu intervenir pour mettre fin à ces échanges houleux, mais il s'en était abstenu. Il invita à rentrer ses deux employés qu'une fois le silence revenu dans le couloir cossu.
"Darkomai Rubedo était là pour les trous noirs ?" demanda Rackham sans autre préambule.
Elias ne s'en formalisa pas. Il lui répondit même par l'affirmative.
"On en parle dans la presse ce matin, je suppose que vous avez lu."
"Moi non, mais lui oui." soupira Judith, contrariée par la rencontre avec Ignis, et par le crédit que son patron octroyait à cette feuille de chou.
"Rackham, voilà le dossier pour vous." dit Elias en pointant du doigt une pochette sur le bureau.
"Et moi ?" demanda Judith, en voyant qu'il n'y avait qu'un seul dossier.
"Pour vous, j'ai une autre mission."
"Eh bien, partenaire, bonne chance." fanfaronna la jeune femme, ravie d'échapper à la paperasse.
"Vous irez à la célébration du sacrifié."
Rackham se mordit la lèvre pour ne pas rire, tandis que le visage de la jeune femme fondait sous l'effet de l'exaspération.
"Avant que vous protestiez, laissez-moi vous dire que la mission qui vous est confiée est d'une importance capitale."
"Comme manger des petits fours et draguer tout ce qui bouge ?" proposa ironiquement Judith.
"Même si les deux sont innées chez vous, la réponse est non. Il s'agit de montrer à l'assistance qu'ici-bas, tout va pour le mieux. Accessoirement, vous surveillerez les fauteurs de troubles. Le roi ne veut aucune fausse note."
"En clair, je suis la potiche."
"En clair, c'est cela."
Elias se rassit en déplaçant avec élégance ses longs membres décharnés, ce qui signalait la fin de cette entrevue.
"A samedi prochain, Judith." déclara-t-il.
"J'ai hâte d'y être ! »
" Voilà qui est plaisant à entendre !"
" Pour que toute cette mascarade se termine au plus vite..." pesta la jeune femme en s'en allant.
"Remarque, je préfère que ce soit toi que moi !" lui lança Rackham.
Elias n'entendit qu'un râle, preuve que la plaisanterie n'était guère du goût de la jeune femme.
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