Le train glissa sur le pont menant à la cité, enjambant un large fleuve. La ville reflétait ses lumières à la surface ridée par les aller et venus des bateaux à voiles. Parfois, le dos rond d'un Léviathan perçait l'eau et accrochait l'éclat d'un projecteur ou d'un phare.
" Me revoilà en Enfer... "
Judith angoissait à l'idée de marcher dans ces rues étroites et sombres, où le parfum des fleurs se mélangeait à celui de la pourriture. Cette profusion de vie, proche de l'implosion, finissait par l'horripiler.
"Trop de bruit et trop de personnes qui me connaissent... Je vais mourir étouffer." pensa-t-elle, au bord de la crise de panique.
Enfin, le train s'arrêta et une marée de créatures débarquèrent. Les deux collègues sortirent de la gare, se suivant de près pour ne pas se perdre. Aux abords du bâtiment à l'imposante toiture de verre, un crieur leur tendit le journal contre quelques pièces. Rackham le paya et lut l'article en première page.
" L'apparition de trous noirs désormais confirmée : deux autres disparitions aux abords de la capitale, la panique commence ! " déclama Rackham, d'une voix sombre.
Judith ne l'écoutait pas: elle faisait attention à ne pas se faire écraser par les carrioles qui roulaient sur la route défoncée. Un sombre destrier aux naseaux fumants venait justement de la frôler d'un peu trop près.
" Satanée bestiole ! " dit-elle en dressant son poing vers la bête qui s'éloignait déjà, tractant son fardeau dans une cacophonie de sabots.
"Ceci est une des raisons pour laquelle je n'ai pas envie de vivre ici !" dit-elle en pointant du doigt l'animal.
"On les chevauchait pour vous protéger. " philosopha Rackham, qui en avait profité pour rattraper la jeune femme.
"Je comprends mieux pourquoi le Grand Alchimiste les a enfermés ici !" conclut-elle.
Ils traversèrent la route rapidement. Judith parvint la première de l'autre côté et se faufila entre un groupe d'antipodes. L'elfe eut plus de mal à passer entre les bras musclés tombant jusqu'aux genoux de ces badauds hors norme.
"As-tu seulement entendu ce que j'ai lu ? " s'exaspéra l'elfe.
"Une sombre histoire de trou..." plaisanta nerveusement Judith, en esquivant de justesse un elfe qui se disputait avec sa femme.
Ils suivaient désormais une ruelle sinueuse qui montait en une pente légère mais constante.
"Les trous noirs sont réels !" s'exclama Rackham, en tendant en l'air le journal.
La rue déserte, Judith pouvait enfin souffler :
"Bon sang ! Passe encore "La gazette du Nouveau Monde", mais lire " Les égarés du Doublon ", alors ça non ! Tu devrais avoir honte de lire pareille immondice ! "
" Ce journal est le seul sur lequel le roi n'a pas la mainmise... C'est un gage d'impartialité ! "
" Impartial peut-être, stupide sûrement ! Tu ne penses pas qu'on serait déjà au courant, nous, agents de la royauté."
"Le gouvernement cache des choses..." murmura Rackham.
" Et c'est parti pour la théorie du complot !" ironisa Judith.
"S'il cache quelque chose, il ne le ferait pas à nous. Surtout pas à moi." finit-elle par dire plus sérieusement.
Ils débouchèrent sur un boulevard où se tenait un petit marché qui venait de s'éveiller. Changeant complètement de sujet, Judith lui demanda :
"Crois-tu qu'il y a un pirate urbain par ici ?"
"N'oublie pas que l'on a rendez-vous..." remarqua Rackham.
Ainsi rappelée à ses obligations, la jeune femme acquiesça, sans cesser d'observer les étals. Dans le ciel sombre, déchiré de violet et où traînaient quelques filaments orange, des nephilims volaient librement. L'un d'eux, armé d'un mégaphone, invitait la foule à se rendre à "L'Homonculus Circus " pour une représentation spéciale en l'honneur du Sacrifié. Il précisa ensuite les dates de la tournée et les lieux où le cirque s'arrêterait.
"J'espère qu'ils passeront près de chez moi !" s'exclama Judith, retrouvant pendant un instant l'insouciance de l'enfance.
Elle ramassa un tract qu'un nephilim balançait tandis qu'un autre effectuait des démonstrations d'agilité dans les airs.
Traversant de nouveau une artère et son mouvement assourdissant, Judith et Rackham remontèrent une ruelle à l'allure misérable. Ils étaient essoufflés et profitèrent de passer devant un appartement croulant sous ses propres décombres, pour s'arrêter. Les dégâts semblaient avoir été causés par un dragon d'une taille plus que respectable. Un pan entier du mur gisait au sol, déblayé par un groupe d'antipodes.
Judith les héla :
" Celui qui a chassé ce dragon ne doit plus être de ce monde, non ?"
"Il devait être énorme pour faire autant de casse." intervint Rackham, lui-même étonné de l'ampleur de la destruction.
"Non m'sieur m'dame. Il était pas si gros que ça. C'est Yathzee qui l'a chassé." répondit deux des ouvriers.
Judith serra les poings, comme personnellement insultée. Elle oublia encore une fois sa peur viscérale de la ville et marcha d'un pas ragaillardi par la colère.
"Cette vieille folle va détruire tout le centre-ville !" persifla la jeune femme.
"Parfois, elle me fait penser à toi..." plaisanta Rackham.
Elle se tourna vers l'elfe avec un regard si noir qu'il s'arrêta.
"Je n'ai rien à voir avec cette tête brûlée à moitié fêlée !"
"C'est ce que je disais... Elle te ressemble." lança doucement son collègue, en dépassant la jeune femme.
Ils descendaient désormais un escalier de taule bringuebalant, surplombant un profond fossé carré. Des machines de constructions y gisaient, leurs carcasses de ferrailles y rouillant depuis longtemps. Les marches débouchèrent finalement sur une venelle au sol inégal. Si les travaux étaient finis de l'autre côté du reflet, il n'en était rien dans le Doublon. La ruelle qui ressemblait à une tranchée, rendue encore plus étroite par les palissades dressées des deux côtés, conférait à l'endroit une allure de chantier abandonné. Il n'était pas dans les priorités du Roi de finir les travaux de l'Original, le plus important étant d'assurer la survie de ses sujets.
"Pour en revenir aux trous noirs... Cela expliquerait pourquoi le Doublon est identique à l'original. Ces trous noirs sont peut-être ces mises à jour dont parlait Ignis Rubedo." tenta Rackham.
"Ce n'est qu'une supposition de ce grand nigaud." se permit Judith, rassurée de s'approcher de la fin de ce coupe-gorge.
En effet, personne n'était capable d'expliquer scientifiquement, ou magiquement d'ailleurs, cet étrange phénomène dont le constat était pourtant simple : tout ce qui était construit dans l'Original semblait s'être construit ici aussi. Il existait donc un alignement entre les deux mondes, mais jusqu’où allait-il et comment fonctionnait-il ? Cela restait un mystère.
"Il s'agit peut-être du sujet de notre prochaine mission." continua-t-il.
"C'est toi le cerveau. Et tu es tellement intelligent que tu as résolu l'affaire avant même d'avoir le dossier entre les mains. Bravo !"
"Ce n'est pas la cause du problème le plus important, mais comment le résoudre. Et malheureusement, je n'ai pas encore la solution." conclut sombrement Rackham.
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