5. POESIES
Le Supplice Est Terré Sur La Plage De Sète
(Un jour où le f haine avait souillé de fleurs la tombe de Georges Brassens)
Les fleurs que tu avais posées sur le rebord
De la couche de Georges en un cimetière marin
Ont dû faire frémir bien des copains d'abord
Avant que de faire fuir même la pisse des chiens
Pour ne pas qu'elles fleurissent la pluie se met en deuil
Et le poète couché se retient de goûter
À ces racines brunes qui souillent le cercueil
Sur la plage de Sète le supplice est terré
Avouez femmes et hommes vibrant d'humanité
Qu'il serait bien dommage que pour les protéger
Les tombes d'Aragon, de Brel et de Ferré
De fils barbelés soient alors entourées
Aux fachos de tout crin ou de Drieu les dévots
Aux imbéciles heureux d'être nés par ici
Il faut dire sans relâche qu'à tout prendre mieux vaut
Mauvaise réputation que conscience salie
Niez les génocides appelez-les détails
Allez pousser vos chants de trieurs de races
Avec qui vous plaira menez donc vos batailles
Mais de nos parapluies n'encombrez pas la place.
Escales
Les feuilles mortes répondent plus à l’appel
Elles glissent en un curieux strip-tease
Les musiques suaves d’amours occasionnelles
Les déshabillent sans que rien ne m’attise.
La pluie efface les cyprès
Au loin titubent les après
Les pendants suintent en goutte à gouttes
Faut que j’te r’trouve coûte que coûte.
Je farfouille sous perfusion
Alcool, volutes et confusion
Mes pèlerinages jouent à vide-bouteilles
Ton cœur caché sous quelle treille ?
Chapeaux difformes, têtes à claques
Les enfants trépassent dans les flaques
Je n’ai de toi que quelques frusques
Glissés d’un porte-manteaux en adieu brusque
Des hachoirs sourdent en effeuillage
D’autres amours cramponnées aux passages
Amas de flammes léchant les départs
Et les doigts coupés qui se séparent
J’examine ton visage blotti sous les goulots
Sur le comptoir les verres valsent en ronds
Le barman range les heures en rouleaux
On partira quand nos rêves s’assècheront
En attendant, au quai des gares
Le même train s’essouffle et s’impatiente
Les rails débordent tant les regards
Qu’ils semblent par-delà nos mains tremblantes
J’entends le parfum de danses espagnoles
Déposant sur la vitre des rythmes andalous
Le contrôleur en passant poinçonne une autre gnôle
Jusqu’où résonnent les entrechats à nos corps jaloux ?
Dans ce compartiment on est nombreux, peut-être…
Princes désargentés, matelots, pirates,
Ivrognes sans bannières qui peuvent tout se permettre
La noblesse du cœur sous les tâches de picrate
Nous nous endormirons bordés de nos délices
Lorsque plus tard, saoulé à bout portant
Je n’aurais toujours pas, noires et blanches accrochées, la notice
A portée de ta peau mon archet frissonnant.
En Marche !
Le monde marche sans halte ni repos
Indifférent aux bonheurs, aux misères
Et l’homme dépassé s’accroche à son dos
Tel Sisyphe fourbu collé à sa pierre
Le monde avance, le troisième millénaire
Le 21ème siècle, l’an 2001
Après l’obscurantisme enfin la lumière
Le bien-être de tous est le bien-être de l’un
Mais la nuit regarde les humeurs qui la lassent
Et recommence sans cesse les marées de la fête
Le troisième millénaire, et toujours aux mêmes places
Celui qui commande, celui qui baisse la tête
Le monde n’est pas immobile ; tu dois encore le suivre
Tant pis pour les questions et tant pis pour le doute
Tourne, tourne l’espoir qui lentement t’enivre
Le mouvement est inscrit devant toi sur la route
Collègue, voisin, ami, frère ou simple être humain
Sont restés loin derrière sur le bas à côté
Avec toi courent docilement les rivaux et les chiens
La discipline concurrentielle remplaçant l’amitié
Chacun a son dossard, chacun son étiquette
Il faut être compté parmi ceux qui vont vite
Jouer des coudes et tirer des liquettes
Admettre le règlement comme on admet un rite
Combien de tours de piste à poursuivre tes chimères ?
Y a-t-il seulement une ligne d’arrivée ?
Et combien d’abandon, combien dans la poussière ?
Ne pose pas de questions : savoir c’est le danger
La tension se mesure en volt
La solitude en pleurs séchés
L’injustice en cris de révolte…
Le mépris n’a pas d’unité
Allons, pas de colère
Le monde avance, l’homme recule
Comme le dit l’insolent dans son hebdomadaire
Pédale donc plus vite, t’as le progrès au cul !
Avant de nous quitter ce soir…
(Titre et premier quatrain empruntés/inspirés à/de Claude Semal et Romain Didier)
à M.-A. GV et ses ateliers d’écriture si vit(r)aux
Avant de nous quitter ce soir
Qui sait peut-être pour longtemps
Personne ne sait le moment
Où s’allume le soleil noir
C’est des mots dits entre les lignes
Une pudeur qu’on égratigne
Une inconnue derrière un store
Les absents n’ont pas toujours tort
C’est la perte d’une virginité
Une épreuve d’intimité
Une audace posée avec tact
Un fil ténu qui fait contact
Avant de nous quitter ce soir
De fermer la porte du placard
Que reste-t-il dans nos mémoires
De ces instants, de ces histoires ?
Que ces parfums de sémaphore
Ces improbables métaphores
Figent à jamais l’ombre fugace
D’une commune dédicace.
« Bien sûr, je sais depuis longtemps que… »
…je n’irai plus aux folles farandoles d’antan faucher les blés de l’insouciance les matins d’eucalyptus rythmés du crissement des cigales frottant l’archet de leurs pattes musiciennes sur les chemins.
Bien sûr, le métronome éternel du temps marquait la cadence : dans le chant de la rivière, le vent agitant la crécelle des cimes ou résonnant des mille cuivres de la vallée jusqu’aux contreforts de la montagne, l’orage et ses timbales rageuses. Le bruit, partout harmonieux.
Bien sûr, un chef d’orchestre invisible et tout puissant nous emmenait déjà ailleurs. Doucement. Imperceptiblement.
Bien sûr, la même symphonie, ou à peu près, continue de ricocher tels d’opiniâtres galets. Bien sûr.
Mais les bras soyeux de la jeunesse qui caressaient nos peaux ne frôlent qu’involontairement, avec crainte et peut-être dégoût, le cuir rapiécé qui nous enferme aujourd’hui.
Bien sûr, nous allions plonger nus à des minuits passés polir au fond des vagues les couteaux et les bernard-l’ermite. Qu’importe alors si l’océan avait des griffures de froid. Sur le sable encore éteint nous réchauffions nos corps en attendant le jour qui nous trouvait endormis.
Bien sûr, le soleil regarde toujours les mêmes pierres et les gouttes d’eau salée éclaboussent joyeusement les futurs souvenirs qui sont en gestation.
Bien sûr, il y a encore des enfants écoutant distraitement le concert posé sur la portée au chevalet habituel pour des musiciens excentriques et sans instruments. Bien sûr.
J’écoute sans entendre, je regarde sans voir. Je sens, je vis. Je me souviens surtout. Le soleil m’éblouit et les portes qui claquent font un insupportable vacarme.
Bien sûr, je sais depuis longtemps que le bras du saphir, creusant le même sillon, approche de la fin du disque. Bien sûr.
Mais je sais également que d’autres le remettront au début. J’espère qu’ils le trouveront mélodieux. Jusqu’au bout…
Les flaques vides
La pluie qui tombe crève les flaques
Où s’entêtent quelques nuages percés
J’entends miss liberté qui claque
Aux hampes des pavillons dressés
Sur les chaises confortables d’après silence
Sur les coussins moelleux des inévitables cathédrales
L’on prie pour nos propres renaissances
Puisque dans la nuit noire la lune sert de fanal
S’endormir, partir en utopie
Pour échapper à nos égos
Briser les chaînes qui nous lient
Sans rêves ne garder que la peau
Suivre cette lueur sous les soleils
Marcher dans la boue fraîche des pas qui nous précèdent
Ne pas s’aventurer aux bas-côtés vermeils
Choisir une sente sûre et suivre le flot qui nous renforce, nous aide
Et nous pousse à sa guise
Vers le bout du tunnel
Lorsque le doute et la peur aiguisent
Leurs lames éternelles
Ombres totalement charnelles
Peuples vers l’absolu qui marchent
Grimpent, tombent, fuient et déploient leurs ailes
La haine, fraîche, sur l’esprit comme une bâche
Revient alors l’épiderme
Unique plinthe sous les drapeaux
Farouche clair-obscur que ferme
Une clef d’or qu’Alice guette tôt
La pluie qui tombe, fertile entaille
Nourrit en goutte à goutte les lacs
Les mers, les océans, mais où qu’elle aille
La pluie qui tombe crève les flaques.
ELOGE DU MOUVEMENT
UN DEUX, UN DEUX
ÇA FAIT UNE HEURE QU’ON MARCHE
UN DEUX, UN DEUX
SIX FOIS QU’ON PASSE SOUS CETTE ARCHE
UN DEUX, UN DEUX
JAMAIS DE TROIS, JAMAIS DE QUATRE
UN DEUX, UN DEUX
MARCHER AU PAS, SAVOIR SE BATTRE
MECANIQUEMENT NOS PIEDS SE POSENT
LE MAL AUX DOS, LES ARMES LOURDES
AUCUN NE PARLE, PERSONNE N’OSE
ON DANSE SUR UNE MUSIQUE SOURDE
C’EST DANS LES TETES QUE ÇA BASTONNENT
QUAND T’ES SOLDAT TU NE SENS RIEN
SI LE FROID MORD, SI L’ORAGE TONNE
SERRE LES DENTS COMME UN CHIEN
ET ÇA CONTINUE SANS ARRET
MARCHONS MARCHONS QU’UN SANG IMPUR
ABREUVENT NOS JARRETS
AUX MATINS SOMBRES D’UN BEL AZUR
CEUX QUI AUJOURD’HUI TOMBENT
COUVERTS DE SANG, DE TRIPES ET DE MERDE
S’RONT DEMAIN DES HEROS AUX MILLE TOMBES
LES MEDAILLES ACCROCHEES AUX NUAGES QUI SE PERDENT
CEUX QUI ONT SURVECU, NAGUERE
REVIENDRONT ICI-MEME POUR LA GRANDE ACCOLADE
LA RECONCILIATION, AVANT QU’UNE AUTRE GUERRE
ERIGE SES DRAPEAUX ET PUIS SES BARRICADES
L’HOMME EST UN ANIMAL EN CAGE
LA RELIGION, LA PATRIE, LUI SERVENT DE PENSEES
LORSQU’IL LUI FAUT EVACUER SA RAGE
L’HOMME EST COMME UNE BETE AYANT ENVIE D’BAISER
PROFITER DE LA VIE
Devant mon logis, sur le ciel des jours acides, des nuages et la fumée d’un avion écrivent en lettres imprécises une sorte de pub ironique : « profitez de la vie », ou quelque chose dans le genre.
Au coin du regard d’un nouveau-né repus, aux lèvres émues de la maman assise sur le banc du square le sein encore perlant, à mes dix ans résolus, face au miroir où se reflète un avenir à peine voilé d’un antan désappris, vont les promesses.
Dans l’après-midi confuse d’une rencontre malheureusement exquise, au hasard des amours vaporeuses lorsque les questions ne font pas encore vaciller les réponses, il est singulier d’envisager un quelconque projet de vie.
Le soir approche en félin son heure de regrets. Le vieillard fermement agrippé à ses songes poussiéreux, la tête baissée sous le ciel effacé et vide, se dit qu’il aurait pu vivre mieux, oser, lâcher les convenances en traversant les murs qui balisaient son chemin. Le temps l’a dépassé et va brusquement se rabattre devant lui. Sortie de route. Il n’est ni en colère ni triste. Il est las, fatigué et se couche placidement.
Ailleurs, quelque part, une main sale et blessée chasse les mouches noires du regard d’un enfant. L’avion passait dans le ciel qui écrivait des lettres de feu en profitant de la vie ses bombes bien nettoyées brillent au vent. La mère est allongée un peu plus loin les mamelles faméliques sèches depuis longtemps. Un vieux, tordu, claudique vers le puits.
Profitons de la vie, Mesdames et Messieurs. Attendons que les larmes se tarissent comme le lait. Attendons en profitant de la mort.
Moi, je profite de la vie en éclatant de rires, en caressant des seins de femmes pleins et doux, en jetant quelques pièces que saisissent des mains sales et blessées qui me ferment les yeux. C’est bien : je ne vois pas les mouches noires.
Profitez de la vie, chuchotent les nuages, profitez de la fumée et des bombes qui volutent si loin.
Bouteille Amère
La lune de ses mains blanches pose sa pâle écume
Sur la crête des vagues d’immobiles caresses
Le vent complice se tait et laisse dire la brume
Doucement estompés les rivages disparaissent.
Dans cette mer-cuvette cernée de toutes parts
Ricochent et s’affrontent les vies simultanées
D’Espagne et d’Algérie où crie encore un phare
Sur mes lèvres s’est posée la Méditerranée.
Un doute d’avalanche qui s’envole des flots
Où mes neiges d’antan ont joué à se fondre
Le mistral parfois allume des brûlots
L’avenir révolu finit de s’y confondre.
Pour des femmes et des hommes qui s’enfuient de la guerre
Dans un sombre poudrin qui coupe tel un couteau
Les mêmes sirènes chantent comme pour Ulysse naguère
Mais il n’y a pas d’Ithaque tout au bout du bateau.
Accrochés aux rondins, frêles navires de fortune
Ils sont cent, ils sont mille qui exhalent sur la mer
Les cris et la souffrance de leurs vies importunes
Au vent froid qui récolte de l’écume leurs vers.
Je suis l’homme des navires ruisselant de salive
Je suis l’homme soufflant au milieu des nuages
Les pieds nus écorchés et l’oreille attentive
Dont l’illusion d’un port cède un futile hommage.
Les cyclones ne sont que de légères brises
Le soleil se meurt sous l’assaut de la vague
Et sur le chaste cœur où se fissure la bise
Se pose encore l’empreinte de l’éternelle dague.
Nos révoltes trop sages, leurs peaux déracinées
Vont telles des branches poussées par d’inutiles voiles
Il est des catéchismes qu’il faut assassiner
Et éteindre à jamais nos abusives étoiles.
La lune de ses mains blêmes pose encore sa carcasse
Fatiguée et tranquille sur le bleu sanctuaire
Miradors de vases les bastilles font surface
Je suis l’homme de l’eau, je suis un homme amer.
INDECENDIT
J'écris pour plaquer mes mots sur les feuilles trop légères du temps qui glisse
J'écris pour ralentir le rythme des pages qui tournent et tombent, et se ramassent plus loin à la pelle mécanique
J'écris pour éponger ma peine, pour recueillir les larmes qui adoucissent les angles
J'écris pour un sourire, pour un jeu drôle.
J'écris tard
J'écris tôt
J'écris en coups droits pour prolonger l'échange au fond du ring
Les yeux fixés sur tes poings
J'écris pour le moment
J'écris pour la rencontre
Et agrafer les ailes trop délicates des colombes, les plomber comme au bout d’un fusil
Je leste les secondes et emmaillote les minutes pour en faire de grandes heures qui pèsent
J’écris passionnément en brises d’océans quelques mots immatures
Qui me ressemblent moi qui ne suis pas lourd
J'écris comme s'impatientent nos faiblesses à ma peau
J'écris pour qu'on me couche entre tes seins douillets et m’endormir
J'écris en essayant d’effeuiller lentement nos marguerites
J'écris mon fantasme à l'instant de te faire l'amour
J'écris comme un fleuve puissant charrie d’intenses fatigues
J'écris sur les buissons, sur les arbres et l'oiseau se moquant de nos rêves
J'écris au milieu de la ville sur la pluie et le vent
J'écris sur les trottoirs, j'écris sur le béton
J'écris en tremblant sur l'enfant qui se couche une histoire qui l'endort
Et je calligraphie à la craie mon appétit avec application
J'écris pour les femmes dansant à petits pas chassés
J'écris pour celles qui passent doucement indolentes
L'ardeur en bandoulière, Cupidon et son carcan à leurs hanches agrippé
J’écris pour celles qui fuient, insouciantes et légères
J'écris une caresse, un souffle sur leurs cils en témoin indélicat
J’écris pour celles qui s’arrêtent par leur ombrelle à mes yeux cachées
J'écris comme on dénude un sourire à leur bouche
J'écris comme on presse des gâchettes
J'écris pour le chasseur conquérant en tenue camouflage
Qui s'en va faire sa guerre insolite et vaine comme toute guerre
J'écris devant l'arène où le sang s'évapore
Puis se mêle aux émois des rires putassiers
J'écris comme l'on cogne sur des gueules abîmées
J’écris cent et vingt fois ton antique prénom défloré au burin de mon désir
Comme un sourd frappe encore et encore et encore
J'écris pour une virgule et sa respiration
J'écris pour repousser le moment de déposer à tes pieds le point final
J'écris les parenthèses sans rien y mettre autour
J'écris pour le papier qui râpe ma langue
Sur le fil barbelé des convenances usuelles
J'écris comme on chute lourdement sur le sol dur et froid des certitudes
J'écris le venin du cobra et la ruse de la mangouste
Le vif argent de la toile qui se hisse
J'écris alors que ma folie en éclats se brise, mon cœur
J'écris contre un mur qui se construit pour y poser le dos
Épuisé mais heureux de la halte permise
J'écris pour me tenir debout
J'écris à l'odeur fugace, au son qui me titille, au goût de ta beauté qui me détruit
J'écris lorsque les couleurs du jour pâlissent en sourdine
J'écris parce que la nuit darde mes angoisses
Mes inutilités chéries
Et que grincent les vieilles lunes-girouettes au vent discordant
J'écris pour obtenir le goutte à goutte salutaire
Des jours à tes rondes blancheurs, des nuits à tes coteaux
J'écris pour ton absence qui me mord jusqu'au sang
Et tes indifférences venimeuses que j’ai peur de comprendre
J'écris des prières d'athées, j'écris aux pierres datées
Sur les cathédrales moites de tes grâces féminines
J'écris de mes mains sales, impures et punissables
J’écris pour la honte de me taire et la crainte de parler
J'écris pour implorer ton châtiment
J'écris comme on hurle quand ton sommier déshabille le silence
J'écris en te regardant me cracher ton dédain
J’écris pour toi sans aucune autre vanité que de posséder ton affection en retour
Toi qui aurais dû m’être essentielle
J’écris pour le masque que je porte puisque ton air m’est défendu.
J'écris et ne dirai rien
À personne, c'est promis
J'écris et ne dirai rien
À personne, c'est juré
J'écris et ne te dirai rien.
VOYAGE
Cris en esquisses qui tracent un récit improbable
La première page si blanche ressemble à une volte-face
Avec juste le contour d’un sein indispensable
Ton nom, déjà, en titre majuscules vivaces.
Vient l’heure des premiers pas, tu trébuches sous la table
Les chutes écrivent en bleus sur tes jambes les échasses
Tu apprends la moiteur des tapis confortables
Et la douleur qui fixe sur toi sa dédicace.
Puis te voilà qui court, tu te sens increvable
A traverser pieds nus hors des clous de la place
En posant sur ton dos le poids de ton cartable
Tu pars apprendre le monde ne laissant aucunes traces.
La mer pour horizon derrière toi lèche le sable
Pendant qu’à plein goulot tu bois la même tasse
Ton coude mal arrimé sur le bord de la table
Tu navigues et tu pars, tu bois à marée basse.
La bouteille se vide te berçant de ses fables
Mais déjà dans la nuit tu cherches une préface
Une fille t’aborde au corps si improbable
Contre lequel, pourtant, ta tête se fracasse.
Goutte-à-goutte l’alcool en formes équitables
Te répète l’histoire qui jamais ne s’efface
De pages encore tournées par le souffle de diables
Et tu jouis sans plaisir tout au fond de l’impasse.
Ecoutilles
Regardant par-delà le mur, assis contre la mer
Il se laisse aller, il se laisse aller
A haler ses repentis gisant au fond de puits
Parmi les printemps décousus des fils du temps
Il rapporte les blessures coupantes des voleurs de diamants
Et le gris blafard recollé sous le sable mouvant
Comme on pardonne aux miroirs l’absence de mensonge
Un peu d’éclats de sang qu’ils avaient partagés
Pour quelques rêves d’oiseaux creusant profondément leurs cages
Avec, sans cesse, les rayures argentées sillonnant les ciels orageux
Quant aux cicatrices désinfectées, quant aux parachutes soigneusement pliés,
Ils gisent
Contre la mer appuyée, bien au-delà du mur
Ce soir son amertume demeure et se laisse aller
Tueuse sollicitude
D’une âme triste se posant alanguie à la voracité des lames.
Une ligne saigne le long d’un paragraphe
Le bruit d’un papier qui se froisse
Un encrier au loin rejeté, à la marge
Plume moirée revenant du large, puis vers l’horizon oublié
Car ne lui reste de ses instants futiles,
Que les ricochets de l’écho à l’envi,
Et le sentiment impalpable de cœurs sous oxygène
Ressac battant, battant encore sur l’enclume enserré
Le poids irrévocable d’insolentes certitudes
Allons, allons,
Lorsque Robinson réinvente le monde, le monde n’existe pas !
Ricochent un moment ses illusions, formelles caravanes
Jaunes et cendrées sur le flot aboyant après
Sa mémoire qui délaye la réalité. Halez, halez,
Mais qu’importe les histoires précises, après tout, seule l’émotion surnage
Nage encore et puis se pose
Tout contre l’armure sur laquelle
S'éclate en tournoyant l’amer doute des respectueuses solitudes
Où, tristement ce soir
Il se laisse aller, il se laisse à les
Il se lasse à les écouter…
Marcher lentement...
Chercher les fleurs au-dessus de nos têtes, moissonner les étoiles au milieu d'un champ de ruines, au moins repérer les lumières, étincelles ou lucioles : danser, ivre et nu, parmi les cadavres et sourire en attendant la pluie familière.
Ne pas baisser les yeux, guetter par-dessus des terriers, traîner et marauder le regard en musarde, enjamber quelquefois, trébucher souvent, tomber dans les crevasses sèches, laisser un peu de soi au fond de quelques sentes, se relever, toujours, puis boire encore inextinguiblement au goulot des moments offerts pour trouver enfouis au fond de certaines amphores le suc précieux qui réchauffe et nourrit.
Courir dîtes-vous ? Courir comme le vent en balayant les plaines, qui suit les reliefs, s'attarde puis repart, s'enroule autour des souches, s'en va loin ailleurs avant de revenir renifler, placide, l'humeur stagnante ou endormie ?
Ou courir poussé par des bras puissants au long de cloisons étroites vers d'incertains et pâles reflets ? Sprinter plus vite encore, sans un regard perdu lancé aux alentours, les yeux au ras du sol et le souffle raccourci, comme un athlète fourbu avançant par reflex au milieu d'autres ombres, tous guettant le refuge éphémère d'une ligne d'arrivée, fin de semaine ou début de vacances ?
Courir, oui, mais vers où ? Quelle destination, quel but, quelle fin ? Courir avec qui, au milieu de quoi ? Courir, enfin pourquoi ? Mauvaise question, mauvaise intention, mauvais esprit. Je suis une âme désarmée qui vous emmerde.
Courir, dîtes-vous, sans remettre, jamais, en cause le dogme. Courir en rond, autour de la butte où le drapeau est planté. Courir parce qu'il le faut, parce qu'on le doit. Sans demander son reste, le dû est calculé. Courir les pieds bien calés dans la voie tracée, sans même y penser. Courir, dîtes-vous.
Courir, et puis enfin s'arrêter. Au bout de la piste le chemin se perd dans les passages touffus, là où la végétation reprend possession des venelles. Alors, seul, il faut avancer la machette à la main, se perdre avec prudence dans la jungle foisonnante, plonger hors de la butte comme une ultime naissance. C'est l'heure grise de la retraite. S'arrêter. dîtes-vous. Repos bien mérité, ajoutez-vous avec gentillesse.
Et marcher lentement, loin du bout de la piste ? Respirer, prendre appui, minute après minutes, aux cailloux du chemin. Lever le front, populaire à jamais, et goûter aux instants olfactifs, tactiles et sonores, sans plus accélérer. Prendre le temps comme on prend une femme désirée.
Lancer au caniveau les chiffres et les classements. Arracher les drapeaux. Ouvrir les fenêtres, les portes et les cloisons étroites. Piétiner la hiérarchie, les chefs, les montreurs de routes aux péages rutilants.
Et. marcher lentement. le pas peu assuré. Sans certitude, sans motivation. Sans calcul.
Chercher les fleurs au-dessus de nos têtes, moissonner les étoiles au milieu d'un champ à reconstruire, au moins partager les lumières, étincelles ou lucioles. Danser, ivre et nu, parmi les vivants sourire en goûtant avec délectation la pluie familière et te refaire l’amour comme le prochain jour.
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